Lettres de Fadette/Quatrième série/32

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Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 89-92).

XXXII

Les lettres


« Y a-t-il des règles à apprendre pour bien faire une lettre ? » me demande une correspondante qui m’avoue gentiment son désappointement quand elle relit les siennes.

Laissant de côté les règles générales qui s’appliquent à la bonne rédaction française, il me semble que le naturel et la simplicité qui sont le principal mérite du style épistolaire ne s’apprennent pas : il faut en trouver le secret. Et d’abord il ne faut pas vouloir « bien faire une lettre ». Ce souci empêche sûrement la lettre d’être naturelle et votre pensée, au lieu de prendre son vol, cheminera un peu lourdement, ornée de clinquants, artificielle et décevante.

Le secret d’être naturel, enjoué, spirituel sans effort, un grand nombre l’ont connu parmi les épistoliers offerts à notre admiration.

Pour qui veut marcher sur leurs traces de très loin, il n’y a encore rien comme d’être « soi », de se montrer dans ses lettres tel qu’on est en réalité, avec ses élans, ses goûts, ses impressions, ses ignorances, ses petites lueurs, ses faiblesses. Alors seulement les lettres ont cet attrait séduisant qui échappe à l’analyse, mais qui fait d’une lettre un instant de tête à tête charmant avec l’auteur de la lettre.

Le hasard a déjà placé entre mes mains une trentaine de lettres intimes d’une inconnue morte depuis des années. Dès les premières pages, je fus prise par l’intensité de vie qu’elles dégageaient, et à mesure que je feuilletais cette âme, en lisant ses illusions, ses fantaisies, ses bonheurs, ses tristesses, — hélas ! elles sont toujours l’envers du bonheur, — mon intérêt devenait tel, qu’à vingt ans d’intervalle, je vibrais à toutes ses impressions et ses angoisses me navraient.

Le souvenir que j’ai conservé de ces lettres, c’est qu’elles étaient très belles parce que si humaines, si palpitantes de vie et de vérité. L’auteur n’avait certes jamais songé à écrire des belles lettres ; elle avait simplement laissé parler son cœur, et voltiger son esprit autour de toutes ses confidences sincères, et son âme s’esquissait avec un tel relief que j’avais l’impression du visage penché sur le papier, j’entendais l’écho de sa gaieté et d’instinct je cherchais sur certaines pages la trace de ses larmes. Quand les lettres d’une inconnue vous émeuvent à ce point, c’est qu’elles sont un chef-d’œuvre, et ce chef-d’œuvre ne peut être fait qu’avec de la sincérité, de la simplicité et une spontanéité qui ne calcule pas ses effets.

On reproche aux femmes de nos jours de négliger la correspondance et de pratiquer couramment le style nègre sur des cartes postales qui ressemblent à des dépêches télégraphiques.

Si ce reproche est mérité, c’est grand dommage, car les femmes ont le don d’écrire des lettres jolies et amusantes. Les moins cultivées même ont de ces trouvailles de terme et de tournure qui évoquent une silhouette et font passer un sentiment par ses plus délicates nuances.

Celles-là, soyez-en sûres, ne s’appliquent pas à « bien faire une lettre », elles ne pensent qu’à communiquer leur pensée avec une plume si fidèle que vous retrouvez leurs intonations de voix et leurs gestes familiers dans leur écriture qui vous les apporte toutes vives.