Lettres de Fadette/Quatrième série/41

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Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 114-117).

XLI

Suite du Pin Parlant


J’ai revu la source qui chante en dégringolant dans le ruisseau clair, où se mirait la jeune fille crédule, qui, il y a deux ans, demandait aux aiguilles de pin le secret de son timide amoureux. Le « pin parlant » ne fit que devancer l’aveu désiré, puisque j’appris, le printemps suivant, le mariage des deux enfants.

Dans beaucoup de romans, le mariage s’écrit à la dernière page, Dans le livre de la Vie, après le chapitre esquissé dans la fraîcheur des bois où jaillissent des eaux vives, suivent les pages sérieuses où le bonheur lui-même est grave, et où trop souvent l’amour meurt tragiquement.

Cette fois, ce n’est pas l’Amour qui est en faute, et les jeunes mariés du Pin Parlant font ce qu’ils peuvent pour défendre leur liberté et leur bonheur contre l’égoïsme d’un vieux cœur de femme qui ne veut rien céder de ce qu’il considère faussement comme ses droits.

Et voilà pourquoi dans la maison des champs que l’amour et le soleil devraient remplir de la grande joie de ceux qui s’aiment, personne n’est heureux : ni la vieille fille acariâtre, ni la jeune femme tendre, ni le jeune homme indécis et faible.

Louis a été élevé par sa sœur qui était faite à l’idée qu’elle serait toujours maîtresse dans la maison du « petit ». Quand il parla de se marier ce furent des lamentations et des reproches amers qui retardèrent les aveux du jeune homme et rendirent bien inquiète sa petite amie.

Enfin l’amour l’emporta… pour le malheur de Marie, qui fut reçue dans la maison de ses rêves par la malveillance et la jalousie de la vieille exaspérée. Louison, comme on l’appelle ici, est un bon garçon, et il aime sa femme, mais c’est un homme qui aime la paix et qui connaît peu les femmes. Parce que sa sœur a toujours été bonne pour lui et l’a même gâté, il croit à son bon cœur et à l’utilité des concessions ; il les a conseillées, avec la conviction qu’avec un peu de patience tout irait bien. La petite, dont l’amour soutenait la bonne volonté, commença par se plier à toutes les volontés de la vieille. Celle-ci, sentant son empire, en abusa et ses exigences devinrent si tyranniques qu’une année a suffi pour faire de la femme du maître la servante de la vieille.

Quand la pauvre enfant risqua quelques objections, se plaignit de la fatigue ou réclama un peu de liberté, il y eut de telles scènes, que, terrorisée, elle cessa de lutter. Vous me direz que dans tout cela, le rôle du mari n’est pas brillant ? Peut-être, mais il y a de ; excuses. D’abord, il ne sait pas jusqu’où va la dureté de sa sœur qui continue à l’entourer de soins et de tendresse ; il respire bien autour de lui la gêne, et quelquefois, des menaces de tempête, mais sa femme, avec le sublime désintéressement de l’amour, et afin de le ménager, lui cache bien des choses. Et il saurait tout, qu’il ne pourrait peut-être rien empêcher. Il faut que sa sœur vive chez lui : c’est stipulé dans le testament qui l’a fait héritier de la maison paternelle. Alors ?

Alors, ses discours et même ses colères ne pourraient qu’aggraver une situation déjà pénible en augmentant la haine de la vieille fille qui est jalouse de la jeunesse et de l’amour. Et comme trop souvent en cette dure vie, c’est la force et la méchanceté qui triomphent. La ravissante idylle a sombré dans le drame muet où disparaîtra peu à peu un bonheur si légitime pourtant. C’est en m’informant de la petite Marie que j’avais été renseignée avec les amplifications de rigueur, et tout à fait intéressée, je résolus de voir la jeune femme chez elle. C’est facile de trouver un prétexte à la campagne.

Elle est toujours jolie, peut-être plus qu’autrefois, mais bien différente… est-ce parce que je savais, que j’ai deviné tant de tristesse dans ses yeux pendant que bravement elle souriait en rappelant notre dernière rencontre ?

La vieille, raide et défiante, ne nous laissa pas une seconde. Je dis gaiement à la petite femme : — Et quand y aura-t-il un berceau dans cette jolie maison ? — Avant qu’elle ne pût me répondre, la vieille jeta rudement : « Les temps sont trop durs, j’espère ben qu’il n’y aura pas d’enfant de sitôt ! » C’était la confirmation de tout ce qu’on m’avait dit au village et que j’hésitais à croire. Cette vieille femme n’a pas de cœur et que Dieu ait pitié des malheureux condamnés à vivre avec elle !