Lettres de Fadette/Quatrième série/49

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Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 138-140).

XLIX

Réconciliation


J’ai l’esprit un peu frondeur et d’où qu’elles viennent, je n’adopte pas aveuglément les modes qui passent.

Je m’étais imaginée, il y a quelques années, que la dévotion à saint Antoine était une mode et je souriais volontiers des histoires en parties doubles des offrandes de pain et des grâces obtenues. Mais tout arrive. Prise un jour dans des difficultés qui me paraissaient inextricables, j’eus la curiosité de voir comment saint Antoine s’en tirerait. Je ne voulais pas le traiter en commerçant et je répugnais à lui faire des promesses. Je lui exposai donc ma demande en lui faisant une généreuse offrande, et j’attendis son bon plaisir.

Il est probable que monsieur saint Antoine jugea sévèrement mes dispositions intérieures, qu’il trouva à ma curiosité une nuance de perversité ; peut-être aussi, dans sa sagesse surnaturelle vit-il que ma très humaine recherche du mieux me serait nuisible… toujours est-il que, non seulement je n’obtins pas ce que je demandais, mais les choses tournèrent au plus mal pour moi en cette difficile affaire.

J’eus une indignation un peu dédaigneuse qui s’exprima vertement en passant devant la statue de saint Antoine : « Vous n’êtes pas un gentilhomme et je n’aurai plus d’affaire à vous. »

Comme vous le voyez, nous étions en « délicatesse » et je ne pensais pas à lui sans un grain d’amertume. Un jour, accédant à la prière d’un de mes amis, à qui je ne l’avais pas demandée, saint Antoine, qui songeait évidemment à un rapprochement, me remit presque dans les mains un objet perdu, vainement cherché, et dont la disparition me désolait.

Je vis bien qu’il s’acquittait et je lui en sus gré, et comme un bon procédé en appelle un autre, je cherchais l’occasion d’être gentille pour lui. Je viens de la trouver. J’ai lu avec un vrai plaisir un petit livre tout à la louange de saint Antoine : le titre éveillera votre curiosité, et quand je vous en aurai nommé l’auteur, vous saurez qu’au rebours de toute morale bien faite, votre curiosité aura une jolie récompense. « Si Quaeris », si vous cherchez… et qui ne cherche pas dans le monde ? Tous nous cherchons sans cesse, nous cherchons Dieu, la vérité, des amitiés, le bonheur, la fortune, les succès, nous cherchons notre bourse ou nous cherchons notre canne, mais inlassablement nous essayons de trouver quelque chose.

Imaginez alors la joie de rencontrer quelqu’un qui vous persuade qu’un saint du ciel est préposé à ces recherches diverses, et qui établit, avec preuves à l’appui, qu’un cœur simple et confiant trouvera toujours le secours demandé. Les preuves sont des nouvelles courtes, vivantes du Père Valentin-M. Breton : elles sont écrites de cette plume alerte et élégante que vous connaissez. Ce sont des petits tableaux délicatement nuancés dont les personnages ont un tel cachet de vérité, qu’on les voit et qu’on les entend raconter leurs petites histoires ; ils sont reconnaissants et un peu bavards comme nous le sommes tous dans la surprise des réussites inespérées. Leur confiance est contagieuse et l’on s’y laisse prendre, en se disant que bien des choses difficiles seront simplifiées désormais si le bon saint Antoine veut bien s’en mêler.