Lettres de Jules Laforgue/053
LIII
À M. CHARLES HENRY
Je retourne en Allemagne (Bade) vers le 1er novembre et je passerai une semaine à Paris. J’ai laissé à un camarade de Paris deux plats artistiques qu’il vous portera ; c’est un dépôt !
Kahn m’a envoyé une belle pièce singulière d’exécution dans le sans-gêne de ses rimes. Il paraît que vous lui avez communiqué mes Lys de mai ?
Le poète de la rue Denfert m’a écrit hier une longue lettre désolée. Il me reproche la tiédeur de mon amitié et la hâte de mes lettres. Que lui ai-je fait ? Il me tarde d’aller lui demander pardon.
Qu’il y a longtemps que je n’ai fait des vers ! Faire des vers est un vieux préjugé. Na !
Je vais étudier à fond la culture de l’ananas et essayer d’avoir le million à vingt-six ans.
Et votre sculpture ?
Comme nos sculpteurs sont en retard sur nos peintres ! Qu’il me tarde d’écrire des Salons. Connaissez-vous Ringel ? Il est sans doute des intimes de Marie Krysinska. Faites-vous de la cire ? Est-ce de Cros que vous prenez des leçons ?
Achetez-vous les Dessins du Louvre, une publication bon marché de Chennevières, un jeune que les livres d’art des de Goncourt tourmentent ?
Quand vous déciderez-vous donc à faire ce à quoi vous êtes si bien préparé, lancer un roman très neuf ? Vous surtout qui n’avez jamais fait de vers, mais qui avez toujours marché dans la vie vêtu d’érudition et de mathématiques. Quand ?
Irons-nous faire un pèlerinage à votre cellule de la rue Séguier ou se promènent la nuit (certaines nuits !) des choses animées par les âmes multiples de Baudelaire ?
Au revoir. Une lettre por l’amor de Dios !