Lettres de Mlle de Lespinasse/Lettre CLII
LETTRE CLII
Eh bien, mon père, vous me tuez, vous étiez moins cruel hier. Ah ! laissez-moi guérir, ou mourir ! Ne vous justifiez pas. Non, mon ami, si vous n’êtes pas mort, si vous n’avez sauvé la vie à personne, il n’y a point d’excuse. Ah ! mon Dieu, je meurs ! mon âme ne se possède plus. Vous l’avez exaltée ce matin, et vous m’abandonnez ! Mon ami, je pressens que vous me forcerez un jour à vous donner un grand chagrin. Hélas ! peut-être vous trouverez-vous soulagé ? Oh ! que cette pensée me donne de force ! — J’ai manqué à madame de Saint-Chamans ce soir, j’ai éloigné mes amis. Demain je serai enfermée depuis midi jusqu’à deux heures ; c’est un rendez-vous pris depuis quinze jours. Bonsoir. Puissiez-vous dormir et jouir d’autant de plaisir que vous m’avez fait éprouver de torture et d’angoisse ! Non, je ne sais pas comment on ne meurt point de la force de la pensée. Ne venez pas demain matin.