Lettres de Platon (trad. Souilhé)/Notice générale

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Notice générale aux Lettres de Platon
Les Belles Lettres (Œuvres complètes, tome XIII, 1re partiep. v-xxxi).

NOTICE GÉNÉRALE


I

L’HISTOIRE DES LETTRES PLATONICIENNES

Quand le corpus platonicum fut constitué, il comprenait treize lettres qui seules nous ont été transmises par la tradition manuscrite. Cinq autres proviennent de sources différentes. Hermann les a jointes, dans son édition, aux treize officielles et, dans les Epistolographi graeci, Hercher en a classé deux dans la collection platonicienne (la 17e et la 18e d’Hermann), trois parmi les épîtres socratiques (24, 25 et 26, qui sont respectivement les 14e, 15e et 16e d’Hermann). Mais ces cinq dernières sont trop évidemment des faux pour pouvoir être insérées dans les œuvres complètes de Platon. Nous les laisserons de côté, d’accord en cela avec la plupart des éditeurs.

Au ier siècle de notre ère, la tradition des treize lettres est déjà pleinement établie. Thrasylle les mentionne dans son catalogue et les qualifie de morales. Bien plus, il les identifie en signalant la formule de salutation, εὖ πράττειν, et en rappelant le nom des correspondants : « Une de ces lettres est adressée à Aristodème, deux à Archytas, quatre à Denys, une à Hermias, Érastos et Coriscos, une à Laodamos, une à Dion, une à Perdiccas, deux aux amis de Dion[1]. »

Mais nous pouvons remonter plus haut. À la fin du iiie siècle avant Jésus-Christ, les lettres faisaient partie des éditions platoniciennes. Ce n’est pas seulement Aristophane de Byzance qui les inscrit dans ses trilogies, mais d’autres érudits, au témoignage de Diogène, adoptaient un catalogue et une disposition identique[2]. Or, pour en imposer à des critiques aussi consciencieux et aussi scrupuleux qu’Aristophane, il fallait que la tradition fût solidement établie. Du reste, il est infiniment probable que la source des savants byzantins est fort ancienne et remonte à une grande édition académique publiée dans le dernier quart du IVe siècle, c’est-à-dire une trentaine d’années après la mort de Platon[3].

Toutefois, le nombre des lettres se trouvait-il fixé, à cette époque, comme il le fut plus tard ? Il ne le semble pas. La 12e, comme nous le verrons, paraît bien n’avoir pris place dans la collection qu’aux environs du ier siècle et tous nos manuscrits signalent son inauthenticité. Faut-il alors en dire autant de la 13e, et, sous prétexte que les œuvres apocryphes terminent généralement les collections, conclure que cette 13e lettre a dû être introduite plus tardivement[4] ? Le raisonnement supposerait que l’ordre de toutes ces lettres était bien déterminé, ordre qui aujourd’hui ne nous est connu que par les manuscrits. Or l’unanimité n’est pas absolument parfaite, et dans certains manuscrits, tel le Parisinus graecus 3009 (Z), qui se rattache à la famille du Vindobonensis 21 (Y), la 13e lettre vient au troisième rang et la douzième termine le recueil.

Dans l’antiquité, si l’on excepte la 12e lettre, cette correspondance n’a très probablement provoqué aucun sentiment de suspicion. Cicéron la connaît, il en traduit des extraits, en résume ou paraphrase certaines pensées et les rapporte à Platon sans manifester la moindre défiance. L’orateur romain attribuait certainement à leur signataire les lettres VII et IX[5]. Plutarque, de son côté, a sous les yeux la 7e lettre quand il écrit la vie de Dion, il l’utilise en citant d’ailleurs sa source, transcrit presque textuellement des phrases entières et se réfère à ce document pour raconter les relations de son héros avec le philosophe athénien. Avant lui, un contemporain de Cicéron, Cornélius Népos, avait fait de même quand il composait la biographie de Dion. Mais Plutarque a mis également à profit d’autres extraits de la correspondance. Il explique un passage énigmatique de la 13e lettre, il se sert des termes mêmes de la 4e pour dépeindre le caractère rigide de Dion, et toujours en se retranchant derrière le témoignage de Platon[6]. Ailleurs, il revient encore sur cette formule de la 4e lettre, dont la force imagée paraît l’avoir séduit, et la présente comme une sorte de précepte moral[7]. Dans le De cohibenda ira et le De Uitioso pudore, il rappelle quelques lignes de la 13e ; dans le de audiendis poetis, il s’appuie sur une doctrine de la 3e[8]. Et partout, l’allusion ou la citation est accompagnée de sa référence.

La tradition se continue ainsi durant les siècles suivants, sans qu’on puisse saisir la moindre hésitation. Dans la génération qui suit Plutarque, nous voyons Lucien invoquer l’autorité de la 3e lettre pour critiquer certaines formules de salutation[9] ; les écrivains chrétiens citent plusieurs textes où ils trouvent comme des pressentiments de doctrines révélées par le Christ. Plotin, au iiie siècle, commente à diverses reprises, — et en les tenant pour authentiquement platoniciennes, — d’obscures sentences de la 2e lettre[10]. Au ive siècle, l’empereur Julien rappelle que, de l’aveu même du philosophe grec, il n’y eut jamais d’ouvrage composé par Platon, mais que tous les écrits regardés comme tels ont Socrate pour auteur[11], idée que nous trouvons développée dans cette même seconde lettre.

En un mot, jusqu’au ve siècle, la question d’origine n’est pas posée au sujet d’une correspondance qui depuis longtemps fait partie du corpus platonicum, fixé au moins depuis Thrasylle.

Faut-il faire remonter à Proclus les premiers doutes ? Les Prolégomènes de la philosophie de Platon (ch. 26), œuvre d’Olympiodore, contiennent une phrase assez curieuse : « Ainsi, affirme le néo-platonicien, tous [les écrits de Platon] sont au nombre de trente-six. Parmi eux, le divin Proclus regarde comme apocryphe (νοθεύει) l’Épinomis pour les raisons déjà données ; il rejette aussi (ἐκβάλλει δὲ καὶ) la République à cause de ses discours nombreux et non dialogués, ainsi que les Lois, pour le même motif, — et il rejette encore les Lettres, parce que le style est tout uni [sans doute parce qu’il est trop simple et manque d’ornements], en sorte qu’il laisse subsister trente-deux dialogues en tout. »

Le mouvement du passage tend bien à établir une parité entre l’Épinomis, la République, les Lois et les Lettres, et je crois que, pour Olympiodore, νοθεύει et ἐκβάλλει étaient vraiment synonymes. Mais l’étaient-ils pour Proclus ? car il est fort probable que l’auteur des Prolégomènes emprunte les termes au philosophe néo-platonicien[12]. La déclaration d’Olympiodore n’est pas ici très cohérente avec celle du chapitre précédent, où l’exclusion de l’Épinomis par Proclus suppose l’authenticité des Lois repoussée au chapitre 26, au même titre que la République et les Lettres. Mais, du reste, Proclus cite certaines lettres et les attribue à Platon : telles, par exemple, la 2e (313 e dans In Tim., 108 c et 119 f) ; la 7e (328 c in Tim., 19 e ; 342 et suiv., in Tim., 92 e…). Évidemment Olympiodore s’est mépris sur la pensée de Proclus[13].

Peu à peu, cependant, les difficultés surgirent. L’étude du texte même des Lettres, peut-être l’usage parfois intempérant qui était fait de leur témoignage, provoqua des hésitations et des méfiances. Il ne nous a pas été possible de suivre l’histoire de la collection depuis la fin du néo-platonisme jusqu’à l’époque de la Renaissance. Probablement les Lettres ont, durant cette période, subi le sort de tant d’autres œuvres de la littérature grecque : elles restèrent ignorées. On se mit à les relire au xvie siècle quand de nouveau on se prit d’un bel engouement pour Platon, et dès lors aussi la critique commença à s’exercer sur elles. Sans doute, on ne jeta pas de prime abord la suspicion sur toutes, mais telle ou telle n’était accueillie qu’avec beaucoup de réserve, ou même était résolument abandonnée. Ainsi Ficin, plein de défiance pour la 13e lettre, n’en voulut pas donner de version. À cause d’une contradiction entre le Timée, où se trouve affirmée l’existence d’une multiplicité de dieux, et cette même 13e lettre, qui prétend donner, comme signe de l’importance relative des lettres, l’usage de la formule « Dieu » et non « les dieux », Cudworth, au xviie siècle, regarde cette 13e lettre comme un faux dont un chrétien serait l’auteur : « Quæ cum ita sint, non possum, quin decimam hanc tertiam Platonis ad Dionysium epistolam, quamuis ante Eusebii jam exstiterit tempora, Christiani hominis dolum et commentum esse, pronuntiem, cuius immoderatum erga religionem, quam profitebatur, studium exigua rerum ueterum temperauerit cognitio. Nec dissentiunt, qui Platonem ediderunt, doctissimi homines, uerum omnes epistolæ huic uocem νοθεύεται, ut fucatæ mercis signum, præfixerunt[14]. »

La question se trouvait désormais posée. La tranquille possession de plusieurs siècles ne suffisait plus. On commençait à savoir avec quelle habileté les faussaires, pour des motifs très divers, vanité artistique ou appât du gain, avaient glissé parmi des œuvres connues un certain nombre de lettres, ou même avaient constitué de toutes pièces une correspondance complète. Bentley, le premier, ouvrait la voie à la critique par son étude définitive des lettres de Phalaris (1697), et sa perspicacité découvrait la supercherie du sophiste qui avait si maladroitement revêtu le personnage du tyran agrigentin. Et pourtant Bentley, comparant à ces exercices de rhéteur les lettres platoniciennes, n’hésitait pas à déclarer celles-ci authentiques, même la 13e, qu’il défendit avec une particulière énergie.

Mais en 1783, Meiners attirait l’attention sur des traits qui semblaient en contradiction avec l’âge ou le caractère de Platon, et, pour ce motif, rayait du catalogue platonicien la collection entière[15]. C’était la première fois qu’une condamnation aussi absolue était prononcée. Aussi souleva-t-elle des protestations. Des historiens de la philosophie, Tennemann[16] surtout et Tiedemann, s’appliquaient à répondre aux arguments de Meiners, mais leurs réponses médiocres ne suffisaient pas à rétablir la confiance ébranlée. Du reste, c’était à peu près l’époque où Schleiermacher allait agiter « la question platonicienne » et, à sa suite, les critiques devaient exercer leur ingéniosité sur l’œuvre entière du philosophe athénien. Je n’ai pas à rappeler ici toutes les étapes de cette brillante période, plus brillante que féconde, où l’on voyait, les uns après les autres, les Dialogues s’effondrer comme des châteaux de cartes, par le fait de méthodes souvent fort arbitraires et qui favorisaient les résultats les plus opposés et les plus inattendus. J’en retiens uniquement ce qui concerne l’histoire des Lettres. Ces dernières ne pouvaient évidemment pas échapper au jeu de massacre. Ast[17] les jugeait toutes indignes du nom dont elles se paraient et son jugement fut alors regardé comme décisif. On ne voulait pourtant pas dénier toute valeur à cette correspondance. On reconnaissait pratiquement son autorité en continuant à l’utiliser, à titre de source ancienne, pour raconter la vie de Platon. Mais on assignait comme auteur à certaines de ces lettres, surtout à la 7e, tenue toujours pour la plus importante, quelque disciple ou ami de Platon, tel Speusippe. Dès ce moment, à l’instigation de Socher[18], on se mit à établir des groupes, où la lettre 7e occupait le premier rang, suivie immédiatement de la 3e et de la 8e.

Grote, à peu près seul, osa vers cette époque réagir contre ces destructions excessives. On aurait trop craint de se compromettre, suivant la jolie remarque d’Apelt, en risquant de se prononcer en faveur de l’authenticité, et on préférait suspendre son jugement que de passer pour retardataire[19]. L’historien de la Grèce estima les arguments d’Ast moins impressionnants que les témoignages de Cicéron ou de Plutarque, et il pensa qu’il était de mauvaise critique de vouloir assimiler le genre des Lettres à celui des Dialogues et d’apprécier suivant une norme trop étroite la valeur littéraire d’œuvres aussi différentes. Il faut bien avouer que les raisons alléguées pour justifier la condamnation étaient surtout des raisons de goût, de psychologie, raisons très fines, j’en conviens, et d’un grand poids, mais qui n’emportent pas à elles seules la conviction, des affirmations toutes contraires pouvant leur être opposées en vertu d’indices analogues. Le problème avait besoin d’être examiné plus à fond et sur des bases plus larges.

En 1854, Karsten écrivit sa Commentatio critica de Platonis quae feruntur Epistolis, praecipue tertia, septima et octava (Utrecht 1864). Après avoir étudié en détail la composition, le style de la correspondance, les faits historiques et les doctrines, l’auteur concluait : les treize lettres soi-disant platoniciennes, malgré leurs différences, trahissent une origine commune. Toutes dessinent un portrait de Platon peu conforme à ce que nous connaissons du philosophe. La principale est assurément la septième, et c’est d’après ce modèle que les autres ont été fabriquées. La 3e et la 8e surtout offrent avec elle de nombreux points de ressemblance, si bien que ces trois pourraient se réclamer du même auteur. Leur rédaction remonte probablement à la première moitié du iiie siècle. Les sujets et la manière de les traiter rappellent étonnamment les déclamations des rhéteurs. Sans doute, on retrouve des réminiscences platoniciennes, mais le plagiat transparaît constamment, et la 7e lettre, en particulier, produit l’impression d’un recueil de centons empruntés aux Dialogues et dont le style est malheureusement gâté par des négligences et des fautes grossières contraires à la pure élégance attique. Quant aux faits rapportés, ils révèlent un homme peu au courant des choses athéniennes, et la doctrine prônée n’est qu’une déformation pythagoricienne des théories de Platon. Donc ces Lettres doivent être l’œuvre d’un ou de plusieurs rhéteurs, lecteurs plus fervents qu’intelligents du fondateur de l’Académie, et qui ont voulu entreprendre une apologie du philosophe, le montrer conforme dans sa vie et ses relations aux principes que proclamaient ses écrits. Cependant, un certain nombre d’entre elles, spécialement la 3e, la 7e et la 8e, comptent parmi les documents les plus anciens et les plus précieux que nous possédions sur les faits et gestes de Platon. Elles nous aident à illustrer les trop rares indications des auteurs, à discerner les renseignements vrais de ceux qui sont suspects ou faux, et elles nous apprennent enfin comment, peu après la mort du philosophe, sa doctrine et sa méthode ont pu être déformées par les commentaires et souvent traduites en un langage énigmatique.

Les conclusions de Karsten furent adoptées par l’ensemble des critiques, et l’on peut dire que, depuis, les objections formulées contre l’authenticité des Lettres ont presque toujours été puisées dans cet arsenal merveilleusement approvisionné. Zeller souscrivait totalement à cette condamnation et la maintenait énergiquement contre toute tentative d’appel[20]. Pour Zeller, la collection entière doit être considérée comme apocryphe.

Mais un revirement d’opinion s’est produit durant la seconde moitié du xixe siècle, dû en grande partie aux progrès des sciences philologiques. Les travaux stylistiques inaugurés par Campbell ont abouti à une connaissance assez précise de la langue de Platon. Ces méthodes appliquées aux Lettres ont été favorables à ces dernières. Plusieurs de ces lettres portaient avec elles leurs dates et se situaient d’une façon assez exacte dans telle ou telle période de la vie de Platon. Or, si l’on compare le style des différentes Lettres et celui des Dialogues écrits à la même époque, on découvre entre les deux une parfaite harmonie, à condition toutefois que les lettres soient assez étendues pour qu’une telle comparaison ait une portée valable. De plus, un bon nombre de soi-disant contradictions historiques tombent, à la lumière de témoignages mieux interprétés. Pour tous ces motifs, plusieurs critiques, tels Blass[21], Meyer[22], Raeder[23], et récemment le dernier traducteur allemand des Lettres, Apelt[24], revendiquent l’authenticité de toutes les Lettres, sauf peut-être de la 1re et surtout de la 12e. La plupart cependant se montrent moins accueillants : ils opèrent un triage et tâchent de distinguer le bon grain de l’ivraie. Christ[25] se prononce en faveur des lettres VII, VIII et XIII ; Rudolf Adam[26] ne veut reconnaître comme légitime que VII ; Ritter[27], après une étude assez approfondie des critères linguistiques, admet l’authenticité de III, VII (au moins substantiellement) et VIII. Du moins, affirme-t-il prudemment, si ces épîtres ne sont pas de Platon lui-même, leur auteur les a composées d’après des notes du philosophe. Longtemps U. von Wilamowitz-Moellendorff avait paru sceptique et ne faisait d’exception que pour la 6e lettre, contre laquelle il avouait n’avoir pas d’objection sérieuse. Quant à la 7e et à la 8e, il les rejetait résolument, pour cette raison qu’il n’est pas dans les habitudes de Platon de s’exposer ainsi en public. Mais il fait amende honorable dans son grand ouvrage sur Platon (II², p. 281) et se déclare désormais en faveur de VI, VII et VIII. Telle est aussi l’opinion récente de Howald[28].

En Angleterre, la collection entière a été jugée apocryphe par H. Richards. Dans ses Platonica (1911), il avoue que si l’on tient compte uniquement de la pureté du grec et du caractère très platonicien de la correspondance dans son ensemble, il n’y a aucune raison de douter. Mais le contenu nous empêche de donner notre assentiment. Reprenant les arguments de Karsten qu’il ne se donne guère la peine de rajeunir, il fait ressortir les contradictions, les méprises historiques et même les inepties doctrinales qu’il croit discerner dans ces Lettres.

Par contre, le dernier historien de la philosophie grecque, John Burnet, affirme que si les Lettres sont des faux, elles sont du moins l’oeuvre d’un écrivain sobre et bien informé, et son emploi du dialecte attique prouve qu’il a été le contemporain de Platon. Il eût été impossible de trouver, cinquante ans plus tard, quelqu’un qui fût capable de manier cette langue comme il l’a fait. Même les plus anciens des dialogues apocryphes, ceux qui ont eu le plus de succès, se trahissent à tout endroit sous ce rapport. On peut ajouter que le faussaire présumé dut être un homme d’une habileté littéraire incomparable, sinon il n’aurait pu reproduire tant de particularités insignifiantes qui caractérisent le style de Platon, à l’époque précise de sa vie où les Lettres sont censées écrites, en y mêlant les nuances que réclame le genre épistolaire. Aussi, ajoute-t-il, « je crois que toutes les Lettres de quelque importance sont de Platon et, en conséquence, j’en ferai usage[29] ».

En France, la question a été très peu étudiée. On a préféré avec raison utiliser pour la connaissance de la philosophie platonicienne des documents sûrs. Les rares traducteurs des œuvres complètes ont joint les Lettres aux autres apocryphes et les ont traitées assez dédaigneusement : « À quelque point de vue qu’on les considère, écrit Saisset, ces lettres, sans même excepter la septième, sont tout à fait indignes de Platon[30]. » Et l’on ne s’embarrasse pas de plus amples considérations. Cousin, Chaignet, Huit rejettent la correspondance entière. Piat ne la met pas à contribution et, dans les rares allusions qu’il y fait, semble peu disposé à lui accorder crédit. Fouillée se montre réservé, mais ne serait pas très éloigné d’accepter l’une ou l’autre de ces lettres, par exemple la septième[31]. A. Croiset ne leur accorde que quelques lignes dans son Histoire de la Littérature grecque : « Parmi les Lettres, dit-il, deux seulement ont quelque valeur : la troisième et la septième, qui paraissent avoir été rédigées sur des documents assez précis et qui sont des sources utiles pour la biographie de Platon. Quant aux autres, elles sont ou insignifiantes ou ridicules. En somme, la collection tout entière est certainement apocryphe ; même dans la troisième et dans la septième lettre, on ne trouve absolument rien qui rappelle la manière de Platon[32]. »

À peu près seul chez nous, Waddington, tout en avouant les difficultés d’ordre littéraire que soulève le problème des Lettres, s’en tient, suivant l’exemple de Grote, au témoignage d’Aristophane de Byzance, de Cicéron, de Thrasylle et de Plutarque[33].

On voit cependant que la critique est revenue en grande partie des condamnations radicales prononcées durant la première moitié du xixe siècle. Dans le rapide tableau d’histoire que nous avons esquissé, on aura remarqué qu’en somme les lettres les plus importantes, celles qui présentent le plus d’intérêt pour la connaissance de Platon, de son caractère, de ses méthodes et de sa doctrine, comme la 7e et la 8e, ont trouvé grâce aux yeux de la majorité des critiques modernes. C’est un résultat intéressant que nous aurons à discuter dans la suite de cette étude.

II

LE GENRE LITTÉRAIRE

Au déclin de l’hellénisme, le genre épistolaire avait pris définitivement place dans la littérature et s’était développé d’une façon étonnante. Les sophistes de cette époque de décadence, ve, vie, viie siècle après Jésus-Christ, incapables de produire les grandes œuvres d’art des âges précédents, épuisent leur talent dans des productions de qualité médiocre où la recherche, l’emphase, l’abus des lieux communs caractérisent désormais une rhétorique mourante. Ces compositions, de longueur inégale et sur des sujets très variés, présentaient cependant leurs caractères propres. On n’eut qu’à grouper ces caractères pour définir les lois du genre. Lettres d’amitié, ou de reproches, de consolations, de conseils, ou de louanges… devaient être bâties chacune selon des règles précises que l’on pouvait retrouver dans des exemples typiques. Sous le nom de Philostrate, de Démétrius de Phalère, nous sont parvenues des théories de littérature épistolaire : les Typi epistolares, le de Elocutione ou le de Forma epistolari de Proclus, petits opuscules ou traités qu’on peut lire au début de l’édition des Epistolographi graeci de Hercher, sont des vestiges de cet engouement. Les uns et les autres reproduisent des modèles où se trouvent développés les thèmes les plus variés, recommandent les qualités propres à chaque espèce et aussi celles qui conviennent au genre lui-même, telles la clarté, une sage sobriété, une simplicité de bon aloi, éloignée de l’enflure comme de la vulgarité ou de la pauvreté[34]. Donc en ce temps-là, parmi les œuvres des rhéteurs, à côté des discours et des romans, se rencontrent de très nombreux recueils de correspondance : lettres réelles dont les destinataires sont des amis, des parents, des maîtres, comme les lettres d’Énée de Gaza, de Procope et surtout de Synésios ; lettres fictives adressées à des correspondants imaginaires : ainsi les lettres d’amour d’Aristénète (probablement au vie siècle), ou les lettres morales, lettres de paysans, lettres de courtisans, de Théophylacte Simocattès ; enfin lettres apocryphes, et ces dernières en très grande abondance, attribuées à des tyrans, des personnages illustres, des philosophes, des orateurs… Les sophistes affectionnaient ce procédé, qui leur permettait de développer leurs idées personnelles, politiques ou autres, en les couvrant de l’autorité d’un grand nom. Ces épîtres ont souvent créé des confusions et la critique a eu parfois du mal à démêler la supercherie.

Si le genre épistolaire fut surtout florissant à cet âge de décadence, il existait pourtant déjà très développé à l’époque des Attales et des Ptolémées. Galène nous raconte comment on vendait aux bibliothèques des lettres signées de noms illustres[35]. Des collections se constituaient peu à peu et leur nombre augmenta durant toute l’époque impériale. Les lettres de Phalaris[36], de Solon, de Thémistocle, de Socrate[37]… datent sans doute de ce temps. Soit par cupidité, soit par amour de l’art et par manière d’exercice, — de même qu’aujourd’hui, dans les écoles, on compose des discours de César ou des harangues de Napoléon, — soit encore, comme nous le disions plus haut, pour accréditer des opinions personnelles, les sophistes supposaient des correspondances d’hommes d’État, d’écrivains célèbres, d’orateurs, et les répandaient dans le public ou les faisaient circuler dans des cercles restreints d’initiés. Encore une fois, tout n’était pas supercherie volontaire et délibérée : plusieurs de ces productions n’étaient que purs exercices d’école, et leurs auteurs auraient été fort surpris s’ils avaient pu prévoir leurs succès. Dans la masse de documents parvenus jusqu’à nous, il n’est cependant guère facile de faire le départ entre les faux délibérés et les simples travaux de rhétorique. Tous sont conçus d’après un modèle identique. Les épistoliers ou leurs destinataires représentent en général des personnages en vue, et leurs lettres prennent la forme soit de courts billets où est exprimée avec une certaine recherche une pensée morale souvent assez insignifiante, soit de véritables opuscules qui tiennent du discours ou même du roman. L’auteur prend son thème dans l’histoire et laisse courir son imagination. À la façon d’Hérodote qui trouve dans ses sources le motif de ses enjolivements, à l’exemple de Xénophon choisissant pour héros de son œuvre un prince assez célèbre pour piquer la curiosité des lecteurs, mais trop estompé dans la brume de lointains horizons pour entraver la liberté artistique, les compositeurs épistolaires vont également chercher dans les anciennes traditions les sujets de leurs broderies : c’est un caractère qu’ils essaieront de mettre en valeur dans des récits plus ou moins imaginaires, une doctrine qu’ils développeront à la manière du personnage supposé, un événement qu’ils envelopperont avec plus ou moins de vraisemblance de tous les charmes de la légende. Il suffira, pour vérifier ces affirmations, de parcourir les Epistolographi graeci et de lire, entre autres, les lettres socratiques où sont groupées les anecdotes concernant la vie, la méthode et même la mort du philosophe athénien, — les lettres de Thémistocle narrant les péripéties de son exil, — celles de Chion, surtout la 3e, qui est une apologie de Xénophon, — les lettres politiques de Démosthène… Parfois les thèmes sont beaucoup plus simples : un ami qu’on recommande, une affaire qu’on règle, et, dans ce cas, sans doute pour donner davantage l’impression du réel, certaines expressions sont volontairement énigmatiques et ne pourront être comprises que du destinataire.

Bref, le genre épistolaire est assez répandu durant l’époque impériale. Si déjà il est en vogue, s’il nous apparaît avec ses règles, ses procédés caractéristiques, il faut supposer qu’il ne s’est pas formé d’un seul coup, mais se rattache à une plus ancienne tradition. De fait, si pour cette forme littéraire, nous ne possédons pas une aussi grande abondance de témoins dans les siècles précédents, il nous reste du moins des indices très sûrs de son existence à l’époque alexandrine. Je ne parle pas seulement de la collection platonicienne, qui date au moins, nous l’avons dit, de la fin du iiie siècle et doit très probablement remonter plus haut, à supposer même l’inauthenticité de toutes les lettres. Mais nous possédons des lettres certainement authentiques d’Épicure, écrites en vue de l’enseignement. Le nom des trois destinataires, Hérodote, Pythoclès, Ménécée, placé en tête de chacune de ces compositions, ne doit pas, en effet, nous donner le change. Il n’est guère là qu’un symbole du genre littéraire adopté, mais, en réalité, Épicure s’adresse au cercle de ses disciples et, sous la forme épistolaire, résume à leur intention les points substantiels de sa doctrine. Nous pouvons supposer que cette méthode d’exposition n’était pas spéciale à Épicure et tout porte à croire que d’autres écoles philosophiques gardaient également et lisaient des lettres de leurs scolarques.

Plus anciennement, Isocrate avait rédigé un certain nombre de lettres dont plusieurs sont de véritables petits traités moraux et politiques. Évidemment, les pièces de ce recueil ne sont pas toutes des lettres privées, quelques-unes nous révèlent l’existence d’un genre déjà bien défini et assez répandu au ive siècle avant Jésus-Christ. Ce sont plutôt des « lettres ouvertes », destinées en partie au personnage expressément désigné, mais surtout au grand public. Ces missives ne doivent pas rester secrètes ; elles sont écrites pour être publiées. Il suffit, pour s’en convaincre, de remarquer la coquetterie que met l’auteur à limer sa pensée et à pomponner son style, le souci qu’il a de ne point enfreindre les règles de son art. Qu’on lise, par exemple, la lettre à Philippe (lettre II) : « J’aurais encore bien des choses à dire, vu la nature de mon sujet, mais je m’arrête. Je pense, en effet, que vous pourrez facilement, toi et tes amis les plus distingués, ajouter à mes paroles tout ce qui vous plaira. D’ailleurs, je crains d’abuser, car déjà, peu à peu, sans m’en apercevoir, j’ai dépassé les limites d’une lettre et atteint les proportions d’un discours[38]. » Nous pouvons citer encore la lettre aux enfants de Jason (lettre VI) et la 3e lettre adressée à Philippe, que beaucoup de critiques regardent comme authentiques[39]. «… N’allez pas croire que cette lettre ait un autre but que de répondre à votre amitié et que je veuille faire parade d’éloquence (ἐπίδειξιν). Je n’en suis point venu à ce degré de folie de ne pas me rendre compte que je serais incapable désormais d’écrire des choses meilleures que celles publiées par moi jadis, lorsque je suis déjà si loin de l’âge vigoureux, et qu’en produisant quelque œuvre plus médiocre, j’acquerrais une réputation bien inférieure à celle dont je jouis maintenant parmi vous » (lettre VI)[40]. La lettre III à Philippe se donne expressément dès le début comme un résumé voulu du discours intitulé Philippe[41]. Tous ces artifices de rédaction, si on y joint les allusions nombreuses au rôle littéraire et politique de l’orateur grec, cette affectation de simplicité qui recouvre la rhétorique de l’écrivain, me paraissent des indices très nets du but d’Isocrate dans quelques-unes de ses lettres ; il ne se contente pas d’atteindre un lecteur unique, mais il veut trouver crédit auprès des amateurs ordinaires du beau langage. Une partie de la correspondance d’Isocrate appartient à la littérature au même titre que les discours d’apparat.

Pourrions-nous dès lors rejeter a priori les lettres de Platon, sous prétexte qu’une masse d’apocryphes fut composée et publiée à une époque tardive ? L’exemple d’Épicure et surtout d’Isocrate nous prouve que les écrivains du iiie et du ive siècle avant Jésus-Christ aimaient d’exprimer leurs idées sous cette forme plus personnelle et plus vivante. Dira-t-on qu’il est invraisemblable que « Platon ait gardé lui-même copie de ses lettres dans sa bibliothèque personnelle » ou que ses correspondants aient conservé « ses communications, de telle sorte que cinquante ou cent ans plus tard il ait été possible à leurs héritiers de s’entendre pour répondre à un appel présumé des premiers éditeurs à Athènes ou à Alexandrie[42] » ? Non, si ces lettres, ou du moins les principales, peuvent être regardées comme des manifestes destinés précisément à la publication. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que Platon, à côté des Dialogues, genre littéraire très en vogue aussi à la même époque, ait choisi la lettre comme mode d’exposition. D’autant plus que le dialogue, — ceux de Platon en témoignent, ainsi que les rares fragments de ceux des socratiques ou les titres qui nous ont été conservés — semble avoir adopté pour première règle de ne mettre en scène que des personnages d’une autre génération et ne permettait guère par conséquent, sinon par manière d’allusion ou de symbole, de s’occuper des événements contemporains. C’est pourquoi Platon ne parle pas de lui, sauf une ou deux fois. Or, les aventures dans lesquelles il s’est trouvé engagé, l’échec de ses théories politiques si malheureusement appliquées à Syracuse, ne risquaient-elles pas de décourager, de scandaliser ses disciples, de provoquer les railleries de ses adversaires et de porter un coup fatal à son école ? Se défendre dans des dialogues au moyen d’allusions ne suffisait plus. Il fallait une apologie plus directe. Serait-il surprenant qu’il eût voulu s’expliquer clairement une bonne fois sur les affaires siciliennes et qu’il eût, dans ce but, adopté la fiction de la lettre ouverte ? Donc, même si l’existence du genre épistolaire au ive siècle n’est pas une présomption en faveur de l’authenticité des Lettres de Platon, elle prouve du moins la possibilité d’une telle correspondance. D’autre part, la multitude de faux qui encombraient la littérature alexandrine et surtout celle des temps postérieurs, la certitude où nous sommes qu’il s’en est glissé dans le recueil platonicien, doivent garder notre attention en éveil. Les Lettres ne peuvent être examinées toutes en bloc et acceptées ou rejetées dans leur ensemble. Il faut les traiter chacune à part et les soumettre à une enquête sévère pour essayer de dépister les indices suspects. Évidemment, le fait qu’elles sont mentionnées dans les catalogues parmi les œuvres véritables ne constitue pas un argument décisif. Mais avouons que les arguments invoqués contre l’authenticité sont trop souvent étrangers à la saine méthode critique. Parce que dans les Lettres on découvre des pensées, des expressions, même des tournures de phrase qui paraissent calquées sur celles des Dialogues, on ne sera pas autorisé pour autant à les condamner. D’un dialogue à l’autre, Platon se répète et parfois presque textuellement. — De même, fonder un jugement d’inauthenticité sur la maladresse des imitations, la redondance du style, la fréquence des tautologies, des anacoluthes… est un procédé très discutable. On sait trop bien que le Timée ou les Lois ne reproduisent plus la perfection artistique de la République, du Banquet ou du Phèdre, — et il n’y a pas un type unique de style platonicien. Sans doute, on doit tenir compte du critère stylistique, mais il faut éviter de couvrir de ce nom les suggestions d’un certain sens artistique, d’un certain flair, auxquelles d’autres sentiments, d’autres impressions, d’autres goûts s’opposeront aussi légitimement. Nous pourrions multiplier les exemples qui montrent à quelles impasses conduit une telle méthode. Nous nous contenterons de renvoyer le lecteur à la page 347 e de la 7e lettre, où Platon raconte sa rupture avec Denys. Cette description suggère à Karsten la conclusion suivante : « Profecto neminem fore arbitror, quin hac scena attente perlecta fateatur eam et rebus et verbis ita comparatam esse ut non Platonem, sed potius simium aliquem Platonis referat[43]. » — Ritter, au contraire, s’insurge contre l’appréciation de Karsten et en appelle à tout lecteur sans préjugé pour apprécier le ton de vérité qui se dégage de tout le morceau[44].

Des indices moins arbitraires amènent à des résultats plus positifs. L’analyse exacte des Lettres, des faits relatés, du milieu décrit nous permettront de constater s’il y a accord avec ce que l’histoire nous apprend. Il est évident qu’un trait, un détail peu conforme à ce que nous connaissons de l’époque supposée par la lettre, ou en contradiction avec un événement prouvé par des sources certaines, tranche la question, à moins qu’on ne puisse établir l’impossibilité pour Platon d’être exactement renseigné sur ce point. De même, si l’auteur expose des doctrines ou prône des méthodes manifestement postérieures, on aura une marque non équivoque de contrefaçon. Enfin, la langue même de l’écrivain sera d’un précieux secours. On l’a remarqué à propos des Lettres socratiques[45], et la remarque a une valeur générale : quelle que soit l’habileté des faussaires, il est bien difficile qu’il ne leur échappe quelque expression, quelque tournure de phrase où l’on ne puisse saisir une particularité de leur temps. Mais là où nous rencontrons une parfaite harmonie de pensées, de faits, de langage avec l’époque où vivait Platon et avec Platon lui-même, là où nous ne découvrons aucune raison sérieuse de douter, où les difficultés se laissent, au contraire, aisément résoudre, pourquoi ne pas adopter la solution traditionnelle ? Pourquoi ne pas avouer l’authenticité des lettres quand elles satisfont aux conditions qui ont suffi à faire accepter celle des Dialogues ?

III

CARACTÈRE ET GROUPEMENT DES LETTRES PLATONICIENNES

Caractère.

Les treize lettres de la collection diffèrent notablement par leur forme et leur contenu : plusieurs sont de simples billets, d’autres présentent davantage l’aspect de lettres privées ou même de lettres d’affaires, enfin certaines constituent de véritables manifestes qui, par delà leurs destinataires avoués, s’adressent à un public bien plus large. L’étendue de ces dernières dépasse sensiblement la proportion normale d’une missive et atteint l’ampleur d’un discours ou d’une nouvelle. Ainsi la 7e lettre à elle seule égale le ier livre de la République. L’auteur a, du reste, éprouvé, comme Isocrate, le besoin de se disculper en faisant remarquer qu’on n’excède pas la mesure quand on dit exactement ce qu’il faut[46]. Cette simple observation dénote bien le souci de ne pas enfreindre les lois du genre.

L’intérêt de cette correspondance provient tout d’abord de ce qu’elle fait revivre pour nous l’activité politique de Platon. Elle nous apprend que l’Académie était, autant peut-être qu’une école de dialecticiens, une pépinière de législateurs, prêts à faire rayonner autour d’eux les doctrines éthico-sociales de leur maître et à travailler à la sauvegarde des États. Toutes ces lettres, écrites à des chefs d’État ou à des hommes politiques, prodiguent des conseils, suggèrent des méthodes d’action. Sans doute, on y reconnaît un certain nombre des théories de la République ou des Lois, — faut-il s’en étonner ? — on y retrouve des formules très semblables à celles des Dialogues. Mais on y voit aussi ces théories appliquées à des circonstances concrètes, on assiste aux tentatives du philosophe pour réaliser dans le domaine des faits les constructions idéales qu’a rêvées son esprit. Naturellement, le souvenir de la grande expérience syracusaine domine tous ces écrits, souvenir attristé, nuancé par endroits d’une légère teinte de découragement : qu’il est donc difficile de rencontrer unies dans le même homme la puissance du chef et la prudence du sage ! — souvenir indigné des ingratitudes et des trahisons…, souvenir ému de l’ami. Platon se remémore avec complaisance les heures de collaboration intime avec Dion, nature droite, franche, ardente, impatiente du joug qui opprimait la Sicile, et rêvant de transformer la situation douloureuse de son pays par la transformation morale du tyran. La 7e lettre est un écho de ces tentatives, et, à travers les pages frémissantes du long mémoire, colorées des sentiments les plus divers, on devine chez l’écrivain la préoccupation de libérer sa conscience et de soumettre sa conduite au jugement de la postérité. Le caractère de la 8e lettre est assez différent. Il n’est plus question ici de plaidoyer personnel. La fortune a changé de face. Les affaires de Syracuse s’éclaircissent, les troubles commencent à s’apaiser et, après des mois de guerre civile, une lassitude intense s’est emparée de tous les partis. Il faut chercher entre les adversaires un compromis honorable. Dès lors, le législateur reparaît chez Platon, et c’est tout un plan de gouvernement, tout un projet de constitution qu’il esquissera pour ses amis siciliens. Ne leur avait-il pas dit jadis : « Je ne vous suivrai pas dans les entreprises belliqueuses que vous méditez contre la tyrannie » — et, leur expliquant pourquoi il ne les suivrait point, il ajoutait : « Si quelque jour vous désirez rétablir la paix avec vos adversaires, je suis tout prêt à collaborer »[47]. L’heure semblait venue et l’ancien directeur d’âme de Dion tenait sa promesse.

Cette correspondance dépeint encore les relations du philosophe et du tyran de Syracuse Denys, relations amicales pendant un temps, — et ce sont alors des échanges de services, des conseils de sagesse et de modération envoyés au tout puissant chef d’État, des réponses à des préoccupations scientifiques… Mais peu à peu les rapports se tendent, la rupture survient, et les deux lettres I et III ont pour but d’expliquer les raisons du désaccord et de justifier l’attitude définitive du sage Athénien vis-à-vis du prince déloyal.

Une série d’épîtres adressées à des hommes politiques mettent en relief le rôle de l’Académie auprès des gouvernants de petites principautés helléniques. Elles prodiguent les avis sur la sage direction des cités ; elles rendent courage aux chefs honnêtes lassés du pouvoir ; elles détournent des entreprises sans avenir ; elles promettent l’appui et l’aide active des membres de la petite association philosophique.

En retraçant à grands traits le caractère de ces Lettres, je ne veux évidemment pas préjuger de leur authenticité sans examen plus précis, mais comme presque toutes proviennent de milieux apparentés aux cercles platoniciens et datent, semble-t-il, du siècle qui a suivi la mort de Platon, nous pouvons, du moins, nous représenter, grâce à elles, le travail intense de l’Académie et, par l’influence des disciples, remonter jusqu’à la pensée du maître. Voilà de quoi expliquer l’intérêt d’une correspondance qui nous permet d’évoquer un centre d’action et des méthodes assez mal connus par ailleurs. Plutarque nous dit que Platon ne nous a pas seulement laissé dans ses écrits une doctrine remarquable sur les lois et la cité, mais que son rôle fut encore plus bienfaisant, puisque Dion, formé à l’école du philosophe, a délivré la Sicile, puisque Python, Héraclide, façonnés aux mêmes disciplines, ont libéré la Thrace, puisque Chabrias et Phocion, stratèges athéniens, sortirent de l’Académie… Platon, continue le même auteur, envoya de ses disciples en divers pays pour organiser les cités, Aristonymos aux Arcadiens ; Phormion à Élée ; Ménédème à Pyrrha. Eudoxe, Aristote, qui firent des lois, l’un pour Cnide, l’autre pour Stagire, étaient des familiers du maître, ainsi que Xénocrate à qui Alexandre demanda des règles de gouvernement[48]. Les Lettres confirment les renseignements de l’historien moraliste et rendent aux faits qu’il nous raconte la chaleur et le charme de la vie.


Groupement.

Pour plus d’unité et de clarté, nous ne suivrons pas dans les notices particulières l’ordre des manuscrits. Il semble du reste qu’on ne se soit guère préoccupé d’établir un ordre quand on a constitué la collection. En général, les lettres adressées au même destinataire sont groupées, mais cependant la 12e est séparée de la 9e et, au moins dans la plupart des manuscrits, la 13e des trois premières.

La division que nous adopterons tiendra compte à la fois des destinataires et des sujets traités :

1o Lettres à Dion et aux amis de Dion : IV, VII, VIII, X.

2o Lettres à Denys : I, II, III, XIII.

3o Lettres à des chefs d’État : V, VI, IX, XI, XII.

Les deux premiers groupes exposent les affaires siciliennes et constituent un tableau à peu près complet de la vie de Platon à Syracuse, de ses préoccupations relatives aux événements de ce pays et de ses interventions soit auprès de Denys, soit auprès de Dion et de ses amis.

Le dernier groupe développe spécialement la théorie et la pratique du grand principe politique de Platon : l’union du chef d’État et du philosophe.

Nous commencerons par l’étude de la 7e lettre, à cause de son importance et parce qu’elle représente le document le plus ancien de la collection. Elle a certainement servi de modèle à la plupart des autres lettres. Nous devrons examiner aussitôt après la 8e lettre, qui se rattache étroitement à la 7e. Du reste, cet ordre mettra mieux en lumière la suite des événements.

IV

LE TEXTE

L’édition présente a été établie sur la base des manuscrits suivants :

A = Parisinus 1807 (ixe siècle).

O = Vaticanus graecus 1 (xe siècle).

V = Vaticanus graecus 1029 B (fin xiie siècle).

Z = Parisinus 3009 (xvie siècle).

On a utilisé pour A la collation donnée par J. Burnet dans son édition (t. V), mais les leçons ont été vérifiées sur le manuscrit de la Bibliothèque Nationale. Quelques inexactitudes ont été rectifiées. Burnet distingue trois mains différentes dans la rédaction du manuscrit : celle du scribe qui a transcrit le texte et peut-être aussi ajouté la plupart des corrections (A et A²) ; celle du second correcteur qui ne serait autre que le possesseur primitif du manuscrit, Constantin, métropolite de Hiérapolis au xive siècle (a), et enfin, celle qui ajouta en marge des variantes provenant de manuscrits différents et qui paraît être du xiie siècle (A³)[49]. Les écritures de A et de A³ sont évidemment distinctes, mais l’attribution à Constantin (a) de certaines corrections relevées par Burnet, semble souvent arbitraire. Aussi me suis-je contenté d’indiquer ces corrections dans l’apparat critique, sans marquer de différence entre première et seconde main. Si, pour abréger, j’emploie parfois les désignations A¹, O¹, A², O²… c’est uniquement pour distinguer une leçon du texte (A¹, O¹) d’une correction (A², O²). Mais je ne prétends pas que la correction soit d’une seconde main.


Le Vaticanus graecus I a été collationné sur les photographies qui sont la propriété de l’Association Guillaume Budé. Ce précieux manuscrit appartenait d’abord à la Bibliothèque nationale. Il fut échangé en 1815 contre deux manuscrits de la Vaticane. Le changement de pays et de cote le fit longtemps perdre de vue. Burnet n’a pu l’utiliser directement. En 1908, H. Rabe est parvenu à l’identifier. Ce codex fort important comprenait primitivement deux volumes. Le premier est aujourd’hui perdu. Le second renferme les Lois, l’Épinomis, les Lettres, les Définitions, six apocryphes et quelques lignes du septième, Axiochos. Ce volume manifeste tout un travail critique très développé. Des variantes insérées dans les marges proviennent de collations de divers manuscrits, mais surtout du « livre du Patriarche », c’est-à-dire, à peu près certainement, d’un manuscrit très ancien qui faisait partie de la bibliothèque du patriarche Photios et que ce dernier avait lui-même soigneusement revisé et parfois corrigé, comme l’indique la mention ἀπ’ ὀρθώσεως, soit en comparant avec d’autres exemplaires, soit en introduisant des conjectures personnelles[50]. Nous avons tenu grand compte dans cette édition des annotations marginales qui la plupart du temps représentent une tradition antérieure et prudemment critiquée. Les rapports entre les deux textes du Vaticanus 1 et du Parisinus 1807 sont, sans doute, très étroits, mais il me paraît exagéré de dire avec Alline que le texte de O « …ne peut servir qu’à retrouver la première main du Parisinus, quand ce dernier a été corrigé ultérieurement ».


La collation du Vaticanus graecus 1029 B (V) et du Parisinus 3009 (Z) a été faite sur les manuscrits.

V comprend deux volumes et se rattache étroitement soit pour le texte, soit pour l’ordre des dialogues et leur titre au Vindobonensis 54 (W)[51]. Mais W ne renferme pas les Lettres, qui sont contenues dans le second volume de V. En tout cas, ce dernier manuscrit est excellent. Le texte écrit sur deux colonnes avec beaucoup de soin et de netteté n’a guère de fautes grossières. Il se rapproche très souvent de O et surtout de ses corrections textuelles et marginales. Mais il reproduit également une tradition différente (peut-être celle que W représentait), et certaines leçons ne se retrouvent que dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale, le Parisinus 1040, que j’ai aussi examiné en détail et dont je signale dans l’apparat les quelques variantes distinctes de V. Pour le reste, le Parisinus 1040 et V coïncident de tout point.


Z n’a pas les lettres VII et VIII, et place XIII à la suite de XII. Ce manuscrit, qui date du xvie siècle, se rattache à la tradition du Vindobonensis 21 (Y) qui est, lui, du xive siècle, mais représente une tradition bien plus ancienne[52]. Les notes marginales, identiques à celles de A et de O, mais sans aucune mention d’origine, proviennent aussi très probablement du « livre du patriarche ».


Nous avons encore pu consulter tous les manuscrits comprenant les Lettres et qui appartiennent à la Bibliothèque nationale, à la Vaticane et à la Laurentienne (Florence). Le plus important est le Laurentianus 80, 17 (L), très proche parent de Z. Les autres, de qualité plus médiocre, ont néanmoins servi soit à confirmer certaines leçons, soit aussi à identifier des lectures que Burnet attribue de façon imprécise à la vulgate, ou même, mais plus rarement, à corriger un texte peu intelligible. On trouvera la liste de ces différents manuscrits dans la table des sigles.


Enfin, la tradition indirecte n’a pas été négligée, bien que, dans le cas présent, elle ne soit pas d’un grand secours, vu l’état très satisfaisant de nos manuscrits médiévaux. Tout au plus permet-elle parfois de décider entre la leçon du texte ou la variante. J’ai tâché de délimiter avec précision les diverses citations de Clément d’Alexandrie, Eusèbe, Origène, Proclus, Stobée… de façon à éviter les répétitions inutiles quand les lectures sont conformes à celles des manuscrits.


Dans la rédaction de l’apparat critique, la lecture adoptée est d’abord indiquée avec la mention du ou des manuscrits qui la contiennent s’il y a divergence entre eux. Pour les variantes, je signale en premier lieu celles qui appartiennent au texte, puis les corrections soit textuelles, soit marginales, en faisant précéder la lecture des abréviations ex em. (ex emendatione), ou i. m. (in margine). Quand une correction porte sur un groupe de manuscrits, elle est précédée de la conjonction et. Par exemple, πάντων μάλιστα V et i. m. γρ ALOZ signifie que la lecture se trouve dans le texte de V et en marge de ALOZ.




CONSPECTUS SIGLORUM


  • OA = Cod. Parisinus graecus 1807 (saec. IX).
  • O = Cod. Parisinus graecus 1 (saec. X).
  • OV = Cod. Parisinus graecus 1029 B (saec. XII).
  • OZ = Cod. Parisinus graecus 3009 (saec. XVI).
  • P 1040 = Cod. Parisinus graecus 1040 (saec. XIV).
  • P 2012 = Cod. Parisinus graecus 2012.
  • P 3044 = Cod. Parisinus graecus 3044 (saec. XV).
  • Vind. 00,0L = Cod. Laurentianus 80, 17 (saec. XV).
  • Vind. 00,0109 = Cod. Vindobonensis 109 (saec. XVI ?).
  • Vind. 00,0V 1354 = Cod. Vaticanus graecus 1354.
  • Vind.Ven. 00,0184 = Cod. Venetus 184 (saec. XV).
  • Vind.Plut. 59,5 = Cod. Florentinus plutei 59,5 (saec. XV).
  • Vind.Plut. 85,9 = Cod. Florentinus plutei 85,9 (saec. XII).
  • Vind. 00,0C 180 = Cod. Florentinus conv. suppr. 180 (saec. XV).
  • U 029 = Cod. Vaticanus urbinas 29 (saec. XVII).
  • U 034 = Cod. Vaticanus urbinas 34.
  • U 132 = Cod. Vaticanus urbinas 132.
  • Clem. Strom. = Clementis Stromata, éd. O. Stählin, II, 1906.
  • Clem. Protrept. = Clementis Protrepticus, éd. O. Stählin, I, 1906.
  • Clem. Paedagog. = Clementis Paedagogus, éd. O. Stählin, I, 1906.
  • Eus. Praep. eu. = Eusebii Praeparatio euangelica, éd. Thomas Gaisford, 1843.
  • Orig. c. Cels. = Origenis contra Celsum, éd. P. Koetschau, II, 1899.
  • Cyril. Alex. contra Jul. = Cyrilli Alexandrini, contra Julianum, éd. Migne, P. G. t. 75.
  • Proclus in Tim. = Procli in Platonis Timaeum commentarius, éd. Diehl, 1903/6.
  • Proclus in Parm. = Procli in Platonis Parmenidem commentarius, éd. Cousin, 1821.
  • Stob. = Joannis Stobaei Anthologium, éd. Wachsmuth-Hense, 1884-1923.
  • (γράφεται) = Variantes mises en marge dans le manuscrit.
  • τοῦ πατρ. τὸ β. = τοῦ πατριάρχου τὸ βιβλίον, variantes données par le « livre du patriarche » en marge de O.
  • ἀπ’ ὀρθ. = ἀπ’ ὀρθώσεως. Indique une correction faite dans le « livre du patriarche ».
  • i. m. = in margine.
  • i. m.s. l. = supra lineam.




  1. Diogène Laërce, III, 61.
  2. Ἔνιοι δέ, ὧν ἐστι καὶ Ἀριστοφάνης, écrit Diogène Laërce (III, 61).
  3. Alline, Histoire du texte de Platon, Paris, Champion, 1915, p. 45 et suiv.
  4. Wilamowitz-Moellendorff, Hermes, 32, p. 496.
  5. Les Tusculanes V, 35, 100 citent explicitement la lettre VII en l’attribuant à Platon et traduisent tout un passage (326 b, c) ; il est fait allusion à ce même passage dans le De Fin. II, 28, 92. Ad Fam. I, 9, 18, résume la pensée exprimée dans la 7e lettre sur la manière de présenter des conseils à sa patrie (331 c). De Fin. II 14, 46 et de Off. I, 7, 22, se réfèrent à la 9e lettre, 358 a, en nommant Platon.
  6. Dion, 21 (13e l., 362 e) ; 8 et 52 (4e l., 321 c).
  7. Coriolan, 15 ; de adul. et amico, 69 f.
  8. De cohib. Ira, 463 c ; de uit. pud., 553 c (13e l., 360 d) ; de aud. poet., 36 c (3e l., 315 c).
  9. De lapsu in salutando, ch. iv.
  10. Ennéades I, 8, 2 ; V, 1, 1-8.
  11. Orat. VI, 189 b (2e l., 314 c).
  12. On retrouve ces termes dans une Vie de Proclus, anonyme. Texte cité par Thiersch, Ann. de Vienne, vol. III, p. 69. Cf. Chaignet, La Vie et les Écrits de Platon, p. 109.
  13. Voir sur cette question Zeller, Hermes XV, 548, et Freudenthal, Hermes XVI, 201. De plus, Zeller, Die Philosophie der Griechen, 4e édit., II, 1, p. 474 n. 3 et III, 2, p. 836, n. 4.
  14. Systema intellectuale huius Vniuersi, London, 1678, IV, § 23.
  15. Meiners, Judicium de quibusdam socraticorum reliquiis (Abh. d. Gött. Gel. Ges. V, p. 51 sqq.).
  16. Tennemann, System der Platonischen Philosophie, 1792, I, p. 106-111.
  17. Ast, Platons Leben und Schriften, 1816, p. 504-530.
  18. Socher, Über Platons Schriften, München, 1820, p. 376-431.
  19. Apelt, Platons Briefe, Leipzig, 1921, p. 12.
  20. Voir, par exemple, sa critique de Reinhold, De Platonis epistulis, dans Archiv für Geschichte der Philosophie, I, 1888, p. 614, et Die Philosophie der Griechen, II, 1, p. 483.
  21. Unechte Briefe in Rhein. Mus., 1899, p. 32 ; Über die Zeitfolge… in Apophoreton, Berlin, 1903, p. 52.
  22. Geschichte der Altertums, V, 1902, p. 500 et suiv.
  23. Über die Echtheit der pl. Briefe in Rhein. Mus., 1906, pp. 427 et suiv., 511 et suiv.
  24. Platons Briefe, Leipzig, 1921.
  25. Platonische Studien in Abh. der bayer. Akad., 17 (1886), p. 451.
  26. Ueber die Echtheit der platon. Briefe, Progr., Berlin, 1906 et Ueber die platonischen Briefe in Archiv f. Gesch. d. Phil. 23 (1909), p. 29.
  27. Neue Untersuchungen über Pl., München, 1910, p. 327-424.
  28. Die Briefe Platons, Zürich, 1923.
  29. John Burnet, Greek Philosophy, Part I, Thales to Plato, London, Macmillan, 1920, pp. 205-206.
  30. Œuvres complètes de Platon, Paris, Charpentier, t. X, p. 336.
  31. La Philosophie de Platon, Paris, Hachette, 3e édit., 1912, t. I, p. 46 note et p. 98 note.
  32. Hist. de la Littér. gr., Paris, de Boccard, 3e édit., 1921, t. IV, p. 276.
  33. La Philosophie ancienne et la critique historique, Paris, Hachette, 1904, p. 135. — Notons toutefois que Fréret, en 1809, se prononçait aussi, après Voltaire, en faveur de l’authenticité. Il écrivait dans les Mémoires de l’Académie des Sciences, t. XLVII, p. 257 : « Aucun des anciens n’a douté que les Lettres de Platon ne fussent de ce philosophe, elles furent publiées par Hermodore son ami et son disciple (Cic. ad Attic., XIII, 21). Thrasylle et le grammairien Aristophane, dans la distribution qu’ils avaient faite des ouvrages vrais ou supposés qui portaient son nom, plaçaient ces lettres au rang des véritables. Denys d’Halicarnasse fait mention des lettres de Platon, De art. Demosth., p. 178 oper. vol. II ; mais ce qui est décisif, c’est que Cicéron lui-même, Tusc., V, 35, cite la lettre aux parents de Dion en ces termes : Est praeclara epistola Platonis ad Dionis propinquos. »
  34. Voir, par exemple, Proclus, de Forma epistolari, Hercher, p. 7.
  35. In Hippocr. de nat. hom., I, 42 ; XV, 105.
  36. La dissertation de Richard Bentley, De Epistolis Phalaridis, Themistoclis…, écrite en 1697, a ouvert la voie à la critique et la première mis en garde contre ce genre de productions littéraires.
  37. Sur les lettres socratiques, voir la dissertation de Guilelmus Obens, Qua aetate Socratis et Socraticorum epistulae quae dicuntur scriptae sint, Aschendorff, 1912.
  38. Hercher, Epistolographi graeci, p. 323, 13.
  39. Tandis que Münscher (Pauly-Wissowa IX, 2) regarde comme apocryphes les lettres VI, IX, IV, III, Drerup (Isocratis Opera, I, 1906, p. clix et suiv.), après Blass, les reconnaît toutes comme authentiques. Telle est aussi l’opinion de Croiset, qui rejette pourtant la 9e (Hist. de la Littér. gr., IV, p. 485). Dans sa récente thèse Philippe et lettres à Philippe, à Alexandre et à Antipatros, texte et traduction avec une introduction et des notes, Paris, Boccard, 1924, G. Mathieu admet l’authenticité de toutes ces lettres.
  40. Hercher, p. 328, 4.
  41. Hercher, p. 324, 1.
  42. Huit, La Vie et l’œuvre de Platon, Paris, Fontemoing, 1893. T. II, p. 313.
  43. Op. cit., p. 82.
  44. Neue Untersuchungen über Platon, p. 408.
  45. Obens, op. cit., p. 5 et 6.
  46. VII, 352 a.
  47. VII, 350 c, d.
  48. Adversus Coloten, XXXII, 1126 a.
  49. Burnet, Platonis opera, t. IV, Praefatio et t. V, Sigla.
  50. Alline, op. cit., p. 207 et suiv., p. 286 et suiv. — Wilamowitz-Moellendorff, Platon, II², p. 332.
  51. Alline, op. cit., p. 237 n. 3.
  52. Alline, op. cit., pp. 227-228.