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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/Livre cinquième

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 337-415).

LETTRES

DE PLINE LE JEUNE.
LIVRE CINQUIÈME.

I.
Pline à Sévère.

On vient de me faire un petit legs, que j’estime plus qu’un legs considérable. Vous demandez pourquoi ? Le voici. Pomponia Gratilla ayant déshérité son fils Assudius Curianus, m’institua héritier avec Sertorius Severus, l’ancien préteur, et avec quelques chevaliers romains, distingués dans leur ordre. Curianus me pressa de vouloir bien lui donner ma part dans la succession, et d’établir par-là un préjugé en sa faveur contre mes cohéritiers ; mais en même temps il m’offrait de me laisser, par une stipulation particulière, cette même portion que je lui donnerais. Je lui répondis qu’il ne convenait pas à mon caractère de feindre publiquement une chose, et d’en faire une autre en secret ; que d’ailleurs je ne croyais pas qu’il fût honorable de faire une donation à un homme riche et sans enfans ; qu’enfin[1] cette donation serait inutile à ses desseins ; qu’au contraire, un désistement de mon droit les favoriserait beaucoup, et que j’étais près de me désister, s’il me pouvait prouver qu’il eût été déshérité injustement. J’y consens, reprit-il, et je ne veux point d’autre juge que vous. Après avoir hésité un moment : Je le veux bien, lui dis-je ; car je ne vois pas pourquoi j’aurais de moi moins bonne opinion que vous-même : mais souvenez-vous que rien ne m’ébranlera, si la justice m’engage à décider pour votre mère. — Comme vous voudrez, répondit-il ; car vous ne voudrez jamais que ce qui sera juste. Je choisis donc, pour prononcer avec moi, deux des hommes qui jouissaient alors dans Rome de la plus haute estime, Corellius et Frontinus. Assis au milieu d’eux, je donnai audience à Curianus dans une chambre. Il dit tout ce qu’il crut pouvoir établir la justice de ses plaintes. Je répliquai en peu de mots ; car personne n’était là pour défendre l’honneur de la testatrice. Après cela, je m’éloignai de lui pour délibérer ; et ensuite, de l’avis de mon conseil, je lui dis : Il paraît, Curianus, que le ressentiment de votre mère était juste.

Quelque temps après, il fait assigner mes cohéritiers devant les centumvirs ; il n’excepte que moi. Le jour du jugement approchait. Tous mes cohéritiers souhaitaient une transaction ; non qu’ils se défiassent de leur cause, mais les circonstances leur faisaient peur. Ils appréhendaient (ce qu’ils avaient vu plus d’une fois arriver à d’autres), qu’au sortir d’un procès civil devant les centumvirs, ils ne tombassent dans un procès criminel et capital. Il en était plusieurs, contre qui l’amitié de Gratilla et de Rusticus pouvait fournir un prétexte d’accusation[2]. Ils me prient de pressentir Curianus. Je prends rendez-vous avec lui dans le temple de la Concorde. Là je lui dis : Si votre mère vous eût institué héritier pour un quart de son bien, ou si même elle vous eût fait son unique héritier, mais que par des legs elle eût si fort chargé sa succession, qu’il ne vous en restât que le quart, auriez-vous droit de vous plaindre[3] ? Vous devez donc être content, si, étant déshérité, ses héritiers vous abandonnent la quatrième partie de ce qu’ils recevront. J’y veux pourtant encore ajouter du mien. Vous savez que vous ne m’avez point assigné : ainsi la prescription qui m’est acquise par une possession publique et paisible de deux années, met ma portion d’héritage à couvert de vos prétentions. Cependant, pour vous déterminer à faire meilleure composition à mes cohéritiers[4], et afin que votre considération pour moi ne vous coûte rien, je vous en offre autant pour ma part. Le témoignage secret de ma conscience ne fut pas le seul fruit que je recueillis de cette action ; elle me fit honneur. C’est donc ce même Curianus, qui m’a laissé un legs, pour rendre un éclatant hommage à mon désintéressement, qui, si je ne me flatte point trop, est digne de la vertu de nos ancêtres[5].

Je vous écris ce détail, parce que j’ai coutume de m’entretenir avec vous, aussi naïvement qu’avec moi-même, de tout ce qui me cause de la peine ou du plaisir : je crois, d’ailleurs, qu’il serait injuste de garder pour moi seul toute ma joie, et de l’envier à mon ami. Car enfin, ma sagesse ne va point jusqu’à ne compter pour rien cette espèce de récompense, que la vertu trouve dans l’approbation de ceux qui l’estiment. Adieu.


II.
Pline à Flaccus.

Les grives[6] que vous m’avez envoyées sont si belles, que je ne puis, ni sur terre, ni sur mer, par ce temps orageux, trouver à ma maison de Laurente, de quoi vous rendre votre cadeau. Attendez-vous donc à une lettre stérile, et franchement ingrate. Je ne veux pas même imiter l’adresse de Diomède à échanger des présens[7]. Mais je connais votre indulgence : vous me pardonnerez d’autant plus facilement, que je me reconnais moins digne de pardon. Adieu.


III.
Pline à Ariston.

Entre une infinité d’obligations que je vous ai, je compte pour une des plus grandes, que vous ayez bien voulu m’apprendre avec tant de franchise la longue discussion qui s’est élevée chez vous sur mes vers, et les différens jugemens que l’on en porte. J’apprends que plusieurs personnes, sans trouver mes vers mauvais, me blâment, en amis vrais et sincères, d’en composer et de les lire. Ma réponse me rendra encore bien plus coupable à leurs yeux. Je fais quelquefois des vers légers ; je compose des comédies, et je vais en écouter au théâtre ; j’assiste au spectacle des mimes[8] ; je lis volontiers les poètes lyriques ; je m’amuse même des vers sotadiques[9] : enfin, il m’arrive quelquefois de rire, de plaisanter, de badiner ; et, pour exprimer en un mot tous les plaisirs innocens auxquels je me livre, je suis homme.

Ceux qui ne savent pas que les personnages les plus savans, les plus sages, les plus irréprochables ont composé de ces bagatelles, me font honneur, quand ils sont surpris de m’y voir donner quelques heures ; mais j’ose me flatter que ceux qui connaissent mes garans et mes guides, me pardonneront aisément, si je m’égare sur leurs pas : ce sont des hommes illustres, qu’il n’est pas moins glorieux d’imiter dans leurs amusemens que dans leurs occupations. Je ne veux nommer personne entre les vivans, pour ne pas me rendre suspect de flatterie : mais dois-je rougir de faire ce qu’ont fait Cicéron, Calvus, Asinius, Messala, Hortensius, Brutus, Sylla, Catulus, Scévola, Sulpicius, Varron, Torquatus, ou plutôt les Torquatus, Memmius, Lentulus, Getulicus, Sénèque, et, de nos jours encore, Virginius Rufus[10] ? Les exemples des particuliers ne suffisent-ils pas, je citerai Jules-César, Auguste, Nerva, Titus. Je ne parle point de Néron ; et cependant, un goût ne cesse pas d’être légitime, pour être quelquefois celui des hommes méchans, tandis qu’une chose reste honorable, par cela seul que les gens de bien en ont souvent donné l’exemple. Entre ceux-ci, on doit compter Virgile, Cornelius Nepos, et avant eux Ennius et Accius. Il est vrai qu’ils n’étaient pas sénateurs : mais la vertu n’admet ni distinction ni rang.

Mais je lis publiquement mes ouvrages, et peut-être n’ont-ils pas lu les leurs… J’en conviens ; c’est qu’ils pouvaient, eux, s’en rapporter à leur propre jugement : moi, j’ai une conscience trop modeste, pour croire parfait ce qui me paraît tel. Je lis donc à mes amis, et j’y trouve plus d’un avantage. Par respect pour l’auditoire qui l’écoutera, un auteur apporte plus de soin à ses écrits. D’ailleurs, s’il a des doutes sur son ouvrage, il les résout, comme à la pluralité des voix. Enfin, il reçoit différens avis de différentes personnes ; et, si l’on ne lui en donne point, les yeux, l’air, un geste, un signe, un bruit sourd, le silence même, parlent assez clairement à qui ne les confond pas avec le langage de la politesse. C’est au point que si quelqu’un de ceux qui m’ont écouté, voulait prendre la peine de lire ce qu’il a entendu, il trouverait que j’ai changé ou retranché des endroits d’après son avis même, quoiqu’il ne m’en ait pas dit un mot. Et notez que je me défends comme si j’avais rassemblé le peuple dans une salle publique, et non pas mes amis dans ma chambre : avoir beaucoup d’amis a souvent fait honneur, et n’a jamais attiré de reproche. Adieu.


IV.
Pline à Valerianus.

Je vais vous conter une chose peu importante en elle-même, mais dont les suites le seront beaucoup[11]. Solers, ancien préteur[12], a demandé au sénat la permission d’établir des marchés sur ses terres. Les députés de Vicente[13] s’y sont opposés ; et Tuscilius Nominatus s’est présenté pour les défendre. L’affaire fut remise. Les Vicentins revinrent au sénat un autre jour, mais sans avocat. Ils se plaignirent d’avoir été trompés, soit qu’ils le crussent ainsi, soit que ce mot leur eût échappé. Le préteur Nepos leur demanda quel avocat ils avaient chargé de leur cause ils répondirent que c’était le même qui les avait accompagnés la première fois : ce qu’ils lui avaient donné… ils dirent qu’il avait reçu d’eux six mille sesterces : s’ils ne lui avaient rien donné depuis… ils déclarèrent qu’ils lui avaient encore payé mille deniers. Nepos a requis que Nominatus fût mandé. C’est tout ce qui se passa ce jour-là. Mais, si je ne me trompe, cette affaire ira plus loin : car il est bien des choses qu’il suffît de remuer, ou de toucher légèrement, pour qu’elles éclatent[14]. J’ai éveillé votre curiosité ; mais que de temps, que de prières ne faudra-t-il pas, pour que je vous apprenne le reste ! si cependant, pour le savoir, vous n’aimez mieux venir à Rome, et être spectateur plutôt que lecteur. Adieu.


V.
Pline à Maximus.

On me mande que C. Fannius est mort. Cette nouvelle m’afflige beaucoup. J’aimais sa politesse et son éloquence, et je prenais volontiers ses avis. Il était naturellement pénétrant, consommé dans les affaires par une longue expérience, et fertile en expédiens. Ce qui ajoute à mes regrets, c’est son propre malheur : il est mort, laissant un ancien testament, dans lequel il oublie ses meilleurs amis, et comble de biens ses ennemis les plus déclarés. Mais c’est chose encore dont on peut se consoler : ce qui est bien plus fâcheux, c’est qu’il n’a pu achever, avant de mourir, l’excellent ouvrage auquel il travaillait. Quoique le barreau l’occupât beaucoup, il écrivait pourtant les tristes aventures de ceux que Néron avait bannis, ou fait périr. Déjà trois livres de cet ouvrage étaient achevés, et l’on y admirait la délicatesse des idées, l’exactitude des faits, la pureté du style : le ton tenait le milieu entre celui de la simple relation et celui de l’histoire. L’empressement qu’on témoignait à lire ces premiers livres, ajoutait au désir qu’il avait de finir les autres.

Il me semble que la mort de ces grands hommes qui consacrent leurs veilles à des œuvres immortelles, est toujours précoce et prématurée. Car, pour celui qui, livré aux plaisirs, vit au jour la journée, chaque soir, en les terminant, met fin aux motifs qu’il a de vivre[15]. Mais ceux qui songent à la postérité, et qui veulent éterniser leur mémoire, sont toujours surpris par la mort, puisqu’elle interrompt toujours quelque travail commencé.

Il est vrai que C. Fannius eut, long-temps avant, un pressentiment de ce qui lui devait arriver. Il crut se voir, en songe, couché dans son lit, et dans l’attitude d’un homme qui étudie : il avait, selon l’usage, son portefeuille devant lui. Il s’imagina bientôt voir entrer Néron, qui s’assit sur son lit, prit le premier livre, déjà publié, où ses forfaits étaient tracés, le lut d’un bout à l’autre, prit ensuite et lut de même le second, le troisième, et se retira. Fannius, saisi de frayeur, se persuada, en interprétant ce songe, qu’il n’en écrirait pas plus que Néron n’en avait lu : et son pressentiment s’est réalisé.

Je ne puis y penser, sans le plaindre d’avoir perdu tant de veilles et tant de travaux. Mon esprit se trouve naturellement ramené à l’idée de ma mort, et à celle de mes écrits : je ne doute pas que cette réflexion ne vous inspire mêmes alarmes pour ceux auxquels vous travaillez encore. Ainsi, pendant que nous jouissons de la vie, travaillons à dérober à la mort le plus d’ouvrages que nous pourrons. Adieu.


VI.
Pline à Apollinaire.

J’ai été sensible à votre attention pour moi et à votre inquiétude, lorsqu’informé que je devais aller cet été à ma terre de Toscane, vous avez essayé de m’en détourner, parce que vous ne croyez pas que l’air en soit bon. Il est vrai que le canton de Toscane[16], qui s’étend le long de la mer, est malsain et dangereux ; mais ma terre en est fort éloignée. Elle est au pied de l’Apennin, dont l’air est plus pur que celui d’aucune autre montagne. Et afin que vous soyez bien guéri de votre peur, voici quelle est la température du climat, la situation du pays, la beauté de la maison. Vous aurez autant de plaisir à lire ma description, que moi à vous la faire[17].

En hiver, l’air y est froid et glacé ; le climat ne convient ni aux myrtes, ni aux oliviers, ni aux autres espèces d’arbres qui ont besoin d’une chaleur continuelle. Cependant il y vient des lauriers, dont l’éclat même se conserve long-temps : s’ils meurent quelquefois, ce n’est pas plus souvent qu’aux environs de Rome. L’été y est d’une douceur merveilleuse : un souffle rafraîchissant ne cesse d’agiter l’air ; mais, presque toujours, c’est moins du vent qu’une haleine bienfaisante. Aussi les vieillards y sont-ils nombreux : là, on voit les aïeuls et les bisaïeuls de jeunes gens déjà formés : là, on entend raconter de vieilles histoires, et on retrouve les conversations d’autrefois[18]. Quand vous êtes dans ce lieu, vous vous croyez d’un autre siècle.

La disposition du terrain est on ne peut, plus belle. Imaginez-vous un amphithéâtre immense, tel que la nature seule peut le faire, une vaste plaine, environnée de montagnes chargées sur leurs cîmes de bois très-hauts et très-anciens : le gibier de toute espèce y abonde. Des taillis couvrent la pente des montagnes. Entre ces taillis sont des collines, d’un terroir si bon et si gras, qu’il serait difficile d’y trouver une pierre, quand même on l’y chercherait. Leur fertilité ne le cède point à celle de la plaine ; et si les moissons y sont plus tardives, elles n’y mûrissent pas moins. Au pied de ces montagnes, le long du coteau, se prolongent des pièces de vignes, qui semblent se toucher et n’en former qu’une seule. Ces vignes sont bordées par quantité d’arbrisseaux. Ensuite sont des prairies et des terres labourables, si fortes, que les meilleures charrues et les bœufs les plus vigoureux ont peine à en ouvrir le sol. Comme la terre est très-compacte, le fer ne peut la fendre sans qu’elle se charge de glèbes énormes, et, pour les briser, il faut repasser le soc jusqu’à neuf fois.

Les prés, émaillés de fleurs, y fournissent du trèfle et d’autres sortes d’herbes, toujours aussi tendres et aussi pleines de suc que si elles venaient de naître. Ils tirent cette fertilité des ruisseaux qui les arrosent, et qui ne tarissent jamais. Cependant, en des lieux où l’on trouve tant d’eaux, l’on ne voit point de marécages, parce que la terre, disposée en pente, laisse couler dans le Tibre le reste de celles dont elle ne s’est point abreuvée. Ce fleuve, qui passe au milieu des champs, est navigable, et sert dans l’hiver et au printemps à transporter toutes les provisions à Rome. En été, il baisse si fort, que son lit est presque à sec : il faut attendre l’automne pour qu’il reprenne son nom de grand fleuve. Il y a un plaisir extrême à contempler le pays du haut d’une montagne. L’on croit voir, non une campagne ordinaire, mais un paysage dessiné d’après un modèle idéal ; tant les yeux, de quelque côté qu’ils se tournent, sont charmés par l’arrangement et par la variété des objets !

La maison, quoique située au bas de la colline, a la même vue que si elle était placée au sommet. Cette colline s’élève par une pente si douce, que l’on s’aperçoit que l’on est monté, sans avoir senti que l’on montait. Derrière la maison, mais assez loin d’elle, est l’Apennin. Dans les jours même les plus calmes et les plus sereins, elle en reçoit de fraîches haleines, qui n’ont plus rien de violent et d’impétueux : leur force s’est brisée en chemin. Son exposition est presque entièrement au midi, et semble inviter le soleil, en été vers le milieu du jour en hiver un peu plus tôt, à venir dans une galerie fort large, et longue à proportion[19].

La maison est composée de plusieurs ailes. L’entrée même est dans le goût antique. Devant le portique, on voit un parterre, dont les différentes figures sont tracées avec du buis. Ensuite est un lit de gazon peu élevé, et autour duquel le buis représente plusieurs animaux qui se regardent. Plus bas est une pelouse toute couverte d’acanthes, si tendres sous les pieds, qu’on les sent à peine[20]. Cette pelouse est environnée d’une allée d’arbres pressés les uns contre les autres, et diversement taillés. Auprès est une promenade tournante, en forme de cirque, au dedans de laquelle on trouve du buis taillé de différentes façons, et des arbres dont on arrête soigneusement la croissance. Tout cela est enclos de murailles, qu’un buis étage couvre et dérobe à la vue. De l’autre côté est une prairie, aussi remarquable par sa beauté naturelle, que les objets précédens par les efforts de l’art. Ensuite sont des champs, des prés et des arbrisseaux.

Au bout du portique est une salle à manger, dont la porte donne sur l’extrémité du parterre, et les fenêtres sur les prairies et sur une grande étendue de campagne. Par ces fenêtres on voit de côté le parterre, la partie de la maison qui s’avance en saillie, et le haut des arbres du manége. De l’un des côtés de la galerie et vers le milieu, on entre dans un appartement qui environne une petite cour ombragée de quatre platanes : au milieu de la cour est un bassin de marbre, d’où l’eau, qui s’échappe, entretient doucement la fraîcheur des platanes et des arbustes qui sont au dessous. Dans cet appartement est une chambre à coucher ; la voix, le bruit, ni le jour n’y pénètrent point : elle est accompagnée d’une salle à manger, où l’on traite ordinairement les intimes amis. Une autre galerie donne sur cette petite cour, et jouit de toutes les vues que je viens de décrire. Il y a encore une chambre, où l’un des platanes qui l’avoisinent répand son ombrage et les reflets de sa verdure : elle est revêtue de marbre, jusqu’à hauteur d’appui ; et, ce qui ne le cède point à la beauté du marbre, c’est une peinture qui représente un feuillage et des oiseaux sur les branches. Au dessous est une petite fontaine, et un bassin, où l’eau, en s’échappant par plusieurs tuyaux, produit un agréable murmure.

D’un coin de la galerie, on passe dans une grande chambre, qui est vis-à-vis la salle à manger : elle a ses fenêtres, d’un côté sur le parterre, de l’autre sur la prairie ; et immédiatement au dessous de ses fenêtres est une pièce d’eau qui réjouit également les yeux et les oreilles ; car l’eau tombe de haut dans un bassin de marbre, blanchissante d’écume. Cette chambre est fort chaude en hiver, parce que le soleil y donne de toutes parts. Auprès est un poêle, qui, lorsque le temps est couvert, supplée par sa chaleur aux rayons du soleil. De l’autre côté est une salle vaste et gaie, où l’on se déshabille pour prendre le bain, et ensuite la salle du bain d’eau froide, où est une baignoire spacieuse et sombre. Si vous voulez un bain plus large ou plus chaud, vous le trouvez dans la cour, et, tout auprès, un puits, qui fournit de l’eau froide quand la chaleur incommode. À côté de la salle du bain froid est celle du bain tiède, échauffée par le soleil, mais moins que celle du bain chaud, parce que celle-ci est en saillie. On descend dans cette dernière par trois escaliers, dont deux sont exposés au soleil ; le troisième l’est beaucoup moins, sans être pour cela plus obscur. Au dessus de la chambre, où l’on quitte ses habits pour le bain, est un jeu de paume, divisé en plusieurs parties, pour différentes sortes d’exercices.

Non loin du bain est un escalier qui conduit dans une galerie fermée, et, auparavant, dans trois appartemens, dont l’un a vue sur la petite cour ombragée de platanes, l’autre sur la prairie : le troisième, qui donne sur des vignes, a autant de points de vue que d’ouvertures différentes. À l’extrémité de la galerie fermée est une chambre prise dans la galerie même, et qui regarde le manége, les vignes, les montagnes. Près de cette chambre en est une autre, exposée au soleil, surtout pendant l’hiver. De là, on entre dans un appartement, qui joint le manége à la maison : tel est l’aspect qu’il présente de face. À l’un des côtés s’élève une galerie fermée, tournée vers le midi, et où l’on voit les vignes de si près, que l’on croit y toucher. Au milieu de cette galerie on trouve une salle à manger, qui reçoit des vallées de l’Apennin un souffle salutaire. La vue s’étend de là sur des vignes, par de très-grandes fenêtres, et même par les portes, en traversant l’étendue de la galerie. Du côté où cette salle n’a point de fenêtres est un escalier dérobé, destiné au service de la table. À l’extrémité est une chambre, pour laquelle le coup d’œil de la galerie n’est pas moins agréable que celui des vignes. Au dessous est une galerie presque souterraine, et si froide en été, que sa température naturelle lui suffit, et qu’elle ne reçoit ni ne laisse désirer aucun souffle rafraîchissant. Après ces deux galeries fermées est une salle à manger, suivie d’une galerie ouverte, froide avant midi, chaude quelques heures après. Elle conduit à deux appartemens : l’un est composé de quatre chambres ; l’autre de trois, que le soleil, en tournant, échauffe de ses rayons, ou laisse dans l’ombre.

Devant ces bâtimens, si agréables et si bien disposés, est un vaste manége[21] ; il est ouvert par le milieu, et s’offre d’abord tout entier à la vue de ceux qui entrent. Il est entouré de platanes ; et ces platanes sont revêtus de lierre : ainsi le haut de ces arbres est vert de son propre feuillage ; le bas est vert d’un feuillage étranger. Ce lierre court autour du tronc et des branches, et s’étendant d’un platane à l’autre, les lie ensemble. Entre ces platanes sont des buis ; et ces buis sont par dehors environnés de lauriers, qui mêlent leur ombrage à celui des platanes. L’allée du manége est droite ; mais à son extrémité elle change de figure, et se termine en demi-cercle. Ce manége est entouré et couvert de cyprès, qui en rendent l’ombre et plus épaisse et plus noire. Les allées circulaires, qui sont en grand nombre dans l’intérieur, sont au contraire éclairées du jour le plus vif. Les roses y naissent de tous côtés, et les rayons du soleil s’y mêlent agréablement à la fraîcheur de l’ombre. Après plusieurs détours, on rentre dans l’allée droite, qui, des deux côtés, en a beaucoup d’autres séparées par des buis. Là, est une petite prairie ; ici, le buis même est taillé en mille figures différentes, quelquefois en lettres, qui expriment le nom du maître, ou celui de l’ouvrier. Entre ces buis, vous voyez s’élever tantôt de petites pyramides, tantôt des arbres chargés de fruits : à l’ouvrage de l’art se mêle tout à coup l’imitation de la nature simple et rustique. Un double rang de platanes peu élevés occupe le milieu.

Aux platanes succède l’acanthe flexible, serpentant de tous côtés, et ensuite un plus grand nombre de figures et de noms tracés en verdure[22]. À l’extrémité est un lit de repos de marbre blanc, couvert d’une treille, soutenue par quatre colonnes de marbre de Caryste. On voit l’eau s’échapper du lit de repos, comme si le poids de celui qui s’y couche la faisait jaillir. De petits tuyaux la conduisent dans une pierre creusée exprès ; et de là, elle est reçue dans un bassin de marbre, d’où elle s’écoule par des conduits cachés, ménagés si adroitement, qu’il est toujours plein, et pourtant ne déborde jamais. Si l’on veut prendre un repas en ce lieu, on range les mets les plus solides sur les bords du bassin, et les plus légers flottent dans des corbeilles façonnées en navires et en oiseaux. À l’un des côtés est une fontaine jaillissante, qui donne et reçoit l’eau en même temps : car l’eau, après s’être élancée, retombe sur elle-même ; et, par deux ouvertures qui se joignent, elle descend et remonte sans cesse.

Vis-à-vis du lit de repos est une chambre, qui lui donne autant d’agrément qu’elle en reçoit. Elle est toute brillante de marbre ; ses portes sont entourées et comme bordées de verdure. Au dessus et au dessous des fenêtres[23], on ne voit aussi que verdure de toutes parts. Auprès, est un petit cabinet, qui semble comme s’enfoncer dans la même chambre, et qui en est pourtant séparé. On y trouve un lit ; et, malgré les fenêtres qui l’éclairent de tous côtés, l’ombrage qui l’environne, le rend sombre : en effet, une vigne agréable l’embrasse de son feuillage, et monte jusqu’au faîte. À la pluie près, que vous n’y sentez point, vous croyez être couché dans un bois. On y trouve aussi une fontaine, qui se perd dans le lieu même de sa source. En différens endroits sont placés des siéges de marbre, qui reçoivent, ainsi que la chambre, ceux qui sont fatigués de la promenade. Près de ces siéges, sont de petites fontaines ; et dans tout le manége vous entendez le doux murmure des ruisseaux qui, dociles à la main de l’ouvrier, suivent par de petits canaux le cours qu’il lui plaît de leur donner. Ainsi on arrose tantôt certaines plantes, tantôt d’autres, quelquefois toutes en même temps.

J’aurais abrégé depuis long-temps ces détails, qui vous paraîtront minutieux, si je n’eusse résolu de parcourir avec vous, dans cette lettre, tous les coins et recoins de ma maison. J’ai pensé que vous deviez lire sans ennui la description d’un lieu que vous auriez du plaisir à voir ; étant libre surtout d’interrompre votre lecture, de laisser là ma lettre, de vous reposer à loisir. D’ailleurs, j’ai cédé à mon penchant ; et j’avoue que j’en ai beaucoup pour tous mes ouvrages commencés ou achevés. En un mot (car pourquoi ne pas vous découvrir mon goût, ou, si vous voulez, mon entêtement ?), je crois que la première obligation de tout homme qui écrit, c’est de songer à son titre : il doit plus d’une fois se demander, quel est le sujet qu’il traite, et savoir que, s’il n’en sort point, il n’est jamais long ; mais qu’il est toujours très-long, s’il s’en écarte. Voyez combien de vers Homère et Virgile emploient à décrire, l’un les armes d’Achille, l’autre celles d’Énée. Ils sont courts pourtant, parce qu’ils ne font que ce qu’ils s’étaient proposé de faire. Voyez Aratus rechercher et rassembler les plus petites étoiles : cependant il ne s’étend point trop ; car ce n’est point une digression de son ouvrage ; c’est son sujet même. Ainsi, du petit au grand, dans la description que je vous fais de ma maison, si je ne m’égare point en récits étrangers, ce n’est pas ma lettre, c’est la maison elle-même qui est grande.

Je reviens à mon sujet, pour ne pas être condamné par mes propres règles, en faisant une digression trop longue. Vous voilà instruit des raisons que j’ai de préférer ma terre de Toscane à celles que j’ai à Tusculum, à Tibur, à Préneste. Outre tous les autres avantages dont je vous ai parlé, le loisir y est plus complet, plus sûr, et par conséquent plus doux[24] : point de cérémonial à observer[25] : les fâcheux ne sont point à votre porte : tout y est calme et paisible ; et ce profond repos ajoute encore à la salubrité du climat, à la sérénité du ciel, à la pureté de l’air[26]. Là, se fortifient à la fois mon corps et mon esprit : j’exerce l’un par la chasse, l’autre par l’étude. Mes gens aussi jouissent dans ce lieu d’une santé parfaite, et, grâce au ciel, je n’ai jusqu’ici perdu aucun de ceux que j’ai amenés avec moi. Puissent les dieux me continuer toujours la même faveur, et conserver toujours à ce lieu les mêmes priviléges ! Adieu.


VII.
Pline à Calvisius.

Il est certain que l’on ne peut, ni instituer l’état héritier, ni rien lui léguer[27]. Cependant Saturninus qui m’a fait son héritier, lègue à notre patrie un quart de sa succession, et ensuite fixe ce quart à une somme de quatre cent mille sesterces. Si l’on consulte la loi, le legs est nul. Si l’on s’en tient à la volonté du testateur, le legs est valable : et la volonté du testateur (je ne sais comment les jurisconsultes prendront ceci) est pour moi plus sacrée que la loi, surtout lorsqu’il s’agit de conserver à notre patrie le bien qu’on lui a fait. Quelle apparence qu’après lui avoir donné onze cent mille sesterces de mon propre bien, je voulusse lui disputer un legs étranger, qui n’est guère plus du tiers de cette somme ? Je ne doute pas que vous n’approuviez ma décision, vous qui aimez notre patrie en bon citoyen. Je vous supplie donc de vouloir bien, à la première assemblée des décurions, expliquer la disposition du droit, mais en peu de mots et avec simplicité : vous ajouterez ensuite, que je suis prêt à payer les quatre cent mille sesterces que Saturninus a légués. Rendons à sa libéralité tout l’honneur qui lui est dû : ne nous réservons que le mérite de l’obéissance.

Je n’ai pas voulu en écrire directement à l’assemblée. Ma confiance en votre amitié et en vos talens m’a fait penser que vous deviez et que vous pouviez, en cette occasion, parler pour moi comme pour vous-même. J’ai même appréhendé que ma lettre ne parût s’écarter de cette sage mesure qu’il vous sera aisé de garder dans le discours. L’air de la personne, le geste, le ton, fixent et déterminent le sens de ce qu’elle dit ; mais la lettre, privée de tous ces secours, n’a rien qui la défende contre les malignes interprétations. Adieu.


IX.
Pline à Saturnin.

Votre lettre a fait sur moi des impressions fort diverses ; car elle m’annonçait tout à la fois d’agréables et de fâcheuses nouvelles.

Les nouvelles agréables sont que vous restez à Rome. Vous en êtes fâché, dites-vous ; mais moi, j’en suis ravi. Vous m’annoncez encore que vous attendez mon retour pour faire une lecture de vos ouvrages[28], et je vous rends mille grâces de vouloir bien m’attendre.

Les nouvelles fâcheuses sont, que Julius Valens est fort malade : encore, à ne consulter que son intérêt, doit-on le plaindre ? il ne peut rien lui arriver de plus heureux que d’être au plus tôt délivré d’un mal incurable. Mais ce qui est vraiment triste, ce qui est déplorable, c’est la mort de Julius Avitus, au moment où il revenait de sa questure ; il a expiré dans le vaisseau même, loin d’un frère qui l’aimait tendrement, loin de sa mère et de ses sœurs. Toutes ces circonstances ne sont plus rien pour lui, maintenant qu’il est mort ; mais qu’elles lui ont été cruelles, dans ses derniers momens ! qu’elles le sont encore à ceux qui lui survivent ! Quel chagrin de voir enlever, dans la fleur de l’âge, un jeune homme d’une si belle espérance, et que ses vertus auraient élevé au plus haut rang, si elles eussent eu le temps de mûrir ! Quel amour n’avait-il point pour les lettres ! que n’a-t-il point lu ! combien n’a-t-il point écrit ! que de biens perdus avec lui pour la postérité ! Mais pourquoi me laisser aller à la douleur ? quand on s’y livre sans réserve, il n’est point pour elle de sujet léger. Il faut finir ma lettre, si je veux arrêter le cours des larmes qu’elle me fait répandre. Adieu.


X.
Pline à Antonin.

Je ne sens jamais mieux toute la supériorité de vos vers, que quand j’essaie de les imiter. Le peintre qui veut représenter une figure d’une beauté achevée, sait rarement en conserver toutes les grâces : comme lui, je reste, malgré mes efforts, au dessous de mon modèle. Je vous en prie plus que jamais, donnez-nous beaucoup de semblables ouvrages, que tout le monde veuille imiter, et dont personne ou presque personne ne puisse approcher. Adieu.


XI.
Pline à Tranquille.

Acquittez enfin la promesse de mes vers, qui ont annoncé vos ouvrages à nos amis communs. On les souhaite, on les demande tous les jours avec tant d’empressement, que je crains qu’à la fin ils ne soient cités à comparaître. Vous savez que j’hésite autant qu’un autre, quand il s’agit de publier : mais ma lenteur n’est point comparable à la vôtre[29]|. Ne différez donc plus à nous satisfaire ; ou craignez que je n’arrache par des vers aigres et piquans[30], ce que des vers doux et flatteurs n’ont pu obtenir. Votre ouvrage est arrivé à son point de perfection ; la lime, au lieu de le polir, ne pourrait plus que le gâter. Donnez-moi le plaisir de voir votre nom à la tête d’un livre ; d’entendre dire[31] que l’on copie, qu’on lit, qu’on achète les œuvres de mon cher Suétone. Il est bien juste, dans notre mutuelle amitié, que vous me rendiez la joie que je vous ai donnée. Adieu.


XII.
Pline à Fabatus, aïeul de sa femme[32].

J’ai reçu votre lettre qui m’apprend que vous avez embelli notre ville d’un somptueux portique, sur lequel vous avez fait graver votre nom et celui de votre fils ; que le lendemain de la fête célébrée à cette occasion, vous avez promis un fonds pour l’embellissement des portes ; qu’ainsi la fin d’un bienfait a été le commencement d’un autre. Je me réjouis premièrement de votre gloire, dont une partie rejaillit sur moi, par notre alliance ; ensuite, de ce que la mémoire de mon beau-père soit assurée par de si magnifiques monumens ; enfin, de ce que notre patrie devienne chaque jour plus florissante : je vois avec plaisir tous les nouveaux ornemens qu’elle reçoit, de quelque main qu’ils viennent ; mais qu’elle les doive à Fabatus, c’est pour moi le comble de la joie. Il ne me reste qu’à prier les dieux de vous conserver dans cette disposition, et de ménager à cette disposition de longues années. Car je ne puis douter qu’après avoir fini l’ouvrage que vous venez de promettre, vous n’en commenciez un autre : la libéralité ne sait point s’arrêter, quand une fois elle a pris son cours ; et plus elle se répand, plus elle s’embellit. Adieu.


XIII.
Pline à Scaurus.

Dans le dessein de lire un petit discours que je songe à publier, j’ai rassemblé quelques amis : ils étaient assez pour me donner lieu de craindre leur jugement, et assez peu pour me pouvoir flatter qu’il serait sincère. Car j’avais deux vues dans cette lecture : la première, de redoubler mon attention par le désir de plaire ; la seconde, de profiter de celle des autres, pour découvrir des défauts que ma prévention en ma faveur pouvait m’avoir cachés. Mon but a été rempli : l’on m’a donné des avis ; et moi-même j’ai marqué quelques endroits à retoucher. J’ai donc corrigé l’ouvrage que je vous envoie : le titre vous en apprendra le sujet, et la pièce même vous expliquera le reste. Il est bon de l’accoutumer, dès aujourd’hui, à se passer de préface pour être entendue. Mandez-moi, je vous en supplie, ce que vous pensez, et de l’ensemble de l’ouvrage, et de chacune de ses parties. Je serai ou plus disposé à le garder, ou plus déterminé à le faire paraître, selon le parti que vous aurez appuyé de l’autorité de votre sentiment. Adieu.


XIV.
Pline à Valerianus.

Vous me priez (et je me suis engagé à me rendre là-dessus à vos prières) de vous mander quel succès avait eu l’accusation intentée par Nepos contre Tuscilius Nominatus.

On fit entrer Nominatus : il plaida lui-même sa cause, et personne ne parla contre lui ; car les députés des Vicentins non-seulement ne le chargèrent point, mais l’aidèrent même à sortir d’embarras. Le précis de sa défense fut, qu’il avait manqué de courage plutôt que de fidélité : qu’il était sorti de chez lui, résolu de plaider : qu’il avait même paru a l’audience ; mais qu’il s’était retiré, effrayé par les discours de ses amis ; qu’on lui avait conseillé de ne pas s’opposer au dessein d’un sénateur, qui ne voyait plus dans l’affaire un simple établissement de marchés, mais une question qui touchait son crédit, son honneur et sa dignité : que s’il négligeait cet avis, il devait s’attendre a un ressentiment implacable. En effet, lorsqu’il s’était retiré, quelques personnes, mais en très-petit nombre, avaient hautement applaudi à sa détermination[33]. Il termina sa défense[34] par des excuses et des supplications, qu’il accompagna de beaucoup de larmes ; et même, avec son habileté ordinaire[35], il avait tourné tout son discours de manière à paraître plutôt demander grâce que justice : c’était en effet le parti le plus adroit et le plus sûr.

Afranius Dexter, consul, fut d’avis de l’absoudre. Il avoua que Nominatus eût mieux fait de soutenir la cause des Vicentins avec le même courage qu’il s’en était chargé ; mais il prétendit que puisqu’il n’était entré aucun artifice coupable dans la faute de Nominatus, que d’ailleurs il n’était convaincu d’aucune action punissable, il devait être renvoyé absous, sans autre condition que de rendre aux Vicentins ce qu’il en avait reçu.

Tout le monde fut de cette opinion, excepté Flavius Aper : son opinion fut de suspendre Nominatus, pendant cinq ans, des fonctions d’avocat ; et, quoique son autorité n’eût pu entraîner personne, il demeura inébranlable dans son sentiment ; il alla même, en invoquant un réglement du sénat[36], jusqu’à faire jurer à Afranius Dexter (le premier qui avait opiné pour l’absolution), qu’il croyait cet avis salutaire à la république. Plusieurs se récrièrent contre cette proposition, toute juste qu’elle était, parce qu’elle semblait taxer de corruption celui qui avait opiné. Mais avant que l’on recueillît les voix, Nigrinus, tribun du peuple, lut une remontrance pleine d’éloquence et de force, où il se plaignait que les avocats vendissent leur ministère ; qu’ils vendissent même leur prévarication ; que l’on trafiquât des causes ; et qu’à la noble récompense de la gloire, on substituât le revenu assuré que l’on tirait de la riche dépouille des citoyens. Il cita sommairement les lois faites sur ce sujet ; il rappela les décrets du sénat[37], et il conclut que, puisque les lois et les décrets méprisés ne pouvaient arrêter le mal, il fallait supplier l’empereur de vouloir bien y remédier lui-même. Peu de jours après, le prince a fait publier un édit sévère et modéré tout ensemble. Vous le lirez : il est dans les archives publiques.

Combien je me félicite de n’avoir jamais fait aucune convention pécuniaire pour mes plaidoyers, et d’avoir refusé toute espèce de présens, même les plus légers ! Il est vrai qu’on doit éviter le mal, non parce qu’il est défendu, mais par cela seul qu’il est mal. On trouve pourtant je ne sais quelle satisfaction, à voir défendre publiquement ce que l’on ne s’est jamais permis. Il y aura peut-être (et il n’en faut même pas douter), il y aura moins d’honneur et moins de gloire dans mon procédé, lorsque tout le monde sera forcé d’imiter mon désintéressement volontaire : en attendant, je jouis du plaisir d’entendre les uns m’appeler devin[38], les autres me dire, en plaisantant, qu’on a voulu réprimer mon avarice et mes rapines. Adieu.


XV.
Pline à Pontius.

J’étais à Côme, quand j’ai appris que Cornutus avait reçu la mission de surveiller les travaux de la voie Émilienne[39]. Je ne puis vous exprimer combien j’en suis satisfait, tant pour lui que pour moi : pour lui, parce que, malgré sa modestie qui fuit les honneurs, il doit cependant être flatté d’une distinction qui est venue le chercher ; pour moi, parce que la gloire d’avoir été chargé des mêmes fonctions que Cornutus en double le prix à mes yeux. Car, s’il est flatteur d’être élevé en dignité, il ne l’est pas moins d’être égalé aux gens de bien ; et où trouver un homme meilleur, plus vertueux que Cornutus ? où trouver un plus parfait modèle de toutes les vertus antiques ? Et ces hautes qualités, je ne les connais pas seulement par sa réputation, qui, du reste, est aussi grande que méritée : j’en parle sur la foi d’une très-longue expérience. Nous avons toujours eu, nous avons encore pour amis communs, dans l’un et l’autre sexe, presque toutes les personnes distinguées de notre temps. Cette société d’amitié nous a très-étroitement unis. Les charges publiques ont encore resserré nos nœuds : vous savez, en effet, que le sort, comme s’il eût entendu mes vœux, me l’a donné pour collègue dans la charge de préfet du trésor et dans le consulat. C’est alors que j’ai connu dans tout leur éclat ses vertus et ses talens. Je l’écoutais comme un maître, je le respectais comme un père ; et en cela, j’accordais bien moins à son âge qu’à sa sagesse. Voilà ce qui m’engage à me réjouir, autant pour moi que pour lui, autant en public qu’en particulier, de ce qu’enfin la vertu ne conduit plus comme autrefois aux dangers, mais aux honneurs.

Je ne finirais point, si je m’abandonnais à ma joie ; je veux plutôt vous dire dans quelles occupations votre lettre m’a trouvé. J’étais avec l’aïeul, avec la tante paternelle de ma femme, et avec des amis que je n’avais point vus depuis long-temps ; je visitais mes terres ; je recevais les plaintes des paysans ; je lisais leurs mémoires et leurs comptes, en courant, et bien malgré moi, car je suis habitué à d’autres lectures, à d’autres écrits. Je commençais même à me disposer au retour : car mon congé est près d’expirer, et la nouvelle même de la charge accordée à Cornutus, me rappelle aux devoirs de la mienne. Je souhaite fort que vous quittiez votre Campanie dans le même temps, afin qu’après mon retour à Rome, il n’y ait aucun jour de perdu pour notre intimité. Adieu.


XVI.
Pline à Marcellin.

Je vous écris accablé de tristesse. La plus jeune des filles de notre ami Fundanus vient de mourir[40]. Je n’ai jamais vu une personne plus enjouée, plus aimable, plus digne de vivre long-temps, plus digne de vivre toujours. Elle n’avait pas encore quatorze ans, et déjà elle montrait toute la prudence de la vieillesse, toute la gravité d’une femme accomplie, sans rien perdre de cette innocente pudeur, de ces grâces naïves, qui prêtent tant de charme au premier âge. Avec quelle tendresse elle se jetait dans les bras de son père ! avec quelle douceur et avec quelle modestie ne recevait-elle pas ceux qu’il aimait ! avec quelle équité elle partageait son attachement entre ses nourrices et les maîtres qui avaient cultivé ou ses mœurs ou son esprit ! Que de zèle et de goût dans ses lectures ! quelle sage réserve dans ses jeux ! Vous ne sauriez vous imaginer sa retenue, sa patience, sa fermeté même dans sa dernière maladie. Docile aux médecins, attentive à consoler son père et sa sœur, lors même que toutes ses forces l’eurent abandonnée, elle se soutenait encore par son seul courage. Il l’a accompagnée jusqu’à la dernière extrémité, sans que ni la longueur de la maladie, ni la crainte de la mort aient pu l’abattre, comme pour augmenter encore et notre douleur et nos regrets.

Ô mort vraiment funeste et déplorable ! ô circonstance plus funeste et plus cruelle que la mort encore ! Elle allait épouser un jeune homme distingué : le jour des noces était fixé ; nous y étions déjà invités. Hélas ! quel changement ! quelle horreur succède à tant de joie ! Je ne puis vous exprimer de quelle tristesse je me suis senti pénétré, quand j’ai appris que Fundanus, inspiré par la douleur toujours féconde en tristes inventions, a donné ordre lui-même, que tout l’argent qui devait être dépensé en parures, en perles, en diamans, fût employé en encens[41], en baumes, et en parfums. C’est un homme savant et sage, dont la raison s’est formée de bonne heure par les études les plus profondes ; mais aujourd’hui il méprise tout ce qu’il a entendu dire, tout ce que souvent, il a dit lui-même ; il oublie toutes ses vertus, pour ne plus se souvenir que de sa tendresse.

Vous lui pardonnerez, vous l’approuverez même, quand vous songerez à la perte qu’il a faite : il a perdu une fille qui, par son âme, autant que par les traits de son visage, était le vivant portrait de son père[42]. Si donc vous lui écrivez sur la cause d’une douleur si légitime, souvenez-vous de mettre moins de raison et de force, que de douceur et de sensibilité dans vos consolations. Le temps contribuera beaucoup à les lui faire goûter : une blessure, encore vive, redoute la main qui la soigne ; ensuite elle la supporte, et enfin elle la désire : ainsi, une affliction nouvelle se révolte d’abord contre les consolations, et les repousse ; bientôt elle les cherche, et s’y complait, lorsqu’elles sont adroitement ménagées. Adieu.


XVII.
Pline à Spurinna.

Je sais combien vous vous intéressez à la prospérité des belles-lettres, et avec quelle joie vous apprenez que des jeunes gens d’une naissance illustre marchent dignement sur les traces de leurs ancêtres. Je m’empresse donc de vous dire que je suis allé hier entendre Calpurnius Pison. Le poème qu’il a lu avait pour titre les Métamorphoses en astres[43], sujet vaste et brillant. Il l’a traité en vers élégiaques, d’un tour coulant, aimable et facile, mais plein de majesté, quand l’occasion le demande. Son style, par une agréable variété, tantôt s’élève et tantôt s’abaisse : il sait mêler, avec un talent qui ne se dément jamais, la noblesse et la simplicité, la légèreté et la grandeur, la sévérité et l’agrément. La douceur de son accent faisait valoir son ouvrage ; et sa modestie faisait valoir le charme de sa voix. Il rougissait, et l’on voyait sur son visage cette crainte qui recommande si bien un lecteur : la timidité a, dans l’homme de lettres, je ne sais quelle grâce, que n’a pas la confiance.

Je pourrais ajouter beaucoup d’autres particularités, qui ne sont ni moins remarquables dans un homme de cet âge, ni moins rares dans un homme de cette condition ; mais il faut abréger. La lecture finie, j’embrassai Pison à plusieurs reprises ; et persuadé qu’il n’y a point de plus puissant aiguillon que la louange, je l’engageai à continuer comme il avait commencé, et à illustrer ses descendans, comme il avait été illustré par ses aïeux. Je félicitai son excellente mère ; je félicitai son frère qui, dans cette occasion, ne se fit pas moins remarquer par sa tendresse fraternelle, que Calpurnius par son esprit : tant son inquiétude et ensuite sa joie se manifestèrent vivement pendant la lecture ! Fasse le ciel que j’aie souvent de semblables nouvelles à vous mander ! J’aime assez mon siècle, pour souhaiter qu’il soit riche en talens, et que nos patriciens n’attachent pas toute leur noblesse aux images de leurs ancêtres. Quant aux Pisons, nul doute que les images muettes de leurs pères n’applaudissent à leurs vertus, n’encouragent leurs efforts, et (ce qui suffit à la gloire des deux frères) ne les avouent pour leur sang. Adieu.


XVIII.
Pline à Macer.

Je n’ai rien à désirer, puisque vous êtes content. Vous avez avec vous votre femme et votre fils ; vous jouissez de la mer, de la fraîcheur de vos fontaines, de la beauté de vos campagnes, des agrémens d’une maison délicieuse ; délicieuse sans doute, puisqu’elle a été la retraite d’un homme, plus heureux alors, que lorsqu’il fut parvenu au comble du bonheur[44]. Pour moi, dans ma maison de Toscane, la chasse et l’étude m’occupent tour à tour, et quelquefois l’une et l’autre en même temps. Cependant je serais encore fort embarrassé de décider lequel est le plus difficile à faire, d’une bonne chasse, ou d’un bon ouvrage. Adieu.


XIX.
Pline à Paullinus.

Je vous avouerai ma douceur pour mes gens, d’autant plus franchement, que je sais avec quelle bonté vous traitez les vôtres. J’ai constamment dans l’esprit ce vers d’Homère :

Il eut toujours pour eux le cœur d’un tendre père[45] ;


et je n’oublie point le nom de père de famille, que parmi nous on donne aux maîtres. Mais quand je serais naturellement plus insensible et plus dur, je serais encore touché du triste état où se trouve mon affranchi Zosime : je lui dois d’autant plus d’égards, qu’ils lui sont plus nécessaires. Il est fidèle [46], complaisant, instruit : son talent principal, et son titre, pour ainsi dire, c’est celui de comédien. Il déclame avec force, avec goût, avec justesse, même avec grâce, et il sait jouer de la lyre, mieux qu’un comédien n’a besoin de le savoir[47]. Ce n’est pas tout : il lit des harangues, des histoires et des vers, comme s’il n’avait jamais fait autre chose.

Je suis entré dans tout ce détail, pour vous apprendre combien cet homme seul me rend de services, et de services agréables. Ajoutez-y l’affection que j’ai pour lui depuis long-temps, et que son danger a redoublée : car nous sommes faits ainsi ; rien ne donne plus d’ardeur et de vivacité à notre tendresse, que la crainte de perdre ce que nous aimons. Et ce n’est pas la première fois que je crains pour sa vie. Il y a quelques années que, déclamant avec force et avec véhémence, il vint tout à coup à cracher le sang. Je l’envoyai en Égypte pour se rétablir ; et après y avoir fait un long séjour, il en est revenu depuis peu en assez bon état. Mais ayant voulu forcer sa voix plusieurs jours de suite, une petite toux le menaça d’une rechute ; et bientôt après, son crachement de sang le reprit. Pour essayer de le guérir, j’ai résolu de l’envoyer à votre terre de Frioul. Je me souviens de vous avoir souvent ouï dire que l’air y est fort sain[48], et le lait très-bon pour ces sortes de maladies. Je vous supplie donc de vouloir bien écrire à vos gens de le recevoir dans votre maison, et de lui donner tous les secours qui lui seront nécessaires. Il n’abusera pas de vos bontés : car il est si sobre et si modéré, qu’il refuse, non-seulement les douceurs que peut demander l’état d’un malade, mais les choses même que cet état semble exiger. Je lui donnerai pour son voyage ce qu’il faut à un homme qui va chez vous. Adieu.


XX.
Pline à Ursus.

Peu de temps après le jugement de Julius Bassus[49], les Bithyniens formèrent une nouvelle accusation contre Varenus, leur proconsul, celui-là même qui, à leur prière, leur avait été donné pour avocat contre Bassus. Lorsqu’ils eurent été introduits dans le sénat, ils demandèrent l’information : Varenus, de son côté, réclama la faculté de faire entendre les témoins qui pouvaient servir à sa justification. Les Bithyniens s’y étant opposés, il fallut plaider. Je parlai pour lui avec succès ; si je parlai bien ou mal, c’est au plaidoyer même à vous l’apprendre. La fortune a toujours sur l’événement d’une cause une influence heureuse ou funeste. La mémoire, le débit, le geste, la conjoncture même, enfin les préventions favorables ou contraires à l’accusé, donnent ou enlèvent à l’orateur beaucoup d’avantages ; au lieu que le plaidoyer, à la lecture, ne se ressent ni des affections ni des haines ; il n’y a pour lui ni hasard heureux ni circonstance défavorable.

Fonteius Magnus, l’un des Bithyniens, me répliqua, et dit très-peu de choses en beaucoup de paroles. C’est la coutume de la plupart des Grecs : la volubilité leur tient lieu d’abondance. Ils prononcent tout d’une haleine et lancent avec la rapidité d’un torrent les plus longues et les plus froides périodes. Cependant, comme dit agréablement Julius Candidus, loquacité n’est pas éloquence. L’éloquence n’a été donnée en partage qu’à un homme ou deux au plus, et même à personne, si nous en voulons croire Marc Antoine. Mais cette facilité de discourir, dont parle Candidus, est le talent de beaucoup de gens, et particulièrement celui des effrontés.

Le jour suivant, Homullus plaida pour Varenus avec beaucoup d’adresse, de force, d’élégance. Nigrinus répondit d’une manière serrée, pressante et fleurie. Acilius Rufus, consul désigné, fut d’avis de permettre aux Bithyniens d’informer. Il garda le silence sur la demande de Varenus : c’était assez clairement s’y opposer. Cornelius Priscus, personnage consulaire, voulait qu’on accordât également aux accusateurs et à l’accusé ce qu’ils demandaient ; et le plus grand nombre adopta son avis.

Nous avons ainsi obtenu une décision, qui n’avait pour elle ni la loi ni l’usage, et qui pourtant était juste. Pourquoi juste ? je ne vous le dirai pas dans cette lettre, pour vous faire désirer mon plaidoyer ; car, si nous en croyons Homère,

Les chants les plus nouveaux sont les plus agréables[50] ;


et je ne puis permettre qu’une lettre indiscrète dérobe à mon discours cette grâce et cette fleur de nouveauté, qui n’en font pas le moindre mérite. Adieu.


XXI.
Pline à Rufus.

Je m’étais rendu dans la basilique Julienne[51], pour entendre les avocats à qui je devais répondre dans l’audience suivante. Les juges avaient pris place, les décemvirs[52] étaient arrivés, les avocats étaient prêts, le silence régnait depuis long-temps[53] enfin, un envoyé du préteur se présente. On congédie les centumvirs ; l’affaire est ajournée, à ma grande satisfaction ; car je ne suis jamais si bien préparé, qu’un délai ne me fasse plaisir. La cause de cette remise est le préteur Nepos, qui fait revivre les lois du barreau. Il venait de publier un édit fort court, par lequel il avertissait et les accusateurs et les accusés, qu’il exécuterait à la lettre le décret du sénat, transcrit à la suite de son édit. Par ce décret, il était ordonné à tous ceux qui avaient un procès, de quelque nature qu’il fût[54], de prêter serment, avant de plaider, qu’ils n’avaient fait, pour le plaidoyer, ni don ni promesse, et qu’ils n’avaient exigé aucune garantie. Par ces termes, et par beaucoup d’autres, il était défendu aux avocats de vendre leur ministère, et aux parties de l’acheter. Toutefois on permettait, après le procès terminé, de donner jusqu’à la concurrence de dix milles sesterces. Le préteur, qui préside[55] aux centumvirs, embarrassé par cette action de Nepos, et voulant songer à loisir s’il devait suivre son exemple, nous a donné ce repos imprévu. Cependant l’édit de Nepos est devenu le sujet du blâme ou des éloges de toute la ville. Les uns s’écrient : Nous avons donc trouvé un réformateur ! eh quoi ! n’avions-nous point de préteurs avant lui ? Quel est cet homme, qui se mêle de corriger les mœurs publiques ? Les autres disent : Que pouvait-il faire de plus sage, en entrant en charge ? il a consulté la loi : il a lu les décrets du sénat ; il a aboli un trafic honteux, et ne peut souffrir que la chose du monde la plus glorieuse soit vénale. Voilà les opinions qui se discutent dans les deux partis, et dont l’événement décidera. Rien de moins raisonnable, mais rien de plus commun, que de voir les entreprises honorables ou honteuses obtenir, suivant le succès, le blâme ou l’approbation. Aussi la même action est-elle qualifiée tour à tour de zèle ou de vanité, de liberté ou de folie. Adieu.


  1. Qu’enfin, etc. L’expression de Pline, in summa, est employée dans le sens de ad summam, comme dans cette phrase de Justin, liv. xiii, vers la fin : Diu mutuis vulneribus acceptis colluctatus est : in summa victus occumbit.
  2. Pouvait fournir un prétexte d’accusation. C’était sous Domitien : Rusticus avait été assassiné, Gratilla, sa femme, exilée : il s’agissait de la succession de celle-ci, et l’on conçoit que son amitié pouvait devenir fatale à ceux qu’elle avait cru devoir préférer à son fils.
  3. Qu’il ne vous en restât, etc. En vertu de la loi Falcidie, promulguée dès le règne d’Auguste, la réserve du quart des biens suffisait pour ôter à l’héritier légitime ce qu’on appelait la querelle d’inofficiosité contre le testament.
  4. Mes cohéritiers. Au lieu de ut coheredes, j’ai lu avec les derniers éditeurs ut te coheredes.
  5. Pour rendre un éclatant hommage, etc. De Sacy me paraît avoir fait un contresens, en traduisant : Il l’accompagne d’un éloge qui (si je ne me flatte point trop) est digne de nos ancêtres. C’est l’action, et non l’éloge, qui est digne de la vertu antique. Si quelque chose peut excuser la louange que Pline s’accorde ici, c’est le fait même, si honorable pour lui et par la confiance qu’on lui témoigne et par la noble manière dont il y répond.
  6. Les grives. Ces grives n’étaient pas des oiseaux ; c’étaient des poissons. Voyez Pline l’ancien, ix, 15 ; xxxii, 11 ; Columelle, viii, 16 et 17 ; Varron, De ling. lat., iv, 12 ; Quintilien, viii, 2.
  7. L’adresse de Diomède, etc. Diomède avait échangé des armes de fer contre des armes d’or avec Glaucus. D. S. Voyez Homère, Iliad. vi, 236.
  8. Au spectacle des mimes. Genre de comédie licencieux. Le plus fameux auteur en ce genre fut ce Laberius que César fit monter sur le théâtre à soixante ans. — J’ai suivi dans toute cette phrase la leçon de Schæfer : le texte joint à la traduction portait : Facio nonnunquam versiculos severos parum, facio : nam et comœdias audio, etc.
  9. Vers sotadiques. De Sacy n’avait parlé ni des mimes ni des vers sotadiques : au lieu de ce dernier mol, il avait mis satiriques, ce qui est loin d’avoir le même sens. Les vers sotadiques devaient leur origine à Sotades, poète licencieux, que Martial lui-même a flétri du nom de cinœdus (v. ii, epigr. 86). Quintilien avait dit que ce genre de poésie était tellement obscène, qu’il ne convenait pas même d’en tracer les règles (1, 8, 6). On voit, par l’épître de Pline, que le disciple avait un peu oublié les sévères leçons de son maître.
  10. Cicéron, Calvus, etc. Quelques commentateurs ont remarqué « que la liste des poètes donnée ici par Pline n’était pas un argument sans réplique : on aurait pu lui répondre que, parmi les personnages qu’il citait, les uns eussent beaucoup mieux fait de ne pas composer de vers, et que les autres, par le déréglement de leurs mœurs, fortifiaient toutes les préventions qu’on pouvait concevoir contre la poésie. Pour ne citer que deux exemples, les vers d’Hortensius passaient pour fort mauvais, et Memmius s’était souillé d’adultère avec la femme de Lentulus et celle de Pompée. »
  11. Mais dont les suites le seront beaucoup. De Sacy avait fait ici un contresens : il avait dit : « Je vais vous conter une chose peu importante, si vous ne remontez au principe. » C’est le contraire : il s’agit des suites, et non du principe.
  12. Solers, ancien préteur. Solers est un nom propre : De Sacy en avait fait un adjectif, et traduisait : Un homme qui a exercé la préture, et qui est très-éclairé sur ses intérêts.
  13. Les députés de Vicente. Cité transpadane, sur les limites du territoire de Venise, aujourd’hui Vicence.
  14. Qu’il suffit de remuer, etc. Il y avait dans De Sacy : « Car la plupart des choses cachées ont de grandes suites. » Il avait sans doute lu tacita au lieu de tacta.
  15. Chaque soir, en les terminant, etc. J’ai corrigé, comme inexacte, la traduction de De Sacy, qui pourtant ne manque pas d’énergie : Ils achèvent chaque jour de vivre. Le latin dit, ils épuisent chaque jour les raisons qu’ils ont de vivre. En effet, ils ne vivent que pour les plaisirs, et tous les jours ils s’en rassasient : quand la journée se termine, ils ne laissent donc rien de suspendu, rien d’imparfait.
  16. Il est vrai, etc. D’après une conjecture de Cortius, le texte portait est sane. J’ai rétabli et sane qui n’a pas besoin d’être corrigé et qui s’entend parfaitement.
  17. Ma description, etc. Voyez liv. ii, 17, la description de la maison du Laurentin.
  18. On y entend, etc. Il y avait dans le traducteur : « Rien n’est plus commun que d’y voir des jeunes gens qui ont encore leurs grands pères et leurs bisaïeux, que d’entendre ces jeunes gens raconter de vieilles histoires qu’ils ont apprises de leurs ancêtres. » Ce ne sont pas les jeunes gens qui racontent ; ce sont les vieillards eux-mêmes. Le contresens de De Sacy est une suite naturelle du tour qu’il a donné au premier membre de phrase. Il ne devait pas traduire « on y voit des jeunes gens qui ont leurs grands pères, etc. ; » il fallait dire, comme dans le latin, « on y voit les aïeux et les bisaïeux de jeunes gens déjà formés. »
  19. Longue à proportion. L’ancien éditeur de la traduction de De Sacy avait à tort admis dans le texte et prominulam. De Sacy avait évidemment traduit d’après la leçon pro modo longam ; et cette leçon, fort intelligible, a d’ailleurs pour elle l’autorité de plusieurs textes.
  20. D’acanthes, si tendres, etc. L’acanthe ou branc-ursine est une plante qu’on croit originaire d’Italie, mais que l’on cultive dans nos jardins.
  21. Un vaste manége. Le manége, ou hippodrome, était un endroit spacieux, ombragé, percé de chemins larges et demi-circulaires, où l’on prenait l’exercice du cheval ; quelquefois même on s’y faisait traîner en char par plusieurs chevaux.
  22. Et ensuite un plus grand nombre de figures, etc. Le comparatif plures se rapporte, je crois, à l’une des phrases précédentes, buxus intervertit in formas mille descripta, litteris interdum, etc. « Après l’acanthe flexible, viennent encore, mais en plus grand nombre, de ces figures et de ces noms, dont il a été parlé plus haut. » De Sacy traduisait inexactement : Vous entrez dans une pièce d’acanthe flexible, et qui se répand, où l’on voit encore quantité de figures et de noms que les plantes expriment.
  23. Au dessus et au dessous des fenêtres. Le traducteur ajoutait hautes et basses. Je pense que superiores inferioresque fenestræ, signifie seulement le haut et le bas des fenêtres, comme imus et summus mons veut dire seulement le bas et le haut d’une montagne.
  24. Le loisir y est plus complet, etc De Sacy avait rendu cette phrase avec une liberté, qui en altérait le sens : On y jouit d’un loisir d’autant plus sûr et d’autant plus tranquille, que les devoirs ne viennent point vous y relancer. C’est supprimer entièrement la relation d’idées altius eoque securius.
  25. Point de cérémonial à observer. Il y a dans le texte de Pline : « Point de nécessité de prendre la toge. » Il n’était indispensable de la prendre qu’à la ville et au barreau. Martial compte l’avantage de ne la porter que rarement (toga rara), au nombre des choses qui font le bonheur de la vie (x, 47).
  26. Et ce profond repos ajoute encore, etc. Voici un nouveau contresens de De Sacy : il traduit : Et comme la bonté du climat y rend le ciel plus serein et l’air plus pur, je m’y trouve aussi le corps plus sain et l’esprit plus libre. Cette liaison d’idées n’est point dans le texte, et il y a dans la première une relation totalement supprimée par le traducteur : ce profond repos (quod ipsum) ajoute à la salubrité du climat (accedit salubritati regionis), comme ajouterait un ciel encore plus serein, un air encore plus pur.
  27. Il est certain que l’on ne peut, etc. De Sacy traduisait : Instituer une ville héritière. Il y a rempublicam dans le latin, et l’on ne peut y substituer celui de ville ; la république, l’état, était incapable de recueillir une succession, tandis que les villes, les communautés et toutes les corporations pouvaient être instituées héritières : il est ici question de Côme, considérée comme état particulier, et non comme ville dépendante. Quant au mot præcipere, il n’indique qu’une manière de léguer : l’auteur prend le mode pour la chose ; au lieu de dire qu’on ne peut faire un legs à l’état, il dit qu’on ne peut disposer per præceptionem. Il y avait chez les Romains quatre manières de faire un legs ; l’action qu’avait le légataire pour se faire payer variait, suivant la formule suivie par le testateur : mais ici tout cela est indifférent, puisqu’on ne veut dire autre chose, sinon que le légataire est incapable de recueillir le legs.
  28. Vous m’annoncez encore, etc. De Sacy traduisait comme s’il y avait propterea, quod recitaturum, etc., « j’ai lieu d’être content, puisque vous m’assurez que vous n’attendez que mon retour pour, etc. »
  29. Mais ma lenteur n’est point comparable à la vôtre. D’après le texte de Schæfer, j’ai lu tu mora tamen meam quoque cunctationem.
  30. Que je n’arrache par des vers aigres, etc. Le texte dit, que je n’arrache par des scazons ce que les hendécasyllabes n’ont pu obtenir. D. S. — Les scazons étaient une espèce de vers consacrés à l’épigramme.
  31. D’entendre dire que l’on copie, qu’on lit, qu’on achète, etc. Je ne sais d’après quel texte De Sacy avait traduit ce passage. Il est presque inintelligible dans sa version, d’entendre dire que l’on copie, que l’on entende lire, qu’on lise, qu’on achète, etc. Le texte joint à cette traduction porte : patere audire describi, legi, venire volumina.
  32. Aïeul de sa femme. (Voyez iv, 1.)
  33. Quelques personnes, mais en très-petit nombre, avaient hautement applaudi, etc. Si j’ai bien saisi le sens de la phrase, De Sacy s’est entièrement trompé : il traduit : quoiqu’il dit vrai, cela ne fut écouté et reçu favorablement que de fort peu de personnes. Le traducteur suivait-il un texte différent ? je l’ignore ; mais dans aucune leçon des commentateurs, je ne puis trouver trace du sens qu’il a adopté. Je crois que Pline veut appuyer, par cette réflexion, ce que Nominatus venait d’alléguer pour sa défense, savoir : Qu’il avait été effrayé par les discours de ses amis, qu’on lui avait conseillé de ne pas s’opposer au dessein de Solers.
  34. Il termina sa défense. J’ai ajouté inde à la phrase subjunxit preces, etc. : c’est la leçon des dernières éditions.
  35. Avec son habileté ordinaire. D’après la même autorité, j’ai lu in dicendo au lieu de dicendo.
  36. En invoquant, etc. On n’opinait quelquefois au sénat qu’après avoir prêté serment ; Juste-Lipse apporte plusieurs preuves de cet usage, dans son Commentaire sur le livre iv, 21, des Ann. de Tacite. De Sacy n’a nullement compris la phrase de Pline ; il traduit : Il alla même en vertu du pouvoir que la loi en donne à celui qui peut convoquer le sénat, etc. De senatu habendo signifie sur la manière de tenir le sénat, et non pas d’après le pouvoir de convoquer le sénat.
  37. Il rappela les décrets du sénat. La leçon des dernières éditions est senatusconsultorum, et non senatusconsulti.
  38. D’entendre les uns m’appeler devin, etc. Allusion à la dignité d’augure dont il était revêtu. D. S.
  39. Surveiller les travaux de la voie Émilienne. Cette surveillance était autrefois dans les attributions spéciales des censeurs : les empereurs, d’après l’exemple d’Auguste, la confiaient à des consulaires. Pline avait la surveillance, non de la voie Émilienne construite par Emilius Lepidus, et qui allait de Plaisance à Rimini, mais du lit et des rives du Tibre, ainsi que des égoûts de Rome.
  40. La plus jeune des filles de notre ami Fundanus, etc. L’éditeur de la traduction de De Sacy avait donné le texte de Cortius, tristissimus hæc tibi scribo, Fundani nostri filia minore defuncta : je l’ai corrigé d’après les dernières éditions.
  41. En encens. J’ai substitué, d’après mes textes, thura à thus.
  42. Etait le vivant portrait de son père. Je n’ai point trouvé mira dans les dernières éditions de Pline, et j’ai lu seulement patrem similitudine exscripserat.
  43. Les métamorphoses en astres. On n’est pas d’accord sur le titre du poëme de Calpurnius Pison : nous avons choisi celui qui nous a paru cadrer le mieux avec les éloges de Pline et avec le sens général de sa lettre. Au lieu de la leçon καταστερισμῶν, De Sacy avait adopté ἐρωτοπαίγνιον, c’est-à-dire, Poëme badin sur l’amour. Un pareil sujet ne nous semblerait nullement digne des louanges que lui donne Pline, eruditam sane luculentamque materiam. Nous ne voyons pas non plus comment, pour avoir composé des vers sur l’amour, on aurait pu dire qu’un jeune homme, d’une naissance illustre, marchait dignement sur les traces de ses aïeux. Le sujet des métamorphoses, au contraire, exigeait de la science, élevait la pensée de l’auteur à de sublimes considérations, et prêtait à une multitude de détails où l’on pouvait faire preuve d’un esprit profond et étendu. La manière dont De Sacy avait traduit la leçon qu’il adoptait, n’était pas propre à la faire goûter : « Le poëme qu’il a lu, disait-il, était intitulé : L’Amour dupé, sujet riche et galant. » Ἑρωτοπαίγνιον ne signifie pas l’amour dupé, et luculentus n’a jamais voulu dire galant.
  44. D’un homme, plus heureux alors, etc. Pline parle ici de Nerva, a qui cette maison appartenait avant qu’il fût empereur. D. S.
  45. Il eut toujours pour eux, etc. Homère, Odyss. ii, 47.
  46. Il est fidèle. J’ai lu est homo : c’est la leçon des dernières éditions. Dans le texte joint à la traduction de De Sacy, il y avait seulement homo probus.
  47. Mieux qu’un comédien n’a besoin de le savoir. Ce n’est pas, mieux qu’il appartient à un comédien, comme l’a traduit De Sacy : il y a entre les deux expressions une nuance qu’on apercevra aisément.
  48. L’air y est fort sain. J’ai conservé la leçon du texte de De Sacy, ibi et aerem salubrem, quoique je trouve dans l’édition de Schæfer, tibi et aera salubrem, sans aucune note qui annonce une yariété de leçon. Le texte sur lequel De Sacy a traduit me semble plus naturel, et le changement de tibi en ibi n’est pas si hardi, qu’on ne puisse se le permettre, sans l’autorité des manuscrits.
  49. Peu de temps après le jugement de Julius Bassus, etc. L’éditeur de la traduction avait admis dans le texte, iterum Bithyni (breve tempus a Julio Basso) et Rufum, etc. : je trouve dans Schæfer, iterum Bithyni, post breve tempus a Julio Basso, etiam Rufum, etc. La leçon que je rejette était empruntée à l’édition romaine d’Heusinger. — (Voyez iv, 9.)
  50. Les chants les plus nouveaux, etc. Hom., Odyss., i, 351.
  51. La basilique Julienne, etc. C’était sans doute celle que Jules César consacra la troisième année de son empire ; on désignait par le mot de basilique un portique vaste et élevé, tel qu’on en plaçait toujours devant les théâtres, les temples et les tribunaux.
  52. Les décemvirs, etc. Les décemvirs, dont cinq étaient sénateurs, et cinq chevaliers, avaient la fonction de convoquer le conseil des centumvirs, et de les présider en l’absence du préteur. (Suet., Aug. 36.)
  53. Les avocats étaient prêts, etc. De Sacy ne paraît pas avoir bien compris tout ce passage ; il traduit : Les centumvirs étaient arrivés ; tout le monde avait les yeux tournés sur les avocats ; un profond silence régnait, lorsqu’il arriva un ordre du préteur de lever la séance. Ceci ferait croire que l’on allait commencer les
  54. De quelque nature qu’il fût. L’éditeur de la traduction de De Sacy avait donné cette leçon, qui quid negotii haberent. J’ai préféré, avec Schæfer, quidquid negotii haberent, comme plus clair et plus latin.
  55. Qui préside. Nous avons rétabli præsidet qui avait été changé, dans le texte de la traduction, en præsidebat.