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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XV. À Fundanus

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 297-303).
XV.
Pline à Fundanus.

Si j’ai quelque discernement, je le prouve à aimer de toute mon âme Asinius Rufus. C’est un homme rare, ami passionné des gens de bien comme moi : car pourquoi ne pas me mettre du nombre ? Il est encore intimement lié avec Cornelius Tacite, dont vous connaissez tout le mérite. Ainsi, puisque c’est la ressemblance des mœurs qui serre le plus étroitement les liens de l’amitié, si vous avez quelque estime pour Tacite et pour moi, vous ne pouvez en refuser à Rufus. Il a plusieurs enfans ; car il a compté, parmi les obligations d’un bon citoyen, celle de donner des sujets à l’état ; et cela, dans un siècle où il est si avantageux de n’avoir pas d’enfans, que l’on ne veut pas même un fils unique[1]. Ces honteux bénéfices l’ont peu tenté ; jusque là, qu’il n’a pas craint le nom d’aïeul. Il a des petits-fils de Saturius Firmus, son gendre, homme que vous aimerez autant que je l’aime, quand vous le connaîtrez autant que je le connais.

Vous voyez quelle nombreuse famille vous obligerez à la fois par une seule grâce. Cette grâce, nous avons été conduits à vous la demander, d’abord par un vœu que nous formons, ensuite par je ne sais quel espoir de le voir accompli. Nous vous souhaitons, et nous espérons pour vous le consulat, la prochaine année. Nos augures, nos garans sont vos vertus, et le discernement du prince.

Les mêmes raisons vous donnent pour questeur Asinius Bassus, l’aîné des fils de Rufus. C’est un jeune homme… je ne sais ce que je dois dire : le père veut que je dise et que je pense que son fils vaut mieux que lui ; la modestie du fils me le défend. Quoique vous n’hésitiez jamais à me croire sur parole, vous lui croirez difficilement, sur ma seule assurance, l’habileté, la probité, l’érudition, l’esprit, l’application, la mémoire, que l’expérience vous fera découvrir en lui. Je voudrais que notre siècle fût assez fécond en vertus, pour qu’on pût trouver un jeune homme, digne d’être préféré à Bassus : je serais le premier à vous avertir, à vous presser d’y regarder plus d’une fois, et de peser long-temps, avant de faire pencher la balance. Par malheur, aujourd’hui… Mais je ne veux pas vous vanter trop mon ami[2] : je le dirai seulement, il mériterait que vous l’adoptassiez pour fils, selon la coutume de nos ancêtres : ceux qui se distinguent, comme vous, par une haute sagesse, doivent se choisir dans le sein de la république des enfans, tels qu’ils voudraient en avoir reçu de la nature. Ne vous sera-t-il pas honorable, lorsque vous serez consul, d’avoir pour questeur le fils d’un homme qui a exercé la préture, et le proche parent de plusieurs consulaires, sur lesquels, tout jeune qu’il est, et de leur propre aveu, il répand autant d’éclat qu’il en reçoit d’eux ?

Ayez donc égard à mes prières, ne négligez pas mes avis, et surtout pardonnez à une sollicitation prématurée. L’amitié est impatiente, et court au devant du temps par ses désirs[3]. D’ailleurs, dans une ville, où il semble que tout soit fait pour le premier qui s’en empare, on trouve que le moment d’agir est passé, si l’on attend qu’il soit venu. Enfin, il est doux de jouir par avance des succès que l’on désire. Que déjà Bassus vous respecte comme son consul : vous, aimez-le comme votre questeur ; et moi, qui vous aime également l’un et l’autre, que je puisse goûter une double joie. Car, dans la tendre amitié qui m’attache à vous et à Bassus, je suis disposé à tout employer, mes soins[4], mes sollicitations, mon crédit, pour élever tout ensemble aux honneurs, et Bassus, quel que soit le consul dont il sera le questeur, et le questeur que vous aurez choisi, quel qu’il puisse être : jugez donc de ma satisfaction, si mon amitié pour Bassus, d’accord avec les intérêts de votre consulat, rassemblait tous mes vœux sur lui seul ! si enfin vous me secondiez dans mes sollicitations, vous dont les avis sont d’une si grande autorité, et le témoignage d’un si grand poids dans le sénat ! Adieu.


  1. Où il est si avantageux, etc. On entendait par orbitatis prœmia les déférences, les flatteries et les présens, par lesquels les coureurs d’héritages tâchaient de s’assurer la succession des personnes riches et sans enfans.
  2. Mais je ne veux pas, etc. Dans l’édition jointe à la traduction de De Sacy, il y a arrogantius dicere : ce dernier mot ne se trouve pas dans l’édition de Schæfer, que j’ai sous les yeux.
  3. L’amitié est impatiente, etc. Plusieurs éditions ne portent pas le membre de phrase quia votis suis amor plerumque prœcurrit ; deinde. Il y a même des commentateurs qui en trouvent le sens vulgaire et indigne de Pline. Nous n’avons pas partagé cette opinion.
  4. Mes soins. Nous avons remplacé ope par opera, que nous avons trouvé dans Schæfer et qui nous semble plus naturel.