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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XXI. À Velius Cerealis

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 313-315).
XXI.
Pline à Velius Cerealis.

Que le sort des Helvidies est triste et funeste ! Ces deux sœurs sont mortes en couches, toutes deux après avoir mis au monde une fille. Je suis pénétré de douleur ; et je crois ne pouvoir l’être trop : tant il me paraît cruel de perdre, par une malheureuse fécondité, ces deux aimables personnes dans la fleur de leur âge[1] ! Je plains de pauvres enfans, à qui le même moment donne le jour et enlève leur mère : je plains des maris excellens ; je me plains moi-même : car j’aime encore le père des Helvidies, tout mort qu’il est, avec cette vive tendresse dont mon plaidoyer et mes écrits sont de fidèles témoins[2]. Il ne lui reste plus qu’un seul de ses trois enfans : un seul soutient maintenant sa maison, si glorieuse naguère de ses trois appuis. Ce me sera pourtant une douce consolation, si la fortune nous conserve au moins ce fils, pour nous rendre en sa personne son aïeul et son père. Sa vie et ses mœurs me donnent d’autant plus d’inquiétude, qu’il est unique aujourd’hui. Vous qui connaissez ma faiblesse et mes alarmes pour les personnes que j’aime, vous ne serez pas surpris de me voir tant craindre pour un jeune homme, sur lequel reposent de si hautes espérances. Adieu.


  1. Par une malheureuse fécondité. Voici un passage de l’Oraison funèbre du Dauphin, par le père Elisée, qui exprime la même idée avec une grâce touchante. L’infante d’Espagne était morte en donnant le jour au Dauphin : « Hélas ! dit l’orateur, ces liens que l’innocence des penchans fortifiait encore, n’eurent que la durée d’un instant. Semblable à la fleur qui tombe dès qu’elle montre son fruit, le premier gage de sa fécondité devint le signal de sa mort. »
  2. Dont mon plaidoyer, etc. Voyez ix, 13.