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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XXIV. À Valens

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 321).
XXIV.
Pline à Valens.

Ces jours passés, comme je plaidais devant les centumvirs, les quatre tribunaux assemblés, je me souvins que la même chose m’était arrivée dans ma jeunesse[1]. Ma pensée, comme à l’ordinaire, m’entraîna plus loin. Je commençai à rappeler dans ma mémoire ceux qui suivaient avec moi la carrière du barreau à l’une et à l’autre époque. Je m’aperçus que j’étais le seul qui se fut trouvé aux deux jugemens, tant les lois de la nature, tant les caprices de la fortune amènent de changemens ! Les uns sont morts, les autres bannis. L’âge ou les infirmités ont condamné celui-ci au silence ; la sagesse ménage à celui-là une heureuse tranquillité. L’un commande une armée ; la faveur du prince dispense l’autre des emplois pénibles. Moi-même, quelles vicissitudes n’ai-je point éprouvées ! Les belles-lettres m’ont élevé d’abord, abaissé ensuite, et enfin relevé. Mes liaisons avec les gens de bien m’ont été avantageuses, puis elles m’ont nui[2], et, de nouveau, elles me sont utiles aujourd’hui. Si vous comptez les années, le temps vous paraîtra court ; si vous comptez les événemens, vous croirez parcourir un siècle. Tant de changemens, si rapidement amenés, sont bien propres à nous apprendre, qu’on ne doit désespérer de rien, ne compter sur rien. J’ai coutume de vous communiquer toutes mes pensées, de vous adresser les mêmes leçons, de vous proposer les mêmes exemples qu’à moi-même : ne cherchez pas d’autre intention dans cette lettre. Adieu.


  1. Les quatre tribunaux assemblés, etc. Voyez liv. i, 18, note 57. J’ai suivi le texte donné par M. Lemaire.
  2. Avec les gens de bien, etc. J’ai supprimé bonorum, répété devant obfuerunt, dans le texte mis en regard de la traduction de De Sacy. Je me suis conformé en cela aux dernières éditions de Pline.