Lettres de Sterne/08

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 312-315).
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LETTRE VIII.


À W… C… Écuyer.


Coxwould, le 11 juin, 1765.


Burton vous a donc dit sérieusement et avec un air fâché, que je m’étois permis, à Bath, de jeter du ridicule sur mes amis les Irlandois ; et qu’à la table de Lady Lepel j’avois fait rire à leurs dépens une nombreuse compagnie ? Rien n’est plus faux, je vous jure : il faudroit me supposer un autre caractère pour me croire capable de cet excès d’ingratitude. Il n’est pas dans mon chapitre des possibilités de donner à Burton une contenance grave, lui dont la physionomie toujours ouverte ne semble faite que pour exprimer le sourire d’un cœur honnête. — Mon intention n’a jamais été de dire quelque chose d’impoli sur son compte. — Je n’ai jamais connu personne dont les qualités fussent plus liantes, ni les inclinations plus généreuses. Il m’invita chez lui de la manière la plus gracieuse, car c’étoit de tout son cœur ; et je lui souhaiterois les trésors de Crésus, afin que sa libéralité pût se mettre entièrement à son aise. Les heures les plus délicieuses de ma vie, je les ai passées avec lui et avec les belles femmes de son pays. Il faudroit être fou pour trouver quelque chose à redire en lui ou en elles. — Là, j’ai vu la charmante veuve Moor, avec laquelle je voudrois passer le reste de mes jours, si les lois ne m’assignoient un autre terrain. — La jolie Gore, avec sa belle taille et sa figure grecque : elle est née, j’en suis sûr, pour faire le bonheur d’un homme qui saura connoître le prix d’un cœur tendre. — Je ne dois pas oublier une autre veuve, l’intéressante madame Vesey avec sa belle voix et ses cinquante autres perfections. — Moi les railler ! — C’est une chose qu’on ne peut ni dire ni croire, parce qu’elle est fausse et invraisemblable. — À la vérité j’ai parlé d’elles pendant une heure ; mais sans mêler à mes discours rien qui sentît l’épigramme ou le sarcasme. — J’ai parlé d’elles comme elles auroient pu désirer que j’en parlasse, — le sourire sur les lèvres, l’éloge dans la bouche, la joie dans le cœur et le verre à la main. — D’ailleurs je suis moi-même leur compatriote : — mon père a été long-temps de garnison en Irlande, avec son régiment ; et ma mère y étoit avec lui lorsqu’elle me mit au monde. Veuillez donc bien persuader à toutes ces bonnes gens qu’on m’a, du moins, mal entendu, car il est impossible que lady Barrymore ait voulu me faire parler.

Si vous en trouvez l’occasion, lisez cette lettre à Burton : assurez-le de mon estime et de mon respect le plus sincère, ainsi que toute son aimable société ; et dites, en ma faveur quelque chose de tendre et d’agréable à l’oreille de mes jolies provinciales. Ne souffrez pas qu’elles nourrissent davantage un injuste ressentiment contre moi. — Si jamais il vous arrive un malheur de cette nature, je saurai vous rendre la pareille.

Je vis ici dans tout le désœuvrement d’un cœur parfaitement libre. — Je vous attendrai jusqu’au commencement du mois prochain : si vous n’arrivez point j’achèverai de passer l’été au château de Crasy, ou à Seurborough. Mais dès le commencement d’octobre, tout-à-fait au commencement, je me propose d’arriver dans la rue de Bond avec mes sermons, et après avoir tout arrangé pour leur publication : alors — Oh ! je deviens fou de l’Italie, — où vous feriez bien de m’accompagner. — J’espère, toutefois, que dans cet intervalle j’aurai le plaisir de vous voir ici. Cela vaut mieux, après tout, que d’être aux eaux de Bristol à Jouer le Strephon avec quelques nymphes éthiques ; mais faites comme il vous. —

Je suis,
Bien sincèrement, votre, etc.