Lettres de la Vendée/I/07
LETTRE VII.
Tendre amie, je voyage toujours
l’ame accablée ; à chaque poste, je fais
demander s’il y a des lettres adressées
au citoyen Maurice, et mon attente
est trompée ! ô ma chère, mon courage
ne se relèvera point ; Maurice, qui sait
aujourd’hui le sujet de ma douleur, la partage, je vois qu’il s’efforce de
me rendre l’espérance ; ce bon jeune
homme m’a proposé de s’exposer
pour apprendre des nouvelles plus
certaines ; mais les moyens, hélas !
ils nous sont tous fermés ; malgré
l’embarras où je serois exposée pendant
son absence, je crois que j’accepterois
ses propositions ; mais quel hasard
ne seroit point à craindre dans
son état, il se perdroit sans sauver
mon frère : hélas ! il n’est plus temps,
et la certitude de sa mort ne me rendroit
que plus à plaindre. Depuis cette
triste conversation, il a cherché
à me rassurer : hier soir, où nous
arrivâmes ici, il resta près de moi long-temps,
à me donner de plus longs
détails sur les scènes qui avoient précédé
notre catastrophe ; il me dit,
— Que toutes les fois qu’on faisoit prisonniers des nôtres, il arrivoit
toujours qu’il s’en échappoit, soit par la
fuite, soit parmi les gardes mêmes qui
aidoient plusieurs à se sauver ; que pour
lui, il avoit des camarades qui lui
avoient avoué avoir rendu ce service
quelquefois, et que rien n’étoit plus
possible que mon frère eût eu ce
bonheur ; il y ajoutoit des circonstances
qui, en réveillant mes espérances, ne
me rendoit que plus cruel le retour de
ma douloureuse certitude. — Ah ! s’il
vivoit, il t’auroit écrit, il se seroit
informé de sa malheureuse sœur ! Et depuis
ces jours affreux, tu n’as point entendu
parler de lui ? Les morts ne se
font plus entendre du fond de leur
tombe. Un éternel oubli a enseveli
mon frère et le crime de ses bourreaux.
Éloignée des miens, de toi, je ne vous
reverrai jamais ; et le jour qui rejoindra ta Louise à son frère, peut seul mettre
fin à mes maux. Ô ma chère ! quel sort
l’Être suprême réserve-t-il à sa créature ?
Après tant de misères, nous retrouverons-nous
un jour ? Est-ce là que sa bonté a fixé nos
espérances ? Je ne suis plus un moment seule, que l’image de mon frère, traîné comme ces victimes
dont je fus la compagne, ne se présente à ma
pensée ; j’entends le bruit de la mort
et les cris des mourans, de ceux plus
malheureux encore, qui, sans perdre
la vie, sentoient leurs membres tomber
sur ceux de leurs amis expirans.
Pardonne à mon ame désolée cet
horrible tableau. Du lieu où je suis,
je te tends les bras ; je pleure dans
ton sein les maux qui m’accablent !…