Aller au contenu

Lettres de la Vendée/I/07

La bibliothèque libre.


Treuttel et Würtz (Ip. 42-45).

LETTRE VII.

De Mauléon, 12 fructidor, an 3 républicain.


Tendre amie, je voyage toujours l’ame accablée ; à chaque poste, je fais demander s’il y a des lettres adressées au citoyen Maurice, et mon attente est trompée ! ô ma chère, mon courage ne se relèvera point ; Maurice, qui sait aujourd’hui le sujet de ma douleur, la partage, je vois qu’il s’efforce de me rendre l’espérance ; ce bon jeune homme m’a proposé de s’exposer pour apprendre des nouvelles plus certaines ; mais les moyens, hélas ! ils nous sont tous fermés ; malgré l’embarras où je serois exposée pendant son absence, je crois que j’accepterois ses propositions ; mais quel hasard ne seroit point à craindre dans son état, il se perdroit sans sauver mon frère : hélas ! il n’est plus temps, et la certitude de sa mort ne me rendroit que plus à plaindre. Depuis cette triste conversation, il a cherché à me rassurer : hier soir, où nous arrivâmes ici, il resta près de moi long-temps, à me donner de plus longs détails sur les scènes qui avoient précédé notre catastrophe ; il me dit, — Que toutes les fois qu’on faisoit prisonniers des nôtres, il arrivoit toujours qu’il s’en échappoit, soit par la fuite, soit parmi les gardes mêmes qui aidoient plusieurs à se sauver ; que pour lui, il avoit des camarades qui lui avoient avoué avoir rendu ce service quelquefois, et que rien n’étoit plus possible que mon frère eût eu ce bonheur ; il y ajoutoit des circonstances qui, en réveillant mes espérances, ne me rendoit que plus cruel le retour de ma douloureuse certitude. — Ah ! s’il vivoit, il t’auroit écrit, il se seroit informé de sa malheureuse sœur ! Et depuis ces jours affreux, tu n’as point entendu parler de lui ? Les morts ne se font plus entendre du fond de leur tombe. Un éternel oubli a enseveli mon frère et le crime de ses bourreaux. Éloignée des miens, de toi, je ne vous reverrai jamais ; et le jour qui rejoindra ta Louise à son frère, peut seul mettre fin à mes maux. Ô ma chère ! quel sort l’Être suprême réserve-t-il à sa créature ? Après tant de misères, nous retrouverons-nous un jour ? Est-ce là que sa bonté a fixé nos espérances ? Je ne suis plus un moment seule, que l’image de mon frère, traîné comme ces victimes dont je fus la compagne, ne se présente à ma pensée ; j’entends le bruit de la mort et les cris des mourans, de ceux plus malheureux encore, qui, sans perdre la vie, sentoient leurs membres tomber sur ceux de leurs amis expirans. Pardonne à mon ame désolée cet horrible tableau. Du lieu où je suis, je te tends les bras ; je pleure dans ton sein les maux qui m’accablent !…