Lettres de la Vendée/I/12
LETTRE XII.
Ô ! ma chère Clémence, que ta
dernière m’a rendue heureuse ; mon
frère a pu te faire
passer de ses nouvelles ;
il vit, il est hors de danger ;
tendre amie, que ne te dois-je pas ;
sans toi, dans mes cruelles incertitudes,
je serois morte de douleur ;
va, ma chère, mes maux ne sont plus
rien, quand mon ame est tranquille
sur le sort de ceux qui me sont chers ;
quoi ! il
a vu ma mère, mon père ?
ils ont eu le bonheur de le serrer encore
contre leur sein ? J’ignore ce qui
m’est réservé ; je n’ose plus rien demander à Dieu, après ce qu’il a fait
pour les miens ; il entend donc les
prières de ses créatures, puisque sa bonté
les exauce. As-tu bien pris tes sûretés,
pour leur faire passer ta lettre ;
combien je désire qu’elle leur parvienne ;
elle les rendra tranquilles à
mon égard. Tu me donnes bien peu
de détails sur la situation où tu leur
as dit que je suis dans ce moment ;
aurois-tu craint d’en instruire ma mère ;
et crois-tu qu’il lui soit pénible d’apprendre
que sa fille doit la vie à
un soldat ; je n’entreprendrai pas
d’être plus prudente que toi ; mais,
chère cousine, je pense que le bonheur
de voir ainsi sa fille échappée à la
mort, doit l’emporter sur tout ; d’ailleurs, tendre amie, tu lui as bien marqué quel homme c’est que Maurice ;
et comme ta Louise, dans son malheur, doit de reconnoissance
à Dieu, pour l’avoir fait tomber en
de pareilles mains ; tu as bien fait
de leur céler tous les désagrémens
que tu as éprouvés de la part de ceux
qui nous persécutent, tu aurois augmenté leur
chagrin, en lisant ta lettre.
J’admire le sang froid avec lequel tu
as détourné le mal de notre commune
demeure ; nous aurons donc,
grâce à tes soins, un lieu où nous
pourrons encore nous rejoindre ; hélas !
s’ils m’avoient cru, nous serions ensemble ;
j’eusse partagé leurs dangers.
Je le vois encore ce jour malheureux,
où je les en conjurois ; ô ! ma chère,
si tu avois été témoin de cette scène,
elle t’aurois déchirée ; et sûrement,
mon père t’a épargné ce terrible tableau.
Après nous être sauvés du château,
que nous laissâmes dans les flammes, avec les scélérats qui le pilloient, ma
mère, qui se soutenoit à peine, nous
força d’entrer dans une maison de villageois ;
ces bonnes gens prirent pitié
de nous, et proposèrent à mon frère
de le conduire où il voudroit ; ma
mère, au milieu de son effroi, ne
pensoit qu’à ses enfans ; elle ne me
voyoit pas sans frémir, courant les
chemins, exposée à tous les hasards de
mon sexe et de mon âge ; l’idée de
sa Clémence lui venoit sans cesse.
— ô ! si je pouvois vous y envoyer, nous disoit-elle, mon courage renaîtroit,
je me résignerois en la providence ;
mais ma Louise, mes enfans,
qu’allez-vous devenir ? —
Ses pleurs,
alors, s’ouvrirent un passage ; notre
père étoit appuyé la main sur le
visage, je vis qu’il pleuroit aussi;
cette vue acheva de me faire perdre la tête ; car, en même-temps,
je me mis à pousser des cris entrecoupés de
sanglots, et ma douleur devint si violente,
que je tombai presque sans
mouvement, sur le sein de ma mère ;
je ne me sentis plus pendant quelques
momens ; j’entendis seulement mon
frère me dire, d’une voix qui me
sembloit éloignée : Ma sœur, tu veux faire mourir ma mère ?
En même-temps, on m’entraîna dans une autre
chambre ; je crois que maman se trouvoit mal, car j’entendis beaucoup de mouvement ; mon frère revint : — Allons,
chère sœur, du courage, viens
avec moi ; nos parens sont bien ici,
il faut les y laisser ; on va nous conduire
dans un autre endroit, car nous
ne pouvons rester avec eux. —
Il falloit que cette résolution eut été prise tout
de suite ; on arrangeoit un cheval, mon père me prit à brasse-corps, et
me serra entre ses bras, en me disant :
— Adieu, ma Louise ! ma pauvre
Louise, prends confiance en la
providence, elle ne nous abandonnera
peut-être pas ! —
Je voulus parler,
le conjurer encore de me laisser voir
ma mère ; mon frère étoit à cheval,
et fesoit signe que l’on me mit derrière
lui. C’est ainsi, ma chère, que je
quittai ce que j’avois de plus cher ;
mon père nous suivit quelques pas
encore ; il s’arrêta, en nous regardant
aller, il leva les bras au ciel, et fit
un mouvement pour s’incliner vers la
terre. J’appris en chemin, seulement,
que nous allions rejoindre des gentilshommes
qui avoient passé le matin,
pour aller à Rennes,
avec leurs femmes,
chercher un abri contre le brigandage ;
tu sais le reste, ma chère.
Je m’étois promis, en t’écrivant celle-ci, de te
faire le tableau de la maison où je
suis ; mais ces souvenirs ont attristé
mon ame, et je ne puis revenir à
un autre ton. Adieu cousine, que ton
amitié soit le dernier bien que je puisse
perdre.