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Lettres de la Vendée/I/14

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Treuttel et Würtz (Ip. 89-93).

LETTRE XIV.

De Mauléon, à l’hôpital, ce 3 vendémiaire, an 4 républicain.


J’y suis, mon amie, et si quelquefois je tâche de forcer mon caractère pour adoucir le tableau de mes situations différentes, rends graces au moins à l’amitié qui voudroit t’épargner la moitié des peines que j’éprouve ; je t’ai dit mes inquiétudes sur le retour de Maurice ; ah ! mes pressentimens n’étoient que trop justes ; le détachement dont il étoit, avoit été composé d’hommes choisis ; il n’évite guères ces préférences ; on prévoyoit qu’ils pourroient avoir affaire avec l’ennemi ; ce matin, mon bon vieux hôte m’a tiré à l’écart, et m’a dit : — Maurice est revenu… il s’est arrêté… — Ah ça, n’allez pas avoir peur… — J’ai tremblé… — Ce n’est rien, je l’ai vu, il est un peu blessé ; — et où est-il, m’écriai-je ?… — On l’a descendu à l’hôpital, il est bien, j’en sors ; — et ne vous a-t-il rien dit pour moi ?… — si… je ne lui ai pas parlé de votre histoire chez cette femme, j’ai seulement dit que, sur quelques difficultés, vous en étiez sortie, et que vous étiez chez nous en l’attendant. — Et que vous a-t-il dit pour moi ?… — Ah ! il m’a recommandé d’avoir bien soin de vous ; … — est-ce qu’il croit que je le laisserois ? … allons, allons, menez-moi ; j’avois couru si vîte, qu’en arrivant à la porte, je ne pouvois plus monter l’escalier : on me mène à son lit, il étoit entouré de ses camarades, un chirurgien le saignoit au bras ; j’approche, dès qu’il me voit, il me fixe ; … — vous, vous… ici… c’est vous. — Son sang s’arrêta ; le chirurgien, étonné, lui dit : — qu’avez vous ? prenant sa main, votre pouls n’est pas dans son état naturel. — Et m’appercevant, il ordonna que l’on me fit éloigner ; Maurice eût une foiblesse ; et revenant à lui, il me demanda : — je n’osois… — Le chirurgien me fit appeler, et me regardant en face ; — puisque vous êtes venue, me dit-il, il ne faut plus le quitter, restez avec lui ; il me prit par la main, me fit asseoir près du chevet, et dit aux gens de service : — laissez cette femme avec son mari, elle le soignera mieux que personne ; — puis, me parlant, — craignez, me dit-il, de trop l’émouvoir ; — je t’avouerai que j’aurois eu besoin de cette consultation pour moi-même, j’étois violemment émue ; la course, ce spectacle dont j’étois entourée, ce sang, tu conviendras qu’il y avoit bien de quoi n’être pas calme ; cependant, tâchant de prendre sur moi, je m’efforçai de le paroître. Dès qu’il put parler. — Votre bonté ? dit-il… — et votre blessure ?… — ils disent que ce n’est rien. — Son lit étoit en désordre ; et tandis que je l’arrangeois, ma main se trouva près de son visage, il y posa ses lèvres, en me regardant avec des yeux qui exprimoient la plus sensible reconnoissance ; ensuite il les tint long-temps levés vers le ciel, je craignis qu’il ne s’évanouît une seconde fois ; je pris le parti de lui dire en riant, pour le distraire : — allons, mon cher Maurice, vous êtes trop sensible pour un malade, je ne fais que ce que je vous dois, vous avez fait pour moi bien davantage… — vous viendrez donc me voir quelquefois ?… — comment, je ne vous quitte point, le médecin me l’a défendu. Il paroissoit en douter, — oh ! vous le verrez, lui dis-je, me voilà établie, et nous sortirons d’ici ensemble. — Son visage devint animé et rayonnant ; le médecin repassa à son lit, et me dit en souriant : — jeune citoyenne, vous avez du pouvoir sur les malades, n’en abusez pas. — Je t’écris pendant qu’il repose ; ma lettre ne peut partir que demain, je la finirai.