Lettres de la Vendée/I/14
LETTRE XIV.
J’y suis, mon amie, et si quelquefois
je tâche de forcer mon caractère
pour adoucir le tableau de mes situations
différentes, rends graces au
moins à l’amitié qui voudroit t’épargner
la moitié des peines que j’éprouve ;
je t’ai dit mes inquiétudes
sur le retour de Maurice ; ah ! mes
pressentimens n’étoient que trop justes ; le détachement dont il étoit,
avoit été composé d’hommes choisis ;
il n’évite guères ces préférences ; on
prévoyoit qu’ils pourroient avoir
affaire avec l’ennemi ; ce matin, mon
bon vieux hôte m’a tiré à l’écart, et
m’a dit : — Maurice est revenu…
il s’est arrêté… — Ah ça, n’allez pas
avoir peur… — J’ai tremblé…
— Ce n’est rien, je l’ai vu, il est un peu
blessé ; — et où est-il, m’écriai-je ?…
— On l’a descendu à l’hôpital, il est
bien, j’en sors ; — et ne vous a-t-il
rien dit pour moi ?… — si… je ne lui ai
pas parlé de votre histoire chez cette
femme, j’ai seulement dit que, sur
quelques difficultés, vous en étiez sortie,
et que vous étiez chez nous en
l’attendant. — Et que vous a-t-il dit
pour moi ?… — Ah ! il m’a recommandé
d’avoir bien soin de vous ; … — est-ce qu’il croit que je le laisserois ?
… allons, allons, menez-moi ;
j’avois couru si vîte, qu’en arrivant
à la porte, je ne pouvois plus monter
l’escalier : on me mène à son lit,
il étoit entouré de ses camarades,
un chirurgien le saignoit au bras ;
j’approche, dès qu’il me voit, il me fixe ; …
— vous, vous… ici… c’est vous. — Son
sang s’arrêta ; le chirurgien, étonné,
lui dit : — qu’avez vous ? prenant sa
main, votre pouls n’est pas dans son
état naturel.
— Et m’appercevant, il ordonna que
l’on me fit éloigner ;
Maurice eût une foiblesse ; et revenant
à lui, il me demanda : — je
n’osois… — Le chirurgien me fit appeler,
et me regardant en face ;
— puisque vous êtes venue, me dit-il,
il ne faut plus le quitter,
restez avec lui ; il me prit par la main, me fit asseoir près du chevet, et dit aux
gens de service : — laissez cette
femme avec son mari, elle le soignera
mieux que personne ; — puis,
me parlant, — craignez, me dit-il,
de trop l’émouvoir ; — je t’avouerai
que j’aurois eu besoin de cette consultation
pour moi-même, j’étois violemment
émue ; la course, ce spectacle
dont j’étois entourée, ce sang, tu
conviendras qu’il y avoit bien de
quoi n’être pas calme ; cependant, tâchant
de prendre sur moi, je m’efforçai
de le paroître. Dès qu’il put parler.
— Votre bonté ? dit-il… — et votre
blessure ?… — ils disent que ce n’est
rien. — Son lit étoit en désordre ;
et tandis que je l’arrangeois, ma main
se trouva près de son visage, il y posa
ses lèvres, en me regardant avec des
yeux qui exprimoient la plus sensible reconnoissance ; ensuite il les tint long-temps
levés vers le ciel, je craignis
qu’il ne s’évanouît une seconde fois ;
je pris le parti de lui dire en riant,
pour le distraire : — allons, mon cher
Maurice, vous êtes trop sensible pour
un malade, je ne fais que ce que je
vous dois, vous avez fait pour moi
bien davantage… — vous viendrez donc
me voir quelquefois ?… — comment, je
ne vous quitte point, le médecin me
l’a défendu. Il paroissoit en douter,
— oh ! vous le verrez, lui dis-je, me
voilà établie, et nous sortirons d’ici
ensemble. — Son visage devint animé
et rayonnant ; le médecin repassa à
son lit, et me dit en souriant : — jeune
citoyenne, vous avez du pouvoir sur
les malades, n’en abusez pas. — Je
t’écris pendant qu’il repose ; ma lettre
ne peut partir que demain, je la finirai.