Lettres de la Vendée/I/19

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Treuttel et Würtz (Ip. 114-121).

LETTRE XIX.

Mauléon, 13 vendémiaire, an 4 républicain.


Nous fûmes hier prendre l’air avec mon malade, c’étoit la première sortie ; mon bras l’étayoit, quoiqu’il eût l’orgueil de ne pas s’y appuyer ; et je traversai la ville, pour gagner le grand chemin, avec une assurance dont je ne me serois pas crue capable ; il faisait un temps d’automne, doux, frais et voilé : — La convalescence a des charmes ; j’éprouve, me disoit-il, un bien-aise que je n’ai jamais connu ; le spectacle de cette campagne me paroît une nouveauté ; il me semble que je revois un ami absent depuis long-temps. — J’allois lui reprocher de penser aux absens ; je me mordis à temps la langue ; nous causâmes du temps présent et de nous. On appercevoit dans l’éloignement, et sur le bord du chemin, une troupe d’hommes rassemblés ; la curiosité nous y mena ; nous eûmes bientôt un spectacle pénible ; c’étoit un convoi de prisonniers vendéens, qu’une escorte conduisoit ; on leur faisoit faire halte avant d’entrer dans la ville ; les municipaux étoient là, et prenoient des mesures pour leur sûreté. J’en reconnus quelques-uns, et la crainte d’en être remarquée moi-même me tint un peu en réserve ; la plupart de ceux-ci étoient des gens du pays ; il me paroît que leur manière de faire la guerre a changé ; nous en avions peu de mon temps, et nos troupes n’étoient guères composées que d’étrangers et de déserteurs ; il paroît que leur nombre s’est beaucoup accru, autant que j’en ai pu juger par les différens habillemens ; nous en remarquâmes plusieurs vêtus d’une sorte de tunique de grosse toile, ceinte d’une corde d’où pend un énorme chapelet à gros grains ; leur coiffure est un large chapeau rabattu ; ils ont laissé croître leur barbe ; tout ce costume leur donne un air vraiment effrayant ; tu dois croire, cependant, qu’après mes cinq mois de campagne, avant celle-ci, je ne dois pas m’étonner aisément ; nous essayâmes de causer avec quelques-uns, dont le patois ne m’est pas étranger ; et je te peindrai difficilement l’excès de fanatisme que l’on est parvenu à leur inspirer ; tu croiras avec peine, que plusieurs nous ont dit, et croyoient sincèrement que, s’ils étoient tués à la guerre, ils devoient ressusciter au bout de trois jours, et se retrouver dans leur paroisse ; on cite gravement plusieurs exemples, de gens qu’ils ont vu tuer, et qu’ils ont retrouvés ensuite. Il y a dans leur fait, beaucoup plus de fanatisme religieux, que de fanatisme politique ; ils n’ont même pas une idée bien nette de la cause qu’ils défendent ; tous étoient persuadés qu’ils alloient à la mort, et aucun ne paroissoit s’en embarrasser beaucoup. Cependant, l’humanité a un peu repris ses droits, et ces terribles exécutions en masse n’ont plus lieu. D’autant ils mangeoient, buvoient froidement ce que la bienveillance publique leur avoit apporté, ceux qui les conduisent, et qui souvent ont eu affaire à eux, nous dirent que ces vendéens sont extrêmement braves ; on les a vus, sans armes, ou avec des bâtons se jetter en foule, à corps perdus, sur des canons, et les enlever ; on nous en montra un qui s’étoit défendu seul dans une maison, pendant plus d’une heure ; il avoit fallu le forcer d’étage en étage, et il avoit fini par se précipiter du toit ; couvert de blessures, son regard menaçoit encore ; du nombre étoient deux chefs et trois prêtres, dont le sort est bien hasardé ; ils étoient liés et gardés à vue, et sembloient très-calmes et déterminés ; les gens du pays s’échappent souvent, et leurs gardes même les facilitent ; nous en vîmes plusieurs qui, réclamés par leur commune, leur furent rendus, sous promesse d’en répondre. Nous parcourûmes cette triste troupe, nous réunissant aux habitans du lieu, qui leur apportoient des secours : ceux-ci n’avoient rien de cette fureur, dont nous avions été témoins et victimes à Cholet. Je crois que les dangers partagés, disposent à la compassion ; plus rapprochés du théâtre des événemens, on craint pour soi le sort qu’éprouvent les autres, et l’on se porte volontiers à soulager le malheur dont on prévoit l’atteinte. Maurice distribua le peu d’argent qu’il avoit, avec une simple bonhomie qui me charma ; il sembloit remplir une fonction. N’as-tu jamais remarqué comme la bonté se trouve à son aise dans le cœur des militaires, quand elle s’y loge ; ils ont une manière ronde et franche de faire le bien, comme s’ils n’y pensoient ni avant ni après ; ils le font comme chose indifférente, sans attention ni intention ; ils consentiroient volontiers qu’on leur prenne ce qu’ils veulent donner ; ils croiroient y gagner la façon. Nous revînmes ensuite avec Maurice, et ce ne fut qu’au retour, que j’éprouvai une émotion de souvenir ; je ne puis l’appeler serrement de cœur, car il se dilatoit ; cependant le sentiment étoit pénible et doux à la fois ; tout en tenant son bras, je me laissai aller à une rêverie qui me rappela la prairie de Cholet ; je comparai ma situation à celle de ces gens que je venois de voir ; comme eux… M’entends-tu ? et je tenois mon libérateur près de moi ! Il s’apperçut aussi de mon état d’absence, lorsque mes bras tombans laissoient aller le sien. — Qu’avez-vous, me dit-il. — Et moi, ingénue, je te l’avouerai, je ne lui cachai rien de ce qui se passoit en moi. — Maurice, j’ai été comme eux ! — Il pressa ma main avec une très-sensible affection. — J’étois alors plus heureux que vous, me dit-il… — Le seriez-vous moins maintenant ? Il pressa encore ma main, et me parla de l’espérance de revoir ma famille. — Dès que j’aurai mes forces, dit-il, il faut l’entreprendre. — Puis, sans me laisser répondre ni m’expliquer, il doubla le pas ; nous rentrâmes dans la ville et chez nos bonnes hôtesses.