Lettres de la Vendée/I/20
LETTRE XX.
Si j’ai aujourd’hui un style, un ton
de demoiselle, ne me méconnois pas ;
je me suis crue dans le salon de ta
mère, un jour d’assemblée ; oui, ma chère, et je suis encore dans l’habillement
galant d’une jeune citadine ; il
faut l’expliquer, cette énigme ; Maurice,
qui est actuellement à-peu-près
guéri, est descendu chez notre hôtesse ;
nous y ayons passés ensemble la soirée
d’hier, ses filles et elle nous reçurent
avec toutes les grâces de la bonne
honnêteté, et nous fûmes invités à
un dîner pour aujourd’hui ; on devoit
se trouver plusieurs dames, j’aurois
bien désiré m’en dispenser ; mais il
me fut impossible ; j’alleguois vainement
tous les petits détails dont les
femmes se servent toujours ; mon défaut
de toilette sur-tout ; effectivement
je ne suis pas recherchée de ce
côté, car dans mes derniers arrangemens,
tu juges bien que je ne me
suis occupée que d’habits solides,
qui puissent convenir à mon nouvel état ; c’est une jupe de drap dont j’ai
fait le juste en habit de cheval, un
chapeau de castor, car je perdis le
mien dans la prison ; tu vois ton héroïne ;
je représentai que mon habillement n’étoit
pas décent ; l’aînée des
filles alors me dit : — si j’osois, je vous
proposerois une de mes robes,
je suis sûre qu’elle vous iroit bien ; —
la petite sœur se leva comme une folle,
et fut chercher dans l’armoire,
qu’elle défit toute une robe de mousseline
blanche, elles me la firent essayer
malgré moi ; la dévote s’extasioit
comme elle alloit bien, et comme
j’étois belle dans un vêtement léger ;
car, ajoutoit-elle, tout ces vêtemens de
drap ne vont pas bien aux femmes ; il
fut décidé que je mettrois la robe
blanche ; on parla toilette le reste de
la soirée ; on me demanda si j’avois été à Rennes, je répondis que oui ;
alors les jeunes personnes de me questionner
sur les modes ; je vis que
Maurice s’ennuyoit ; et pour changer
de conversation, je proposai à l’aînée
de chanter et de se faire accompagner
de sa sœur ; la partie fut acceptée,
et nous remontâmes dans notre chambre
pour trouver le long clavecin ; la
petite s’essaya un peu ; je ne pus me
défendre d’y poser les doigts ; et dans
un mouvement assez prompt, je lui dis,
— ce n’est pas cela ; votre place un
moment ; — je vis qu’elles étoient étonnées,
et je me repentis presque de
m’être avancée ; je pris la musique
qu’elle tenoit ; et quoiqu’avec difficulté,
ne connoissant pas aussi bien
la touche d’un clavecin, je m’en tirai
et méritai leur attention ; Maurice
étoit tout yeux et toute oreille ; la maman me dit : — vous savez sûrement chanter ?
ô ! que je me suis bien doutée que vous aviez
tous les talens, c’est ce que je répète toujours à
mes filles, il n’y a que cela pour être
aimable ; la jeunesse passe, et les talens
restent ; quand j’étois jeune, je ne
pensois pas assez tout cela ; j’étois
folle ; hé puis ! on m’a mariée que je
n’avois pas encore de raison ; votre
époux sait-il la musique aussi ? il doit
vous accompagner sûrement ? ah ! le
joli ménage, vous ne devez jamais
vous ennuyer ; — Maurice, à qui elle
s’adressoit, s’avança, et répondit avec
un soupir, ce vers de Voltaire :
Je ne suis qu’un soldat, et je n’ai que du zèle.
Ses yeux s’arrêtèrent sur moi, avec
une expression douloureuse ; je t’avoue,
ma chère, que je suis souvent embarrassée
et peinée avec cette bonne dame, qui nous parle toujours de
notre prétendu bonheur. Je m’apperçois que
ce jeune homme est plus
triste encore ; il sembleroit que ces
images d’une douce union, le rendent
malheureux ? étonnée de sa réponse,
je lui dis en riant : — vous citez juste ; —
de souvenir, dit-il, mon oncle le
curé aimoit les livres, et nous lisions
ensemble. — Je me retirai du clavecin
et j’invitai la jeune personne
à recommencer ; elle prit une ariette
pour accompagner sa sœur, dont je
t’ai dit que la voix est agréable
et très-étendue ; elles me prièrent,
à mon tour, de chanter ; je ne sais
si la musique douce que je venois
d’entendre, après en avoir été privée
si long-temps, ou plutôt les souvenirs heureux et charmans
qu’elle faisoit naître dans mon ame, m’avoient attendris : mais je me sentois une
émotion extraordinaire ; c’est ainsi,
ma chère,
que tout ce qui me ramène vers toi,
m’affecte à-la-fois de
plaisir et de peine. Alors, cette jolie
romance de Clémence Isaure, que tu
m’avois apprise, et que nous appellions
notre Noël, me revint : les douces
inflexions de ta voix, qu’elle me rappelle,
plus qu’aucune autre, me remettent tout de suite au temps heureux
où je te l’entendois chanter ; je respire
l’air qui t’environne,
et je crois qu’il me seroit pénible de l’entendre d’un autre,
elle me sembleroit profanée ;
je la chantai pourtant ; mon cœur étoit
tout avec toi ; ce nom de Clémence,
que je n’avois prononcé depuis si
long-temps,
donnoit, sans doute, à
ma voix,
une expression bien touchante, car je m’apperçus que tous ceux qui étoient autour de moi, partageoient
mon attendrissement ; Maurice
sur-tout me parut avoir les yeux
mouillés ; il étoit appuyé sur le dos
du fauteuil où étoit assise la plus
jeune, à côté du clavecin ; il se trouvoit devant moi ;
ses regards étoient
fixes ; il sembloit craindre que le
moindre mouvement ne lui fit perdre
quelque chose ; lorsque j’eus finis,
il resta long-temps dans la même attitude,
comme un homme qui entend
encore. La journée d’aujourd’hui a été
très-agréable, c’étoit la fête de la
maman ; nous l’ignorions ; mais la
petite, en chiffonnant ce matin, ne
pouvoit contenir sa joie. Maurice étoit
sorti seul pour la première fois depuis
sa blessure ; les deux jeunes filles passèrent la matinée avec moi ; elles firent à-peu-près leur toilette dans ma chambre,
me demandant des avis sur ce
qui alloit le mieux ; enfin, à midi,
Maurice rentra ; nous étions sous les
armes pour recevoir la société. Tu me
revois, chère cousine, dans l’attitude
que j’avois près de toi, que tu appelois, en riant,
celle d’une vestale ;
toutes les personnes invitées arrivèrent ;
c’étoient des dames d’un certain
âge, point de demoiselles,
un seul
jeune homme,
qui me parut avoir
la prétention de plaire à l’aînée de
la maison ; je vis avec plaisir que
Maurice étoit bien,
et nullement
embarrassé ; toutes les dames me saluèrent
avec une considération qui
m’avertit que l’on savoit mon histoire ;
leurs maris sur-tout affectèrent pour
Maurice,
beaucoup d’honnêteté ; notre hôtesse s’empressoit
autour de lui, demandant sans cesse, comment il se trouvoit, pourquoi il avoit osé
sortir, et le grondant presque de ce
qu’il ne s’étoit pas trouvé le matin au
bouquet que ses filles lui avoient donné ;
encore une année, disoit-elle, ce jour
m’est toujours cher ; c’étoit aussi la
fête de ma mère ; et jusqu’au moment où
je fus assez heureuse pour
l’être,
depuis que je l’avois perdue,
je ne la passois pas sans la pleurer ;
bientôt, mes enfans, je vais la
joindre ; la bonté de Dieu me fera sûrement
retrouver ceux que j’aimois sur
la terre ; à votre tour, vous garderez
mon souvenir ; elle
prononça ces derniers mots en pleurant,
ses filles l’embrassèrent ; et je pensois à nous… En se dégageant de leurs bras, elle
avoit un visage où se peignoit à-la-fois le sentiment d’une mère,
fière de l’être, et la satisfaction d’être aimée de ses enfans ; — ô, dit-elle en regardant
Maurice, vous avez bien perdu ? — Oui, Madame,
je vois rarement du bonheur ;
celui que vous donnez est bien pur, et ceux qui le
partagent peuvent espérer de le conserver
long-temps. — Elle le fit asseoir
près d’elle ; et pendant le dîner,
lui parla souvent à demi-voix, lui faisant
partager les petits embarras du
service ; sur la fin,
la conversation devint générale ; le jeune homme que
j’appellerai le prétendu,
car je crois n’avoir jamais vu personne à qui ce
rôle convienne aussi bien, parloit avec
une assurance et un ton théâtral qui
m’étonnoit toujours ; ajoute à cela,
qu’il avoit un air satisfait qui le rendoit complettement
ridicule ; je crus m’appercevoir que la
jeune demoiselle pensoit comme moi ; il entreprit d’être galant ;
et comme j’étois étrangère, ses attentions se dirigèrent
vers moi ; il m’adressoit la parole
lorsqu’il disoit quelque chose de scintillant,
comme à la seule personne
capable de l’entendre ; il en dit une
si grande quantité, que je suis forcée
de t’en faire grace ; il nous parla beaucoup
des malheurs de la révolution ;
du nombre, il contoit d’avoir été
distrait de ses études ; il étoit près de
prendre ses grades, et se destinoit au
barreau ; Maurice, qui s’apperçut qu’il
ennuyoit tout le monde, lui dit : — Citoyen,
les grandes révolutions ne
peuvent guères se faire sans qu’il en
coûte à l’état ; — le jeune homme seul
ne sentit pas la plaisanterie ; mais la
dévote, craignant qu’il ne s’en
apperçût, lui offrit quelque chose ; et,
s’adressant à sa mère, lui demanda : — si elle avoit eu beaucoup de peine
à soustraire son fils à la réquisition ;
— c’est vraiment, disoit-elle, ce qui
m’auroit
le plus coûté, si j’en avois eu
un. — Oh ! pour moi, je n’y aurois
jamais consenti, reprit la dame ; bien
heureusement, mon fils n’avoit pas
l’âge, il s’en manquoit de quinze jours ;
mais certainement, il ne seroit pas
parti ; je n’aurois jamais sacrifié les
espérances qu’il donnoit à sa famille ;
un jeune homme pour qui,
moi et mon mari, avions pris des soins extrêmes,
donné une belle éducation,
et qui avoit alors beaucoup acquis,
nous n’eussions jamais pu nous y résoudre ;
— un monsieur qui étoit à côté de moi, reprit :
— mais, madame, cela n’étoit pas facile, et je doute
que vous eussiez réussi ; d’ailleurs, je ne
crois pas que ce soit un malheur pour les jeunes gens de sortir de leur pays,
cela achève de les former ; l’état de
soldat n’est pas bon pour toute la
vie, mais pendant quelque temps il
apprend à vivre ; et j’ai toujours remarqué que les hommes,
en quittant une vie molle et efféminée, telle qu’ils
l’ont dans leur famille, ne pouvoient qu’y gagner ;
ce n’est pas dans nos cités que ce sont formés les génies et les talens. Le jeune homme ne dit plus rien : je ne pus m’empêcher
de sourire en voyant l’impression que ce discours avoit fait sur sa
mère ; elle regarda Maurice d’un air
dédaigneux, comme si ce fut lui qui
lui eût attiré ces réflexions ; mais un
homme âgé fit cesser la scène ; — ho !
ça, dit-il, ne consacrons donc pas
un beau jour comme celui-ci, à parler
révolution, elle nous fait assez de mal, sans nous en occuper encore ;
c’est un des grands motifs qui me
fait regretter le temps passé ; on rioit,
on s’amusoit plus qu’aujourd’hui ; on
diroit que notre gaîté est autant en
révolution que notre bon sens ; voilà
des jeunes demoiselles qui s’ennuient ;
et j’étois entièrement de son avis ; —
he bien, dit le jeune homme, en
faisant un effort sur lui-même, il faut
nous amuser, ma chère mère, vous
étiez si gaie autrefois, vous devriez
nous chanter quelque chose ; — la
bonne dame étoit de trop mauvaise
humeur, et dit qu’elle n’avoit plus de
goût pour le chant ; le prétendu s’occupoit de musique ;
il commanda
presque à la jeune demoiselle, de
chanter un duo, celui de Blaise et Babet,
dont il feroit l’autre partie ;
— je suis enrhumée, lui dit-elle, assez sèchement ; — en ce cas,
je chanterai donc seul ; — et de suite, sans
se faire prier, il commença ou plutôt
il recommença cinq ou six fois, en
disant toujours, —
ce n’est pas cela,
j’ai pris trop haut ; — heureusement,
il le prit assez bas mais, pas encore
autant qu’il l’auroit fallu pour nos
oreilles ; nos yeux étoient pour le moins aussi fatigués, car il faisoit
des gestes comme un acteur ; ajoute
à cela, qu’il chantoit en même temps
un petit bout d’accompagnement,
lorsqu’il pouvoit le placer ; c’est alors,
ma chère, que je me retins de toutes
mes forces,
pour ne pas rire ; aussitôt qu’il eût fini, il se leva et fut se
placer près de la cheminée, pour
se rajuster, tournant le dos à tout
le monde comme pour se dérober à
l’effet qu’il avoit produit ; mais nous n’y étions pas encore ; il tira de sa
poche un petit morceau de papier,
qu’il lut à part lui ; puis, s’adressant
d’un air gracieux, à notre chère
hôtesse, il lui chanta des couplets
de sa composition, dont le refrein
étoit, un peu de tout, et rien de trop ;
en çhantant ces derniers mots, il
penchoit le corps en avant avec une
satisfaction qui le sortoit de lui-même ;
ses mains sur-tout sembloient vouloir
atteindre ses auditeurs, pour mieux
leur faire entendre toute la finesse de
ce refrein : je vis que la jeune personne
souffroit. Sa mère, pour détourner l’embarras
et l’ennui que lui causoit les vers et les couplets, fit
apporter des vins étrangers : on s’égaya
un peu ; ils eurent plus de succès que
la musique du prétendu ; on
fit la guerre à Maurice, qui ne vouloit pas en boire : l’hôtesse l’exigea avec tant
de graces, qu’il fut forcé de se rendre,
et je m’apperçus qu’il devint très-animé ;
c’étoit peut-être l’effet de la
diète à laquelle on l’a obligé depuis
qu’il est malade. Notre dévote, elle-même,
s’anima, et m’appellant près
d’elle, me fit mettre à côté de Maurice.
— Allons, monsieur le Gendarme, dit-elle,
il faut être galant, c’est aujourd’hui
votre convalescence ;
il faut remercier cette charmante
femme de tous les soins qu’elle a
pris de son mari ; comme elle est
jolie dans ce moment. Sentez-vous
bien tout votre bonheur : une jeune
femme vertueuse, belle, et un ange ;
heureux jeune homme ; remerciez le
ciel du présent qu’il vous a fait ; rien
n’est plus rare aujourd’hui que la vertu
réunie aux graces. Que j’aime à voir une union aussi tendre ! c’est l’image
de l’âge d’or. Oh ! je veux absolument
que notre connoissance soit plus intime ;
j’entends ne vous pas perdre
de vue, et vous serez forcé, en sortant
d’ici, de me promettre de vos nouvelles
par-tout où vous irez. — Et prenant la main
de Maurice et la mienne, elle les joignit ensemble,
en ajoutant : — je suis votre amie. —
Son visage exprimoit une bonté touchante ;
en vérité, ma chère, cette
femme a une ame extrêmement bonne
et sensible, sa dévotion est angélique
et lui sied à merveille ; soit que tout
ce qu’elle venoit dire, l’accent
qu’elle y avoit mis, la vraisemblance
qui se trouvoit alors dans le tableau,
eut fait illusion à Maurice, mais il
étoit très-ému. Ses yeux nous parcouroit
d’un air enchanté ; et regardant la dévote, ils sembloient la remercier de
tout le bonheur qu’elle lui supposoit.
Moi-même, ma Clémence, car il
faut te l’avouer, j’étois sensible et
attendrie de l’intérêt que je faisois
naître. La plus jeune de ses filles
vint derrière nous, et s’appuyant sur
la chaise de sa mère : — comme vous
êtes occupée, dit-elle, vous ne pensez
plus à nous. Et vous, monsieur Maurice,
ma sœur s’ennuie. — Je jettai
les yeux sur elle, et je vis qu’elle étoit
pensive ; elle se leva en rougissant, et
vint embrasser sa mère avec un mouvement
extraordinaire. Je lui pris la
main, et je la sentis tremblante.
— Qu’as-tu, mon enfant ? au bonheur ! —
Maman, il est toujours près de vous.
— Ses yeux étoient mouillés ; elle
jeta un regard sur le prétendu, et je
crois qu’il n’étoit pas à son avantage. On se leva de table pour prendre le
caffé ; peu d’instans après, la dame
sortit, et avec elle un gros homme qui
n’avoit rien dit ; elle ne nous laissa que
son fils. On se rassembla davantage ;
la conversation fut plus intéressante ;
et s’engageant insensiblement, revint à la révolution. Maurice s’exprima
avec un feu, une énergie que je
ne lui avois pas encore vu. Ma chère
Clémence, je ne pouvois m’empêcher
d’être de son avis, quoique je suis
bien payée pour être du contraire.
Hélas ! le maudit orgueil humain a
fait bien du mal ; nous étions toutes
quatre réunies, elle, ses filles et moi.
Les hommes causoient debout devant
la cheminée ; mais se rapprochant de
nous, la dévote fit encore une place à
Maurice. Chacun alors fit son petit
groupe. Je causois avec les jeunes personnes, et je vis que l’hôtesse
s’emparoit absolument de Maurice,
et lui parloit avec action. En me regardant
ensuite, elle m’appella, et me fit
asseoir. Se trouvant placée entre
nous, — je veux, dit-elle, que vous
me contiez toute votre histoire ;
je veux apprendre de vous tout ce qui
vous intéresse. Il n’y a pas long-temps
que vous êtes marié, vous êtes si
jeunes. Vous devez vous aimer beaucoup,
et c’est bien naturel ; un bon ménage
c’est la plus grande grace que Dieu
puisse vous faire en ce monde ;
oh ! on voit bien que vous n’étiez pas
nés pour le métier que vous faites.
Je voudrois que ma fille vous ressemblât
et que mon gendre fût comme vous. —
Tu juges si j’étois à mon aise ;
Maurice tâchoit de la remercier de
la tête et des yeux. Il étoit vraiment au supplice ; les miens restoient baissés.
— Il ne faut pas rougir, mon
enfant ; aimer son mari, c’est un devoir,
et vous devez le trouver doux,
l’un et l’autre. Hélas ! je connus ce
bonheur autrefois ; mes enfans aujourd’hui,
me consolent de la perte de
leur père. Aimable couple, lorsque
vous en aurez, vous serez encore plus
heureux : c’est la récompense que
Dieu envoie sur la terre à ceux qui
remplissent les devoirs qu’il leur a
donné. — Elle alla nous chercher le
portrait de son mari ; Maurice resta
absorbé dans une profonde rêverie, et
n’a presque plus parlé de la soirée ; et
moi, pour me tirer de peine, je suis
montée dans ma chambre, d’où je
t’écris, avant la poste qui part ce soir.
Honnêtement, je dois redescendre,
et ne pas les laisser. Je te devois le récit d’une bonne journée ; je n’en aurois pas joui sans la partager avec toi. Hélas ! n’aurai-je peut-être plus que les tristes détails accoutumés à t’écrire ; reçois cet instant de paix, et que ton cœur me renvoie l’assurance que tu l’as ressenti avec moi ; ton cœur m’est toujours nécessaire.