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Lettres de la Vendée/II/42

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Treuttel et Würtz (IIp. 147-155).

LETTRE XLII.


Maurice est parti ; il est parti ce matin ; je l’ai appris à mon réveil : hier j’ai lu dans ses yeux un sentiment pénible, et je l’ai interrogé inutilement ; en se retirant, le soir, comme il montoit l’escalier avec nous, il prit furtivement ma main et le pressa sur ses lèvres ; ce mouvement m’étonna ; je le regardai, et lui répondis par un serrement de main ; il resta en arrière, redescendit, et je ne l’ai plus revu ; peut-être ne le reverrai-je jamais. C’est la nourrice qui me l’a appris ce matin : elle étoit chargée, par lui, de me dire seulement, qu’il étoit obligé de s’éloigner, et que je le plaindrois et l’approuverois, s’il lui étoit permis de me dire ses motifs. La nourrice l’a questionné inutilement, sur le terme et la durée de son absence ; elle n’a pu en savoir davantage. Ce départ secret a l’air d’une fuite. Pourquoi m’en inquiéterai-je ? apparemment qu’il a ses raisons ; rebuté, peut-être, des incertitudes et des délais, il m’accuse, sans doute ; qu’importe s’il a tort ; ai-je rien à me reprocher ? oh ! non, mon cœur étoit à lui, ah ! tout à lui : puisse-t-il être heureux ; puisse mon souvenir l’accompagner ; je garderai le sien ; il me restera ; des jours si heureux passés ensemble ! mais, tout cela est fini ; conserve mes lettres ; je serai peut-être bien aise un jour de les revoir. Je regrette la prairie de Cholet, l’hôpital de Mauléon, la forêt, le voyage, la maison de la nourrice, le camp ; si jamais je revois ces lieux, je rechercherai les places ; je veux m’y reposer, m’y asseoir. J’avois du plaisir à m’entretenir avec toi, et voilà que l’on m’importune ; ma mère me fait dire de descendre : qu’ont-ils besoin de moi ? il faut que je me lève. Je t’écris dans mon lit… la nourrice s’est en allée… je remonterai dès que je serai libre, et je t’écrirai… Je vais cacher ma lettre ; on me l’ôteroit peut-être, et je veux l’achever… la tête me fait mal… Me voilà libre, enfin… comme ils me regardoient tous… si je suis incommodée ? ce que j’ai… je n’ai rien… les yeux rouges, l’air abattu ; … et pourquoi ?… j’ai fort bien dormi… Je ne déjeune pas ; … hé bien, je souffre,… je souffre de la tête, voilà tout… Maurice est à la chasse avec mon père ; … hé bien, ils reviendront… Je suis bien aise d’être seule… ah ! voilà ma mère qui monte, je l’entends,… je cache mon papier ; mais dès que je serai libre, je reviens à toi, ma Clémence, mon amie ; c’est toi qui as un cœur d’ange ; tu sais aimer, toi ; tu ne quittes pas ceux qui t’aiment… La voilà…

La nourrice reste seule avec moi ; je reprends ma lettre ; ils ne l’ont pas vue… On m’a fait coucher ; … à la bonne heure ; je puis t’écrire au lit, et la nourrice, la bonne nourrice, m’a bien promis de t’envoyer ma lettre ; elle me donnera aussi ta réponse ; car tu m’écriras ; je n’ai plus que toi, et Maurice ; comme il étoit doux ; comme il me soignoit dans la route. Je t’ai tout dit ; tout ce que mon cœur a éprouvé ; le tien est le dépositaire de tous mes secrets… Cela me fait du bien, de t’écrire, ma bonne Clémence… Il avoit l’air triste, la dernière fois que je l’ai vu ; ses yeux brilloient à travers un voile humide ; je crois qu’il avoit pleuré ; tu le verras ; tu reviendras avec lui ; prends garde ; tu sais bien qu’il y a danger pour lui, s’il étoit reconnu : c’est moi qui en suis cause ; sans moi, il n’eût jamais été exposé ; que d’embarras je lui occasionne ; mais il n’y a point de regret ; son cœur est si bon, si pur, si honnête… — Oh ! ma mère, quand vous le connoîtrez, vous l’aimerez aussi ; j’aurois été si heureuse ! qu’il le soit, du moins… On m’inquiète, on me tourmente ; je ne puis être seule un instant… Pourquoi tant de monde autour de mon lit ?… Toujours cacher mon papier, et le reprendre ; c’est le seul repos que j’aie, de t’écrire, ma Clémence ; de causer avec toi : mon cœur se dilate, ma tête se repose ; je suis mieux, quand je t’ai parlé. Crois-tu que nous nous revoyons bientôt ? combien de temps s’est passé depuis que je ne t’ai vue ; et combien de choses ? j’en ai pour long-temps à te dire : tu m’écouteras, tu m’entendras, tu me sentiras ; je n’ai plus que toi… ils ne m’entendent plus… Ma mère est toujours là ; elle y étoit encore tout-à-l’heure ; mais elle ne m’entend pas ; je n’ose lui parler ; j’aurois eu tant de plaisir cependant à lui ouvrir mon cœur ; mais je n’ose. Qui sait ? elle s’en prendroit peut-être à Maurice ; cependant, tu le sais, ce n’est pas sa faute : il ne me connoissoit pas quand il m’a pris ; il m’a sauvée, sans savoir qui : il me croyoit une pauvre fille, délaissée, condamnée ; je suis sûre qu’il s’afflige. Où est-il allé ? il m’aimoit tant ! oh ! il m’aimoit ! il ne m’auroit pas quitté, malade, souffrante, malheureuse ; il seroit là ; il me consoleroit, il me soigneroit, comme je le soignois à l’hôpital. Je vois tant de monde autour de moi, et je ne le vois pas ; il est peut-être avec mon père ; car je ne le vois pas non plus, et cependant il aime sa fille… La tête me brûle ; je me sens fatiguée, affaissée, comme engourdie ; je crains que tu ne trouves pas mes idées nettes ; j’ai tant souffert ; tout-à-l’heure encore, ma mère pleuroit auprès de moi. Pourquoi pleure-t-elle ? je ne lui ai pas causé de peine ; je ne lui ai pas parlé de Maurice ; elle ignore tout ; s’il faut lui en faire le sacrifice, hé bien ! j’en mourrai ; mais je ne l’affligerai pas ; elle doit me plaindre, elle ne doit pas me haïr. La nourrice pleure aussi ; qu’est-ce donc qu’il y a ? tout est malheureux autour de moi ; qu’ai-je fait ? je suis la seule à plaindre ; je souffre, mais je ne me plains pas, je n’accuse personne. Oh ! si tu étois ici, tout s’arrangeroit ; tu leur dirois tout ; cela te seroit bien plus aisé qu’à moi : je n’ai rien à cacher ; mon cœur est à lui ; mais mon cœur est pur. Je t’avouerois de tout ce que tu dirois : on te croiroit, et je ne te démentirois pas. Oh ! pourquoi n’es-tu pas venue… Un nuage couvre tout ce qui m’environne : mes yeux voient à peine ce que je t’écris ; mes doigts quittent ma plume ; je fais des efforts pour achever ; je ne puis. Je crois que je vais dormir : à mon réveil, je t’écrirai,… si je m’éveille : je me sens appesantie : je t’aime… j’aime…