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Lettres de la Vendée/II/41

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Treuttel et Würtz (IIp. 142-147).

LETTRE XLI.

Plouën, 17 frimaire, an 4 républicain.


Tiens, cousine, il se trouve ici quelque chose contre moi, et je ne sais quel instinct me dit que tu es complice ; qu’est-ce, je te prie, qu’un gros paquet que ma mère a reçu de toi ? j’ai très-bien reconnu ta main sur l’enveloppe, malgré tes lettres majuscules. Maman a mis le paquet dans sa poche ; et quand je lui ai demandé si ce n’étoit pas de tes nouvelles, elle m’a répondu de lui approcher son métier de tapisserie ; je ne veux point m’inquiéter : puisque c’est de toi, c’est bien ; ma curiosité cependant est piquée, et maintenant j’aime mieux dérober ton secret, que de te le devoir. Je ne sais si c’est l’effet de ta lettre : ma mère, depuis, semble rechercher davantage Maurice : ce matin, elle prit son bras, l’a mené au potager, et s’y est promenée long-temps avec lui. Tu penses bien que je n’ai pas manqué, au retour, d’interroger le promeneur : tout s’est passé, m’a-t-il dit, en choses générales ; beaucoup de questions sur lui, sur sa famille, sur l’emploi de sa jeunesse ; ensuite elle lui a beaucoup parlé de moi, du temps que j’avois été avec lui, de notre genre de vie ; elle sait cependant tous ces détails par moi ; enfin, cette phrase singulière, qu’il m’a rendu mot pour mot : — il est heureux pour une jeune personne, d’être tombée aux mains d’un honnête et galant homme ; mais cela même pourroit devenir dangereux pour elle. — Vouloit-elle encourager sa confiance, ou pressentir et préparer son éloignement ? je ne puis le croire ; que deviendroit-il ? où iroit-il ? Ma mère n’ignore pas qu’il ne peut encore reparoître ; elle a fini par le presser beaucoup sur les motifs qui l’avoient engagé à me demander à la municipalité de Cholet : il est extraordinaire, disoit-elle, que sans raison antérieure, sans la connoître, vous vous soyez tout-à-coup décidé à cette démarche ; Maurice a long-temps parlé humanité, bienfaisance ; enfin, pressé par elle, il lui a répondu, m’a-t-il dit, et même un peu brusquement : — je vous avoue, madame, que je la crus alors, une jeune fille abandonnée de ses parens, sans naissance et sans fortune. — En disant cela, il a pris congé d’elle, prétextant que mon père l’attendoit. Que dis-tu de cette réponse, cousine ? je ne puis m’en fâcher, d’autant qu’il m’a semblé que ma mère ne lui en fesoit pas plus mauvaise mine. Je t’ai oui dire que les mamans aiment toujours que l’on soit amoureux de leurs filles. Tu vois que mon pauvre cœur, prêt à se noyer, s’attache aux moindres branches.

Depuis ce moment, je ne sais si mon imagination fait tous les frais de mon inquiétude ; mais il me semble que l’on se cache de moi ; mon père n’a plus cette bonne et douce familiarité qui me mettoit si à l’aise avec lui. Je le vois souvent qui me regarde avec des yeux étonnés et secs, qui font baisser les miens ; plusieurs fois il m’a semblé qu’au moment où j’entrois, les trouvant ensemble, l’entretien finissoit ou changeoit. On ne m’observe, ni ne me surveille assurément, mais je parois de trop entr’eux : hier ils restèrent long-temps enfermés dans leur chambre ; tu sais que la mienne est à côté, et je te confesse que je n’ai pu sortir, de peur d’être tentée de prêter l’oreille : mon père parloit d’un ton vif et animé, et ma mère, froidement, et par longs discours ; je n’ai rien pu distinguer. Mon père, en sortant, est entré chez moi ; il avoit l’air préparé, mais il a fait cinq ou six tours dans la chambre, et est sorti sans me rien dire. Oh ! que n’es-tu ici ? quoi ! nul moyen, nulle espérance de te voir ?