Lettres de la Vendée/II/45

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Treuttel et Würtz (IIp. 161-166).

LETTRE XLV.

27 frimaire, an 4 républicain.


Le bonheur est un baume, ma douce amie ; les maux de l’ame se guérissent, dès qu’ils cessent, ils ne laissent point de convalescence ; et dès que le cœur ne souffre plus, toutes ses plaies sont fermées. Je me trouvai si bien hier, après la sainte cérémonie du matin, que le médecin voulut que je restasse habillée, et voulut même me faire descendre pour le dîner, et que je me rendisse aux usages habituels de la vie. Tous les cœurs étoient heureux de mon bonheur. Maurice étoit le fils de la maison ; mon père sembloit fier de son ouvrage ; maman était presque aux excuses avec son gendre ; mon frère le traitoit en frère ; tous nos gens comme leur jeune maître : il étoit à table à côté de moi, le docteur de l’autre ; et tout le régime qui m’étoit prescrit, me sembloit doux à suivre. La joie de Maurice étoit toute dans ses yeux ; ses manières n’étoient changées que pour moi : une aisance aimable avoit remplacé la contrainte, et sa reconnoissance, toujours respectueuse et tendre, remercioit nos parens, dans tous ses mouvemens et dans toutes ses paroles. Tu as su, par maman, la cause de nos peines ; aurois-tu cru qu’elles pussent me venir de toi ; vois, où la trahison conduit ? et au lieu de te la par donner, il faut que je te rende grace de ta bienfaisante perfidie, qui a fait nos maux, et qui les a finis. Ton excellent esprit avoit deviné juste ; jamais je n’eûsse pu prendre sur moi de faire un aveu, et sur-tout de l’accompagner des détails et des circonstances qui l’excusoient ; ta savante amitié a tout prévu, et le ciel a béni ta pieuse fraude. La collection de mes lettres a appris à maman ce que je n’aurais pu jamais lui dire ; elle a pu juger les circonstances et nous ; sa tendre prudence se prescrivoit alors une épreuve, celle d’exiger de Maurice son éloignement ; s’il m’eut désobéi ou trompé, m’a-t-elle dit, ce n’étoit plus qu’un homme ordinaire, et notre reconnoissance pouvoit s’aquitter sans toi ; ou du moins, vous laissant libre de tout engagement, nous remettions aux loix le droit de vous laisser disposer de vous-même ; mais si elle eut lieu d’être satisfaite de la généreuse résignation de Maurice, elle étoit loin, m’a-t-elle dit, d’en prévoir l’effet. C’est alors que mon père n’écoutant que sa bonté et sa tendresse, partit : en éloignant Maurice, on avoit pourvu à sa sûreté, et il avoit dû être reçu dans une ferme à nous ; mon père ne l’y trouva point ; il fallut alors des recherches pour découvrir sa route : il avoit pris le chemin de la mer ; mon père l’atteignit et le ramena ; ils étoient revenus peu d’heures avant mon réveil, ou plutôt ma résurrection ; il fallut l’emporter de ma chambre, lorsqu’il me vit sans connoissance et sans mouvement.

Ses premiers élans furent de la frénésie ; son emportement alla jusques à dire à ma mère : — madame, voilà votre ouvrage ; — et ma bonne mère lui a pardonné ; nous avons passé ainsi hier le reste de la journée, dans les doux épanchemens de l’amour et de l’amitié. Le soir, je ne me sentois point foible ; je voulus rester, on me ramena dans ma chambre après souper, et il fut décidé que la nourrice, le médecin et mon mari, y passeroient la nuit, comme hier. Je fus un peu surprise d’un mouvement de Maurice ; au moment où ma mère se retiroit, il mit un genou en terre, devant elle, et lui demanda, sa bénédiction ; vers le milieu de la nuit, je me suis réveillée ; Maurice étoit resté seul. Mon amie, ce matin, il étoit déjà assez tard lorsque mon père est entré dans notre chambre, et il a béni ses enfans…… Mais toute cette félicité t’appelle, te demande, te réclame : tu y ajoutes encore, en pensant que je te le dois, ma Clémence ; viens le partager, l’embellir ; la santé de ta mère est meilleure, et mon bonheur ne peut plus se passer de toi.