Lettres du séminaire/33
XXXIII
- Ma bonne et tendre mère,
Je suis à Paris depuis hier soir, et à Saint-Sulpice depuis ce matin. Mon voyage s’est effectué très heureusement, et tous mes objets sont fort bien conservés. Étant arrivé hier fort tard, j’ai pris le parti fort peu économique, mais le seul possible, de passer la nuit à l’hôtel. J’y ai dormi comme vous pouvez le croire, et, ce matin, je me suis trouvé complètement remis de mes fatigues. J’ai été reçu avec beaucoup d’affection par tous mes amis et mes supérieurs.
Mais vous dirai-je, ma bonne mère, tout le vide que mon cœur éprouve depuis qu’il est sevré des douceurs qu’il goûtait auprès de vous ? Vous seule, chère maman, savez jeter quelque charme sur le sérieux de ma vie ; en vous perdant, j’ai perdu tout ce qui me la rendait douce et aimable. Jamais je n’ai éprouvé un serrement de cœur comparable à celui que j’ai éprouvé quand je me suis vu seul, isolé, jeté de nouveau dans une autre vie, dont je ne me plains pas sans doute, car jamais je ne me plaindrai de mon devoir, mais bien sèche et bien froide si je la compare à la vie parfaitement heureuse dont vous m’avez fait jouir. 0 bonne mère, croyez bien que si je semblais avoir hâte de revenir ici, c’est que le devoir m’y appelait ; mais je sentais bien alors, et je sens maintenant plus vivement que jamais que rien ne saurait compenser pour moi la présence de ma mère, de la meilleure et de la plus chérie des mères. Oh ! que j’achèterais cher maintenant quelques minutes de cette présence aimable, qui faisait mon bonheur ! Quand il me sera donné de nouveau d’en jouir, que je me garderai d’en laisser échapper la moindre partie ! Je me reproche presque les courts instants que j’ai passés sans vous, quoique Dieu sache que ç’a toujours été malgré moi, et que mes plus doux moments ont été ceux que j’ai passés avec vous. C’est maintenant, bonne mère, que j’aime à reposer ma pensée sur notre projet favori. Savez-vous bien que cette pensée m’est nécessaire pour me soutenir ? Sans elle, je crois, le courage me manquerait. Ce sera l’an prochain, n’est-ce pas, bonne mère ? A peine étais-je parti que je regrettais de ne pas l’avoir mis à exécution cette année. C’est mon pauvre cœur, chère maman, qui fait ses folies. Pardonnez-le-lui, vous l’avez si bien gâté.
Adieu, chère maman, l’heure avancée m’empêche de m’entretenir plus longtemps avec vous. Au nom du ciel, soignez-vous bien, et songez que ma vie dépend de la vôtre. Adieu encore une fois, bonne mère, que ne puis-je vous exprimer combien je vous aime !