Lettres familières écrites d’Italie T.1/Mémoire sur le Vésuve

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LETTRE XXXIV
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À M. DE BUFFON


Mémoire sur le Vésuve.


Rome. 30 novembre 1739.


Je viens, mon cher Buffon, de m’entretenir avec M. de Neuilly et notre ami le président Bouhier, du Vésuve ainsi que de la découverte nouvellement faite de l’ancienne ville d’Herculée, ensevelie sous les ruines du mont Vésuve. Rien au monde n’est plus singulier que d’avoir retrouvé une ville entière dans le sein de la terre. Je parle au président des antiquités que l’on en tire tous les jours ; maintenant, sans répéter ici ce que je dis à l’un et à l’autre, soit sur mon excursion au Vésuve, soit sur ma visite à Ercolano, je veux chercher avec vous par quelles causes les villes du rivages de la Campanie ont été enterrées de la sorte, et vous communiquer une idée singulière à ce sujet.

Après être sorti du souterrain, mon plus grand étonnement fut d’avoir vu qu’Ercolano et le bourg qu’on avoit postérieurement bâti par-dessus, avoient été purement couverts et enterrés ; que l’amphithéâtre et les murailles gardoient, dans la plupart des endroits, une situation à peu près perpendiculaire, ou du moins qu’elles n’étoient inclinées que du côté de la mer ; de telle sorte que la ville ne paraissoit ni avoir été beaucoup secouée par un tremblement de terre, ni abîmée ou engloutie comme on l’auroit-cru d’abord, mais seulement poussée par le poids des terres que le Vésuve avoit fait ébouler, et ensevelie sous la quantité de matières qu’il avoit vomies de son gouffre : ce qui donneroit lieu de supposer que la cavité de ce gouffre étoit d’une énorme étendue. Ce fut dans cette idée que je montai la montagne pour examiner avec soin la disposition du local, et la manière dont pouvoit s’être produit un effet si étonnant.

Dans ma lettre à M. de Neuilly, je développe de mon mieux les conjectures qui me portent à penser que le Vésuve actuel est une montagne de nouvelle formation, tandis que le Monte di Somma, a été le cratère du volcan, dans les temps anciens. Voici les preuves que je puis vous donner à l’appui de mon opinion ; elles sont tirées de l’examen des lieux, et de ce que je me rappelle d’avoir lu, touchant le Vésuve, dans différents auteurs.

On n’ignore pas qu’il y a des volcans qui se forment où l’on n’en avoit jamais vu ; d’autres qui s’éteignent tout-à-fait ; d’autres dont les éruptions s’interrompent pendant si longtemps qu’il n’en subsiste plus aucune tradition, mais seulement quelques traces des embrasements passés, traces physiques et plus durables que ce qui dépend de la mémoire des hommes. Le Vésuve, dont les éruptions sont aujourd’hui si fréquentes, étoit dans ce dernier cas jusqu’au temps de la ruine d’Herculanum. Voici comment Strabon le décrit : « C’est, dit-il, une montagne revêtue de terres fertiles, et dont il semble qu’on ait coupé horizontalement le sommet. Ce sommet forme une plaine presque plate, entièrement stérile, couleur de cendre, et où l’on rencontre de temps en temps des cavernes pleines de fentes, dont la pierre est noircie, comme si elle avoit souffert de l’action du feu ; de sorte que l’on peut conjecturer qu’autrefois il y a eu là un volcan qui s’est éteint après avoir consumé toute la matière inflammable qui lui servoit d’aliment. Peut-être est-ce à cette cause qu’il faut attribuer l’admirable fertilité du talus de la montagne ? On prétend que le terriloire de Catane ne produit ses excellents vins, que depuis qu’il a été recouvert par les cendres vomies par l’Etna. Il est constant que certains terrains gras, inflammables et sulfureux, deviennent très-propres à produire de bons fruits, après que le feu les a travaillés, consumés et réduits en cendres. » Tel est le rapport de Strabon, où il est essentiel de remarquer qu’il ne dit point que la montagne ait deux sommets, circonstance qu’il n’auroit assurément pas omise. Dion Cassius garde le même silence à cet égard. Il me parut donc presque certain qu’autrefois le cintre du Monte Somma étoit entier et recouvert d’une voûte formant une plaine d’un grand diamètre, minée par-dessous ; que c’étoit là toute la montagne ou l’ancien Vésuve de Strabon ; que l’inflammation qui s’y mit peu après, au temps de Pline, l’an 79 de l’ère vulgaire, produisit la terrible éruption qui fit sauter toute la voûte de cette grosse montagne ; qu’elle lança une effroyable quantité de pierres et de matières de toutes espèces, et qu’elle fit couler, comme il arrive encore de notre temps, des laves ardentes ou torrents mélangés de terre, de cendre, de soufre et de métaux fondus, dont le poids, joint aux secousses réitérées des mines, fit ébouler du talus de la montagne une quantité de terres assez grande pour ensevelir la ville d’Herculanum et les contrées voisines, sous la chute de tous ces mélanges.

Vous voyez, par le récit de Strabon, qu’il n’est pas possible de mettre en question, comme quelques savants l’ont fait à ce qu’on m’a dit, si l’éruption qui a couvert Herculanum de ses ruines, est la première éruption du Vésuve, et qu’il est au contraire certain que bien avant cette date la montagne étoit un volcan qui avoit dans le cours des siècles antérieurs, vomi des flammes et laissé couler des torrents de cette matière fondue qu’on appelle lava. Quelques personnes qui ont observé ici les anciens édifices de la ville souterraine plus à loisir et mieux que je n’ai pu le faire, m’ont assuré qu’on y voyoit des fondations de bâtiments faites en laves ; car la lave devient extrêmement dure, et étant commune dans tout le canton on l’emploie fort bien, soit pour bâtir, surtout dans les fondements, soit pour paver. On la voit mise en œuvre dans les anciens grands chemins des Romains et même à ce qu’on dit, à de grandes distances du Vésuve ; et tout le long des montagnes depuis Naples jusqu’en Toscane, on trouve des pierres fondues ou calcinées en forme de laves ou de scories, de sorte qu’il sembleroit qu’en des temps dont on a perdu toute mémoire, cette chaîne de l’Apennin qui partage l’Italie dans toute sa longueur, a été une suite de volcans. Nul doute que celui du Vésuve ne soit d’une très-haute antiquité. Vous en verrez la preuve dans le fait observé par Pichetti que je vous rapporterai tout à l’heure.

Quand il arrive une éruption, on commence à entendre dans la montagne un frémissement intérieur et du bruit semblable à celui du tonnerre. La fumée, aussi noire que de la poix, interrompue d’éclairs et de lances à feu, enveloppe tout le sommet de tourbillons. Peu après elle devient grisâtre ; le gouffre lance de son fond des quartiers de rochers d’un calibre prodigieux, qui faisoient obstacle à l’éruption. Ils roulent en retombant le long du talus, et entraînent les terres avec un terrible fracas. La cime prend feu de tous côtés ; on en voit partir le fer, le soufre, la pierre ponce, le sable, les cendres, la terre, comme une grenade d’artifice qui éclate de toutes parts. Tous les lieux où ces mélanges viennent à tomber en demeurent couverts. En 1631, il en tomba sur des vaisseaux à la rade vers la côte de Macédoine. En 472, les cendres, au rapport du comte Marcellin, volèrent jusqu’à Constantinople ; elles allèrent bien plus loin lors de l’éruption qui couvrit Herculanum. Ce fut la plus terrible de toutes. On peut juger combien cette pluie de terre fut abondante, par ce que marque Pline le jeune à Tacite, dans la lettre où il lui fait le récit de la mort funeste de son oncle. Il raconte que « ce dernier étant entré pour se reposer avec quelques gens de sa suite, dans une maison près du rivage, où il s’endormit accablé de lassitude, il fut, au bout de peu de temps, contraint d’en sortir, sur l’avis qu’on vint lui donner, qu’il alloit être bloqué dans la maison, dont la porte étoit presque à demi bouchée par les terres et les minerais que faisoit pleuvoir le Vésuve ; de sorte qu’avant que la sortie leur fût tout-à fait interdite ils se hâtèrent de s’échapper, portant des coussins sur leur tête, pour parer, le mieux qu’il seroit possible, le coup de la chute des pierres. »

Le gouffre, après avoir jeté au-dehors toutes ces matières, commence à bouillir par le fond, et s’élève comme du lait sur le feu, jusqu’à ce que la force du feu, cassant la chaudière en quelque endroit, laisse écouler la matière fondue, ou torrent d’un fer rouge, qu’on appelle lave. Elle descend lentement le long du talus, enflamme la campagne sur son passage, creuse et fait écrouler les terres qui lui font obstacle. On sent quel doit être le poids énorme de ces torrents enflammés, puisque lors de l’éruption de 1737, qui n’a pas été une des plus vives, l’un de ces torrents occupoit un espace de trois cents pas en largeur. On prétend avoir vérifié que, pendant l’éruption de 1694, la lave s’étoit amoncelée dans un fond jusqu’à la hauteur de soixante toises.

Le gouffre que la première éruption creusa dans l’ancien Vésuve, n’a pu manquer d’être d’une énorme étendue. L’abréviateur de Dion, dans la vie de Titus, le compare, pour la forme, à un amphithéâtre. « Le sommet du Vésuve, dit-il, aujourd’hui fort creux, étoit autrefois tout uni. Toute la surface extérieure, à l’exception de ce qui fut ravagé sous le règne de Titus, est aussi haute et aussi bien cultivée que jamais jusqu’à la cime, qui est encore couverte d’arbres et de vignes ; car le feu qui consume l’intérieur ne mine que le dedans, et donne au sommet la forme d’un amphithéâtre, s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes. Nous le voyons souvent jeter de la flamme, de la fumée, des cendres et des pierres ; mais ces accidents ne sont rien en comparaison de ce qui se passa du temps de l’empereur Titus ; on crut alors que le monde alloit rentrer dans le chaos. Le Vésuve jeta tant de matériaux, que non seulement les bestiaux, les oiseaux et même les poissons du rivage périrent, mais que deux villes de Campanie, Herculanum et Pompéia, furent ensevelies sous les débris de la montagne ; les cendres furent portées jusqu’en Égypte et en Syrie. Il en vint de si gros nuages à Rome que le soleil en fut obscurci, au grand étonnement des habitants, qui ignoroient encore ce qui se passoit du côté d’Herculanum. »

L’amphithéâtre décrit ici par Xiphilin ne peut s’entendre que de la forme du Monte Somma, qui ressemble encore aujourd’hui au Colisée de Rome, dont une moitié de l’enveloppe est détruite. On ne pourroit comparer à un bâtiment de cette espèce un trou en pyramide renversée, tel qu’est le gouffre actuel du Vésuve ; l’embrasement, à force de miner les bords de l’ancien cratère, a ruiné par calcination tout le côté méridional de l’enveloppe, ne laissant subsister que la partie septentrionale, tandis que le gouffre a continué à lancer successivement de son fond des matières qui, retombant sur lui-même, ont formé dans son milieu le second sommet, proprement le Vésuve d’aujourd’hui, ainsi qu’un pain de sucre au fond d’un creuset ébréché, sommet qui est miné lui-même et où le feu, continuant à percer dans le centre un tuyau vertical, dépouille sans cesse l’intérieur de la nouvelle montagne, des matières enfermées dans son sein, pour en augmenter sa surface extérieure. Quand les matières fondues que contient le cratère viennent à se refroidir et à s’affaisser, elles y forment dans le fond une masse ou croûte endurcie, composée des débris de toutes sortes de matières hétérogènes, liées ensemble, qui se tiennent coagulées vers le fond de la chaudière, près duquel la force du feu qui avoit soulevé cette espèce de fonte, doit avoir laissé des intervalles vides ; ce sont autant de mines prêtes à jouer à la première éruption, et à revêtir de nouveaux matériaux les côtés de la montagne. Il ne paraîtra pas fort extraordinaire que le pic du Vésuve ait pu se former, tel que nous le voyons, en dix-sept cents ans, si l’on fait attention que son axe perpendiculaire, depuis l’endroit où commence la divergence des deux sommets jusqu’au dessus, ne paraît pas être haut de plus de deux cents cannes, tandis que l’élévation totale de la montagne, depuis le niveau de la mer, est de près de onze cents ; que, depuis le temps de Pline, les éruptions n’ont pas cessé d’être très-fréquentes ; que les matières lancées du fond du gouffre, où le feu a percé au milieu du cône, retombant sans cesse sur les côtés, ne peuvent manquer à la suite des siècles d’augmenter considérablement le diamètre horizontal du pic ; de même que la pyramide de sable qui se forme au fond d’un clepsydre grossit toujours à mesure que le sable tombe dessus : c’est la comparaison judicieuse que donne Addison. Misson et Addison, surtout ce dernier, ont parfaitement bien vu le Vésuve. On ne peut en douter en le voyant soi-même, après avoir lu leurs descriptions. Il n’est pas moins vrai, cependant, qu’il n’y a presque plus rien de pareil aujourd’hui à ce qu’ils en rapportent. Un gentilhomme napolitain dit à Addison, qu’il avoit vu, de son temps, le pic grossir de vingt-quatre pieds en diamètre. Du temps de Misson, en 1688, il y avoit près du sommet, à l’endroit où le pic commence, une espèce de petit amphithéâtre ; de telle sorte qu’une vallée peu profonde, enveloppée d’une enceinte peu élevée, entouroit les racines du pic. Le fond de cette vallée paraissoit formé par des laves refroidies : elle étoit comblée en 1720, au temps d’Addison ; l’enceinte de l’amphithéâtre avoit disparu ; les racines du pic n’étoient plus entourées que d’une plaine circulaire. Aujourd’hui, de nouveaux matériaux tombés d’en haut ont presque fait de cette plaine un talus ; le pic est devenu d’un plus grand diamètre ; les éruptions de 1730 et 1737 ont dégagé les parois intérieures du gouffre de plusieurs roches saillantes, que ces deux voyageurs y avoient vues. L’orifice du gouffre, que Misson n’avoit trouvé large que de cent pas, et Addison que de quatre cents pieds, est de trois cent cinquante toises.

Il arrivera de là que le feu, à force de vider l’intérieur et de miner l’épaisseur des bords du cratère, les rendra trop faibles pour résister à l’action du feu, qui les ébréchera d’un côté, comme il a fait au Monte Somma, ou les rainera tout autour dans toute la partie supérieure, qui est toujours la plus mince ; c’est ce qui est arrivé à la Solfatara, autrefois olla Vulcani, montagne voisine du Vésuve, et située de l’autre côté de Naples. On voit clairement que celle-ci n’est qu’un volcan usé, qui avoit autrefois le double au moins de hauteur. Cette montagne est peu élevée, son sommet est d’un large diamètre, comme si on en eût rasé horizontalement toute la moitié supérieure. Le feu, à force d’agir, a jadis consumé, dissipé ou renversé, toute la partie du dessus sur celle d’en bas ; l’inspection du sommet de cette montagne ne laisse aucun doute qu’elle n’ait été presque semblable au Vésuve et à son gouffre ; c’est un véritable amphithéâtre dont l’enveloppe a peu de hauteur. En un mot, comme on ne peut mieux comparer la figure du Vésuve qu’à un verre à boire, on ne peut donner une meilleure idée du sommet de la Solfatara, qu’en le comparant à un pâté ou à une jatte, dont le fond est large et les bords peu élevés. Tel seroit à peu près le Monte Somma ou l’ancien Vésuve, si l’abondance des matières n’eût pas produit au milieu un second sommet. Tel sera peut-être un jour le Vésuve actuel, quand tout ce qu’il contient d’inflammable sera consumé, et comme le gouffre de celui-ci s’élargira nécessairement toujours par la violence de l’action qui le mine, son diamètre deviendra assez étendu pour qu’une partie des matières lancées retombant dans le fond, y vienne former un troisième pic ou sommet entouré de deux enceintes extérieures ; et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’à la longue les éruptions aient comblé tous les vallons et rempli les intervalles qui se trouvent entre les enceintes, au point de ne faire du sommet de cette montagne tronquée, qu’une large plaine entourée par les bords du premier cratère, qui est toujours le plus élevé, et de lui donner la forme qu’a aujourd’hui la Solfatara ; mais, avant que ceci n’arrive, les dégorgements des gouffres continuant les effets commencés, jetteront une quantité de terrain, du sommet au pied de la montagne, sur le bord de la mer, et augmenteront de plusieurs couches la hauteur du sol du rivage, au-dessus du niveau de la mer.

Comme la ville d’Ercolano et le bourg qu’on a bâti au-dessus, ont été successivement les victimes de cette super addition de couches, le bourg de Portici et peut-être plusieurs autres, le seront de même à l’avenir, sans qu’il soit nécessaire de supposer que tous les édifices en doivent être détruits et renversés. Ils ne peuvent, à la vérité, résister aux coups des torrents enflammés, dans le lieu où ils coulent, ni à l’impétuosité des pierres lancées dans l’endroit où elles frappent ; mais tous les bâtiments qui ne seront exposés qu’à l’immense pluie de terres, sables, cendres, mines ou fragments que l’éruption fait retomber sur le rivage après les avoir élevés en l’air, seront seulement en danger d’être couverts sans être renversés. On en peut dire autant de l’éboulement des terres du talus, auquel les murailles sont capables de résister. Par-là on doit cesser de s’étonner de trouver debout une partie des murs et des édifices de la ville souterraine, et expliquer comment elle se trouve enterrée sans avoir été abîmée, et sans qu’il y ait péri qu’une seule personne, tous les habitants ayant eu le temps de s’enfuir ; car on n’y a trouvé qu’un seul cadavre. Mais par-là aussi on peut conjecturer quel sera le sort des villes actuelles et de cette contrée florissante, qui continueront toujours à disparaître, jusqu’à ce que les matières inflammables que le Vésuve contient dans son sein soient entièrement épuisées.

Ces nouvelles couches du rivage étoient, il y a cinquante ans, au moins au nombre de onze. En 1689, un architecte de Naples, nommé François Pichetti, faisant creuser un terrain entre le Vésuve et la mer, près de l’endroit où avoit été ensevelie la ville de Pompéi, trouva, dans l’espace d’environ soixante-huit pieds de profondeur, au bout desquels l’eau ne permit pas d’aller plus loin, onze lits ou couches disposés alternativement ; savoir : six de terres naturelles et cinq de laves ou matières vitrifiées des torrents du Vésuve ; la onzième couche étoit de tuf, la dixième de lave, la neuvième de terre presque aussi dure que le tuf ; entre la quatrième et la cinquième couche, à seize pieds de profondeur, on trouva du charbon, des ferrures de porte et deux inscriptions latines, d’où l’on conjectura que c’étoit là l’ancien sol de la ville de Pompéi, qui se trouveroit, si cela est, beaucoup moins enterrée que celle d’Ercolano. On a plus d’une fois eu lieu d’observer cette alternative de lits de terre, dans des endroits où le terrain végétable a été recouvert par accident et est redevenu végétable à la longue. Richard Pococke, célèbre voyageur anglais, parcourant la province de……… en Égypte, vit au village de……… près des ruines d’Arsinoé, dans un sol de terre noire et fertile, de trois pieds d’épaisseur, un puits où l’on remarquoit des couches alternatives de sable jaune, qui recouvroient d’autres couches semblables à celle de la surface.

Je ne m’étends pas davantage sur l’opération de Pichetti, dont vous pourrez voir le détail, soit dans la troisième décade de l’Histoire universelle de Bianchini, soit dans l’extrait qu’en a donné Fréret au tome IX de nos Mémoires. Je me contente de vous marquer qu’il y auroit bien des choses à dire sur le calcul hypothétique que fait Bianchini, d’où il prétend inférer que la dixième couche, qu’il regarde comme la plus ancienne lave qu’ait jamais vomie le Vésuve, et par conséquent la première éruption de cette montagne, peut être fixée à l’an 2500 avant l’ère vulgaire. J’essaierai tout à l’heure de faire un calcul plus exact que celui de Bianchini, et, selon l’apparence, il nous donnera une antiquité plus reculée de nombre de siècles. Il est évident que toute cette augmentation de terrain n’est pas sortie de la cavité actuelle du Vésuve, et n’a pu être fournie que par le gouffre spacieux du Monte Somma, que j’ai dit être l’ancien gouffre qui sauta au temps de Pline ; et même la vallée qui le sépare du Vésuve s’appelle encore Atrium ou foyer, marque évidente que c’est là qu’étoit autrefois le volcan. Mais voici une observation qui prouve sans réplique que l’ancien Vésuve n’avoit qu’un sommet, et que ce sommet unique étoit le Monte Somma : cette observation est tirée d’un manuscrit que l’abbé Entieri m’a communiqué à Naples, duquel j’ai déjà tiré quelques-unes des choses ci-devant alléguées. En creusant dans le voisinage d’un monastère situé vers la racine extérieure du Monte Somma, du côté du nord, on y a trouvé des laves à la profondeur de deux cents pieds en terre. Or, il est clair que ces laves qui ne se lancent point, mais qui coulent lentement du gouffre jusque dans la plaine, n’ont pu venir que du Monte Somma, et non du Vésuve, qui est séparé de ce monastère, tant par le Monte Somma, que par la vallée qui règne entre les deux montagnes.

Je reviens au calcul fait par Bianchini, et je veux le refaire à mon tour, par une estimation plus exacte. Nous verrons quel en sera le produit.

Essai de calcul sur la date de la dixième couche de laves du vesuve trouvée par pichetti, en 1689, du côté ou étoit autrefois la ville de Pompéi, à un mille de la mer.

Première couche. — Terre légère et labourée, douze palmes.

Seconde couche. — Lave ou pierres vitrifiées.

Troisième couche. — Terre pure, trois palmes.

Quatrième couche. — Lave sous laquelle on trouve du bois brûlé, des ferrures, des portes, etc., e due inscrizioni, le quali dimostravano quella essere stata la città de Pompei.

Par conséquent, la quatrième couche est l’éruption de l’an de l’ère vulgaire 79.

Ici est le sol de Pompéi ; ce qui donne seize siècles pour quinze palmes de terre non pressée ni condensée.

Cinquième couche. — Terre franche et ferrures, dix palmes.

Si quinze palmes de terre non dense donnent seize siècles, ces dix palmes de terre plus dense, donnent au moins douze siècles.

Et il est si vrai que cette cinquième couche de terre a eu au moins douze siècles pour se former par-dessus la précédente éruption, c’est-à-dire par-dessus la sixième couche qui est de lave, qu’au rapport de Strabon, vivant sous le règne d’Auguste, un siècle avant l’éruption qui, l’an 79 de l’ère vulgaire forma la quatrième couche de lave, on n’avoit pas en Italie la moindre tradition d’aucune éruption précédente ; le vulgaire ignoroit que le Vésuve fût un volcan. Si les naturalistes en avoient quelque soupçon fondé sur leurs observations, les faits n’en apprenoient rien du tout. Remarquez en même temps que la tradition n’est pas du nombre de celles qui se perdent facilement.

Or, la tradition en Italie (laissant à part les temps fabuleux), doit être supposée remonter, soit au temps de la prise de Troie et du commencement des rois d’Albe, douze siècles avant l’ère vulgaire, soit au temps du voyage de l’Hercule Tyrien en Italie, où il établit des rits et des monuments qui ont longtemps subsisté depuis, et dont la mémoire dure encore de nos jours.

Or Hercule passa en Italie au retour de son expédition d’Espagne, où il bâtit la ville de Cadix.

La ville de Cadix, selon Velleius, fut bâtie par Hercule au temps de l’archontat de Médon, fils de Codrus ; ce qui donne onze siècles avant l’ère vulgaire. Selon mon sentiment, le voyage d’Hercule est postérieur de peu de chose à l’invasion de Josué en Chanaan, ce qui donneroit environ quinze siècles avant l’ère vulgaire. J’ai prouvé ailleurs que la découverte de l’Europe, par les marchands de Tyr, vulgairement nommés Hercules, mot phénicien qui signifie commerçants par mer, étoit de cette date. Ce fut en effet dans ce lemps-là que les peuples de la Palestine, se voyant pressés dans leur propre terrain par une troupe nombreuse de pasteurs arabes, nouvellement chassés d’Égypte, prirent le parti d’aller sur leurs vaisseaux chercher de nouvelles terres, et fondèrent tant de colonies vers l’occident, sur les deux bords de la mer Méditerranée ; mais tenons-nous-en, si l’on veut, à Velleius.

Sixième couche. — Lave ou éruption au moins antérieure de douze siècles à l’ère vulgaire, même à supposer que la plus prochaine éruption ait coulé en cet endroit.

Septième couche. — Terre beaucoup plus dense, huit palmes ; estimée, à raison de la plus grande densité, douze siècles.

Huitième couche. — Lave ou éruption, vingt-quatre siècles avant l’ère vulgaire.

Neuvième couche. — Terre tout-à-fait dense, tufière et presque aussi dure que la pierre poreuse, vingt-cinq palmes ; estimée, à raison de la plus grande densité, quarante siècles. Si c’étoit de la terre légère labourable, elle vaudroit vingt-sept siècles ; ainsi on ne peut pas dire que l’estimation soit trop forte.

Dixième couche. — Lave ou éruption environ soixante-quatre siècles avant l’ère vulgaire, c’est-à-dire dix- sept siècles avant la période Julienne.

Onzième couche. — Terre tout-à-fait réduite en consistance de tuf ou de pierre poreuse, semblable sans doute aux couches de terres précédentes, avant qu’elle n’eût été si fort condensée par la pression. Ici est l’ancien sol ou surface du monde, supposé qu’il n’y ait plus de couches de laves au-dessous de celle-ci ; ce que l’on pourroit assurer, si la couche étoit de pierres de roche vive et franche. Comme elle n’est au contraire qu’un tuf pierreux, qui ne diffère de la couche supérieure que par sa plus grande densité, il est fort possible qu’il reste au-dessous plusieurs autres couches alternatives de laves et de terre pierreuse encore plus dense.

Total des onze couches, quatre-vingt-un siècles, au lieu de quarante-deux, comme le prétend Bianchini, même en supposant qu’il n’y auroit plus de couches de lave inférieures à celles-ci, et qu’à toutes les éruptions l’écoulement de la lave est toujours tombé dans cet endroit-ci, ce qui n’est ni possible ni vraisemblable.