Aller au contenu

Lettres philosophiques/Lettre 15

La bibliothèque libre.
Lettres philosophiquesGarniertome 22 (p. 132-140).

LETTRE XV[1].

histoire de l’attraction.

Je n’entrerai point ici dans une explication mathématique de ce qu’on appelle l’attraction, ou la gravitation : je me borne à l’histoire de cette nouvelle propriété de la matière, devinée longtemps avant Newton, et démontrée par lui ; c’est donner en quelque sorte l’histoire d’une création nouvelle.

Copernic, ce Christophe Colomb de l’astronomie, avait à peine appris aux hommes le véritable ordre de l’univers, si longtemps défiguré ; il avait à peine fait voir que la terre tourne, et sur elle-même et dans un espace immense, lorsque tous les docteurs firent à peu près les mêmes objections que leurs devanciers avaient faites contre les antipodes. Saint Augustin, en niant ces antipodes, avait dit : Eh quoi ! ils auraient donc la tête en bas, et ils tomberaient dans le ciel. Les docteurs disaient à Copernic : Si la terre tournait sur elle-même, toutes ses parties se détacheraient et tomberaient dans le ciel. Il est certain que la terre tourne, répondit Copernic, et que ses parties ne s’envolent pas ; il faut donc qu’une puissance les dirige toutes vers le centre de la terre ; et probablement, dit-il, cette propriété existe dans tous les globes, dans le soleil, dans la lune, dans les étoiles ; c’est un attribut donné à la matière par la divine Providence. C’est ainsi qu’il s’explique dans son premier livre Des Révolutions célestes, sans avoir osé ni peut-être pu aller plus loin.

Kepler, qui suivit Copernic et qui perfectionna l’admirable découverte du vrai système du monde, approcha un peu du système de la pesanteur universelle. On voit, dans son traité de l’étoile de Mars, des veines encore mal formées de cette mine dont Newton a tiré son or. Kepler admet non-seulement une tendance de tous les corps terrestres au centre, mais aussi des astres les uns vers les autres. Il ose entrevoir et dire que si la terre et la lune n’étaient pas retenues dans leurs orbites, elles s’approcheraient l’une de l’autre, elles s’uniraient. Cette vérité étonnante était obscurcie chez lui de tant de nuages et de tant d’erreurs qu’on a dit qu’il l’avait devinée par instinct.

Cependant le grand Galilée, partant d’un principe plus mécanique, examinait quelle est la chute des corps sur la terre ; comment et en quelle proportion cette chute s’accélère ; et le chancelier Bacon voulait qu’on expérimentât si ces chutes se faisaient également aux plus grandes profondeurs et aux plus grandes hauteurs où l’on pût atteindre.

Il est bien singulier que Descartes, le plus grand géomètre de son temps, ne se soit pas servi de ce fil dans le labyrinthe qu’il s’était bâti lui-même. On ne trouve nulle trace de ces vérités dans ses ouvrages ; aussi n’est-il pas surprenant qu’il se soit égaré. Il voulut créer un univers. Il fit une philosophie comme on fait un bon roman : tout parut vraisemblable, et rien ne fut vrai. Il imagina des éléments, des tourbillons, qui semblaient rendre une raison plausible de tous les mystères de la nature ; mais en philosophie il faut se défier de ce qu’on croit entendre trop aisément aussi bien que des choses qu’on n’entend pas. Descartes était plus dangereux qu’Aristote parce qu’il avait l’air d’être plus raisonnable. M. Conduit, neveu du chevalier Newton, m’a assuré que son oncle avait lu Descartes à l’âge de vingt ans, qu’il crayonna les marges des premières pages, et qu’il n’y mit qu’une seule note, souvent répétée, consistant en ce mot : error ; mais que, las d’écrire error partout, il jeta le livre et ne le relut jamais.

Newton, ayant quitté les abîmes de la théologie dans lesquels il avait été élevé pour les vérités mathématiques, avait déjà trouvé à l’âge de vingt-trois ans son calcul infinitésimal dont son maître Wallis lui avait ouvert la route. Il s’appliquait à chercher ce principe secret et universel de la nature, indiqué par Copernic, par Kepler, par Bacon, et déjà saisi par le célèbre Hooke : c’est-à-dire cette cause de la pesanteur et du mouvement de toute la matière. S’étant retiré en 1666, à cause de la peste, à la campagne près de Cambridge, un jour qu’il se promenait dans son jardin, et qu’il voyait des fruits tomber d’un arbre, il se laissa aller à une méditation profonde sur cette pesanteur dont tous les philosophes ont cherché si longtemps la cause en vain, et dans laquelle le vulgaire ne soupçonne pas même de mystère. Il se dit à lui-même : De quelque hauteur dans notre hémisphère que tombassent ces corps, leur chute, serait certainement dans la progression découverte par Galilée ; et les espaces parcourus par eux seraient comme les carrés des temps. Ce pouvoir, qui fait descendre les corps graves, est le même sans aucune diminution sensible, à quelque profondeur qu’on soit dans la terre, et sur la plus haute montagne. Pourquoi ce pouvoir ne s’étendrait-il pas jusqu’à la lune ? Et, s’il est vrai qu’il pénètre jusque-là, n’y a-t-il pas grande apparence que ce pouvoir la retient dans son orbite et détermine son mouvement ? Mais si la lune obéit à ce principe, quel qu’il soit, n’est-il pas encore très-raisonnable de croire que les autres planètes y sont également soumises ?

Si ce pouvoir existe, il doit (ce qui est prouvé d’ailleurs) augmenter en raison renversée des carrés des distances. Il n’y a donc plus qu’à examiner le chemin que ferait un corps grave en tombant sur la terre d’une hauteur médiocre, et le chemin que ferait dans le même temps un corps qui tomberait de l’orbite de la lune. Pour en être instruit, il ne s’agit plus que d’avoir la mesure de la terre, et la distance de la lune à la terre.

Voilà comment M. Newton raisonna. Mais on n’avait alors en Angleterre que de très-fausses mesures de notre globe ; on s’en rapportait à l’estime incertaine des pilotes, qui comptaient soixante milles d’Angleterre pour un degré, au lieu qu’il en fallait compter près de soixante et dix. Ce faux calcul ne s’accordant pas avec les conclusions que M. Newton voulait tirer, il les abandonna. Un philosophe médiocre, et qui n’aurait eu que de la vanité, eût fait cadrer comme il eût pu la mesure de la terre avec son système. M. Newton aima mieux abandonner alors son projet. Mais depuis que M. Picart[2] eut mesuré la terre exactement, en traçant cette méridienne qui fait tant d’honneur à la France, M. Newton reprit ses premières idées, et il trouva son compte avec le calcul de M. Picart[3]. Les autres planètes doivent être soumises à cette loi générale ; et si cette loi existe, ces planètes doivent suivre les règles trouvées par Kepler. Toutes ces règles, tous ces rapports, sont en effet gardés par les planètes. Son seul principe des lois de la gravitation rend raison de toutes les inégalités apparentes dans le cours des globes célestes. Les variations de la lune deviennent une suite nécessaire de ces lois. Le flux et le reflux de la mer est encore un effet très-simple de cette attraction. La proximité de la lune dans son plein et quand elle est nouvelle, et son éloignement dans ses quartiers, combinés avec l'action du soleil, rendent une raison sensible de l’élévation et de l'abaissement de l'Océan.

Après avoir rendu compte, par sa sublime théorie, du cours et des inégalités des planètes, il assujettit les comètes au frein de la même loi[4].

Il prouve que ce sont des corps solides, qui se meuvent dans la sphère de l'action du soleil, et décrivent une ellipse si excentrique et si approchante de la parabole, que certaines comètes doivent mettre plus de cinq cents ans dans leur révolution.

Le savant M. Halley croit que la comète de 1680 est la même qui parut du temps de Jules César : celle-là surtout sert plus qu'une autre à faire voir que les comètes sont des corps durs et opaques, car elle descendit si près du soleil qu'elle n'en était éloignée que d'une sixième partie de son disque ; elle dut par conséquent acquérir un degré de chaleur deux mille fois plus violent que celui du fer le plus enflammé. Elle aurait été dissoute et consommée en peu de temps si elle n'avait pas été un corps opaque. La mode commençait alors de deviner le cours des comètes. Le célèbre mathématicien Jacques Bernouilli conclut, par son système, que cette fameuse comète de 1680 reparaîtrait le 17 mai 1719. Aucun astronome de l'Europe ne se coucha cette nuit du 17 mai, mais la fameuse comète ne parut point. Il y a au moins plus d'adresse, s'il n'y a pas plus de sûreté, à lui donner cinq cent soixante-quinze ans pour revenir. Pour M. Wilston[5], il a sérieusement affirmé que du temps du déluge il y avait eu une comète qui avait inondé notre globe, et il a eu l’injustice de s’étonner qu’on se soit moqué de lui. L’antiquité pensait à peu près dans le goût de Wilston ; elle croyait que les comètes étaient toujours les avant-courrières de quelque grand malheur sur la terre. Newton au contraire soupçonne qu’elles sont très-bienfaisantes, et que les fumées qui en sortent ne servent qu’à secourir et vivifier les planètes qui s’imbibent dans leur cours de toutes ces particules que le soleil a détachées des comètes. Ce sentiment est du moins plus probable que l’autre.

Ce n’est pas tout, si cette force de gravitation, d’attraction, agit dans tous les globes célestes, elle agit sans doute sur toutes les parties de ces globes : car, si les corps s’attirent en raison de leurs masses, ce ne peut être qu’en raison de la quantité de leurs parties ; et si ce pouvoir est logé dans le tout, il l’est sans doute dans la moitié, il l’est dans le quart, dans la huitième partie, ainsi jusqu’à l’infini[6]. Voilà donc l’attraction qui est le grand ressort qui fait mouvoir toute la nature.

Newton avait bien prévu, après avoir démontré l’existence de ce principe, qu’on se révolterait contre ce seul nom : dans plus d’un endroit de son livre il précautionne son lecteur contre l’attraction même, il l’avertit de ne la pas confondre avec les qualités occultes des anciens, et de se contenter de connaître qu’il y a dans tous les corps une force centrale qui agit d’un bout de l’univers à l’autre sur les corps les plus proches et sur les plus éloignés, suivant les lois immuables de la mécanique.

Il est étonnant qu’après les protestations solennelles de ce grand philosophe, M. Saurin[7] et M. de Fontenelle, qui eux-mêmes méritent ce nom, lui aient reproché nettement les chimères du péripatétisme : M. Saurin, dans les Mémoires de l’Académie, de 1709 ; et M. de Fontenelle, dans l’éloge même de M. Newton.

Presque tous les Français, savants et autres, ont répété ce reproche. On entend dire partout : Pourquoi Newton ne s’est-il pas servi du mot d’impulsion, que l’on comprend si bien, plutôt que du terme d’attraction, que l’on ne comprend pas ?

Newton aurait pu répondre à ces critiques :

Premièrement, vous n’entendez pas plus le mot d’impulsion que celui d’attraction, et si vous ne concevez pas pourquoi un corps tend vers le centre d’un autre corps, vous n’imaginez pas plus par quelle vertu un corps en peut pousser un autre.

Secondement, je n’ai pas pu admettre l’impulsion : car il faudrait pour cela que j’eusse connu qu’une matière céleste pousse en effet les planètes ; or, non-seulement je ne connais point cette matière, mais j’ai prouvé qu’elle n’existe pas.

Troisièmement, je ne me sers du mot d’attraction que pour exprimer un effet que j’ai découvert dans la nature, effet certain et indisputable d’un principe inconnu, qualité inhérente dans la matière, dont de plus habiles que moi trouveront, s’ils peuvent, la cause.

Que nous avez-vous donc appris, insiste-t-on encore, et pourquoi tant de calculs pour nous dire ce que vous-même ne comprenez pas ?

Je vous ai appris (pourrait continuer Newton) que la mécanique des forces centrales fait[8] seule mouvoir les planètes et les comètes dans des proportions marquées[9]. Je suis, continuerait-il, dans un cas bien différent des anciens : ils voyaient par exemple l’eau monter dans les pompes, et ils disaient : L’eau monte parce qu’elle a horreur du vide ; mais moi, je suis dans le cas de celui qui aurait remarqué le premier que l’eau monte dans les pompes, et qui laisserait à d’autres le soin d’expliquer la cause de cet effet. L’anatomiste qui a dit le premier que le bras se remue parce que les muscles se contractent enseigna aux hommes une vérité incontestable : lui en aura-t-on moins d’obligation parce qu’il n’a pas su pourquoi les muscles se contractent ? La cause du ressort de l’air est inconnue, mais celui qui a découvert ce ressort a rendu un grand service à la physique. Le ressort que j’ai découvert était plus caché, plus universel ; ainsi, on doit m’en savoir plus de gré. J’ai découvert une propriété de la matière, un des secrets du Créateur ; j’en ai calculé, j’en ai démontré les effets ; peut-on me chicaner sur le nom que je lui donne ?

Ce sont les tourbillons qu’on peut appeler une qualité occulte, puisqu’on n’a jamais prouvé leur existence. L’attraction au contraire est une chose réelle, puisqu’on en démontre les effets et qu’on en calcule les proportions. La cause de cette cause est dans le sein de Dieu. Procedes huc, et non ibis amplius[10].

  1. Je n’ai pu trouver ni cette lettre, ni la suivante, dans les éditions des Œuvres de Voltaire faites à Kehl.
    Le texte actuel que je donne est de 1752. Il diffère un peu des éditions de 1751, 1748, 1746, 1742, 1739. Cette lettre était, en 1734, intitulée Sur le Système de l’attraction et commençait ainsi :
    « Les découvertes su chevalier Newton, qui lui ont fait une réputation si universelle, regardent le système du monde, la lumière, l’infini en géométrie, et enfin la chronologie, à laquelle il s’est amusé pour se délasser.
    « Je vais vous dire (si je puis, sans verbiage) le peu que j’ai pu attraper de toutes ces sublimes idées.
    « À l’égard du système de notre monde, on disputait depuis longtemps sur la cause qui fait tourner et qui retient dans leurs orbites toutes les planètes, et sur celle qui fait descendre ici-bas tous les corps vers la surface de la terre.
    « Le système de Descartes, expliqué et fort changé depuis lui, semblait rendre une raison plausible de ces phénomènes, et cette raison paraissait d’autant plus vraie qu’elle est simple et intelligible à tout le monde. Mais, en philosophie, il faut se défier de ce qu’on croit entendre trop aisément, aussi bien que des choses qu’on n’entend pas.
    « La pesanteur, la chute accélérée des corps tombant sur la terre, la révolution des planètes dans leurs orbites, leurs rotations autour de leur axe, tout cela n’est que du mouvement ; or, le mouvement ne peut être conçu que par impulsion ; donc tous ces corps sont poussés. Mais par quoi le sont-ils ? Tout l’espace est plein ; donc il est rempli d’une matière très subtile, puisque nous ne l’apercevons pas ; donc cette matière va d’Occident en Orient, puisque c’est d’Occident en Orient que toutes les planètes sont entraînées. Aussi, de supposition en supposition et de vraisemblance en vraisemblance, on a imaginé un vaste tourbillon de matière subtile, dans lequel les planètes sont entraînées autour du soleil ; on crée encore un autre tourbillon particulier, qui nage dans le grand, et qui tourne journellement autour de la planète. Quand tout cela est fait, on prétend que la pesanteur dépend de ce mouvement journalier ; car, dit-on, la matière subtile qui tourne autour de notre petit tourbillon doit aller dix-sept fois plus vite que la terre ; or, si elle va dix-sept fois plus vite que la terre, elle doit avoir incomparablement plus de force centrifuge, et repousser par conséquent tous les corps vers la terre. Voilà la cause de la pesanteur, dans le système cartésien.
    « Mais avant que de calculer la force centrifuge et la vitesse de cette matière subtile, il fallait s’assurer qu’elle existât, et supposé qu’elle existe, il est encore démontré faux qu’elle puisse être la cause de la pesanteur.
    « M. Newton semble anéantir sans ressource tous ces tourbillons, grands et petits, et celui qui emporte les planètes autour du soleil, et celui qui fait tourner chaque planète sur elle-même.
    « 1° À l’égard du prétendu petit tourbillon de la terre, il est prouvé qu’il doit perdre petit à petit son mouvement ; il est prouvé que si la terre nage dans un fluide, ce fluide doit être de la même densité que la terre, et si ce fluide est de la même densité, tous les corps que nous remuons doivent éprouver une résistance extrême, c’est-à-dire qu’il faudrait un levier de la longueur de la terre pour soulever le poids d’une livre.
    « 2° À l’égard des grands tourbillons, ils sont encore plus chimériques. Il est impossible de les accorder avec les règles de Kepler, dont la vérité est démontrée. M. Newton fait voir que la révolution du fluide dans lequel Jupiter est supposé entraîné, n’est pas avec la révolution du fluide de la terre comme la révolution de Jupiter est avec celle de la terre.
    « Il prouve que, toutes les planètes faisant leurs révolutions dans des ellipses, et par conséquent étant bien plus éloignées les unes des autres dans leurs aphélies et bien plus proches dans leurs périhélies, la terre, par exemple, devrait aller plus vite quand elle est plus près de Vénus et de Mars, puisque le fluide qui l’emporte, étant alors plus pressé, doit avoir plus de mouvement ; et cependant c’est alors même que le mouvement de la terre est plus ralenti.
    « Il prouve qu’il n’y a point de matière céleste qui aille d’Occident en Orient, puisque les comètes traversent ces espaces tantôt de l’Orient à l’Occident, tantôt du Septentrion au Midi.
    « Enfin pour mieux trancher encore, s’il est possible, toute difficulté, il prouve ou du moins rend fort probable, et même par des expériences, que le plein est impossible, et il nous ramène le vide, qu’Aristote et Descartes avaient banni du monde.
    « Ayant, par toutes ces raisons et par beaucoup d’autres encore, renversé les tourbillons du cartésianisme, il désespérait de pouvoir connaître jamais s’il y a un principe secret dans la nature, qui cause à la fois le mouvement de tous les corps célestes et qui fait la pesanteur sur la terre. S’étant retiré en 1666 à la campagne, près de Cambridge, etc. »
  2. Ou mieux Picard, né en 1680, mort en 1692 ou 1684, successeur de Gassendi au Collège de France, et fondateur de l’Observatoire de Paris.
  3. Dans l’édition de 1734, on lit de plus ce qui suit :
    « C’est une chose qui me paraît toujours admirable, qu’on ait découvert de si sublimes vérités avec l’aide d’un quart de cercle et d’un peu d’arithmétique.
    « La circonférence de la terre est de cent vingt-trois millions deux cent quarante-neuf mille six cents pieds de Paris. De cela seul peut suivre tout le système de l’attraction.
    « On connaît la circonférence de la terre, on connaît celle de l’orbite de la lune, et le diamètre de cet orbite. La révolution de la lune dans cet orbite se fait en vingt-sept jours, sept heures, quarante-trois minutes ; donc il est démontré que la lune, dans son mouvement moyen, parcourt cent quatre-vingt-sept mille neuf cent soixante pieds de Paris par minute ; et, par un théorème connu, il est démontré que la force centrale qui ferait tomber un corps de la hauteur de la lune, ne le ferait tomber que de quinze pieds de Paris dans la première minute.
    « Maintenant, si la règle par laquelle les corps pèsent, gravitent, s’attirent en raison inverse des carrés des distances est vraie, si c’est le même pouvoir qui agit suivant cette règle dans toute la nature, il est évident que, la terre étant éloignée de la lune de soixante demi-diamètres, un corps grave doit tomber sur la terre de quinze pieds dans la première seconde, et cinquante-quatre mille pieds dans la première minute.
    « Or est-il qu’un corps grave tombe, en effet, de quinze pieds dans la première seconde, et parcourt dans la première minute cinquante-quatre mille pieds, lequel nombre est le carré de soixante multiplié par quinze ; donc les corps pèsent en raison inverse des carrés des distances ; donc le même pouvoir fait la pesanteur sur la terre et retient la lune dans son orbite.
    « Étant donc démontré que la lune pèse sur la terre, qui est le centre de son mouvement particulier, il est démontré que la terre et la lune pèsent sur le soleil, qui est le centre de leur mouvement annuel.
    « Les autres planètes doivent être soumises à cette loi générale, et, si cette loi existe, ces planètes doivent suivre les règles trouvées par Kepler. Toutes ces règles, tous ces rapports sont en effet gardés par les planètes avec la dernière exactitude ; donc le pouvoir de la gravitation fait peser toutes les planètes vers le soleil, de même que notre globe. Enfin, la réaction de tout corps étant proportionnelle à l’action, il demeure certain que la terre pèse à son tour sur la lune, et que le soleil pèse sur l’une et sur l’autre ; que chacun des satellites de Saturne pèse sur les quatre, et les quatre sur lui ; tous cinq sur Saturne, Saturne sur tous ; qu’il en est ainsi de Jupiter, et que tous ces globes sont attirés par le soleil, réciproquement attiré par eux.
    « Ce pouvoir de gravitation agit à proportion de la matière que renferment les corps ; c’est une vérité que M. Newton a démontrée par des expériences. Cette nouvelle découverte a servi à faire voir que le soleil, centre de toutes les planètes, les attire toutes en raison directe de leurs masses, combinées avec leur éloignement. De là, s’élevant par degrés jusqu’à des connaissances qui semblaient n’être pas faites pour l’esprit humain, il ose calculer combien de matière contient le soleil, et combien il s’en trouve dans chaque planète ; et ainsi il fait voir que, par les simples lois de la mécanique, chaque globe céleste doit être nécessairement à la place où il est. Son seul principe des lois de la gravitation rend raison de toutes les inégalités apparentes dans le cours des globes célestes. Les variations de la lune deviennent une suite nécessaire de ces lois. De plus, on voit évidemment pourquoi les nœuds de la lune font leurs révolutions en dix-neuf ans, et ceux de la terre dans l'espace d'environ vingt-six mille années. »
  4. Dans l'édition de 1734 on lisait de plus ici : « Ces feux si longtemps inconnus, qui étaient la terreur du monde et l'écueil de la philosophie, placés par Aristote au-dessous de la lune, et renvoyés par Descartes au-dessus de Saturne, sont mis enfin à leur véritable place par Newton. »
  5. 1734. « Un géomètre anglais, nommé Wilston, non moins chimérique que géomètre, a sérieusement, etc. »
  6. Dans l’édition de 1734 il y avait : « …Jusqu’à l’infini. De plus, si ce pouvoir n’était pas également dans chaque partie, il y aurait toujours quelques côtés du globe qui graviteraient plus que les autres, ce qui n’arrive pas : donc ce pouvoir existe réellement dans toute la matière, et dans les plus petites particules de la matière. Ainsi voilà l’attraction qui… »
  7. Joseph Saurin, à qui Voltaire a donné place dans son Catalogue des écrivains, en tête du Siècle de Louis XIV ; voyez tome XIV.
  8. 1734. « Fait peser tous les corps à proportion de leur matière, que ces forces centrales font seules mouvoir. »
  9. 1734. « Marquées. Je vous démontre qu’il est impossible qu’il y ait une autre cause de la pesanteur et du mouvement de tous les corps célestes : car les corps graves tombent sur la terre selon la proportion démontrée des forces centrales, et, les planètes achevant leur cours suivant ces mêmes proportions, s’il y avait encore un autre pouvoir qui agit sur tous ces corps, il augmenterait leurs vitesses ou changerait leurs directions. Or, jamais aucun de ces corps n’a un seul degré de mouvement de vitesse, de détermination, qui ne soit démontré être l’effet des forces centrales : donc il est impossible qu’il y ait un autre principe.
    « Qu’il me soit permis de faire encore parler un moment Newton : ne sera-t-il pas reçu à dire : Je suis dans un cas bien différent des anciens, etc. »
  10. Voltaire a voulu sans doute citer ce passage de Job, xxxvii, 11 : Usque huc venies, et non procedes amplius.