Lettres républicaines/Lettre 16

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XVI.

AU PEUPLE-ÉLECTEUR.



9 novembre.

L’heure approche. Elle est grave et solennelle. Pour la première fois, dans l’histoire du monde européen, une nation grande par l’étendue de son territoire, grande surtout par la noblesse de ses origines, la gloire de ses annales et l’importance du rôle qu’elle a joué toujours dans les destinées de la civilisation, la France se voit appelée à élire, selon le mode le plus radical qui ait jamais été pratiqué, le magistrat suprême auquel elle entend confier la garde et le soin de la chose publique.

Une telle heure n’a rien dans le passé qui l’égale ; rien, à coup sûr, dans l’avenir, n’en saurait effacer la mémoire, car elle ouvre une ère entièrement nouvelle ; elle marque le premier acte décisif de la souveraineté populaire, constituée dans son extension la plus étendue, appliquée dans sa concentration la plus expressive.

Sous l’œil jaloux des dynasties et des aristocraties européennes dont nous avons bravé les colères, en présence des héros, des confesseurs, des martyrs de la liberté qui attendent de nous la glorification ou la confusion de leur foi, la démocratie française va porter témoignage pour ou contre elle-même, donner la mesure et livrer le secret de sa force ou de sa faiblesse. Par un nom propre, elle va personnifier ses principes, rendre sensible le caractère qu’elle assigne à la révolution de Février, incarner en quelque sorte dans un homme sa volonté et son génie.

Aussi, que de regards fixés sur nous ! Depuis les glaces de la Néwa jusqu’aux laves du Vésuve, des bouches du Danube aux bouches du Rhin, gouvernemens et peuples, oppresseurs et opprimés, malgré la violence de leurs luttes intestines, suivent avec anxiété toutes les variations de l’esprit public en France, connaissant, par une expérience récente, le contrecoup qui les frappe à chacun de nos chocs politiques.

La Russie, cette ennemie insaisissable et partout présente, cette menace muette que Bonaparte voulut en vain refouler dans ses steppes et bannir de notre horizon, la circonspecte et convoiteuse Russie épie nos fautes, en calcule les suites et commence à espérer que nous nous serons mis bientôt nous-mêmes hors d’état d’entraver les destins qu’elle couve depuis un demi-siècle.

À Potsdam et à Olmütz, les souverains, traitres à leurs promesses, s’applaudissent de leurs perfidies ou se consolent de leurs revers en voyant la Révolution française incertaine, embarrassée, à la veille peut-être de se donner par sa propre voix un honteux démenti.

L’Angleterre, plus dédaigneuse, ouvre en souriant des paris pour ou contre nos prétendans…

Là où règnent les pouvoirs anciens, on souhaite de constater bientôt l’affaiblissement de notre sens et de notre vertu politiques par l’impéritie ou l’indignité de notre choix. Dans tous les lieux où respirent les libertés nouvelles, on fait des vœux ardens pour que ce choix tourne à l’honneur de la démocratie.

Les circonstances dans lesquelles nous allons voter sont par malheur beaucoup plus favorables aux espérances de nos ennemis que propices aux vœux de nos amis. Le moment fixé est trop éloigné ou trop proche. Plus tôt, nous aurions eu, selon toute apparence, un citoyen qui possédait l’estime universelle. Plus tard, les irritations et les impatiences accidentelles du pays s’étant apaisées, on aurait apprécié avec plus de calme et d’équité la valeur des hommes, comparé les services rendus, les gages donnés, les droits acquis. Aujourd’hui, hélas ! il est bien à craindre qu’un très petit nombre seulement accomplisse avec scrupule ce devoir civique. Les masses, si rien ne change d’ici au 10 décembre, voteront aveuglément par lassitude, pour en finir avec le provisoire, pour protester contre les gouvernemens successifs auxquels on attribue le malaise général. Aussi les prétentions les moins justifiées en temps ordinaires ont-elles leur chance. Quand le peuple français se dépite contre ceux qui le mènent, il n’est pas d’extravagance dont il ne soit pas capable.

Les candidats sont nombreux et divers. De M. le maréchal Bugeaud à M. Raspail le parcours de l’opinion est vaste, et bien des aberrations y trouvent accès. Il serait long et superflu de les énumérer. Bornons-nous à examiner les titres des candidats sur lesquels se porte plus particulièrement l’attention publique. Jusqu’ici et sauf les brusques reviremens qu’il faut toujours prévoir dans un état aussi anormal que le nôtre, M.M. Ledru-Rollin, Lamartine, Cavaignac et Louis Bonaparte se placent en première ligne.

Après de longues négociations, plusieurs fois rompues, après des réserves mutuelles et des précautions prises pour l’avenir, les deux grandes fractions du parti radical, les montagnards et les socialistes, sont tombés d’accord de nommer M. Ledru-Rollin. Si donc rien ne vient rompre une coalition formée par l’ascendant de quelques chefs plutôt que par de réelles sympathies, si aucune rivalité individuelle ne surgit qui brise une trame encore fragile[1], M. Ledru-Rollin peut compter sur les voix de tout ce qui, avec plus ou moins de clairvoyance et d’ardeur, veut la République démocratique et sociale.

Cette préférence s’explique en majeure partie par la bienveillance personnelle qu’inspire l’ex-ministre de l’intérieur. Cet homme sans fiel dont les provinces ont fait un terroriste et que ses flatteurs, après boire, ont parfois salué du nom de Danton, ce croque-mitaine des enfans de la bourgeoisie, est le meilleur cœur, le plus exempt de haine, le plus facilement ému qu’il fut jamais. Conspirateur confiant, ministre paresseux, bon camarade politique surtout, il n’éveille chez ceux qui l’approchent aucune de ces inquiétudes vagues ni de ces espérances illimitées qu’une personnalité puissante et mystérieuse par cela même qu’elle est puissante, répand autour d’elle. Il est aisé à chacun de lire dans cette existence ouverte à tous les regards ; on n’y découvre aucune mauvaise passion, mais il n’y faudrait pas chercher davantage les hautes conceptions, le dessein médité et suivi des hommes d’État.

Orateur longtemps médiocre, M. Ledru-Rollin, électrisé en ces derniers temps par l’atmosphère orageuse qui grondait au dessus de nos têtes, a eu des élans d’une entraînante éloquence. Dans les banquets réformistes auxquels il donna, malgré M. Barrot, une impulsion républicaine, et dans la dernière discussion de l’Adresse, on l’a vu parfois égaler les tribuns de la Convention. La reconnaissance du peuple et l’influence de la Réforme, qu’il avait contribué à fonder, l’ont porté, et c’était justice au Gouvernement provisoire.

Là, des embarras de plus d’un genre attendaient M. Ledru-Rollin Là commencèrent des perplexités et des oscillations que l’on n’a peut-être pas très bien jugées à distance. Placé entre le mouvement socialiste dont M. Louis Blanc était le chef, et l’action modératrice de M. de Lamartine ; poussé par ses antécédens vers l’auteur de l’organisation du travail, mais aussitôt refoulé par ce dogmatisme systématique qui répugnait à ses instincts ; captivé par la supériorité de l’historien des Girondins, mais tenu en garde contre ce penchant par les suspicions de son parti, M. Ledru-Rollin a obéi tour à tour à ces courans opposés. Les modérés ne lui pardonneront jamais les bulletins ni les commissaires ; les socialistes, plus généreux ou plus politiques, oublient en ce moment le rappel du 16 avril et la marche du 15 mai contre l’Hôtel-de-Ville.

D’où vient cette mansuétude inaccoutumée ? J’en demande pardon à M. Ledru-Rollin, mais je crois qu’il en faut chercher le secret dans l’idée qu’on se fait, non de sa force, mais de sa faiblesse. À l’aide de quelques précautions prises contre ses inconséquences à venir, le parti ultra radical et ultra socialiste compte se servir de lui comme d’un instrument facile à briser, le jour où il deviendrait inutile ou rebelle. D’ailleurs, comme on ne peut sérieusement espérer la majorité des suffrages, la candidature de M. Ledru-Rollin a plutôt un sens négatif et de protestation qu’un sens positivement politique ; l’engagement pris avec lui ne tire point à conséquence.

La candidature de M. de Lamartine se ressentira comme celle de M. Ledru-Rollin, quoique par d’autres motifs, de l’impopularité où sont tombés momentanément le Gouvernement provisoire et la commission exécutive. Cependant l’estime qui s’attache à la personne de M. de Lamartine lui assure un grand nombre de voix venues à lui de toutes parts, spontanément, sans intrigue ni mot d’ordre, attirées par son génie. La reconnaissance des républicains pour sa coopération sincère et courageuse à la fondation de la République et pour le respect qu’il a gardé, étant au pouvoir, de toutes nos libertés, dont aucune n’a péri entre ses mains, lui vaudront bien des suffrages indépendans du parti radical tandis que parmi les partisans exclusifs de l’ordre établi il en est plus d’un qui voudra récompenser en lui le défenseur éloquent de la propriété et de la paix.

Si, comme il est à croire, M. de Lamartine, n’arrive pas plus que M. Ledru-Rollin à la majorité, il comptera du moins des votes nombreux et flatteurs ; il passera, pour emprunter ses propres expressions, la revue de cette grande amitié que lui garde, à travers toutes les fluctuations de la popularité, une élite fidèle. Donner sa voix à M. de Lamartine, c’est faire une protestation honorable en faveur de la liberté contenue, du progrès modéré, de la politique généreuse, contre l’arbitraire ou la licence.

Une troisième forme de protestation contre les tendances actuelles du Gouvernement ou contre la présidence quelle qu’elle soit, c’est l’abstention. M. Proudhon et ses partisans se refusent, dit-on, à voter, ne trouvant nulle chose ni nul homme à leur gré dans la société actuelle. Au point de vue philosophique, ces électeurs in partibus sont peut-être plus voisins de la vérité qu’aucun de nous ; mais l’expérience l’a mille fois démontré, les vérités absolues de la philosophie sont les erreurs les plus dangereuses de la politique ; la logique outrée de mise en pratique est l’antipode du sens commun.

En dehors de ces protestations plus ou moins notables, le combat réel, la lutte active va s’engager, ou plutôt elle est déjà engagée, avec une grande vivacité, entre le général Cavaignac et M. Louis Bonaparte.

Chacun peut se rappeler sans peine, car l’époque n’en est pas éloignée, l’assentiment universel qui, à la suite des journées de juin, ratifia l’élévation du général Cavaignac. J’ai dit alors[2] par quels motifs les différens partis qui divisent l’Assemblée et le pays, s’accordant sur ce point, trouvaient dans le caractère honorable, dans la réputation sans tache, dans les principes républicains du nouveau président du conseil, et dans la répression victorieuse d’une formidable insurrection, des garanties de diverse nature qui faisaient espérer, si ce n’est une conciliation, du moins une cessation d’hostilité momentanée entre les opinions extrêmes. Les républicains qui avaient pu craindre de voir la réaction monarchique s’emparer du pouvoir étaient rassurés. Les hommes sensés, qui, sans passion pour la République, comprennent qu’elle est aujourd’hui l’arche de salut de la société, s’applaudissaient de la voir conduite par un homme étranger aux factions, décidé à résister à la violence, considéré à l’étranger, et qui, sans posséder ces qualités brillantes dont les naissantes démocraties s’effarouchent, avait donné en maintes circonstances des preuves de jugement solide et de bonne administration. Cette concordance des opinions n’a pas été de longue durée. Bientôt, au sein des difficultés croissantes d’une situation où aucun de ses devanciers n’avait pu échapper au reproche d’inconséquence, le général Cavaignac parut, au gré des partis, faire trop ou trop peu dans un sens ou dans l’autre.

« Il y a quatre choses insatiables, qui ne disent jamais assez, » dit le philosophe d’Israël. Si le grand roi Salomon avait vécu de nos jours, il en eût ajouté une cinquième : la passion politique.

La passion réactionnaire ne se contenta pas longtemps des satisfactions que lui donnait le général Cavaignac. Elle en vint à ne lui tenir compte ni de l’état de siège, ni de la transportation, ni de la suspension des journaux, ni du camp dans Paris, ni de la fermeture des clubs, ni de la paix maintenue avec l’étranger ; en voyant arriver au ministère MM. Dufaure et Vivien, elle ne dit point encore : Assez ! Il lui faut davantage ; nous allons voir tout à l’heure ce qu’il lui faut.

D’un autre côté, et avec plus de raison, les républicains s’indignaient de la surabondance des mesures préventives et répressives, et de l’esprit exclusivement militaire dont s’inspirait le nouveau Gouvernement. Injustice des deux parts, mais criante surtout de la part des passionnés de l’ordre, qui ne tarderont pas à regretter, dans l’inconnu où leur impatience va peut-être nous jeter, un pouvoir dont les intentions étaient loyales, l’administration intègre, les fautes réparables, et dont les vues, étroites sans doute, mais fixées à un but honnête, donnaient le temps au pays de s’accoutumer à la forme républicaine, à la pratique de ses nouveaux droits, à la stabilité enfin dont nous avons si totalement perdu le sentiment.

Prétendre davantage dans la confusion d’idées où nous sommes est démence ; une démence plus grande encore serait d’attendre quoi que ce soit de l’avènement au pouvoir de M. Louis Bonaparte.

Personnellement inconnu à la France, je me trompe, connu par deux aventures ridicules auxquelles le bon sens populaire a laissé le nom d’échauffourées de Strasbourg et de Boulogne, le neveu de l’empereur semble se faire un titre suprême de cette absence de titres sérieux à la confiance publique. Ses partisans, jugeant avec justesse qu’ils ne parviendraient pas à déguiser une nullité avérée depuis vingt ans et qui d’ailleurs se trahit au premier coup d’œil dans les traits effacés, le geste incertain, le regard vague et jusque dans l’accent équivoque de leur candidat ; voyant qu’il fallait renoncer à lui faire exprimer dans un langage supportable une idée quelconque, ont imaginé, ce qui ne s’est vu qu’aux temps de corruption et de décadence des empires, de vanter à la nation la plus intelligente du monde cette nullité même. Comme s’ils avaient affaire au peuple des grenouilles, ils nous disent avec un imperturbable aplomb : Vous êtes las d’agitation et de troubles ? Prenez un soliveau : rien de plus pacifique. Le soliveau ne gouvernera pas : rare, précieux avantage ! Il laissera gouverner autrui. Or, autrui, dans la tactique des meneurs d’intrigue, c’est celui à qui l’on parle ; c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. Un président qui préside et ne gouverne pas, admirable variante du programme de 1830 qui a décidé sans doute ce surprenant concours de M. Barrot, l’enthousiasme de la rue de Poitiers, la neutralité bienveillante de M. Thiers.

On assure également que cette perspective du soliveau a beaucoup d’attrait pour le parti légitimiste qui d’ailleurs professant depuis longtemps cette maxime : que la Providence fait sortir du plus grand mal le plus grand bien, est chrétiennement engagé à procurer autant que possible ce pire état d’où naîtra le souverain bien, autrement dit, la restauration d’Henri V.

Il y aurait peu de clairvoyance toutefois, et beaucoup de cet entêtement de parti dont j’ai à cœur de me défendre, à ne pas reconnaître que les chances de M. Louis-Bonaparte ne sont pas seulement l’œuvre de l’intrigue mais qu’elles se fondent sur l’opinion libre d’une classe très nombreuse, sur la disposition d’esprit du peuple des campagnes et même d’une fraction de la classe ouvrière des villes.

Les campagnes sont mécontentes. L’impôt des 45 c. et la crainte du partage des terres qui s’est emparée de l’imagination des paysans ont soulevé contre la République une colère peu réfléchie, mais d’autant plus opiniâtre. Généralement taciturne, le paysan goûte peu les assemblées délibérantes : la liberté de la presse, dont il n’use jamais, n’a pour lui aucun charme : ce qu’il veut avant tout, c’est un pouvoir fort qui lui garantisse la jouissance et la transmission de sa propriété. Or, ses notions politiques ne lui permettent pas de concevoir le pouvoir autrement que sous la forme personnelle ou monarchique.

Mais comme il a vu en ces derniers temps deux monarchies tomber sans résistance, il se méfie des restaurations bourbonniennes ; il pense qu’un empereur seul, un nouveau Napoléon aura la main assez ferme pour réduire les bavards au silence et faire rentrer sous terre les communistes ou partageux, c’est ainsi qu’il les appelle. Il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas un président, ce n’est pas un citoyen nommé Louis Bonaparte, que les paysans vont élire ; c’est un empereur, mieux que cela, c’est l’empereur ; l’empereur en redingote grise et en petit chapeau ; l’empereur d’Austerlitz, l’empereur de Béranger surtout, car c’est la chanson du pète qui a ouvert au grand capitaine la porte des chaumières ; c’est par Béranger, ce rhapsode familier de l’histoire impériale, que les batailles de Napoléon sont devenues l’Iliade du peuple.

La préoccupation des dangers dont la propriété se croit menacée, préoccupation qui est pour beaucoup dans la réaction contre le principe républicain, influe aussi, sans peut-être qu’ils en aient conscience, sur le vote des Orléanistes et des légitimistes. Les uns et les autres en faisant alliance, estiment d’un bon exemple que le principe de la transmission héréditaire triomphe en politique, c’est une garantie de plus pour l’hérédité des biens, et d’ailleurs chacun espère que le droit de naissance une fois rétabli et sanctionné par l’élection de M. Louis Bonaparte, il ne sera pas malaisé, vu l’incapacité du personnage, de faire remonter l’application du principe à qui de droit, c’est-à-dire, selon ceux-ci, au Comte de Paris, selon ceux-là, à Henri V.

Calculs insensés, erreurs déplorables de tous les partis qui travaillent sans le vouloir au profit d’une coterie. « Ces alliances, a dit autrefois M. Thiers, ne sont qu’une réciproque duperie. Ceux qui croient y gagner y perdent la considération publique. »[3]

Les populations rurales qui veulent une dictature seront cruellement déçues le jour où, par leur faute, le pouvoir passera aux mains indécises d’un homme qui n’a jamais occupé d’autre fonction politique que celle de constable, et qui, à défaut d’expérience, ne possède ni le génie qui devine, ni l’autorité qui s’impose.

Incapable de tenir unis les hommes d’État dont le concours anormal favorise ses projets, M. Louis Bonaparte se verra bientôt désavoué, abandonné dans son impuissance à la risée de l’Europe, à l’indignation du pays trompé.

L’armée, humiliée d’obéir à un chef qu’elle n’a jamais vu dans ses rangs, se divisera. Dans des camps séparés, elle servira des ambitions militaires qu’il n’est pas difficile d’entrevoir déjà, ou refusera, le cas échéant, de marcher contre les anarchistes. La Bourse, épouvantée à la seule annonce de l’élection de M. Bonaparte, nous présage ce que deviendront nos finances sous cette restauration impériale qui nous ramène sous les inconvéniens des restaurations : les dévoûmens à récompenser, les idées d’un autre temps, la morgue d’une camarilla, d’une émigration ridicule où l’on se traitait entre soi d’Altesse et de Majesté, et qui sait ? un protectorat étranger, peut-être ?

Électeurs, songez-y devant Dieu. Il y va de l’honneur de la France.

« Puisse le ciel, s’écriait dans un temps analogue au nôtre, une femme de génie[4], ne pas permettre qu’une si belle révolution n’ait été faite que pour quelques factieux au détriment du bon Peuple qui n’avait besoin que de soutien pour se perfectionner ! »

Peuple électeur, méditons ces graves paroles ; rentrons en nous-mêmes ; recueillons nos pensées ; élevons nos cœurs au dessus de nos préférences et de nos antipathies personnelles, au dessus de l’esprit de parti, au-dessus de toutes les considérations légitimes mais subalternes. Faisons taire un moment nos passions ; ne prenons conseil que de la raison et de l’honneur. N’oublions pas que nous allons écrire une page ineffaçable de notre histoire. Songeons que nous avons le monde pour témoin et la postérité pour juge.

Sursum corda !


  1. Au moment où j’achève cette lettre, la trame fragile est déjà rompue ; la candidature de M. Raspail adoptée par les socialistes, vient encore diminuer les chances de M. Ledru-Rollin.
  2. Voir la lettre VIII.
  3. La monarchie de 1830.
  4. Madame Roland.