Lettres satiriques

La bibliothèque libre.



CONTRE UN POLTRON.

LETTRE I.


MONSIEUR,

Je ſçay que vous eſtes trop ſage pour conſeiller jamais un Duel ; c’eſt pourquoy je vous demande voſtre avis ſur celuy que j’ay reſolu de faire ; car enfin (comme vous ſçavez) l’honneur ſaly ne ſe lave qu’avec du ſang. Hier je fus apellé ſot, & l’on s’émancipa de me donner un ſoufflet en ma preſence : Il eſt vray que ce fut en une compagnie fort honorable. Certains ſtupides en matiere de démélez, diſent qu’il faut que je periſſe, ou que je me vange. Vous, Monſieur, dites-moy, vous, mon plus cher Amy, & que j’eſtime trop ſage pour m’exciter à aucune action cruelle ; Ne ſuis-je pas aſſez maltraitté de la langue, & de la main de ce Poltron, ſans irriter encore ſon épée ; car quoy que je ſois mary d’eſtre appellé ſot, je ſerois bien plus fâché qu’on me reprochât d’eſtre défunt. Si j’eſtois enfermé dans un ſepulchre, il pourroit à ſon aiſe, & en ſeureté, mal parler de mon courage. Ne ſeray-je donc pas mieux de demeurer au monde, afin d’eſtre toûjours preſent pour le châtier quand ſa temerité m’en donnera ſujet. Infailliblement ceux qui me conſeillent la tragedie, ne jugent pas que ſi j’en ſuis la caſtatrophe, il ſe moquera de ma valeur : Si je le tuë, on croira que je l’ay chaſſé du monde, parce que je n’oſois y demeurer tant qu’il y ſeroit ; Si je luy oſte la rapiere, on dira que j’apprehendois qu’il demeurât armé : Si nous demeurons égaux, à quoy bon ſe mettre au hazard du plus grand de tous les malheurs, qui eſt la mort, pour ne rien décider : Et puis quand j’aurois lettre du Dieu Mars, de ſortir de ce combat à mon honneur, il pourroit au moins ſe vanter de m’avoir contraint à commettre une inſigne folie : Non, non, je ne déguaiſne point ; c’eſt craindre ſon ennemy de vouloir par le moyen de la mort, ou l’éloigner de ſoy, ou s’éloigner de luy : Pour moy je n’apprehende pas qu’il ſoit où je ſeray. Il tient à gloire de n’avoir jamais redouté les Parques ; s’il veut que je le croye, qu’il ſe tuë, j’iray conſulter tous les Sages pendant ſoixante ou quatre-vingts ans, pour ſçavoir s’il a bien fait ; & ſi l’on me répond qu’oüy alors je tâcheray d’en vivre encore autant pour faire le reſte de mes jours penitence de ma poltronnerie. Vous trouverez peut-eſtre ce procedé fort étrange dans un homme de cœur comme moy : Mais, Monſieur, à parler franc, je trouve que j’aime mieux me tenir à ma carte, que de mettre au hazard en les broüillant, d’en avoir une pire. Ce Monſieur le Matamore veut peut eſtre mourir bien-toſt, afin d’en eſtre quitte de bonne heure ; mais moy qui ſuis plus genereux, je tâche de vivre plus long-temps, an riſque d’eſtre long-temps en eſtat de pouvoir mourir. Penſe-t’il ſe rendre fort recommandable, pour témoigner qu’il s’ennuye de ne pas retourner à la nuit ſa premiere maiſon, eſt-ce qu’il a peur du Soleil ? Helas ! le pauvre bufle, s’il ſçavoit ce que c’eſt que d’eſtre trépaſſé, rien ne le prefferoit. Un homme ne fait rien d’illuſtre qui devant trente ans met ſa vie en danger, parce qu’il expoſe ce qu’il ne connoiſt pas ; mais lors qu’il la hazarde depuis cét âge-là, je ſoûtiens qu’il eſt enragé de la riſquer, l’ayant connuë. Quant à moy je trouve le jour tres-beau, & je n’aime point à dormir ſous terre, à cauſe qu’on n’y voit goutte. Qu’il ne s’enfle point pourtant de ce refus, car je veux bien qu’il ſçache que je ſçay une botte à tuer meſme un Geant charmé, & qu’à cauſe de cela je ne veux point me battre, de peur qu’on ne l’apprenne. Il y a encore cent autres raiſons qui me font abhorrer le Duel ; Moy j’irois ſur le pré, & là fauché parmy l’herbe m’embarquer poſſible pour l’autre monde : Helas ! mes creanciers n’attendent que cela pour m’accuſer de banqueroute ; mais penſeroit-il meſme m’avoir mis à jubé, quand il m’auroit oſté la vie, au contraire j’en deviendrois plus terrible, & je ſuis aſſuré qu’il ne pourroit me regarder quinze jours aprés, ſans que je luy fiſſe peur. S’il aſpire à la gloire de m’avoir égorgé pourveu que je me porte bien, je luy permets de ſe vanter par tout d’eſtre mon bourreau ; auſſi-bien quand il m’auroit tué, la gloire ne ſeroit pas grande, une poignée de cyguë en feroit bien autant. Il va s’imaginer peut-eſtre que la Nature m’a fort mal-traitté en me refuſant du courage ; mais qu’il apprenne que la Nature ne ſçauroit nous joüer un plus vilain trait, que de ſe ſervir contre nous de celuy du fort ; que la moindre Puce en vie, vaut mieux que le grand Alexandre decedé ; & qu’enfin je me ſens indigne d’obliger des Torches beniſtes à pleurer ſur mes armoiries : J’aime veritablement qu’on me flate de toutes les qualitez d’un bel eſprit, horſmis de celle d’heureuſe memoire, qui m’eſt inſupportable, & pour cauſe ; Une autre raiſon me défend encore les batailles ; J’ay compoſé mon Epitaphe, dont la pointe eſt fort bonne, pourveu que je vive cent ans ; & j’en ruinerois la rencontre heureuſe, ſi je m’hazardois de mourir plus jeûne : Ajoutez à cela que j’abhorre ſur toutes choſes les maladies, & qu’il n’y a rien de plus nuiſible à la ſanté que la mort ; Ne vaut-il donc pas bien mieux s’encourager à devenir Poltron, que de ſe rendre la cauſe de tant de deſaſtres. Ainſi (forts de noſtre foibleſſe) on ne nous verra jamais ny pâlir , ny trembler que d’apprehenſion d’avoir trop de cœur : Et toy , ô ſalutaire poltronnerie ! je te vouë un Autel, & je promets de te ſervir avec un culte ſi devot, que pour commencer dés aujourd’huy, je dédie cette Epiſtre au Lâche le plus confirmé de tes enfans, de peur que quelque Brave, à qui je l’euſſe envoyée, ne ſe fût imaginé que j’eſtois homme à le ſervir pour ces quatre méchans mots qu’on eſt obligé d’écrire à la fin de toutes les Lettres ; Je ſuis,

MONSIEUR,
Voſtre Serviteur.


CONTRE
UN MEDISANT.

LETTRE II.


MONSIEUR,

Je ſçay bien qu’une ame baſſe comme la voſtre, ne ſçauroit naturellement s’empêcher de médire, auſſi n’eſt-ce pas une abſtinence où je vous veüille condamner : La ſeule courtoiſie que je veux de vous, c’eſt de me déchirer ſi doucement, que je puiſſe faire ſemblant de ne le pas ſentir. Vous pouvez connoiſtre par là qu’on m’envoye la Gazette du Païs Latin ; Remerciez Dieu, de ce qu’il m’a donné une ame aſſez raiſonnable, pour ne croire pas tout le monde de toutes choſes, à cauſe que tout le monde peut dire toutes choſes ; autrement j’aurois appliqué à vos maux de ratte un plus ſolide & plus puiſſant antidote que le diſcours. Ce n’eſt pas que j’aye jamais attendu des actions fort humaines d’une perſonne qui ſortoit de l’humanité ; mais je ne pouvois croire, que voſtre cervelle euſt ſi generalement échoüé contre les bancs de la Rhetorique, que vous euſſiez porté en Philoſophie un homme ſans teſte. On auroit à la verité trouvé fort étrange, que dans un corps ſi vaſte, voſtre petit eſprit ne ſe fût pas perdu ; auſſi ne l’a-t’il pas fait longue, & j’ay oüy dire qu’il y a de bonnes années que vous ne ſçauriez plus abandonner la vie, que voſtre trépas accompagné de miracles ne vous faſſe canoniſer : Ouy, prenez congé du Soleil quand il vous plaira, vous eſtes aſſuré d’une ligne dans nos Litanies, quand le Conſiſtoire apprendra que vous ſerez mort ſans avoir rendu l’eſprit ; mais conſolez vous, vous n’en durerez pas moins pour cela ; Les Cerfs & les Corbeaux, dont l’eſprit eſt taillé à la meſure du voſtre, vivent quatre cens ans ; & ſi le manque de genie eſt la cauſe de leur durée, vous devez eſtre celuy qui fera l’Epitaphe du Genre humain. C’eſt ſans doute en conſequence de ce brutal inſtinct de voſtre nature, que vous choiſiſſez l’or & les pierres precieuſes pour répandre deſſus voſtre venin. Souffrez donc, encore que vous pretendiez vous ſouſtraire de l’empire que Dieu a donné aux hommes ſur les bêtes, que je vous commande de vomir ſur quelque choſe de plus ſale que mon nom, & de vous reſſouvenir (car je croy que les animaux comme vous ont quelque reminiſcence) que le Createur n’a donné à ceux de voſtre eſpece une langue que pour avaler, & non pas pour parler : Souvenez-vous-en donc, c’eſt le meilleur conſeil que vous puiſſiez prendre ; car quoy que voſtre foibleſſe faſſe pitié, celles des Poux & des Puces qui nous importunent, ne nous obligent pas à leur pardonner. Enfin ceſſez de mordre, Simulacre de l’envie ; car quoy que je ſois peu ſenſible à l’injure, je ſuis ſevere à la punir, rien n’empêcheroit la vertu d’un Elebore, qu’on appelle en François Tricot, duquel pour vous montrer que je ſuis Philoſophe (ce que vous ne croyez pas) je vous châtierois avec ſi peu d’animoſité, que le chapeau dans une main, & dans l’autre un bâton, je vous dirois en vous briſant les os ; Je ſuis,

MONSIEUR,
Voſtre tres-humble.


CONTRE
UNE DEMOISELLE AVARE.

LETTRE III.


MADEMOISELLE,

Si tout le monde eſtoit obligé comme moy, pour faciliter la lecture de ſes Lettre, d’envoyer de l’argent, les Balzacs, n’auroient jamais écrit, & les Aveugles ſçauroient lire ; Mais quoy, ſi les miennes ne ſont éclairées par la reflexion de l’or de quelque Loüys, vous n’y voyez que du noir de Grimoire ; & quand meſme je les aurois priſes dans Polexandre, je ſuis aſſuré d’avoir pour vous écrit en Hebreu ; Ouvrir la bouche, & mouvoir les levres en toutes les façons neceſſaires à l’expreſſion de noſtre langue, ne vous fait entendre que de l’Arabe : Pour vous parler François, il faut ouvrir la main, ainſi ma bourſe devient chez moy le ſeul organe, par lequel je vous puiſſe éclaircir les difficultez de la Bible, & vous rendre les Centuries de Noſtradamus auſſi faciles que le Pater. Enfin, Mademoiſelle, c’eſt de vous ſeule que l’on peut dire avec verité, point d’argent point de Suiſſe. Je me conſole aiſément de voſtre humeur, parce que tant que vous ne changerez point, je ſuis aſſuré d’eſtre en puiſſance avec la Croix de quelques piſtoles, de chaſſer plus facilement, qu’avec l’eau beniſte & l’exorciſme, le Demon d’avarice ; mais j’ay tort de vous reprocher une ſi grande baſſeſſe, ce ſont au contraire des motifs de vertu qui vous font agir de la ſorte ; car ſi vous tombez plus ſouvent ſous la Croix, que les malfaicteurs de Judée, c’eſt parce que vous croyez pieuſement que les Juſtes ne vous ſçauroient rien demander injuſtement, & que l’or, ce ſymbole de la pureté, ne vous ſçauroit eſtre donné qu’avec des intentions tres-pures. Je penſe meſme, comme vous eſtes, auſſi bien que bonne Chreſtienne, encore meilleure Françoiſe, que vous vous abaiſſez devant tous ceux qui vous preſentent les Images de nos Roys ; & que meſme comme vous eſtes d’une probité exemplaire, qui ne veut faire tort à perſonne, vous eſtes tellement ſcrupuleuſe à la diſtribution de vos faveurs, que vous vous appuyez davantage ſur les baiſers de dix piſtoles, que ſur ceux de neuf. Cette œconomie ne me déplaiſt pas, car je ſuis aſſuré, tenant ma bourſe dans une main, de tenir voſtre cœur dans l’autre. Tout ce qui me fâche, c’eſt de ce que cette chere Image, que vous juriez autrefois avoir imprimé fort avant dans voſtre cœur, vous la mettez hors de chez vous par les épaules, ſi toſt qu’elle y a demeuré trois jours ſans payer ſon giſte. Pour moy je penſe que vous avez oublié la definition de l’homme, car toutes vos actions me prouvent que vous ne me prenez que pour un animal donnant, cependant je croyois eſtre par l’opinion d’Ariſtote un animal raiſonnable ; mais je voy bien qu’il me faut reſoudre à ceſſer d’eſtre ce que je ſuis, du moment que je ceſſe de foüiller à ma poche. Corrigez, je vous prie, cette humeur qui convient fort mal à voſtre jeuneſſe & à cette generoſité dont vous vous faites toute blanche ; car il vous eſt honteux d’eſtre à mes gages, moy qui ſuis,

MADEMOISELLE,
Voſtre Serviteur.


CONTRE UN INGRAT.

LETTRE IV.


MONSIEUR,

Par l’affection que je vous ay portée dont vous eſtes indigne, je vous ay fait meriter d’eſtre mon ennemy. Si les Philiſtins autrefois n’euſſent laiſſé leurs vies ſous le bras de Samſon, nous ne ſçaurions pas aujourd’huy que la Terre eut porté des Philiſtins : Ils doivent leur vie à leur mort, & s’ils euſſent vécu dix ans plus tard, ils fuſſent morts trente Siecles plûtoſt ; Ainſi vous moiſſonnez malgré moy cette gloire de voſtre lâcheté, de m’avoir contraint de vous en punir. On me dira, je le ſçay bien, que pour avoir détruit un Pigmée, je n’attacheray pas à mon ſort la matière d’une illuſtre Epitaphe. Mais à regarder ſans intereſt le revers du paradoxe, ce Marius qui fit en trois Combats un Cimetiere à trois Nations, ne fut pas cenſé Poltron, lors qu’il frappoit les Grenoüilles du Marais, où il s’eſtoit jetté : Et Socrate ne ceſſa pas d’eſtre le premier homme de l’Univers, quand il eut écraſé les poux qui le mordoient dans ſon cachot : Non, non petit Nain, ne penſez pas eſtre quelqu’autre choſe ; eſſayez de vous humilier en voſtre neant, & croyez, comme une article de Foy, que ſi vous eſtes encore auſſi petit qu’au jour de voſtre naiſſance, le Ciel l’a permis ainſi, pour empêcher un petit mal de devenir grand : Enfin vous n’eſtes pas homme ; & que Diable eſtes-vous donc ? Vous eſtes peut-eſtre une Momie que quelque Farfadet aura volée à l’Eſcole de Medecine pour en effrayer le monde : Encore cela n’eſt-il point trop éloigné du vray-ſemblable, puis que ſi les yeux ſont les miroirs de l’ame, voſtre ame eſt quelque choſe de bien laid, cependant vous vous vantez de mon amitié. Ô Ciel ! puniſſeur des hereſies, châtiez celle-cy du Tonnerre. Je vous ay donc aimé ? Je vous ay donc porté mon cœur en offrande, donc vous m’eſtimiez ſot, au point d’avoir par charité donné mon ame au Diable ; mais ce n’eſt pas de moy ſeul que vous avez médit, les plus chatoüillans Eloges qui partent de vous ſont des Satyres, & Dieu ne vous eut point échappé ſi vous l’euſſiez connu. Tout ce qui reſpire, intereſſé à la perte des Monſtres, auroit déja tenté mes bonnes grâces par voſtre mort, mais il la neglige comme un coup ſeur, ſçachant que vous aviez en moy ſeul,

Voſtre Partie, Voſtre Juge,
& Voſtre Bourreau.


CONTRE SOUCIDAS.

LETTRE V.


HÉ ! par la mort, Monſieur le Coquin, je trouve que vous eſtes bien impudent de demeurer en vie aprés m’avoir offenſé : Vous qui ne tenez lieu de rien au monde, ou qui n’eſtes plus qu’un clou aux feſſes de la Nature ; Vous qui tomberez ſi bas, ſi je ceſſe de vous ſoûtenir, qu’une Puce en lêchant la terre, ne vous diſtinguera pas du pavé ; Vous enfin ſi ſale & ſi puant, qu’on doute (en vous voyant) ſi voſtre Mère n’a point accouché de vous par le derriere ; encore ſi vous m’euſſiez envoyé demander le temps d’un Peccavi : Mais ſans vous enquêter ſi je trouve bon que vous viviez encore demain, ou que vous mouriez dés aujourd’huy, vous avez l’impudence de boire & de manger, comme ſi vous n’eſtiez pas mort. Ah ! je vous proteſte de renverſer ſur vous un ſi long aneantiſſement, qu’il ne ſera pas vray de dire que vous ayez jamais vécu ; Vous eſperez ſans doute m’attendrir par la dedicace de quelque ennuyeux Burleſque ; Point, point, je ſuis inexorable, je veux que vous mouriez tout preſentement ; puis ſelon que ma belle humeur me rendra miſericordieux, je vous reſſuſciteray pour lire ma Lettre, auſſi bien quand pour regagner mes bonnes graces, vous me dedierez une Farce ; je ſçay que tout ce qui eſt ſot ne fait pas rire, & qu’encore que pour faire quelque choſe de bien ridicule, vous n’ayez qu’à parler ſerieuſement, voſtre Poeſie eſt trop des Halles, & je penſe que c’eſt la raiſon pourquoy voſtre Jugement de Pâris n’a point de debit : Donc ſi vous m’en croyez, ſauvez-vous au Barreau des ruades de Pegaſe ; vous y ſerez ſans doute un Juge incorruptible, puis que voſtre Jugement ne ſe peut acheter. Au reſte ce n’eſt point de voſtre Libraire ſeul, que j’ay appris que vous rimaſſiez : Je m’en doutois déja bien, parce que c’eût eſté un grand miracle ſi les Vers ne s’eſtoient pas mis dans un homme ſi corrompu : Voſtre haleine ſeule ſuffit à faire croire que vous eſtes d’intelligence avec la mort, pour ne reſpirer que la peſte ; & les muſcadins ne ſçauroient empêcher que vous ne ſoyez par tout le monde en fort mauvaiſe odeur : Je ne m’irrite point contre cette putrefaction, c’eſt un crime de vos Peres ladres : Voſtre chair meſme n’eſt autre choſe que de la terre crevaſſée par le Soleil, & tellement fumée, que ſi tout ce qu’on y a ſemé avoit pris racine, vous auriez maintenant ſur les épaules un grand bois de haute fuſtaye ; aprés cela, je ne m’étonne plus de ce que vous prouvez qu’on ne vous a point encore connu ; Il s’en faut en effet plus de quatre pieds de crote, qu’on ne vous puiſſe voir : Vous eſtes enſevely ſous le fumier avec tant de grace, que s’il ne vous manquoit un pot caſſé pour vous gratter, vous ſeriez un Job accomply. Ma foy vous donnez un beau démenty à ces Philoſophes qui ſe mocquent de la Création. S’il s’en trouve encore, je ſouhaite qu’ils vous rencontrent ; car je ſuis aſſuré qu’après voſtre veuë, ils croiroit aiſément que l’homme peut avoir eſté fait de bouë. Ils vous prêcheront, & ſe ſerviront de vous-meſme, pour vous retirer de ce malheureux Atheïſme où vous croupiſſez. Vous ſçavez que je ne parle point par cœur, & que je ne ſuis pas le ſeul qui vous a entendu prier Dieu, qu’il vous fit la grace de ne point croire en luy. Comment, petit Impie, Dieu n’oſeroit avoir laiſſé fermer une porte quand vous fuyez le bâton, qu’il ne ſoit par vous aneanty ; & vous ne commencez à le recroire, que pour avoir contre qui jurer, quand vos Dezeſcamotez répondent mal à voſtre avarice. J’avouë que voſtre ſort n’eſt pas de ceux qui puiſſent patiemment porter la perte, car vous eſtes gueux comme un Diogene, & à peine le Chaos entier ſuffiroit-il pour vous raſſaſier, c’eſt ce qui vous a obligé d’affronter tant de monde : Il n’y a plus moyen que vous trouviez pour marcher en cette Ville une ruë non creanciere, à moins que le Roy faſſe bâtir un Paris en l’air. L’autre jour au Conſeil de Guerre, on donna avis à Monſieur de Turenne de vous mettre dans un Mortier, pour vous faire ſauter comme une bombe dans Sainte Menehould, pour contraindre en moins de trois jours par la faim, les Habitans de ſe rendre. Je penſe, en verité, que ce ſtratagéme là reüſſiroit, puis que voſtre nez qui n’a pas l’uſage de raiſon ; ce pauvre nez, le repoſoir & le paradis des chiquenodes, ſemble ne s’eſtre retrouſſé, que pour s’éloigner de voſtre bouche affamée : Vos dents ? Mais bons Dieux ! où m’embaraſſay-je, elles ſont plus à craindre que vos bras, leur chancre & leur longueur m’épouvante ; auſſi bien quelqu’un me reprocheroit que c’eſt trop berner un homme, qui dit m’eſtimer beaucoup : Donc, ô plaiſant petit Singe, ô Marionnette incarnée, cela ſeroit-il poſſible ; mais je voy que vous vous cabrez de ce glorieux ſobriquet ! Helas demandez ce que vous eſtes à tout le monde, & vous verrez ſi tout le monde ne dit pas que vous n’avez rien d’homme que la reſſemblance d’un Magot : Ce n’eſt pas pourtant, quoy que je vous compare à ce petit homme à quatre pattes, ny que je penſe que vous raiſonniez auſſi bien qu’un Singe : Non, non, méler gambade ; car quand je vous contemple ſi décharné, je m’imagine que vos nerfs ſont aſſez ſecs & aſſez preparez pour exciter, en vous remuant, ce bruit que vous appellez parole, c’eſt infailliblement ce qui eſt cauſe que vous jaſez & fretillez ſans intervalle : Mais puis que parler y a ; Apprenez-moy de grace, ſi vous parlez à force de remuer, ou ſi vous remuez à force de parler ; ce qui fait ſoupçonner que tout le tintamarre que vous faites ne vient pas de voſtre langue, c’eſt qu’une langue ſeule ne ſçauroit dire le quart de ce que vous dites, & que la plûpart de vos diſcours ſont tellement éloignez de la raiſon, qu’on void bien que vous parlez par un endroit qui n’eſt pas fort prés du cerveau ; Enfin, mon petit gentil godenot, il eſt vray que vous eſtes toute langue, que s’il n’y avoit point d’impiété d’adapter les choſes ſaintes aux prophanes, je croirois que S. Jean prophetiſoit de vous, quand il écrivit que la parole s’étoit fait chair ; En effet, s’il me falloit écrire autant que vous parlez, j’aurois beſoin de devenir plume ; mais puis que cela ne ſe peut, vous me permettrez de vous dire adieu ; Adieu donc, mon Camarade, ſans compliment, auſſi bien ſeriez vous trop mal obey, ſi j’eſtois

Voſtre Serviteur.


CONTRE
MONSIEUR DE V.

LETTRE VI.


MONSIEUR,

Tant de careſſes de la Fortune que j’ay perduës en perdant voſtre amitié, me perſuadent enfin de me repentir d’avoir ſi fort contribué à ſa perte ; & ſi je ſuis en diſgrace, je confeſſe que je la merite, pour ne m’eſtre pas conſervé plus ſoigneuſement, & l’eſtime & la veuë d’une perſonne qui fait paſſer les moindres, dont il eſt viſité, ſous le titre de Comtes & de Marquis : Certes, Monſieur, vous vous faites le Pere de force grands Seigneurs qui ne croyoient pas l’eſtre, & je commence à m’appercevoir que j’ay tort d’avoir ainſi negligé ma fortune, car j’aurois poſſible gagné à ce jeu-là une Principauté. Quelques-uns blâment cette humeur prodigue ; mais ils ne ſçavent pas que ce qui vous engage à ces magnificences, eſt le paſſionné deſir qui vous emporte pour la multiplication de la Nobleſſe & que c’eſt pour cela, que ne pouvant mettre au jour de Gentils-hommes ſelon la chair, vous en voulez du moins produire ſpirituellement. Les Autheurs Romaneſques que vous connoiſſez donnent bien des Empires, à tel qui ſouvent n’avoit pas poſſedé deux arpens de terre ; mais voſtre talent eſt ſi égal au leur, qu’il vous met en droit d’uſer des meſmes privileges : On ſçait aſſez que tous ces grands Autheurs ne parlent pas mieux que vous, puis que vous parlez tout comme eux, & qu’à chaque moment vous vomiſſez & Caſſandre & Polexandre ſi crus, qu’on penſe voir dans voſtre bouche le papier deſſous les paroles. Les Critiques murmurent que le grand bruit dont vous éclatez n’eſt pas la marque d’un grand eſprit, que les vaiſſeaux vuides en excitent plus que ceux qui ſont pleins, & que peut-eſtre à cauſe du concave de voſtre cerveau remply de rien, voſtre bouche à l’exemple des cavernes, fait un écho mal diſtinct de tous les ſons qui la frappent ; mais quoy il ſe faut conſoler, celuy là eſt encore à naiſtre, qui a ſceu le moyen d’empêcher l’envie de mordre la vertu ; car je veux meſme, comme ils le diſent, que vous ne fuſſiez pas un grand Genie, vous eſtes toutefois un grand homme : Comment vous eſtes capable par voſtre ombre ſeule, de noircir un Jeu de Paulme tout entier ; perſonne n’entend parler de voſtre taille, qu’il ne croye qu’on faſſe l’hiſtoire d’un Cedre ou d’un Sapin ; & d’autres qui vous connoiſſent un peu plus particulierement, prouvant que vous n’avez rien d’homme que le ſon de la voix, aſſurent qu’ils ont appris par tradition que vous eſtes un Chêne tranſplanté de la Foreſt de Dodone : Ce n’eſt pas de mon avis qu’ils portent ce jugement ; au contraire, je leur ay dit cent fois qu’il n’y avoit point d’apparence que vous fuſſiez un Chêne, puis que les plus ſenſez tombent d’accord que vous n’eſtes qu’une bûche. Pour moy qui penſe vous connoiſtre de plus longue main, je leur ſoûtiens qu’il eſt tout à fait éloigné du vray-ſemblable d’imaginer que vous ſoyez un arbre ; car encore que cette partie ſuperieure de voſtre tout (qu’à cauſe du lieu de ſa ſcituation on appelle voſtre teſte) ne faſſe aucune fonction raiſonnable, ny meſme ſenſitive, je ne me perſuade pas pourtant qu’elle ſoit de bois, mais je m’imagine qu’elle a eſté privée de l’uſage des ſens, à cauſe qu’une ame humaine n’eſtant pas aſſez grande pour animer de bout en bout un ſi vaſte Coloſſe, la Nature a eſté contrainte de laiſſer en friche la Région d’enhaut : Et en effet, y a-t’il quelqu’un qui ne ſçache que quand elle logea ce qu’en d’autres on nomme l’Eſprit dans voſtre corps demeſuré, elle eut beau le tirer & l’allonger, elle ne pût jamais le faire arriver juſqu’à voſtre cervelle ; Vos membres meſme ſont ſi prodigieux, qu’à les conſiderer, on croit que vous avez deux Geans pendus au bas du ventre, à la place de vos cuiſſes ; & vous avez la bouche ſi large, que je crains quelquefois que voſtre teſte ne tombe dedans. En verité s’il eſtoit de la Foy de croire que vous fuſſiez homme, j’aurois un grand motif à ſoupçonner, qu’il a donc fallu mettre dans voſtre corps pour luy donner la vie, l’ame univerſelle du monde. Il faut en effet que vous ſoyez quelque choſe de bien ample, puis que toute la Communauté des Frippiers eſt occupée à vous veſtir, ou bien que ces gens-là qui cherchent le debit, ne pouvant amener toutes les ruës de Paris à la Halle, ayent chargé ſur vous leurs guenilles, afin de promener la Halle par tout Paris. Au reſte ce reproche ne vous doit point offencer, au contraire il vous eſt avantageux, il fait connoiſtre que vous eſtes une perſonne publique, puis que le public vous habille à ſes dépens, & puis aſſez d’autres choſes vous rendent conſiderable ; Je dis meſme ſans mettre en ligne de compte, que comme de l’épaiſſeur de la Vaſe du Nil, en ſuite de ſon débordement, les Egyptiens jugent de leur abondance, on peut ſupputer par l’épaiſſeur de noſtre embonpoint, le nombre des embraſſemens illegitimes qui ſe ſont faits en voſtre Fauxbourg : Et enfin, à propos d’arbre à qui je vous comparois tantoſt, on dit que vous en eſtes un ſi fertile, qu’il n’y a point de jour que vous ne produiſiez ; mais je ſçay bien que ces ſortes d’injures paſſent fort loin de vous, & que vos calomniateurs n’euſſent oſé vous ſoûtenir en face tant d’injures, du temps que la troiſiéme peinture des Cartes eſtoit vôtre portrait, vous traîniez alors une brette, qui vous auroit vangé d’eux, ils ne vous euſſent pas accuſé, comme aujourd’huy, d’effronterie en un eſtat de condition, où vous changiez ſi ſouvent de couleur. Voila, Monſieur, les peaux d’Aſnes, à peu prés dont ils perſecutent voſtre déplorable renommée : J’en ferois l’Apologie un peu plus longue, mais la fin du papier m’oblige de finir ; Permettez donc que je prenne congé de vous ſans les ceremonies accoûtumées, parce que ces Meſſieurs qui vous mépriſent fort, & dont je fais beaucoup d’eſtime, penſeroient que je fuſſe le valet du valet des Tambourineux, ſi j’avois mis au bas de cette Lettre, que je ſuis,

MONSIEUR,
Voſtre Serviteur.


CONSOLATION À UN AMI
SUR L’ÉTERNITÉ
DE SON BEAU PÈRE.

LETTRE VII.


MONSIEUR,

La Faculté bien mieux que moy, vous mettra quelque jour à couvert de la vie de ce perſonnage ; Laiſſez-la donc faire, elle a des bras dont perſonne ne pare les coups : Vous me répondrez ſans doute qu’il a paſſé déja plus de dix fois le temps de mourir, que la Parque ne s’eſt pas ſouvenuë de luy, & que maintenant qu’elle a tant marché depuis, elle ſera honteuſe & pareſſeuſe de revenir le prendre ſi loin. Non, non, Monſieur, eſperez toûjours juſqu’à ce qu’il ait paſſé neuf cens ans, l’âge de Mathuſalem ; mais enfin parlez-luy ſans ceſſe en grondant, criez, peſtez, tonnez dans ſa maiſon, croiſſez par tout à ſes yeux, & faites en ſorte qu’il ſe dépite contre le jour, n’eſt-il pas temps auſſi bien qu’il faſſe place à d’autres ; Comment Artephius & la Sybille Cumée au prix de luy n’ont fait que ſemblant de vivre. Il nâquit auparavant que la Mort fut faite, & la Mort à cauſe de cela n’oſeroit tirer ſur luy, parce qu’elle craint de tuer ſon Pere ; & puis même quand cette conſideration ne l’empêcheroit pas, elle le void ſi foible de vieilleſſe, qu’il n’auroit pas la force de marcher juſqu’en l’autre monde ; Et je penſe qu’une autre raiſon encore le fait demeurer debout, c’eſt que la Mort qui ne luy voit faire aucune action de vie, le prenant plutoſt pour une ſtatuë que pour un vivant, penſe qu’il eſt du devoir, ou du temps, ou de la Fortune, de le faire tomber. Aprés cela, Monſieur, je m’étonne fort que vous diſiez qu’eſtant preſt de fermer le cercle de ſes jours, & arrivant au premier poinct, dont il eſt party, il redevienne enfant : Ah ! vous vous mocquez, & pour moy je ne ſçaurois pas meſme m’imaginer qu’il l’ait jamais eſté, quoy luy petit garçon ? non, non, il ne le fut jamais, ou Moïſe s’eſt trompé au calcul qu’il a fait de la Creation du Monde : S’il eſt permis toutefois de nommer ainſi tout ce qui peut à peine faire les fonctions d’un enfant, je vous donne les mains ; car il faut en effet qu’il ſoit plus ignorant qu’une Plante meſme, de ne ſçavoir pas mourir, choſe que tout ce qui a vie ſçait faire ſans Precepteur. Ô ! que n’a-t’il eſté connu d’Ariſtote, ce Philoſophe n’euſt pas définy l’Homme Animal raiſonnable. Ceux de la Secte d’Epicure, qui démontrent que les beſtes uſent de la raiſon, en doivent excepter celle-là encore, s’il eſtoit bien vray qu’il fût beſte ; Mais, helas ! dans l’ordre des eſtres animez, il eſt un peu plus qu’un Artichaut, & un peu moins qu’une Huiſtre à l’Eſcaille ; de ſorte que j’aurois crû, ſi ce n’eſtoit que vous le ſoupçonnez de ladrerie, qu’il eſt ce qu’on appelle la plante ſenſitive. Avoüez donc que vous avez tort de vous ennuyer de ſa vie ; il n’a pas encore vécu, il n’a que dormy, attendez au moins qu’il ait achevé un ſomme : Eſtes-vous aſſuré qu’on ne luy ait pas dit que le Sommeil & la Mort ſont freres, il fait peut-eſtre ſcrupule (ayant bonne conſcience) aprés avoir joüy de l’une, d’avoir affaire à l’autre. N’inferez-pas cependant, enſuite de cela, que je veüille prouver par cette enfilade, que le perſonnage dont il eſt queſtion ſoit un ſot homme, point du tout, il n’eſt rien moins qu’homme ; car outre qu’il nous reſſemble par le Bapteſme, c’eſt un privilege dont joüiſſent auſſi bien que luy les Cloches de ſa Paroiſſe. Je parlerois de cette vie juſqu’à la mort pour ſoulager voſtre ennuy ; mais le ſommeil commence de cauſer à ma main de ſi grandes foibleſſes, que ma teſte par compagnie tombe ſur mon oreille. Ah ! par ma foy, je ne ſçay plus ce que j’écris. Adieu, bonſoir,

MONSIEUR,
Voſtre Serviteur.


CONTRE
UN PILLEUR DE PENSÉES.

LETTRE VIII.


MONSIEUR,

Puis que noſtre Amy butine nos Penſées, c’eſt une marque qu’il nous eſtime, il ne les prendroit pas s’il ne les croyoit bonnes, & nous avons grand tort de nous eſtomaquer de ce que n’ayant point d’enfans, il adopte les noſtres ; Pour moy ce qui m’offence en mon particulier (car vous ſçavez que j’ay un eſprit vangeur de torts, & fort enclin à la juſtice diſtributive) c’eſt de voir qu’il attribuë à ſon ingrate imagination les bons ſervices que luy rend ſa memoire, & qu’il ſe diſe le pere de mille hautes conceptions, dont il n’a eſté au plus que la Sage-Femme ; Allons, Monſieur, aprés cela nous vanter d’écrire mieux que luy, lors qu’il écrit tout comme nous, & tournons en ridicule qu’à ſon âge il ait encore un Eſcrivain chez luy, puis qu’il ne nous fait point en cela d’autre mal que de rendre nos œuvres plus liſibles ; Nous devrions, au contraire, recevoir avec reſpect tant de ſages avertiſſemens moraux, dont il tâche de reprimer les emportemens de noſtre jeuneſſe ; Oüy, certes, nous devrions y ajoûter plus de foy, & n’en douter non plus que de l’Evangile ; car tout le monde ſçait que ce ne ſont pas des choſes qu’il ait inventées. À la verité d’avoir un Amy de la ſorte, c’eſt entretenir une Imprimerie à bon marché ; Pour moy je m’imagine, en dépit de tous ſes grands Manuſcrits, que ſi quelque jour aprés ſa mort, on inventorie le Cabinet de ſes Livres, c’eſt à dire de ceux qui ſont ſortis de ſon Genie, tous ſes ouvrages enſemble, oſtant ce qui n’eſt pas de luy, compoſeront une Bibliotheque de papier blanc. Il ne laiſſe pas de vouloir s’attribuer les dépoüilles des morts, & de croire inventer ce dont il ſe ſouvient ; mais de cette façon il prouve mal la noble extraction de ſes penſées, de n’en tirer l’antiquité que d’un homme qui vit encore ; mais il veut par là conclure à la Metempſicoſe, & montrer que quand il ſe ſerviroit des imaginations de Socrate, il ne les voleroit point, ayant eſté jadis ce meſme Socrate qui les imagina ; & puis n’a-t’il pas aſſez de memoire pour eſtre riche de ce bien-là ſeul ? Comment il l’a ſi grande, qu’il ſe ſouvient de ce qu’on a dit trente Siecles auparavant qu’il fut au monde. Quant à moy qui ſuis un peu moins ſouffrant que les morts, obtenez de luy qu’il me permette de datter mes penſées, afin que ma poſterité ne ſoit point douteuſe : Il y eut jadis une Déeſſe Echo ; celuy-cy ſans doute, en doit eſtre le Dieu ; car de meſme qu’elle il ne dit jamais que ce que les autres ont dit, & le repete ſi mot à mot, que tranſcrivant l’autre jour une de mes Lettres (il appelloit cela compoſer) il eut toutes les peines du monde à s’empêcher de mettre, Voſtre Serviteur, Beaulieu, parce qu’il y avoit au bas,

Voſtre Serviteur,
de Bergerac.


AUTRE CONTRE
UN PILLEUR DE PENSÉES.

LETTRE IX.


MONSIEUR,

Aprés avoir échauffé contre nous cét homme qui n’eſt que flegme, n’apprehendons-nous point qu’un de ces jours on nous accuſe d’avoir brûlé la riviere. Cét eſprit aquatique murmure continuellement comme les fontaines, ſans que l’on puiſſe entendre ce qu’il dit. Ah ! Monſieur, que cét homme me fait prévoir à la fin des Siecles une étrange avanture ; c’eſt que s’il ne meurt qu’au bout de ſa memoire, les Trompettes de la Reſurrection n’auront pas de ſilence : Cette ſeule faculté dans luy ne laiſſe point de place aux autres, & il eſt un ſi grand perſecuteur du ſens commun, qu’il me fait ſoupçonner que le Jugement univerſel n’a eſté promis que pour en faire avoir aux perſonnes comme luy, qui n’en ont point eu de particulier ; Et à vous parler ingenuëment, quiconque le fera ſortir du monde aura grand tort, puis qu’il l’en fera ſortir ſans raiſon ; mais cependant il parle autant que tous les Livres, & tous les Livres ſemblent n’avoir parlé que pour luy. Il n’ouvre jamais la bouche que nous n’y trouvions un larcin, & il eſt ſi accoûtumé à mettre au jour ſon pillage, que meſme quand il ne dit mot, c’eſt pour dérober cela aux muets. Nous ſommes pourtant de faux braves, & nous partageons avec injuſtice les avantages du combat, noſtre eſprit ayant trois facultez de l’oppoſer au ſien, qui n’en a qu’une ; c’eſt pourquoy s’il a dans la teſte beaucoup de vuide, on luy doit pardonner, puis qu’il n’a pas eſté poſſible à la Nature de la remplir avec le tiers d’une ame raiſonnable ; En récompenſe il ne la laiſſe pas dormir, il la tient ſans ceſſe occupée à dépoüiller quelqu’un ; Et ces grands Philoſophes, qui croyoient s’eſtre mis par la pauvreté qu’ils profeſſoient, à couvert d’impoſts & de contributions, luy doivent par jour chacun juſqu’au plus miſerable une rente de dix penſées, & ce Maltotier de conceptions, n’en laiſſe pas échapper un qu’il ne taxe aux aiſez, ſelon l’étenduë de ſon revenu ; Ils ont beau ſe cacher dans l’obſcurité, il les ſçait bien trouver, & les fait bien parler François : Encore ont-ils ſouvent le regret de voir confiſquer leurs œuvres toutes entieres, quand ils n’ont pas le moyen de payer leur taxe, mais il continuë ces brigandages en ſeureté ; car il ſçait que la Grece & l’Italie relevant d’autres Princes que du noſtre, il ne ſera pas recherché en France des larcins qu’il aura fait chez eux. Je croy meſme qu’il penſe, à cauſe que les Payens ſont nos ennemis, ne pouvoir rien butiner ſur eux qui ne ſoit pris de bonne guerre. Voila, Monſieur, ce qui eſt cauſe que nous voyons chaque page de ſes Epitres eſtre le Cimetiere des vivans & des morts : Ne doutez point aprés cela que ſi au jour de la conſommation des Siecles, chacun reprend ce qui luy appartient, le partage de ſes écrits ne ſoit la derniere querelle des hommes. Aprés avoir eſté dans nos converſations cinq ou ſix jours à l’affût aux penſées, plus chargé de pointes qu’un Porc-épic, il les va ficher dans ſes Epigrammes & dans ſes Sonnets, comme des éguilles dans un ploton ; Cependant il ſe vante qu’il n’y a rien dans ſes Eſcrits qui ne luy appartienne auſſi juſtement, que le papier & l’encre qu’il a payez ; que les vingt-quatre Lettres de l’Alphabet ſont à luy comme à nous, & la diſpoſition par conſequent ; & qu’Ariſtote eſtant mort, il peut s’emparer de ſes Livres, puis que ſes terres qui ſont des immeubles, ne ſont pas aujourd’huy ſans Maiſtres ; mais aprés tout cela quelques-fois quand on luy trouve le manteau ſur les épaules, il l’adopte pour ſien, & proteſte de n’avoir jamais logé dans ſa memoire que ſes propres imaginations : pour cela il ſe peut faire, ſes Écrits eſtans l’Hoſpital où il retire les miennes. Si maintenant vous me demandez la definition de cét homme, je vous répondray que c’eſt un Echo qui s’eſt fait penſer de la courte haleine, & qui auroit eſté muet ſi je n’avois jamais parlé : Pour moy, je ſuis un miſerable Pere, qui pleure la perte de mes enfans ; Il eſt vray que de ſes richeſſes il en uſe fort genereuſement, car elles ſont plus à moy qu’à luy ; Et il eſt encore vray que ſi l’on y mettoit le feu, en y jettant de l’eau, je ne ſauverois que mon bien, c’eſt pourquoy je me retracte de tout ce que je luy ay reproché : De quelle faute, en effet, puis-je accuſer un innocent qui n’a rien fait, ou qui (quoy qu’il ait fait) ne l’a fait enfin qu’aprés moy ? Je ne l’accuſe donc plus, nous ſommes trop bons amis, & j’ay toujours eſté ſi joint à luy, qu’on ne peut pas dire qu’il ait jamais travaillé à quelque choſe où je n’aye eſté attentif. Ses ouvrages eſtoient mes ſeules penſées, & quand je m’occupois à imaginer, je ſongeois à ce qu’il devoit écrire : Tenez donc je vous ſupplie pour aſſuré, que tout ce que je ſemble avoir reproché cy-deſſus à ſa mandicité, eſt ſeulement pour le prier qu’il épargne ſes ridicules comparaiſons de nos peres, car ce n’eſt pas le moyen de devenir, comme il l’eſpere, Écrivain ſans comparaiſon, puis que c’eſt une marque d’avoir bien de la pente au larcin, de dérober juſqu’à des guenilles, & de n’avoir pour toute fineſſe de bien dire, que des comme, des de meſmes, ou des tout ainſi. Comment la foudre n’eſt pas aſſez loin de ſes mains dans la moyenne région de l’air, ny les torrens de la Trace aſſez rapides pour empêcher qu’il ne les détourne juſqu’en ce Royaume pour les marier par force à ſes comparaiſons ? Je ne vois pas le motif de ce mauvais butin, ſi ce n’eſt que ce flegmatique, de peur de laiſſer croupir ſes aquatiques penſées, eſſaye d’en former des torrens, craignant qu’elles ne ſe corrompent, ou qu’il veüille échauffer ſes froides rencontres avec le feu des éclairs & des Tonnerres ; Mais puis qu’enfin, pour tout ce que je luy ſçaurois dire, il ne vainquera pas les tyranniques malignitez de ſa Planette ; & puis que cette inclination de Filou le gourmande avec tant d’empire, qu’il glanne au moins ſur les bons Autheurs ; car quel butin pretend-il faire ſur un miſerable comme moy, il ne ſe chargera que de vétilles. Cependant il conſomme & les nuits & les jours à me dépouiller depuis les pieds juſqu’à la teſte ; de cela eſt ſi vray, que je vous feray voir dans toutes ſes Lettres le commencement & la fin des miennes. Je fuis,

MONSIEUR,
Voſtre Serviteur.


CONTRE
UN GROS HOMME.

LETTRE X.


ENfin, gros Homme, je vous ay veu, mes prunelles ont achevé ſur vous de grands voyages ; & le jour que vous éboulâtes corporellement juſqu’à moy, j’eus le temps de parcourir voſtre Hemiſphere, ou pour parler plus véritablement, d’en découvrir quelques cantons : Mais comme je ne ſuis pas tout ſeul les yeux de tout le monde, permettez que je donne voſtre portrait à la Poſterité, qui un jour ſera bien aiſe de ſçavoir comment vous eſtiez fait. On ſçaura donc en premier lieu, que la Nature qui vous ficha une teſte ſur la poitrine, ne voulut pas expreſſément y mettre de col, afin de le dérober aux malignitez de voſtre Horoſcope ; Que voſtre ame eſt ſi groſſe, qu’elle ſerviroit bien de corps à une perſonne un peu déliée ; Que vous avez ce qu’aux Hommes on appelle la face ſi fort au deſſous des épaules, & ce qu’on appelle les épaules ſi fort au deſſus de la face, que vous ſemblez un S. Denys portant ſon Chef entre ſes mains : Encore je ne dis que la moitié de ce que je voy, car ſi je deſcens mes regards juſqu’à voſtre bedaine, je m’imagine voir aux Limbes tous les Fidelles dans le ſein d’Abraham ; Sainte Urſule qui porte les onze mille Vierges envelopées dans ſon manteau, ou le Cheval de Troye farcy de quarante mille hommes : Mais je me trompe, vous eſtes quelque choſe de plus gros, ma raiſon trouve bien plus d’apparence à croire que vous eſtes une louppe aux entrailles de la Nature, qui rend la Terre jumelle. Hé ! quoy, vous n’ouvrez jamais la bouche, qu’on ne ſe ſouvienne de la Fable de Phaëton, où le Globe de la Terre parle, oüy le Globe de la Terre ; Et ſi la Terre eſt un Animal, vous voyant auſſi rond, & auſſi large qu’elle, je ſoûtiens que vous vous eſtes ſon mâle, & qu’elle a depuis peu accouché l’Amerique, dont vous l’aviez engroſſie. Hé bien, qu’en dites-vous, le Portrait eſt-il reſſemblant, pour n’y avoir donné qu’une touche ? par la deſcription de voſtre ſphere de chair, dont tous les membres ſont ſi ronds, que chacun fait un cercle, & par l’arondiſſement univerſel de voſtre épaiſſe maſſe, n’ay-je pas appris à nos Neveux que vous n’eſtiez point fourbe, puis que vous marchez rondement ? Pouvois-je mieux convaincre de menſonge ceux qui vous menacent de pauvreté, qu’en leur faiſant voir à l’œil que vous roulerez toujours ? Et enfin eſtoit-il poſſible d’enſeigner plus intelligiblement que vous eſtes un miracle, puis que voſtre gras embonpoint vous fait prendre par vos Spectateurs pour une Longe de Veau qui ſe promene ſur ſes lardons. Je me doute bien que vous m’objecterez qu’une Boule, qu’un Globe, ny qu’un morceau de chair, ne font pas des Ouvrages, & que la belle Sidon vous a fait triompher ſur les Théâtres de Veniſe : Mais entre vous & moy, vous en connoiſſez l’encloüeure ; il n’y a perſonne en Italie, qui ne ſçache que cette Tragédie eſt la Corneille d’Eſope ; que vous l’avez ſceuë par cœur auparavant que de l’avoir inventée, eſtant tirée de l’Aminte du Paſtor fido de Guarini, du Cavalier Marin, & de cent autres ; on la peut appeller la Piece des Pieces, & que vous ſeriez non ſeulement un Globe, une Boule, & un morceau de chair ; mais encore un miroir qui prend tout ce qu’on luy montre, n’eſtoit que vous repreſentez trop mal. Sus donc confeſſez la debte, je n’en parleray point ; au contraire, pour vous excuſer, je diray à tout le monde que voſtre Reyne de Cartage doit eſtre un corps compoſé de toutes les Natures ; parce qu’étant d’Afrique, c’eſt de là que viennent les Monſtres : Et j’ajoûteray meſme que cette Piece parut ſi belle aux Nobles de cette Republique, qu’à l’exemple des Acteurs qui la joüoient, tout le monde la joüoit. Quelques ignorans peut-eſtre concluront, à cauſe de la ſterilité de penſées qu’on y trouve, que vous ne penſiez à rien quand vous la fiſtes ; mais tous les habiles ſçavent qu’afin d’éviter l’obſcurité, vous y avez mis les bonnes choſes fort claires, & quand meſme ils auroient prouvé que depuis l’Ortil juſqu’au Sapin, c’eſt à dire depuis le Taſſe juſqu’a Corneille, les Poetes ont accouché de voſtre enfant, ils ne pourroient rien inſerer, ſinon qu’une ame ordinaire n’eſtant pas allez grande pour vivifier voſtre maſſe de bout en bout, vous fûtes animé de celle du monde, & qu’aujourd’huy c’eſt ce qui eſt cauſe que vous imaginez par le cerveau de tous les hommes : Mais encore ils ſont bien éloignez d’avouer que vous imaginez, ils ſoûtiennent qu’il n’eſt pas poſſible que vous puiſſiez parler, ou que ſi vous parlez, c’eſt, comme jadis l’antre de la Sibille, qui parloit ſans le ſçavoir : mais encore que les fumées qui ſortent de voſtre bouche, je voulois dire de voſtre bondon, ſoient auſſi capables d’enyvrer que celles qui s’exhaloient de cette Grotte, je n’y vois rien d’auſſi prophétique ; c’eſt pourquoy j’eſtime que vous n’eſtes au plus que la Caverne des ſept Dormans, qui ronflent par voſtre bouche. Mais, bons Dieux ! qu’eſt-ce que je voy ? vous me ſemblez encore plus enflé qu’a l’ordinaire. Eſt-ce donc le courroux qui vous ſert de Seringue ? Déjà vos jambes & voſtre teſte ſe ſont tellement unies par leur extenſion à la circonférence de voſtre Globe, que vous n’eſtes plus qu’un Balon. Vous vous figurez peut-eſtre que je me moque, par ma foy vous avez deviné, & le miracle n’eſt pas grand, qu’une boule ait frappé au but : Je vous puis meſme aſſurer que ſi les coups de bâton s’envoyoient par écrit, vous liriez ma Lettre des épaules ; & ne vous étonnez pas de mon procédé, car la vaſte étendue de voſtre rondeur me fait croire ſi fermement que vous eſtes une terre, que de bon cœur je planterois du bois ſur vous pour voir comment il s’y porteroit ? Penſez-vous donc à cauſe qu’un Homme ne vous ſçauroit battre tout entier en vingt-quatre heures, & qu’il ne ſçauroit en un jour échigner qu’une de vos omoplates, que je me veuille repoſer de voſtre mort ſur le Bourreau ? Non, non, je ſeray moy-meſme voſtre Parque, & ce ſeroit déjà fait de vous, ſi j’eſtois bien délivré d’un mal de rate, pour la gueriſon duquel les Medecins m’ont ordonné encore quatre ou cinq priſes de vos impertinences ; mais ſi-toſt que j’auray fait banqueroute aux divertiſſemens, & que je ſeray las de rire, tenez pour tout aſſuré que je vous envoyeray défendre de vous compter entre les choſes qui vivent ; Adieu, c’eſt fait. J’euſſe bien finy ma Lettre à l’ordinaire, mais vous n’euſſiez pas crû pour cela que je fuſſe voſtre tres-humble, tres-obeïſſant, & tres-affectionné : C’eſt pourquoy, Gros Crevé,

Serviteur à la paillaſſe.


CONTRE RONSCAR.

LETTRE XI.


MONSIEUR,

Vous me demandez quel jugement je fais de ce Renard, à qui ſemblent trop vertes les Mures où il ne peut atteindre ; je penſe que comme on arrive à la connoiſſance d’une cauſe par ſes effets, qu’ainſſi pour connoiſtre la force ou la foibleſſe de léſprit de ce perſonnage, il ne faut que jetter la veüe ſur ſes productions : Mais je parle fort mal de dire ſes productions, il n’a jamais ſceu que détruire, témoin le Dieu des Poètes de Rome, qu’il fait encore aujourd’huy radoter. Je vous avoueray donc au ſujet ſur lequel vous deſirez avoir mon ſentiment, que je n’ay jamais veu de ridicule plus ſerieux, ny de ſerieux plus ridicule que le ſien ; Le peuple l’approuve, aprés cela concluez. Ce n’eſt pas toutefois que je n’eſtime ſon Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/152 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/153 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/154 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/155 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/156 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/157 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/158 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/159 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/160 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/161 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/162 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/163 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/164 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/165 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/166 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/167 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/168 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/169 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/170 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/171 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/172 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/173 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/174 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/175 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/176 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/177 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/178 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/179 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/180


CONTRE
LES MEDECINS.

LETTRE XVIII.


MONSIEUR,

Puis que je ſuis condamné (mais ce n’eſt que du Médecin) dont j’appelleray plus aiſément que d’un Arreſt Prevoſtal, vous voulez bien que de meſme que les Criminels qui prêchent le peuple quand ils ſont ſur l’Echelle, moy qui ſuis entre les mains du Bourreau, je faſſe auſſi des remontrances à la jeuneſſe. La Fièvre & le Drogueur me tiennent le poignard ſur la gorge avec tant de rigueur, que j’eſpere d’eux qu’ils ne ſouffiriront pas que mon diſcours vous puiſſe ennuyer. Il ne laiſſe pas, Monſîeur le Gradué, de me dire que ce ne ſera rien, & proteſte cependant à tout le Monde que ſans miracle je n’en puis relever. Leurs préſages toutefois encore que funeſtes ne m’alarment gueres ; car je connois aſſez que la ſoupleſſe de leur art les oblige de condamner tous leurs Malades à la mort, afin que ſi quelqu’un en échape, on attribuë la gueriſon aux puiſſans remedes qu’ils ont ; & s'il meurt, chacun s’écrie que c’eſt un habile homme, & qu’il l'avoit bien dit. Mais admirez l’effronterie de mon Bourreau, plus je ſens empirer le mal qu’il me cauſe par les remedes, & plus je me plains d’un nouvel accident, plus il témoigne s’en réjoüir, & ne me penſe d’autre choſe, que d’un tant mieux. Quand je luy raconte que je ſuis tombé dans une ſincope létargique, qui m’a duré prés d’une heure, il répond que c’eſf bon ſigne ; Quand il me void entre les ongles d’un liux de ſang qui me déchire, bon, dit-il, cela vaudra une ſaignée ; Quand je m’attriſte de ſentir comme un glaçon qui me gagne toutes les extremitez, il rit en m’aſſurant qu’il le ſçavoit bien, que ſes remedes éteindroient ce grand feu ; Quelquefois meſme que ſemblable à la mort, je ne puis parler, je l’entends s’écrier aux miens qui pleurent de me voir à l’extrémité : Pauvres gens que vous eſtes, ne voyez vous pas que c’eſt la fiévre qui tire aux abois ? Voila comme ce traître me berce ; & cependant à force de me bien porter, je me meurs. Je n’ignore pas que j’ay grand tort d’avoir reclamé mes ennemis à mon ſecours : Mais quoy pouvois-je deviner que ceux dont la Science fait profeſſion de guérir, l'employeroient toute entiere à me tuer ; car helas ! c’eſt icy la premiere fois que je ſuis tombé dans la foſſe, & vous le devez croire, puis que ſi j’y avois paſſé quelqu’autrefois, je ne ſerois plus en eſtat de m’en plaindre ; Pour moy je conſeille aux ſoibles luitteurs, afin de ſe vanger de ceux qui les ont renverſez, de ſe faire Médecins, car je les aſſure qu’ils mettront en terre ceux qui les y avoient mis. En vérité je penſe que de ſonger ſeulement, quand on dort, qu’on rencontre un Médecin, eſt capable de donner la fiévre. A voir leurs animaux étiques, affublez d’un long drap mortuaire, ſoûtenir immobilement leur immobile Maiſtre, ne ſemble-t’il pas d’une bière, où la Parque s’eſt : miſe à califourchon, & ne peut-on pas prendre leur houſſine pour le Guidon de la mort, puis qu’elle ſert à conduire ſon Lieutenant ? C’eſt pour cela ſans doute que la Police leur a commandé de monter ſur des Mules, & non pas fur des Cavales, de peur que la race des Graduez venant à croître, il n’y eût à la fin plus de Bourreaux que de Patiens. O ! quel contentement j’aurois d’anatomiſer leurs Mules, ces pauvres Mules, qui n’ont jamais ſenty d’aiguillons, ny Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/184 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/185 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/186 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/187 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/188 Page:Cyrano de Bergerac - Œuvres, 1676, volume 1.djvu/189