Lettres sur les cours d’adultes/Lettre II

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Lettres sur les cours d’adultes
Revue pédagogique, second semestre 1885 (p. 459-461).
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CORRESPONDANCE


Nous recevons la communication ci-dessous faisant suite à celle que nous avons publiée dans notre dernier numéro :

À la Rédaction de la Revue pédagogique.

Permettez-moi de vous offrir mes meilleurs remerciements pour le bon accueil fait par la Revue à ma précédente lettre sur l’utilité des cours d’adultes. Si vous le voulez bien, j’essaierai aujourd’hui de rechercher les causes de décadence de ces cours et les moyens de les relever.

Les cours d’adultes, si prospères il y a quinze ans, et qu’on dit avoir vécu, ont fondu peu à peu pour des causes multiples dont, à notre avis, les principales sont les suivantes :

En premier lieu, le désarroi général survenu en l’année terrible, où les classes du soir se virent remplacées par les feux de bivouac éclairant les visages des écoliers de l’année précédente. Dans les pays occupés par l’ennemi, les classes du jour même étaient fermées, et on songeait plus alors aux malheurs sans nom de la France qu’aux livres et aux cahiers. À la reprise des cours d’adultes, la clientèle se trouva en grand déficit ; car les morts, les blessés et les disparus ne comptaient plus, et le découragement était partout. Alors, on s’adressa aux grands élèves des classes du jour, lesquels furent ainsi transformés en adultes pour les besoins de la cause. Ce fut une nouvelle atteinte portée aux classes du soir. En effet, outre que l’institution perdait son caractère essentiel, les vrais adultes, les conscrits et leurs camarades, se voyaient confondus avec des écoliers de douze à quatorze ans, se trouvaient gênés, humiliés, et ne tardaient pas à disparaître un à un. S’ils avaient leurs noms inscrits sur les listes, leur personne était loin de l’école. Mieux eût valu se contenter des quelques adultes qui se présentaient, que de tenter l’essai d’un cours bâtard qui ne pouvait réussir. Mais on voulait offrir des listes assez complètes, on tenait surtout à maintenir ses droits à l’indemnité ; c’est pourquoi on crut devoir faire flèche de tout bois. Cette faute, dont les conséquences fatales ne tardèrent pas à ouvrir les yeux aux plus incrédules, ne fit qu’accélérer la décadence. Enfin, elle eut encore sa source dans le calme qui devait succéder à l’enthousiasme des beaux jours, et qui dégénéra en indifférence en présence des douleurs de la patrie. Si nous ajoutons à ces causes diverses la suppression forcée des grandes récompenses et des importantes solennités auxquelles elles donnaient lieu ; ensuite, la note pédagogique un peu surfaite pour les besoins de la statistique, et les résultats obtenus souvent exagérés, nous aurons marqué les points faibles qui devaient amener l’affaiblissement progressif des cours d’adultes.

Les causes du mal étant connues, il est facile de trouver le remède. Nous répéterons que les cours d’adultes sont nécessaires et doivent être réorganisés. Ils pourraient revivre, croyons-nous, avec les conditions que nous allons indiquer. Mais, au préalable, si nous nous permettons d’émettre quelques vues contraires à la lettre des instructions ministérielles, nous en demandons pardon à l’autorité. Notre intention est bonne, et c’est sur elle que doit retomber la responsabilité de ce que nous avançons.

À l’égard du recrutement des adultes, il importe d’abord de refuser impitoyablement les enfants d’âge scolaire. Élèves obligés de l’école du jour, ils doivent se voir rigoureusement fermer les portes de l’école du soir. À l’expiration de leur temps de scolarité, c’est-à-dire vers l’âge de quatorze ans, ils seraient reçus et considérés alors comme de vrais adultes. Cette concession est nécessaire ; car si l’école du soir ne leur était ouverte que deux ans plus tard, il serait fort à craindre qu’elle ne les vit plus, ce qui serait très fâcheux assurément.

Cela accordé, voyons quand et comment se dressera la liste des élèves du soir ? C’est pour nous le point capital de la question.

Sans nous arrêter à ce qui se pratiquait, nous proposerions de prendre pour règle ce qui suit : Préparer les listes à partir du mois de juin et les clore le 1er  octobre. Serait-ce suffisant ? Non ; car le registre courrait grand risque de rester en blanc. C’est à l’instituteur qu’incombe le soin de dresser ce nouveau genre de rôle de recrutement, de s’en préoccuper et d’agir. Il connaît son monde et n’est pas exposé à des dérangements inutiles. Qu’il établisse donc lui-même sa liste, et qu’il la fasse connaître ensuite aux intéressés : sa démarche sera bien vue, ses conseils bien écoutés et les adhésions unanimes. Si quelques-uns (cas qui n’est guère à prévoir) se montraient un peu récalcitrants, qu’il se fasse aider par e maire, le délégué cantonal ou quelque autre personne influente de la commune qui ne lui refuseront jamais ce service. Combien la chose est simple et facile au village, et combien elle peut ajouter à la considération d’un directeur d’école ! Ce résultat obtenu, il lui reste à se mettre en règle avec l’administration, ce qui n’est pas une charge, mais une satisfaction résultant du devoir accompli.

Que va faire l’instituteur, maintenant qu’il a ses élèves, et par conséquent un cours d’adultes sérieux et assuré ? Pour lui, la seconde question à résoudre est celle-ci : Quels seront les jours et heures des cours, et que comprendra l’enseignement ? Partant de ce principe dont le directeur ne doit jamais se départir, à savoir que les élèves adultes doivent être traités en hommes et non en écoliers espiègles, il réunira un certain jour de septembre ses grands élèves pour prendre leur avis au sujet des jours et des matières de cours. Il ne pourra sortir que de bonnes choses de cette causerie préliminaire qui flattera les intéressés d’abord, et déchargera le maître d’une partie de sa responsabilité.

Quoi qu’il en soit, il importe de ne s’arrêter qu’à des résolutions simples et pratiques. Trois séances par semaine au plus, de deux heures chacune, sont très suffisantes, si l’on veut que le travail soit sérieux et profitable. Entreprendre de faire davantage serait revenir à la vieille routine qui n’est plus de mode dans l’Université. Que, du 45 novembre au 15 mars, les cours aient lieu régulièrement, le lundi, le mercredi et le vendredi de chaque semaine, de 7 à 9 heures du soir, Cela produira un travail effectif de 96 heures. Or, que ne fait-on pas en 96 heures bien employées ?

Relativement au programme à adopter, nous désirerions que chaque matière eùt sa place marquée dans le tableau des cours. Par exemple, la séance du lundi serait consacrée à la langue française, orthographe, rédaction, lectures choisies, etc. ; celle du mercredi, aux sciences, arithmétique, toisé, dessin, et celle du vendredi, à l’histoire, la géographie et les notions de sciences physiques et naturelles. Qui empêcherait aussi d’afficher ce tableau après qu’il aurait été visé par l’autorité académique et le maire de la commune ? Surtout, que ces matières si vastes soient toujours présentées simplement, sans prétention, mais avec ordre et méthode, et en vue seulement des besoins ordinaires de la vie. L’instituteur y parviendra en recourant à une préparation sérieuse, il en sera dédommagé, d’abord par le bien qu’il fera, et ensuite par la réputation d’homme consciencieux et instruit que lui vaudra un enseignement correct, intéressant, pratique et varié. Disons que c’est pour ne pas s’être suffisamment conformés à cette règle que les maîtres ont vu leurs cours décliner et finalement tomber. Comme ces derniers étaient trop souvent la répétition pure et simple des classes du jour, moins l’entrain et le mouvement (la grande majorité des élèves appartenant à cette section }, les vrais adultes s’en sont vite fatigués pour bientôt les déserter complètement.

Les cours d’adultes ouverts dans les petites communes ne pourront avoir qu’un nombre restreint d’auditeurs au milieu desquels l’instituteur se trouvera toujours fort à l’aise ; dans les communes importantes, il pourra confier à des adjoints une partie des cours, sauf à s’en réserver la surveillance ; enfin, dans les villes, il lui sera possible de se renforcer de collaborateurs, pris parmi les fonctionnaires et les gens studieux, pour quelques branches spéciales dont il se trouvera ainsi déchargé au grand profit de tous.

Sans demander que les générosités de l’État et des départements se reproduisent aussi largement qu’autrefois, nous pensons qu’il serait avantageux de rétablir une classe spéciale de récompenses en faveur des cours d’adultes, consistant en mentions, prix et médailles, aussi modestes qu’on voudra, indépendamment des droits à l’avancement pour les directeurs. Peut-être avait-on trop fait avant 1870 ; ce qui est certain, c’est qu’on a fait trop peu depuis cette époque. Entre ces deux extrêmes, il y avait un juste milieu à garder auquel il faudrait revenir. L’essentiel n’est pas de donner beaucoup, mais de prouver qu’on reconnaît les services, moins par la valeur réelle des récompenses que par la manière de les décerner. Ceci est l’affaire de l’administration, qui ne se fait jamais longtemps prier lorsqu’il s’agit d’encourager en rendant bonne justice à chacun.

Nous nous arrêtons. Nous avons montré comment les cours d’adultes ont été peu à peu délaissés, et comment il nous semble possible de les rétablir. Puissent ces simples réflexions être de quelque valeur pour le bien de l’enseignement et la prospérité du pays !

Veuillez agréer, etc.

Lons-le-Saulnier, le 23 octobre 1885.

C. Dubois,
Inspecteur primaire en retraite.