Lionel Lincoln/Chapitre VI

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 4p. --88).


CHAPITRE VI.


Que n’a-t-il plus d’embonpoint ! mais je ne crains guère : il sourit rarement, et son sourire est tel qu’on dirait qu’il se moque de lui-même et méprise son esprit qui est capable de sourire de quelque chose.
Shaspeare. Jules César.


Pendant la semaine suivante Lionel apprit plusieurs circonstances moins importantes que les faits dont nous venons de parler, mais qui en étaient la suite naturelle, et dont les détails excéderaient les bornes de cette histoire. Il avait été reçu par ses frères d’armes avec cette cordialité qu’un compagnon riche, aimable et plein d’aisance, sinon jovial, était sur de trouver chez des hommes qui ne respiraient que le plaisir. Le premier jour de la semaine, un mouvement extraordinaire s’était opéré parmi les troupes ; des changements, des promotions avaient eu lieu, et Lionel lui-même y fut compris. Au lieu de rentrer dans les rangs de son régiment, il avait reçu ordre de se tenir prêt à prendre le commandement du corps d’infanterie légère qu’on exerçait au genre de service auquel est propre ce genre de troupe. Comme tout le monde savait que le major Lincoln était né à Boston, le commandant en chef, par suite de l’indulgence et de la bonté qui lui étaient naturelles, lui avait permis de différer d’entrer en fonctions, afin qu’il pût se livrer librement aux sentiments de la nature. On disait généralement que le major Lincoln, quoiqu’il fût décidé à partager le sort de l’armée en Amérique, si la triste alternative d’un appel aux armes devenait nécessaire, avait reçu la permission de s’amuser deux mois, comme il le jugerait à propos, à dater du jour de son arrivée. Ceux qui se piquaient d’être plus clairvoyants que le vulgaire voyaient ou croyaient voir dans cet arrangement un plan profond et bien combiné de la part de Gage, pour se servir de la présence du jeune Bostonien au milieu de ses parents et de ses amis naturels, pour les ramener à ces sentiments de loyauté et de fidélité envers le roi que beaucoup d’entre eux étaient soupçonnés d’avoir oubliés.

Bien cependant ne justifiait ces conjectures, ni dans la conduite, ni dans la manière de vivre de Lionel. Il continuait à demeurer chez Mrs Lechmere ; mais ne voulant pas abuser de l’hospitalité de sa tante, il avait loué à peu de distance un logement où demeuraient ses domestiques, et où on savait qu’il recevait toutes ses visites. Le capitaine Polwarth ne manque pas de se plaindre hautement d’un arrangement qui détruisait d’un seul coup toutes les espérances qu’il avait fondées sur le séjour de son ami dans une maison qu’habitait sa maîtresse, et où il s’était flatté de s’introduire. Mais comme Lionel recevait ses amis chez lui, avec la libéralité convenable à un jeune homme possesseur d’une grande fortune, le gros officier d’infanterie légère y puisait mille sources de consolation qui lui auraient été refusées si la grave Mrs Lechmere avait présidé aux arrangements domestiques de Lionel.

Lionel et Polwarth étant enfants avaient été à la même école, puis membres du même collège à Oxford, et ensuite depuis bien des années ils étaient officiers au même corps de l’armée. Quoiqu’il eût été difficile de trouver deux hommes qui différassent plus complètement l’un de l’autre, soit au physique, soit au moral, cependant, par un de ces inconcevables caprices qui nous portent à aimer ceux qui forment le plus parfait contraste avec nous, il est certain que l’armée ne renfermait pas deux officiers plus étroitement unis. Il serait inutile de rechercher les causes de cette singulière amitié ; le hasard et l’habitude lient tous les jours des hommes plus dissemblables encore, et cette liaison devient plus forte encore lorsque l’une des parties jouit d’une égalité de caractère à toute épreuve. Quant à cette dernière qualité, le capitaine Polwarth la possédait au suprême degré ; sa bonne humeur habituelle contribuait autant que la bonne chère à augmenter l’embonpoint qui le faisait remarquer, et s’il ne déployait pas toujours un esprit transcendant, son inaltérable gaieté ne le quittait jamais.

Comme Lionel passait la plus grande partie de son temps chez Mrs Lechmere, et qu’il ne pouvait pas surveiller ce que le capitaine Polwarth appelait son ménage, celui-ci en prit la direction avez un zèle qu’il ne cherchait pas à faire passer pour désintéressé. Par la règle établie dans le régiment, il était forcé de faire partie de la table des officiers, où l’économie et les lois somptuaires apportaient à ses talents et à ses désirs des obstacles difficiles à surmonter ; mais chez Lionel, il trouvait l’occasion après laquelle il soupirait en secret depuis longtemps, de pouvoir, sans regarder à la dépense, exercer ses talents culinaires, et satisfaire ses goûts gastronomiques. Quoique les pauvres de la ville, ne trouvant plus d’ouvrage, n’eussent pu subsister sans les aumônes abondantes, les vêtements et les vivres qu’ils recevaient des parties des colonies les plus éloignées, cependant les marchés ne manquaient encore d’aucune des choses nécessaires à la vie, et même à la bonne chère, pour celui qui avait les moyens de les payer. Le capitaine se trouvait dans son centre, et dans la quinzaine qui suivit l’arrivée de Lionel, on sut à la table des officiers que Polwarth dînait tous les jours avec son ancien ami, le major Lincoln, quoique, à dire vrai, ce dernier fût invité plus de la moitié du temps chez les principaux officiers de l’état-major.

Cependant Lionel continuait à coucher chez sa tante, dans Tremont-Street, où il retournait toujours avec un plaisir et une assiduité que la froideur de leur première entrevue ne semblait pas promettre. Il est vrai que son intimité avec Mrs Lechmere ne faisait pas beaucoup des progrès ; cette dame, toujours cérémonieuse, quoique polie, s’entourait de dehors froids et artificieux qui auraient ôté à Lionel toute occasion de rompre la glace de son caractère, lors même qu’il en eût eu le désir. En revanche, au bout de quelques jours, il eut tout lieu d’être satisfait de l’accueil qu’il reçut de ses jeunes cousines. Agnès Danforth, qui n’avait rien à cacher, céda insensiblement à sa franchise et à son amabilité, et avant la fin de la première semaine, elle défendait les droits des colons, riait des folies des jeunes officiers, et avouait ses propres préjugés avec une grâce et une gaieté qui la rendit bientôt la favorite de son cousin anglais, car c’était ainsi qu’elle appelait Lionel. La conduite de Cécile Dynevor était beaucoup plus singulière, parfois même tout à fait inexplicable. Pendant des jours entiers elle était réservée, silencieuse et hautaine ; et tout à coup, sans raison, et comme par une impulsion subite, son humeur devenait douce et facile ; toute son âme passait dans ses yeux brillants, et son innocente gaieté la dépouillant d’une froide contrainte, faisait son bonheur, celui des autres, et enchantait tous ceux qui la voyaient. Lionel réfléchit pendant des heures entières aux variations inconcevables de l’humeur de sa jeune parente. Il y avait quelque chose de si piquant jusque dans les caprices de Cécile dont la taille élégante et la physionomie expressive donnaient du charme à tout ce qu’elle faisait, que Lionel résolut d’étudier tous ses gestes, d’épier tous ses sentiments, afin d’en pouvoir définir la cause. Cette assiduité plut à Cécile, et ses manières devinrent insensiblement moins bizarres et plus séduisantes, tandis que Lionel, sous l’influence de ce nouveau charme, ne vit plus rien, ne remarqua plus rien que la grâce et les charmes de sa cousine.

Dans une société nombreuse où les plaisirs, le monde et une multitude d’objets conspirent à nous distraire, de tels changements n’auraient pu être que le résultat d’une longue connaissance, si toutefois ils étaient arrivés ; mais dans une ville comme Boston, que presque tous ceux que connaissait Cécile avaient déjà abandonnée, et où ceux qui restaient encore vivaient seuls et inquiets au fond de leurs maisons, rien ne venait s’opposer à l’influence que, sans le savoir, ces jeunes gens exerçaient l’un sur l’autre, et il s’établit entre eux une sorte d’intelligence, sinon même de sympathie, dans le cours de cette quinzaine mémorable, pendant laquelle se préparaient des événements bien autrement importants dans leurs résultats que ceux qui peuvent intéresser une seule famille.

L’hiver de 1774 avait été aussi remarquable par sa douceur que le printemps fut froid et pluvieux. Cependant, comme cela arrive toujours dans notre climat variable, un rayon de soleil venait quelquefois rappeler l’été au milieu des frimas ; mais bientôt des torrents de pluie froide, que chassaient devant eux les vents de l’est, semblaient s’opposer au retour des beaux jours. Ces temps orageux se multiplièrent dans le milieu d’avril, et Lionel se vit forcé de garder la maison.

Un soir que la pluie tombait presque verticalement contre les croisées du parloir de Mrs Lechmere, Lionel monta dans sa chambre pour aller finir quelques lettres qu’il avait commencées avant le dîner pour l’agent de sa famille en Angleterre. En entrant dans son appartement, qu’il avait laissé vide, il fut surpris de le voir occupé d’une manière qu’il ne prévoyait pas. Un feu de bois brûlait dans le foyer, et jetait une clarté vacillante sur tous les meubles qui se projetaient sur le parquet en ombres fantastiques. En ouvrant la porte, son regard tomba sur une de ces ombres, qui, se dessinant sur le mur et paraissant toucher au plafond, lui offrit les formes gigantesques mais réelles d’un être humain. Se rappelant qu’il avait laissé ses lettres ouvertes, et se fiant peu à la discrétion de Meriton, Lionel avança légèrement jusqu’à ce qu’il fût à portée de distinguer les objets, et, à son grand étonnement, il aperçut non son valet, mais son vieux compagnon de voyage. Le vieillard tenait la lettre écrite par Lionel, et il était si absorbé dans sa lecture, qu’il ne l’entendit point approcher. Un large manteau d’étoffe grossière et ruisselant d’eau cachait sa taille ; mais quoique ses cheveux blancs couvrissent une partie de sa figure, on ne pouvait méconnaître ses traits où le malheur était gravé en caractères ineffaçables.

— J’ignorais que je dusse recevoir votre visite, dit Lionel en s’avançant vivement au milieu de la chambre ; sans cela je n’aurais pas autant tardé à revenir chez moi, où je crains que vous ne vous soyez ennuyé, Monsieur, n’ayant pour distraction que ce chiffon de papier.

Le vieillard tressaillit, leva la tête, et Lionel vit avec surprise que de grosses larmes sillonnaient ses joues creuses et amaigries. Le regard courroucé avec lequel il avait abordé le vieillard fit place à une tendre pitié, et il allait lui parler d’un ton plus doux, lorsqu’il fut prévenu par l’étranger que son air de hauteur et de mécontentement n’avait point paru intimider.

— Je vous comprends, major Lincoln, dit-il avec calme ; mais il peut exister des raisons capables de justifier une indiscrétion plus forte encore que celle dont vous m’accusez. Le hasard et non l’intention m’a fait connaître vos plus secrètes pensées sur un sujet qui m’intéresse vivement. Souvent, pendant notre voyage, vous m’avez pressé de vous faire connaître un secret important qui vous concernait, et vous vous rappelez que je gardai toujours le silence.

— Vous m’avez dit, Monsieur, que vous étiez maître d’un secret que, j’en suis certain, il m’importait de connaître, et je vous avais prié de me le révéler ; mais je ne n’aperçois pas…

— Comment le désir de posséder mon secret me donne le droit de pénétrer les vôtres, voulez-vous dire ? interrompit le vieillard. En effet ; mais l’intérêt que je prends à vous, et que vous ne pouvez pas encore comprendre, intérêt consacré par ces larmes brûlantes, les premières qui tombent, depuis bien des années, d’une source que je croyais tarie, doit aujourd’hui me servir d’excuse.

— N’en doutez pas, dit Lionel profondément affecté du son de voix mélancolique du vieillard, et je ne veux plus entendre d’explications sur ce sujet désagréable. Vous n’avez rien vu dans cette lettre, j’en suis sûr, dont un fils puisse rougir.

— J’y ai vu bien des choses, Lionel Lincoln, dont un père aurait droit d’être fier, répondit le vieillard. L’amour filial qui respire dans cette lettre est ce qui a tiré ces larmes de mes yeux ; car celui qui a vécu comme moi jusqu’à un âge où peu d’hommes parviennent sans connaître l’amour qu’un père éprouve pour son enfant, ni celui qu’un enfant porte à l’auteur de ses jours, sent vivement son malheur, s’il n’a pas survécu à tous les sentiments de la nature, lorsque le hasard lui offre l’image d’une affection si tendre, qu’il aurait achetée volontiers au prix de tout son sang.

— Vous n’avez donc jamais été père ? demanda Lionel avec un vif intérêt qu’il ne pouvait définir, et en s’asseyant auprès du vieillard.

— Ne vous ai-je pas dit que je suis seul ? répondit-il d’un ton solennel… Après un moment de silence imposant, il reprit d’une voix basse et mal assurée : — J’ai été époux et père dans ma jeunesse ; mais il y a bien longtemps qu’aucun lien ne m’attache plus à la terre. La vieillesse est la voisine de la mort, et le froid glacial du tombeau pénètre jusqu’à son cœur.

— Ne parlez pas ainsi, interrompit Lionel ; vous calomniez un cœur dont j’ai admiré cent fois les nobles élans. Avec quelle chaleur ne vous ai-je pas entendu prendre la défense des colonies que vous dites opprimées !

— Ce n’est que la clarté d’une lampe expirante qui ne brille jamais avec plus de force que lorsqu’elle est prête à s’éteindre pour toujours. Mais quoique je ne puisse pas vous inspirer une ardeur que je ne possède plus, je veux vous signaler les dangers qui vous environnent, et vous servir de fanal lorsque je ne puis plus vous être utile comme pilote. C’est dans ce dessein, major Lincoln, que j’ai bravé la tempête cette nuit.

— Est-il arrivé quelque chose qui rendît le danger si pressant que vous ne pussiez attendre qu’elle fût du moins dissipée ?

— Regardez-moi, dit le vieillard vivement. J’ai vu cette florissante contrée lorsqu’elle n’était encore qu’un vaste désert ; mes souvenirs me reportent au temps où les sauvages et les animaux des forêts disputaient à nos pères la plus grande partie de ce sol, qui suffit maintenant pour donner l’abondance à plusieurs milliers d’habitants. Je ne compte point mon âge par années, mais par générations. Croyez-vous que je puisse compter encore sur beaucoup de mois, de semaines, ou même de jours ?

Lionel embarrassé baissa les yeux, et répondit :

— Vous ne pouvez plus, il est vrai, compter sur un grand nombre d’années ; mais, avec votre activité et votre tempérance, c’est vous défier de la bonté de Dieu que de ne plus espérer que des mois ou des semaines.

— Eh quoi ! dit le vieillard en étendant une main décolorée sur laquelle de grosses veines saillantes n’annonçaient que trop le dépérissement de la nature, ces membres décharnés, ces cheveux blancs et ces joues creuses et sépulcrales me promettent-ils encore des années, moi qui n’oserais pas même demander au ciel de m’accorder une minute, si elle était digne d’une prière, tant mon épreuve sur la terre a déjà été longue ?

— Le sage doit certainement prévoir un passage qu’on ne craint souvent que parce qu’on n’y est pas préparé.

— Eh bien ! Lionel Lincoln, tout vieux, tout faible que je suis, quoique déjà sur le seuil de l’éternité, je ne suis pas plus près de la tombe que le pays auquel vous avez voué votre sang ne l’est d’une convulsion terrible qui ébranlera toutes ses institutions jusque dans leurs fondements.

— Je ne puis convenir que les présages soient aussi alarmants que vos craintes vous les représentent, dit Lionel en souriant ; quelque émotion qui arrive, l’Angleterre n’en resentira le choc que comme la terre supporte l’éruption d’un de ses volcans. Mais nous employons des figures inutiles, Monsieur ; connaissez-vous quelque circonstance qui justifie la crainte d’un danger immédiat ?

Les yeux de l’étranger brillèrent un moment d’un éclat extraordinaire, et un sourire ironique anima un instant ses traits flétris, tandis qu’il répondait lentement :

— Ceux-là seuls qui perdront tout au changement doivent trembler. Un jeune homme qui secoue le joug de ses tuteurs n’est point porté à douter qu’il ne soit capable de se gouverner lui-même. L’Angleterre a tenu si longtemps ces colonies à la lisière, qu’elle oublie que son enfant est en état de marcher seul.

— Mais, Monsieur, vous outrepassez même les projets frénétiques de ces hommes audacieux qui se font appeler les — enfants de la liberté, — comme si la liberté pouvait exister quelque part plus forte et plus heureuse que sous la constitution de l’Angleterre ! Ils ne demandent que ce qu’ils appellent le redressement de torts, qui, pour la plupart, n’existent que dans leur imagination.

— Jamais une pierre lancée est-elle revenue sur elle-même ? Qu’une seule goutte de sang américain soit versée dans la querelle, et la tache en sera ineffaçable.

— Malheureusement cette expérience a déjà été faite ; cependant bien des années se sont passées, et l’Angleterre a toujours su maintenir ici sa puissance,

— Sa puissance ! répéta le vieillard ; ne reconnaissez-vous pas, major Lincoln, dans la patience et la soumission de ce peuple, lorsqu’il croyait à avoir tort, l’existence de ces mêmes principes qui le rendront invincible et inébranlable maintenant qu’il a le bon droit en sa faveur ? Mais nous perdons un temps précieux ; je veux vous conduire dans un lieu où, de vos propres yeux et de vos propres oreilles, vous pourrez juger de l’esprit qui anime ce pays. Suivez-moi.

— Vous ne pensez sûrement pas à sortir par un pareil orage ?

— Cet orage n’est rien en comparaison de celui qui est prêt à éclater sur nos têtes, si vous ne revenez sur vos pas. Mais suivez-moi ; si un homme de mon âge méprise la tempête, un officier anglais doit-il hésiter ?

Lionel se décida aussitôt ; il se rappela l’engagement qu’il avait pris sur le vaisseau avec son vieil ami, de l’accompagner à une scène semblable, et il fit à sa toilette les changements nécessaires pour cacher sa profession. Après avoir jeté un large manteau sur ses épaules pour se garantir de la pluie, il se disposait à sortir le premier pour montrer le chemin à son compagnon, lorsque la voix de celui-ci l’arrêta :

— Vous vous trompez de chemin, dit-il ; cette visite, dont j’espère que vous saurez profiter, doit rester secrète. Personne ne doit pouvoir même soupçonner votre présence, et si vous êtes le digne fils de votre honorable père, j’ai à peine besoin d’ajouter que j’ai répondu de votre discrétion.

— Vous pouvez y compter, Monsieur, dit Lionel avec fierté ; mais pour voir ce que vous désirez, il ne faut sans doute pas rester ici.

— Silence, et suivez-moi, dit le vieillard en ouvrant la porte qui conduisait à un petit appartement qui ne recevait de jour que par une des fenêtres de côté dont nous avons parlé en décrivant l’extérieur du bâtiment. Le passage était étroit et sombre ; mais, en suivant exactement les indications de son compagnon, Lionel réussit à descendre sans danger un petit escalier dérobé et très raide, qui servait de communication entre les offices et les appartements supérieurs de la maison. Ils s’arrêtèrent un instant au bas des marches, et Lionel exprima son étonnement qu’un étranger connût mieux que lui la maison qu’il habitait depuis son arrivée.

— Ne vous ai-je pas dit souvent, interrompit le vieillard d’une voix basse et sévère, que je connais Boston depuis près de cent ans ? et il ne contient pas assez d’édifices comme celui-ci pour que je ne m’en rappelle pas tous les détours. Mais, suivez-moi en silence, et soyez prudent.

Il ouvrit alors une porte qui les conduisit dans la cour, et bientôt ils se trouvèrent dans la rue. Dès qu’ils furent en plein air, Lionel aperçut un homme tapi contre un mur, comme s’il cherchait un abri contre la pluie ; mais dès qu’il vit Lionel et son compagnon, il se leva et les suivit.

— Ne sommes-nous pas épiés ? dit Lionel en s’arrêtant pour faire face à l’inconnu. Qui se permet de marcher ainsi sur nos pas ?

— C’est, dit le vieillard, l’enfant que nous appellerons Ralph, puisque c’est le nom dont Job se servait en s’adressant à l’hôte de sa mère. C’est l’enfant, et nous n’avons rien à craindre de lui. Quoique ses souffrances corporelles aient affaibli son esprit, Dieu lui a accordé de distinguer le bien d’avec le mal, et son cœur est tout à sa patrie, dans un moment où elle a besoin que tous les cœurs de ses enfants s’unissent pour soutenir ses droits.

Le jeune officier baissait la tête pour éviter les torrents de pluie qui l’aveuglaient, et il s’enveloppa plus étroitement encore de son manteau, lorsqu’ils arrivèrent dans les grandes rues où le vent se faisait sentir avec encore plus de violence. Ils traversèrent ensuite rapidement encore plusieurs rues étroites et tortueuses sans qu’un seul mot fût prononcé entre eux. Lionel réfléchissait à l’intérêt singulier et indéfinissable que lui inspirait son compagnon, intérêt assez puissant pour le décider à quitter à une pareille heure le toit hospitalier de Mrs Lechmere, pour courir il ne savait où, et se placer peut-être dans une position équivoque. Cependant il continuait à le suivre sans hésiter, car à ses pensées fugitives se mêlait le souvenir des longues et attachantes conversations qu’il avait eues si souvent avec le vieillard pendant leur traversée, et il sentait au fond de son cœur le plus vif désir de connaître tout ce qui pouvait intéresser la sûreté et le bonheur de ses compatriotes.

Il ne perdait pas un instant de vue son vieux guide, qui marchait devant lui d’un pas ferme sans s’inquiéter des torrents de pluie qui tombaient sur ses membres décharnés, et il entendait la démarche pesante de Job qui formait l’arrière-garde, et qui se tenait si près de lui, qu’il partageait en quelque sorte l’abri de son vaste manteau. Mais aucun autre être vivant ne semblait avoir osé s’exposer à l’orage, et même le petit nombre de sentinelles qu’ils rencontrèrent, au lieu de marcher devant la porte des maisons qu’il était de leur devoir de garder, s’étaient blotties derrière l’angle de quelque mur, ou avaient cherché l’abri protecteur de quelque toit avancé. Par moments, un tourbillon furieux traversait en sifflant les rues étroites, et balayait tout devant lui avec un bruit semblable aux sourds mugissements de la mer, et avec une violence presque irrésistible. Plusieurs fois Lionel fut forcé de s’arrêter, de reculer même sous l’effort de la tempête, tandis que son guide, soutenu par son enthousiasme, et marchant la tête haute, au milieu du fracas des éléments conjurés qu’il semblait braver, paraissait à l’imagination frappée du jeune officier un être surnaturel porté par les vents au milieu de la nuit. Enfin le vieillard, qui marchait un peu en avant de ses compagnons, s’arrêta, et permit à Lionel de le rejoindre. Celui-ci remarqua avec surprise que Ralph l’attendait près d’un tronc d’arbre couché sur un des côtés de la rue, et dont les racines annonçaient qu’il était récemment tombé.

— Voyez-vous les restes de l’orme ? dit le vieillard ; leurs cognées ont pu détruire la souche, mais ses rejetons ont pris racine dans toute l’Amérique.

— Je ne vous comprends pas, répondit Lionel ; je ne vois rien ici qu’un tronc d’arbre, et certainement les ministres du roi ne sont pas responsables de sa chute.

— Les ministres du roi sont responsables devant leur maître de ce que cet arbre est devenu ce qu’il est maintenant pour tout le peuple. Mais questionnez l’enfant qui est près de vous, et il vous en dira les vertus.

Lionel se tourna vers Job, et vit avec surprise, à la pâle clarté de la lune qui venait de se faire jour entre deux nuages, que l’enfant, la tête nue, et exposée à toute la fureur de la tempête, regardait le vieil orme avec l’air du plus profond respect.

— Tout ceci est un mystère pour moi, dit Lionel. Que savez vous de cet arbre pour le regarder avec tant de vénération, mon enfant ?

— C’est la racine de l’arbre de la liberté ! dit Job, et il est impie de passer devant sans ôter son chapeau.

— Et qu’a fait cet arbre en faveur de la liberté pour mériter tant de respect ?

— Ce qu’il a fait ? Aviez-vous jamais vu, avant celui-là, un arbre qui sût écrire et donner avis des assemblées secrètes qui devaient avoir lieu, ou qui pût dire au peuple où le roi voulait en venir avec son timbre et son poison de thé ?

— Et cet arbre merveilleux peut opérer de tels miracles ?

— Certainement qu’il le peut, et il l’a bien prouvé. Tommy le Ladre[1] n’a qu’à inventer ce soir quelque nouvelle ruse avec laquelle il espère écraser le peuple, et vous pourrez venir demain matin lire sur l’écorce de cet arbre un avertissement qui dira toute l’affaire et les moyens à prendre pour déjouer ses diableries, et tout cela d’une écriture aussi belle que celle de maître Howell lorsque sa main ne tremblait pas.

— Et qui vient y mettre le papier ?

— Qui ? s’écria Job d’un ton d’assurance ; parbleu, la Liberté qui vient la nuit et qui l’affiche elle-même. Lorsque Nab n’avait pas le moyen d’avoir une maison, Job avait l’habitude de venir dormir sous cet arbre, et combien de fois la nuit n’a-t-il pas vu de ses propres yeux la Liberté venir attacher le papier ?

— Et était-ce une femme ?

— Croyez-vous que la Liberté soit assez folle pour venir toutes les fois en habits de femme, pour être poursuivie dans les rues par cs garnements de soldats ? dit Job d’un air de mépris. Cependant quelquefois elle venait en femme, quelquefois autrement, cela dépendait des jours. Job était encore ici le jour où Satan renonça à son commerce du timbre, ce qu’il ne fit qu’après que les enfants de la Liberté l’eurent forcé à fermer boutique, et l’eurent pendu, ainsi que lord Botte, aux branches du vieil orme.

— Pendu ! s’écria Lionel en reculant involontairement ; cet arbre a donc servi de gibet ?

— Oui, pour des effigies, dit Job en riant ; j’aurais voulu que vous eussiez vu le vieux Botte pirouetter en l’air, ayant Satan sur les épaules, lorsqu’on les a hissés tous les deux au haut de l’arbre ; on eut soin de lui mettre un grand soulier pour cacher son pied fourchu.

Lionel, habitué à la manière dont ses compatriotes prononçaient la lettre u, se douta alors que le vieux Boot (Botte) n’était autre que le comte de Bute ; et commençant à comprendre plus clairement l’usage qu’on avait fait de cet arbre mémorable, ainsi que toutes les circonstances qui s’y rattachaient, il exprima le désir de continuer sa route[2].

Le vieillard n’avait pas interrompu Job dans ses explications, sans doute pour voir l’effet qu’elles produiraient sur Lionel ; mais du moment que celui-ci demanda à repartir, il obéit aussitôt, et lui montra le nouveau chemin. Après avoir marché quelque temps dans la direction des quais, le vieillard se glissa le long d’une petite cour, et entra dans une maison d’assez chétive apparence, sans même prendre la peine d’annoncer sa visite en frappant à la porte. Un passage long, étroit et faiblement éclairé, les conduisit dans une vaste salle qui semblait avoir été disposée pour contenir de nombreuses réunions. Une centaine d’hommes y étaient assemblés, et ils devaient être occupés de quelque affaire d’un intérêt majeur, à en juger du moins à la gravité de leur maintien et à l’expression sévère de toutes les figures.

Comme c’était un dimanche, la première idée de Lionel, en entrant dans la salle, fut que son vieil ami, qui semblait prendre fort à cœur les matières religieuses, l’avait amené pour lui faire entendre quelque prédicateur célèbre de sa secte particulière, et pour lui reprocher en même temps, d’une manière tacite, le peu de soin qu’il mettait à observer ce saint jour, reproche que la conscience du jeune homme lui faisait en effet, en se trouvant tout à coup confondu au milieu d’une pareille foule. Lorsqu’il fut parvenu à se frayer un passage à travers un groupe d’hommes qui se tenaient debout à l’entrée de la salle, et qu’il put observer en silence ce qui se passait, il eut bientôt reconnu son erreur.

Le mauvais temps avait engagé tous ceux qu’il voyait réunis à se couvrir des vêtements les plus propres à les garantir de la pluie, et leur extérieur avait quelque chose de sombre, et même jusqu’à un certain point de repoussant ; cependant il régnait dans toute la réunion un air de calme et de décence qui prouvait que c’étaient des hommes qui savaient du moins se respecter.

Quelques minutes suffirent pour apprendre à Lionel qu’il se trouvait au milieu d’une assemblée réunie pour discuter des questions qui se rattachaient à la position politique de la ville, quoiqu’il fût assez embarrassé pour découvrir les résultats positifs qu’elle devait avoir. Lorsqu’une question était posée, il se levait un ou deux hommes qui disaient leur avis dans un langage familier, et avec un vice de prononciation si grand, et l’accent si marqué de la province, qu’il était impossible de croire que ces orateurs fussent autre chose que des artisans et des marchands de la ville. Tous, ou du moins le plus grand nombre, avaient un air froid et réfléchi, qui aurait pu faire suspecter un peu la sincérité de leur zèle pour la cause qu’ils semblaient avoir épousée, sans les invectives amères et violentes qu’ils vomissaient de temps en temps contre les ministres de la couronne, et sans l’unanimité parfaite qu’ils manifestaient lorsque chacun donnait son avis selon l’usage des assemblées délibérantes.

On lut plusieurs propositions dans lesquelles les remontrances les plus respectueuses se trouvaient mêlées singulièrement aux professions les plus hardies des principes constitutionnels, et elles furent adoptées sans la moindre opposition, mais avec un calme qui ne semblait pas annoncer qu’ils y prissent un bien vif intérêt. Lionel fut particulièrement frappé de la manière dont ces propositions étaient rédigées ; l’élégance du style, la pureté des expressions prouvaient assez clairement que l’honnête artisan qui en avait été le rédacteur, et qui s’était égaré dans plusieurs de ses périodes, n’était pas encore bien au fait de l’instrument qu’il avait essayé de manier, et que s’il en connaissait l’usage, cette connaissance était tout à fait récente, et n’était rien moins qu’intime.

Les yeux du jeune officier erraient de l’un à l’autre dans l’espoir de découvrir les moteurs secrets de la réunion dont il était le témoin, et il ne fut pas longtemps sans distinguer un individu qui lui parut devoir attirer particulièrement ses soupçons. C’était un homme qui semblait à peine au milieu de sa carrière, et dont l’extérieur, ainsi que les parties de son habillement qu’on entrevoyait sous le manteau dont il était couvert, annonçait qu’il était d’une classe plus élevée que le reste de l’assemblée. Ceux qui l’entouraient lui témoignaient un respect profond, sans être servile, et une ou deux fois il s’établit des conversations secrètes et animées entre lui et les autres chefs apparents ; c’était même ce qui d’abord l’avait fait remarquer de Lionel.

Malgré la répugnance naturelle que Lionel éprouvait pour un homme qui abusait ainsi de son ascendant pour entraîner ses concitoyens à des actes d’insubordination, il ne put s’empêcher d’être frappé du caractère de franchise et d’intrépidité empreint dans tous ses traits. Il était placé de manière à l’avoir constamment en vue, quoique ceux qui l’entouraient fussent en général plus grands que lui ; le soin avec lequel il suivait tous ses mouvements ne tarda pas à attirer l’attention de l’inconnu. Ils continuèrent à s’observer l’un l’autre pendant le reste de la soirée, jusqu’à ce que celui qui semblait exercer les fonctions de président déclarât que l’objet de la convocation étant rempli, la séance était levée, et que l’assemblée pouvait se séparer.

Lionel, qui était resté appuyé contre un mur, se leva aussitôt, et se laissa entraîner par le torrent jusqu’au passage étroit par lequel il était entré dans la salle. Il s’arrêta alors un moment pour chercher à retrouver son compagnon qu’il avait perdu, et aussi dans le dessein d’examiner de plus près les actions de l’homme dont l’air et les manières avaient captivé si longtemps son attention. La foule s’était écoulée insensiblement avant qu’il se fût aperçu qu’il restait presque seul ; et, livré à ses rêveries, il ne remarquait point qu’il allait sans doute attirer lui-même l’attention du petit nombre de membres encore présents, lorsqu’une voix, qui se fit entendre à côté de lui, le rappela à lui-même.

— Est-ce pour entendre leurs griefs et pour prendre leur défense, ou bien est-ce en qualité d’heureux officier de la couronne que le major Lincoln est venu assister ce soir à une réunion de ses compatriotes ? demanda le même homme que, depuis quelque temps, il cherchait en vain dans la foule.

— Cette défense des opprimés est-elle incompatible avec le dévouement que je dois à mon prince ? demanda fièrement Lionel.

— Elle ne l’est point, reprit l’inconnu avec bonté ; la preuve, c’est qu’il se trouve parmi nous un grand nombre de braves Anglais qui ont embrassé notre cause ; mais le major Lincoln est notre compatriote, et c’est à ce titre que nous comptons sur lui.

— Peut-être, Monsieur, y aurait-il de l’imprudence à désavouer ce nom dans ce moment, quelle que soit d’ailleurs ma façon de penser, dit Lionel avec un peu de hauteur ; ce lieu n’est peut-être pas aussi sûr pour y faire des professions de foi que la place de Boston ou le palais de Saint-James.

— Si le roi eût été au milieu de nous ce soir, major Lincoln, aurait-il entendu prononcer un seul mot opposé à cette constitution qui a déclaré sa personne inviolable ?

— Quelle que puisse être la loyauté de vos sentiments, Monsieur, ils n’ont certainement pas été exprimés dans un langage auquel les oreilles d’un roi soient accoutumées.

— Ce n’était pas le langage de l’adulation ni de la flatterie, mais celui de la vérité, qui n’est pas moins sacrée que les droits des rois.

— Ce n’est ni le lieu ni le moment de discuter les droits de notre maître commun, Monsieur, dit vivement le jeune officier ; mais si nous nous rencontrons jamais dans une sphère plus élevée, ce que tout en vous me fait présumer, vous me trouverez prêt à les soutenir.

— Nos pères s’y sont rencontrés souvent, dit l’inconnu avec un sourire expressif ; puisse le ciel préserver leurs fils de relations moins amicales ! En finissant ces mots, il salua Lionel, et disparut à ses yeux en s’enfonçant sous le passage obscur.

Dès que Lionel se vit seul, il chercha en tâtonnant le chemin de la rue, où il trouva Ralph et l’idiot qui l’attendaient. Sans lui demander la cause de son retard, le vieillard marcha entre ses deux compagnons, et reprit le chemin de la demeure de Mrs Lechmere avec la même indifférence pour la tempête.

— Vous avez pu juger par vous-même de l’esprit qui anime le peuple, dit Ralph après quelques moments de silence ; croyez-vous encore que l’explosion de ce volcan ne soit pas à craindre ?

— Mais tout ce que j’ai vu ce soir me confirme dans mon opinion, répondit Lionel. Des hommes à la veille d’une révolte ne raisonnent point avec tant de justesse et surtout de modération : comment donc ! des gens de la lie du peuple, parmi lesquels se trouvent toujours le foyer de l’incendie, discutent leurs principes constitutionnels, et se tiennent renfermés dans le cercle de la loi, comme pourrait le faire un club de savants jurisconsultes !

— Croyez-vous donc que l’incendie éclatera avec moins de violence, parce que le temps, et non un moment d’effervescence, a préparé ce que vous appelez le foyer de l’incendie ? reprit Ralph. Mais voilà le fruit de l’éducation que nos enfants reçoivent en pays étranger. Le jeune homme élevé à cette école ravale bientôt ses compatriotes francs et modérés au niveau des paysans d’Europe.

Ce fut tout ce que Lionel put comprendre, quoique le vieillard continuât à se parler quelque temps avec véhémence, mais c’était d’un ton trop bas pour être entendu. Lorsqu’ils arrivèrent dans la partie de la ville que connaissait Lionel, son vieux guide lui montra son chemin, et le quitta en disant :

— Je vois que le dernier et l’affreux argument de la force pourra seul vous convaincre de la résolution prise par les Américains de repousser leurs oppresseurs. Que Dieu éloigne de nous cette heure fatale ! mais lorsqu’elle sonnera, ce qui est inévitable, vous reconnaîtrez votre erreur, jeune homme, et j’espère que vous n’oublierez point alors les liens qui vous unissent à votre famille et à votre patrie.

Lionel voulut répondre, mais Ralph ne lui en donna pas le temps ; et avant qu’il eût prononcé un mot, le vieillard, comme un être surnaturel, avait disparu au milieu des torrents de pluie qui continuaient à tomber, tandis qu’on apercevait encore l’idiot qui marchait à sa suite, et qui avait bien de la peine à aller assez vite pour ne pas le perdre de vue.



  1. On a déjà vu que c’est le nom que Job donne au gouverneur.
  2. Il est peut-être utile d’ajouter, pour comprendre ces allusions, que l’arbre de la Liberté était destiné à remplir les fonctions de la statue de Pasquin à Rome.