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Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre V

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PARTIE I.

CHAPITRE V.

Cy dit comment en jeune âge Bouciquaut voult poursuivre les armes, et se prist à aller en voyages.

Ainsi un espace de temps fut l’enfant Bouciquaut tenu à séjour malgré luy avec le Daulphin, tant que moult luy commença à ennuyer. Si se prist moult à tourmenter d’estre tiré hors de là, et de porter armes ; laquelle chose moult désiroit : car bien luy sembloit que jà fust fort et dur assez pour donner et recevoir grands coups de lance et d’espée, et de soustenir le fais qu’il y convient. Et de ce tant mena grand noise, que le roi ouït parler de sa grand volonté, et qu’il disoit vrayement que qui ne l’armeroit il iroit servir aucun gentil homme, qui luy donneroit chevaux et harnois ; car plus ne vouloit ainsi séjourner en court. Le roy eut grand plaisir de veoir en si jeune cœur tel desir et volonté de jà venir à vaillance : et si pensa que bien retrairoit à son chevaleureux père. Et quoy qu’il retardast de luy octroyer ce qu’il requéroit, pour ce que trop jeune luy sembloit, tant en fist parler au roy, et tant le requist, que en la parfin convint qu’il fust armé. Si le fist le roy moult bien ordonner de tout ce qui lui convenoit, et très bien monter, et bonne compaignie luy bailla, et assez de quoy despenser. Et ainsi en très bel estat l’envoya derechef en la compaignie du duc de Bourbon, qui joyeusement le receut, lequel alloit avec le duc de Bourgongne, par le commandement du roy, à tout belle compaignie de gens d’armes, après le comte de Bouquingam, Anglois, qui adonc alloit dommageant le royaume de France. Si luy fut par le dict duc de Bourgongne et sa compaignie par fois porté maint dommage, tant que à petite compaignie s’en retourna en Angleterre, et petit eut gaigné en France. En celuy voyage moult se commencèrent à démonstrer les vaillances du bon courage et hardement du jouvencel Bouciquaut. Car ès escarmouche et rencontres qu’ils faisoient sur leurs ennemis, tant et si avant s’y abandonnoit, que nul plus que luy ne s’y advanturoit. Et tant que merveilles estoit à veoir à si jeune enfant faire ce qu’il faisoit, et plus en eust fait encores, qui luy eust souffert. Mais assez y avoit avecques luy qui ne le souffroit à faire tous ses hardis vouloirs, pour ce que trop se vouloit abandonner. Et mesmement le bon noble duc de Bourbon, qui devant l’amoit pour l’amour de son vaillant père, l’accueillit adonc en plus grand amour, pour l’apparence et signe qu’il voyoit en luy d’estre vaillant homme. Et depuis lors l’eut moult cher en sa compaignie. Ce voyage fait, s’en retourna à Paris le duc de Bourgongne, et le duc de Bourbon, et Bouciquaut avec eulx ; si fut grandement receu du roy, et du Daulphin son fils, qui jà avoient ouy parler de l’espreuve de son hardement, et grande volonté.