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Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut/Partie I/Chapitre XXVIII

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PARTIE I.

CHAPITRE XXVIII.

Comment, après le retour de Hongrie, le roy envoya le mareschal en Guyenne, à belle compagnie de gens d’armes sur le comte de Pierregort qui s’estoit rebellé contre luy. Si le prit et amena prisonnier au roy.

Après ce retour de Hongrie, fut le mareschal toute celle saison à repos ; car assez besoing en avoit. Si advint en celuy temps que le comte de Pierregort se rebella contre le roy de France, et mit les Anglois dedans ses chasteaux et forteresses sans qu’il eust nulle cause de ce faire. Et commença à faire grand guerre aux pays du roy en Guyenne, et à bouter feu, à occire gent, et à faire tout du pis qu’il pouvoit. De ceste chose furent portées les nouvelles au roy. Pour lesquelles offences faire amender, il y envoya le vicomte de Meaux et messire Guillaume de Tignonville, avec bonne compaignie de gens d’armes. Et quand ils furent là arrivés, le dict vicomte de Meaux fit commandement au comte de Pierregort que il se rendist au roy, et cessast de la guerre et des oultraiges que il faisoit : mais à ce ne voult oncques obéir le dict comte, ne du commandement ne fist force. Si sembla à nos gens que qu’ils fussent trop peu gens pour le constraindre par force, si s’en retournèrent sans rien faire, quand une pièce y eurent esté. Et passa ainsi l’hiver. Quand vint au renouvel de la saison le roy ordonna que le mareschal iroit au dict pays, et avec luy mèneroit huit cens hommes d’armes, et quatre cens arbalestriers, et en prendront deux cens qui estoient jà devant pour la garde du pays, et par ainsi seroient mille hommes d’armes qu’il auroit. Et avec ce luy fut baillé l’arrest de Parlement qui avoit esté jetté contre luy, pour ce que il ne s’estoit comparu à l’appel du roy. Et ainsi se partit le mareschal à belle compagnie ; et avec luy allèrent le vidame de Lannois, qui ores est grand maistre d’hostel du roy, messire Guillaume le Boutellier, messire Bonnebaut, Parchion de Nangiac, et plusieurs autres bannerets et vaillans chevaliers. Si tost que le mareschal fut arrivé en Pierregort, il manda au comte que il se mist en l’obéissance et volonté du roy, et demandast pardon de la grand mesprison que vers luy faite avoit ; et que si ainsi le vouloit faire, que il mesme pourchasseroit sa paix vers le roy, et le prieroit que il luy voulsist pardonner. Mais de tout ce ne fit nul compte, ains espia son point et saillit sur les gens du mareschal à belle escarmouche. Mais toutes fois ce fut à son pis, car il fut laidement rechassé en sa forteresse ; et non pourtant y fut blessé messire Robert de Milly, qui estoit et est de l’hostel du mareschal. De ceste désobéissance et oultrecuidance que le comte de Pierregort faisoit contre le roy, fut moult indigné le mareschal ; et dit qu’il luy vendroit cher sa folie. Si mit tantost le siége par très belle ordonnance devant le chastel de Montignac, qui est une très forte place, et sembleroit comme imprenable ; et là estoit le dict comte, et manda querre engins et trait de par tout, et en fit faire tant qu’il en fut bien garny. Puis les fit dresser. Si prirent à lancer si grosses pierres d’engins et de canons contre les murs que tous les estonnèrent, et si druement que l’un coup n’attendoit l’autre, dont ils abatoient la muraille à grands quartiers ; tant que, en deux mois que dura le siége, furent si bien battus que mieulx ne pouvoient. Et bien virent ceulx de dedans que tenir ne se pourroient, et que remède n’y avoit qu’ils ne fussent pris par vive force. Si conseillèrent au comte que il se rendist, laquelle chose quand plus n’en put il fit, et se soubmist à la volonté du roy et à l’ordonnance du mareschal. Et aussi se rendirent au roy tous ses chasteaux et villes, et le mareschal, comme saige chevetaine, y mit très bonnes gardes, et très bien les garnit ; et le comte et ses sœurs qui avec luy furent prises envoya en France au roy, lequel luy pardonna ses mesfaits, pour ce que il luy cria mercy, et promist d’estre de là en avant bon François. De laquelle chose il se parjura : car assez tost après se partit sans congé, et s’en alla en Angleterre, dont puis ne retourna. Le mareschal demeura toute celle saison qui estoit hyver en Guyenne, en la garde du pays, et puis l’esté d’après s’en retourna vers le roy.