Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 24

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Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 428-429).
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Notes du chapitre XXIV

CHAPITRE XXIV.

f. 228 a.Avalôkitêçvara.] Ce chapitre qui est consacré à l’énumération des avantages qu’assure le culte du Bôdhisattva Avalôkitêçvara, ne tient en aucune manière au sujet principal de notre Lotus, dont l’objet est de prouver qu’il n’y a au fond qu’un seul moyen de transport pour faire passer les créatures à l’autre rive, comme disent les Buddhistes. On sait que le Bôdhisattva Avalôkitêçvara est le saint le plus vénéré des Buddhistes du Nord, le véritable dieu tutélaire du Tibet ; c’est un point que les savants les plus versés dans la lecture des livres buddhistes tibétains, mongols et chinois, avaient établi avant moi. Je ne vois rien à changer aux considérations que l’existence de ce personnage chez les Buddhistes du Nord, et le fait qu’il est entièrement inconnu à ceux du Sud m’ont fournies ailleurs pour la détermination approximative de l’âge des Sûtras développés, comparés aux Sûtras simples ; j’y renvoie donc le lecteur, ainsi qu’aux ouvrages cités à l’appui de ces considérations[1]. Quant au titre du présent chapitre, il donne lieu à une observation particulière. Lorsque je n’avais à ma disposition que le manuscrit de la Société asiatique, le premier qui soit venu entre mes mains, je lisais ce titre samantasukha ; mais les trois autres manuscrits que j’ai pu consulter plus, tard écrivent uniformément samantamukha, « Celui dont « la face regarde de tous les côtés. » En consultant de nouveau le manuscrit de la Société asiatique, je vois que ce que je prenais pour un s est réellement un m ; mais l’erreur était facile à commettre à cause de la ressemblance de forme que présentent ces deux lettres, surtout dans ce manuscrit. Le titre du chapitre xxiv doit donc être rétabli ainsi : « Celui dont la face regarde de tous les côtés. » Le personnage qu’on désigne ainsi est certainement Avalôkitêçvara.

f. 228 b.L’île des Râkchasîs.] Si les Buddhistes du Nord ont cru parler d’une île véritable, en la désignant sous ce nom fabuleux, « île des Râkchasîs, » c’est selon toute apparence Ceylan qu’ils ont entendu désigner ainsi ; du moins la fable des Râkchasîs qui dévorent les navigateurs abordants à leur île, rappelle les légendes qui servent de préambule aux temps héroïques de l’histoire sînghalaise. Cette analogie paraît plus frappante, quand on lit le Kâraṇḍa vyûha, l’un des livres du Nord où Avalôkitêçvara occupe le plus de place, et où la fable des Râkchasîs, avec la ville de fer qui sert de prison à leurs victimes, est longuement racontée. Mais il faut convenir que les Buddhistes du Nord étaient bien éloignés de Ceylan quand ils compilaient ces légendes, car ils ne consultaient ni la réalité, ni l’histoire. C’est d’ailleurs un point non encore suffisamment éclairci que celui de savoir jusqu’à quel point les livres des Buddhistes du Sud ont été généralement connus des Buddhistes du Tibet ; je dis généralement, car il y a des preuves que les métaphysiciens du Nord ont cité les recueils philosophiques de Ceylan. À tout prendre, il est plus prudent de laisser l’île des Râkchasîs dans le domaine de ces légendes de navigateurs, qui pour n’avoir ni date rigoureuse, ni localité précise, n’en reposent pas moins sur des accidents réels conservés depuis des siècles dans la mémoire des hommes. Les mers de l’Inde et celles des archipels qui s’y rattachent ont été de tout temps célèbres sous ce rapport, et la renommée des désastres dont elles ont été le théâtre s’est étendue à des nations plus éloignées que celles qui habitent les vallées de l’Himâlaya.

Aussitôt s’emparant du glaive des meurtriers.] La comparaison des manuscrits de M. Hodgson me permet de traduire plus exactement ainsi : « aussitôt les armes de ces meurtriers se briseraient dans leurs mains. »

f. 230 b.Avalôkitêçvara enseigne la loi aux créatures sous la figure d’un Buddha.] Cet exposé fabuleux des transformations d’Avalôkitêçvara se retrouve presque mot pour mot dans la légende relative à ce Bôdhisattva que A. Rémusat a extraite des auteurs chinois[2]. L’analogie est si grande, que je ne puis me défendre de croire que les deux morceaux ont été puisés à la même source ; il est très-probable, à mes yeux du moins, qu’en ce qui regarde le Saddharma puṇḍarîka, ce morceau n’y est pas original.

f. 233 b.St. 28. Après avoir rempli les devoirs de la conduite religieuse.] Ajoutez après ces mots, pendant plusieurs centaines de Kalpas. »

f. 234 a.St. 33. La traduction que le Saddharma puṇḍarîka tibétain donne de ce distique se rapporte certainement à un autre texte que celui de nos manuscrits de Paris et de Londres ; voici, si je ne me trompe, le sens de cette version : « Ce guide du monde n’a pas son semblable dans les trois régions de l’existence ; celui qui entend le nom d’Avalôkitêçvara ne voit pas diminuer ses mérites. »

Qui est et n’est pas uniforme.] L’expression du texte asamasama doit se traduire plus exactement ainsi : « qui est égal à ce qui n’a pas d’égal ; » je crois me rappeler que l’interprète tibétain du Lalita vistara l’entend ainsi. C’est une des épithètes propres à un Buddha, et elle est aussi familière aux Buddhistes de Ceylan qu’à ceux du Nord, comme on peut s’en convaincre par l’emploi qu’en fait le Djina alam̃kâra[3].

  1. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 115.
  2. Foe koue ki, p. 122.
  3. Djina alam̃kâra, f. 8 a et b.