Louis Bouilhet (Angot)/5

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(p. 90-139).

CHAPITRE CINQUIÈME


Le théâtre de Louis Bouilhet. — Division de ses pièces en trois groupes. — « Madame de Montarcy », « la Conjuration d’Amboise », « Faustine », « Mademoiselle Aïssé ». — « L’Oncle Million », « Hélène Peyron ». — « Dolorès », « le Château des Cœurs ». — Analyse de ces pièces. — Les procédés dramatiques de Louis Bouilhet. — Deux vers de M. Sully Prudhomme. — Puissance du Théâtre. — Pygmalion et Galathée. — Le Théâtre en 1856. — « Madame de Montarcy. » — La Poésie et les jeunes gens. — Causes des succès dramatiques de Louis Bouilhet. — Ni thèses, ni préfaces. — L’industrie dramatique. — Les devoirs du dramaturge. — Un élixir magique. — Le lyrisme au théâtre. — Le style de Louis Bouilhet. — Le Romantisme à la scène. — Encore l’antithèse ! — Les procédés romantiques. — L’originalité de Louis Bouilhet. — Coup d’œil sur son théâtre.


Les pièces composant le théâtre de Louis Bouilhet peuvent se diviser en trois groupes : celles où l’on rencontre quelques figures, quelques éléments empruntés à l’Histoire, et dans cette catégorie je range Madame de Montarcy, la Conjuration d’Amboise, Faustine et Mademoiselle Aïssé ; celles, comme Hélène Peyron et l’Oncle Million, qui se passent de nos jours et dans un milieu bourgeois ; enfin celles où l’imagination fait tous les frais de la composition, comme Dolorès et le Château des Cœurs.

I

À quatre reprises le poëte a mis en scène des personnages historiques, mais deux fois il ne vit guère dans l’Histoire qu’un décor ayant pour but d’enjoliver la fiction, et dans ses héros que des acteurs destinés seulement, la plupart du temps, à donner la réplique à des personnages imaginaires. Nous nous réservons d’apprécier ce genre de composition qui ne satisfait point l’esprit, divise l’intérêt et retarde la marche du drame. L’analyse de Madame de Montarcy et de la Conjuration d’Amboise peut donner une idée du procédé et de sa valeur.

Le sujet de Madame de Montarcy est des moins compliqués. Mme  de Montarcy, femme d’un simple capitaine aux gardes et nouveau venu à la cour de Louis XIV, est distinguée par le Roi qui l’attache à la personne de Mme  de Bourgogne. Ses fonctions consisteront à protéger discrètement la jeune duchesse contre son inexpérience et les audaces amoureuses de Maulévrier. Les courtisans et Mme  de Maintenon se méprennent sur le rôle de la jeune dame d’honneur. Pour eux, c’est une nouvelle favorite qui commence son règne, et dont il faut savoir ménager l’influence. Pour Mme  de Maintenon, c’est une rivale qui surgit et qu’il faut écarter à tout prix de son chemin. Comment faire ? Rien de plus facile. Elle éveille la jalousie du mari. Un sourire du roi à Mme  de Montarcy, un entretien secret avec le monarque, un baiser dont il effleure la main de la dame d’honneur, quelques mots perfides de la favorite, deux billets anonymes engageant Montarcy à surveiller sa femme, c’en est assez pour convaincre le pauvre jaloux qu’il est trompé. Est-il besoin d’autres preuves ? Le roi prêt à faire la guerre lui envoie le brevet de colonel. C’est un nouvel indice de la trahison de sa femme. Ainsi raisonne ce mari furibond. Poussé au désespoir, il veut s’empoisonner avec la perfide. Mme  de Montarcy, qui n’a qu’un mot à dire pour faire tomber l’accusation, refuse de prendre le poison en protestant de son innocence. Elle ne trahira point le secret du Roi, et ne compromettra point, même aux yeux de son mari, l’honneur de la duchesse de Bourgogne qu’elle a promis au monarque de sauvegarder. Poussée à bout, elle va boire enfin le breuvage. Montarcy étonné l’arrête. Il en vient à douter de la faute de sa femme. Mais vivre ainsi, jaloux et soupçonneux, c’est impossible. Il saisit la fiole de poison et la vide. Mme  de Maintenon qui sait à présent la vérité arrive pour justifier Mme  de Montarcy. Il est trop tard ! Montarcy expire sous ses yeux.

À côté de cette intrigue si simple se placent quelques épisodes qui se relient à l’action principale par un nœud plus ou moins serré. Ce sont les intrigues de courtisans pour faire succéder Mme  de Montarcy à Mme  de Maintenon dans les bonnes grâces du Roi ; ce sont les entreprises amoureuses de Maulévrier ; ce sont les escapades et les folles équipées de d’Aubigné, le frère de Mme  de Maintenon ; ce sont les difficultés politiques où se trouve placé Louis XIV vis-à-vis de l’Europe.

Cette juxtaposition, à une intrigue d’amour, d’épisodes se rattachant de près ou de loin à l’Histoire a été employée aussi par le poëte dans la composition de la Conjuration d’Amboise.

Les Protestants ont formé un complot pour attaquer les Guises et enlever le Roi. Ils sont trahis, et nombre d’entre eux ont déjà payé de leur vie la part qu’ils ont prise à cette conjuration. Les uns, traqués comme des bêtes fauves, sont massacrés dans la campagne, les autres, livrés au bourreau, sont pendus, à Amboise, aux créneaux du château, sous les yeux de la Cour. Condé a été l’un des principaux acteurs du complot. Sa participation est soupçonnée, et il ne lui reste qu’à s’éloigner d’Amboise, s’il en est temps encore, car son titre de prince du sang ne serait point pour lui une sauvegarde efficace. Le prince ose pourtant se montrer à la Cour. Le téméraire ! il y est attiré par un amour qui est le ressort du drame qui va s’accomplir. La jeune femme du vieux comte de Brisson a été arrêtée par une escouade de conspirateurs huguenots. Elle était en butte à leurs outrages, quand elle a été protégée par Condé dont elle ignore le nom et le rang. Sa beauté a produit un tel effet sur le prince, que celui-ci, beaucoup moins pour servir les intérêts du parti huguenot que pour revoir la dame de ses pensées, n’hésite point à retourner à la Cour, dût-il être à son tour livré au bourreau. Les Guises ne le perdent point de vue, et François II le ferait arrêter et condamner, si, averti à temps, il n’avait la précaution de s’éloigner. Il ne le fera point pourtant sans avoir revu celle pour laquelle il a bravé tant de périls. Il reste à Amboise, dans la ville, pour donner un rendez-vous mystérieux à la comtesse de Brisson, à laquelle il fait savoir qu’il y va pour lui de vie ou de mort. La comtesse, d’après l’instigation de Catherine de Médicis qui veut ménager Condé, et aussi poussée par un mouvement de son cœur, se rend à l’entrevue sollicitée et apporte au prince de la part de la reine-mère des assurances de protection. À la vue de la comtesse, Condé ne songe qu’à son amour. Il se répand en protestations passionnées que Mme  de Brisson, sans oublier ses devoirs, ne décourage point tout-à-fait. Soudain on frappe à la porte, c’est le vieux comte de Brisson qui a épié les démarches de sa femme et tente de la surprendre. Condé la fait esquiver à grand peine et reçoit l’assaillant l’épée à la main. Les choses finiraient mal pour lui, si le huguenot Poltrot de Méré n’accourait avec quelques amis et ne chassait le vieux comte. Resté seul avec le prince, Poltrot lui reproche ses profanes amours. La comtesse n’est qu’un instrument de trahison. N’est-il pas impie de sacrifier tout, ses amis, sa religion et soi même à cette femme qui n’a voulu que lui tendre un piège ? Condé répond qu’il est sûr de la loyauté de Mme  de Brisson, et il retourne à la Cour avec son frère Antoine sur les assurances de protection envoyées par la reine-mère. Outré de cette hardiesse, et conseillé par Guise, François II fait arrêter le prince de Condé, à la stupéfaction douloureuse de Mme  de Brisson. Condé croit voir l’indice d’une trahison et pense que Poltrot a deviné juste. C’est un piège que la comtesse a aidé à lui tendre. Il attend la mort. Cependant une femme voilée a pénétré dans la prison au nom de la reine-mère. C’est la comtesse qui, devinant les soupçons de trahison qui hantent l’esprit de Condé, veut le convaincre de son innocence. Elle n’a guère de peine à se justifier près de lui. Elle qui donnerait sa vie pour lui, comment aurait-elle pu servir d’instrument à ses ennemis et l’attirer dans un piège ? Son amour contenu jusqu’alors éclate avec une passion que vient redoubler l’idée d’une mort prochaine. Ne voulant pas survivre à celui qu’elle aime, elle a pris la moitié du poison qu’elle lui apporte. Condé refuse le poison. Il doit mourir aux yeux de la foule, en prince, et sans faiblesse. En attendant, il veut consacrer à l’amour le peu d’heures qui lui restent à vivre. Il serre la comtesse sur son cœur. À cet instant, la porte de la prison s’ouvre. Le Roi est mort, et Catherine de Médicis vient annoncer au prince qu’il est libre. Trop tard, hélas ! car la pauvre comtesse tombe mourante entre ses bras sous l’œil jaloux du vieux comte de Brisson.

Cette double analyse permet de voir tous les défauts du procédé de composition employé par Louis Bouilhet. Il l’exposait à sacrifier l’Histoire aux nécessités de l’action dramatique, à fausser les traita de telle figure historique, à prêter à tel personnage de nos annales un langage peu en harmonie avec ses habitudes et son caractère. À un autre point de vue, faire côtoyer des événements pleins d’intérêt et de grandeur par une fiction romanesque s’y rattachant d’une façon factice, c’était risquer de développer une intrigue qui pouvait paraître d’autant plus froide et mesquine qu’elle rappelait le souvenir écrasant de nos fastes nationales et qu’elle était incapable de modifier la marche de ces événements.

Dans Madame de Montarcy, Bouilhet, grâce à l’heureux choix de son sujet, sut esquiver avec une grande souplesse les difficultés qu’il avait à vaincre. Il a prêté à Mme  de Maintenon, à la duchesse de Bourgogne, des pensées, des sentiments et une allure que les récits du passé permettent de leur attribuer. Si les tirades bruyantes et les airs de bravoure de Louis XIV détonnent sous les coupoles de Versailles, le Roi ne manque pas de vérité avec sa hauteur, son égoïsme et cette conviction qui perce à tout instant que l’État se résume en lui. Si Mme  de Maintenon, cette reine au pouvoir discret, si remarquable par son esprit et sa mesure, perd la vraisemblance quand elle se transforme en favorite haineuse et jalouse, sa figure n’en conserve pas moins un certain relief. Ce caractère singulier plus fait pour gouverner que pour aimer, a été par l’un de ses côtés observé avec soin. La duchesse de Bourgogne, quoi qu’elle ait parfois quelques airs de grisette couronnée, est dessinée avec une grâce aimable. D’Aubigné, plein d’insouciance et d’étourderie, en dépit d’un langage par moments étrange, par exemple, quand il demande à sa sœur le bâton de maréchal, sème quelque gaieté dans la pièce.

Dans la Conjuration d’Amboise, Bouilhet n’eut pas la main aussi heureuse. Ce n’est plus au milieu du parc de Versailles, dans une cour pleine de graves élégances, près d’un roi majestueux et solennel, qu’il place ses personnages imaginaires. Il a jeté cette fois son intrigue au sein d’une fournaise, au milieu d’une des époques les plus sinistres de notre histoire. Catherine de Médicis, Condé et le roi de Navarre, le duc de Guise, François ii et Marie Stuart, la Renaudie, Poltrot de Méré, voici les principales figures de ces temps si troublés. Et quel cadre que celui où elles apparaissent ! Les passions religieuses vont bientôt être aux prises ; elles grondent sourdement ; et c’est l’ambition des puissants qui va faire éclater leurs orages. On respire comme un souffle de haine et une odeur de sang, les armes reluisent dans l’ombre, leur cliquetis répond au chant des psaumes, les embûches se multiplient ; encore quelque temps, et ce seront l’assassinat et la guerre, ce seront les exécutions et les massacres. La grandeur sombre et les fureurs intenses d’une pareille époque exigeaient une touche d’une netteté vigoureuse pour animer une série de fresques historiques. Bouilhet n’avait peut-être pas toutes les qualités nécessaires pour entreprendre cette tâche difficile, pour peindre là toute une nation agitée par ses passions religieuses, ici les menées égoïstes et hypocrites des grands, à côté la faiblesse du Roi, pour faire surgir de l’ombre du passé, dans ce choc puissant des passions, des compétitions et des croyances, des figures dignes d’exprimer quelques traits de cette époque tourmentée. L’intrigue qu’il a esquissée avec coquetterie et délicatesse est étouffée par les passions dévorantes qui l’entourent. Le style de Bouilhet, plein d’agréments et d’images était peu fait pour peindre le tableau d’événements pleins d’une sombre grandeur. La vérité historique n’est point offensée par le poète, mais l’horizon de son drame est par trop restreint, son dessin manque d’ampleur. L’intérêt s’épuise en allées et venues le plus souvent peu explicables. Il est haché, divisé et se perd dans un chaos d’événements politiques d’une obscurité glaciale et dans les méandres d’une action sans lien visible et direct avec ces évènements. On ne retrouve point le xvie siècle avec ses grands vices et ses grandes vertus, avec ses figures énergiques et saillantes. Condé est si follement amoureux, si léger, si compromettant, que l’on s’étonne de voir les huguenots le garder comme chef de parti. C’est un mélange singulier d’héroïsme, d’étourderie et de faiblesse qui surprend outre mesure.

Madame de Montarcy et la Conjuration d’Amboise eurent du succès. Cette dernière pièce fut représentée plus de cent fois. L’accueil fait par le spectateur à ces deux drames s’explique assez facilement. C’était en quelque sorte une nouveauté qu’une pièce vraiment littéraire aux idées élevées, aux sentiments honnêtes, au style souvent rempli de noblesse. On était heureux d’être délivré pour un instant des prétendues peintures de la vie contemporaine et de revenir, grâce à la magie d’une poésie harmonieuse, aux jours passés de notre histoire. Comme Madame de Montarcy, Madame de Brisson est une héroïne touchante. Poltrot de Méré est bien le voyant, l’illuminé que le fanatisme conduira bientôt au crime. La Bible dans une main, l’épée dans l’autre, il n’épargne point les adjurations. Sa parole pleine d’images sacrées et son éloquence farouche de sectaire font un heureux contraste avec la jovialité narquoise de Gonnelin. François ii hébété, souffreteux, docile instrument des Guises, et Marie Stuart pleine de grâce, de vie et de jeunesse, apparaissent entourés de je ne sais quelle âpre poésie qui rappelle certaines inspirations de Shakespeare. Le succès de Madame de Montarcy et de la Conjuration se justifie donc naturellement. Si le procédé de composition du poëte était critiquable, il était du moins mis en œuvre avec soin et dextérité. L’Histoire n’y apparaissait point défigurée, les personnages conservaient leur masque traditionnel et n’apportaient point un démenti au nom que le poète leur prêtait, au milieu et à la date où il les plaçait. L’œuvre de Bouilhet méritait donc d’être applaudie.

Dans Faustine, Bouilhet put prendre avec l’Histoire ses coudées plus franches. Il a adouci les traits saillants de la voluptueuse épouse de Marc-Aurèle ; il l’a rendue moins dépravée pour en faire une ambitieuse forcenée chez qui l’idée de la domination finit par effacer tout autre sentiment. Auprès d’elle, il a placé Avidius Cassius Pudens qui se fit proclamer imperator par ses légions. Profitant des obscurités de l’Histoire, il a mêlé l’impératrice au complot de Cassius ; il a fait, de l’amour du général pour la femme de Marc-Aurèle et de la jalousie d’une autre femme dédaignée, la magicienne Daphné, le ressort principal de sa pièce.

Des conjurés, parmi lesquels se trouve Aper, sont réunis chez Avidius Cassius. Lorsque Rome s’agite et que les Barbares menacent les frontières, il faut, disent-ils, un autre empereur que Marc-Aurèle le philosophe. Et cet autre, que peut-il être, si ce n’est le général Avidius Cassius. L’arrivée de Daphné, une magicienne qui aime Cassius met fin à la délibération. On se réunira plus tard chez Crispinus, un ancien fournisseur des armées, enrichi, comme tant d’autres, hélas ! et qui donne des fêtes. Mais Crispinus a compté sans Baseus, le préfet du prétoire ; celui-ci, à l’aide de Daphné, irritée des froideurs de Cassius, a découvert les traces de la conspiration. Baseus pénètre dans la salle du festin et met la main sur les conjurés et celui qui leur donne l’hospitalité. Cassius est amené devant Marc-Aurèle ; mais au lieu de le charger de fers et de le mener au supplice, l’empereur, se souvenant des services du général, lui pardonne généreusement et lui confie le commandement de la Syrie. Baseus se retire tout confus. À ce moment parait Faustine, la femme de Marc-Aurèle, qu’autrefois Cassius a aimée en secret. Elle est séduite par la tournure martiale et l’allure intrépide du soldat. Cependant les Barbares deviennent de plus en plus menaçants ; des hordes s’avancent vers la haute Italie ; et les armées sont désorganisées, le trésor public est vide. Marc-Aurèle ira lui-même en Germanie se mettre à la tête des légions pour venger la mémoire de Vindex. Il part, laissant à Faustine un coffret qui renferme un manuscrit où il a résumé dans des sentences immortelles les principes de la sagesse. Mais l’ambitieuse Faustine a revu Cassius avant qu’il soit allé rejoindre les armées de Syrie. Elle veut s’assurer de conserver à tout événement la pourpre impériale. Si Marc-Aurèle périt sur le Danube, dès que le bruit de sa mort lui parviendra, que le général se fasse proclamer empereur par ses légions et marche sur Rome. La main de Faustine sera la récompense de son succès. Les incantations et l’amour de Daphné sont impuissants contre le charme vertigineux de Faustine et ne peuvent empêcher Cassius de se rendre aux désirs de l’impératrice ; il souscrit à tout ce qu’elle exige. — Heureusement pour Marc-Aurèle, l’amour dédaigné de Daphné n’est pas sa seule défense contre la trahison et l’adultère. Baseus veille, Baseus dont la jalousie n’a pu supporter le pardon et les faveurs inattendues accordées à Cassius. Il fait apprendre à Faustine par Rutilianus que Marc-Aurèle est mort. Aussitôt, l’impératrice envoie à Cassius le coffret donné par l’empereur en remplaçant le manuscrit par des tablettes où elle lui annonce la grande nouvelle qu’elle tiendra encore quelque temps prudemment cachée. C’est Daphné qui portera à Cassius le coffret. Mais Cassius a devancé le message. Avec ses légions, il est débarqué en Italie ; il s’avance. Rome s’agite. Le Sénat parle d’organiser une résistance ; Faustine crie à la folie : où sont les généraux, où est ce Baseus stupide ? — Il a disparu ? — Elle ira elle-même au-devant de Cassius. Le tumulte augmente, « C’est Cassius ! » s’écrie Faustine, avec un accent de triomphe mal dissimulé. La porte s’ouvre, c’est Marc-Aurèle qui s’avance. Près de lui est Baseus qui implore son pardon ; car s’il a osé faire passer l’empereur pour mort, c’était pour prouver la trahison de Cassius. Le traître est mort, et on a trouvé près de lui un coffret qui doit être plein de révélations curieuses. C’est la preuve du crime de Faustine. Marc Aurèle prend le coffret et le jette dans un brasier devant sa femme étonnée de tant de grandeur d’âme. — Pendant que l’empereur est descendu au Forum pour faire rendre à Cassius les honneurs dûs à son rang, Cassius lui-même en haillons entre dans les appartements de l’impératrice. On le croit mort, c’est Aper, son lieutenant, dont la ressemblance avec lui est frappante, qui a été tué. Il est fidèle au rendez-vous que lui a donné Faustine. Il peut encore, qui sait ? soulever l’Orient contre l’Occident. Faustine repousse Cassius. Accablée par la clémence de Marc-Aurèle, son seul désir est de mourir. Elle se pique avec une aiguille empoisonnée, et expire entre les bras de l’empereur qui a reconnu Cassius. — « Il vous faut deux têtes sanglantes au Forum, » s’écrie ce dernier. — « Celle de Cassius nous suffit, Aper, dit Marc Aurèle ; l’existence que je vous laisse n’est pas de celles dont on s’inquiétera désormais. Le général Cassius a vécu. Le centurion Aper est au-dessous de nos vengeances. Sortez ! » — « Quelqu’un, du moins, l’accompagnera dans son ombre », — dit Daphné qui suivra Cassius dans l’exil.

Gustave Flaubert, grand admirateur de la prose harmonieuse et cadencée de son ami, faisait le plus grand cas de Faustine qu’il considérait parmi les pièces de Bouilhet comme la plus ingénieusement combinée. Malgré tout le respect qu’il faut avoir pour l’opinion du célèbre romancier, on doit avouer que le drame n’est guère scénique. L’action y sommeille pour laisser le champ libre à une savante évocation du monde romain. Le mouvement, la vie, n’y circulent point. Le caractère des personnages en est la cause. Est-ce Faustine avec son égoïsme, son ambition terrible et la sécheresse de son cœur qui apportera le souffle nécessaire à ce tableau plus ou moins historique ? Est-ce Avidius Cassius, ce rude soldat, dont l’épée est plus souple que la langue et l’esprit ? Est-ce Marc-Aurèle, le philosophe, dont la figure sert de contraste avec celle de sa redoutable épouse ? La figure de Daphné est à peine esquissée. Ce n’est guère qu’un pâle reflet de Melœnis. La danseuse de Suburre est autrement vivante et passionnée que la magicienne, malgré ses philtres et sa sorcellerie.

La passion éclate davantage dans Mademoiselle Aïssé. Mais si c’est bien Faustine que le poëte nous a montrée tout-à-l’heure, est-ce bien l’amante du chevalier d’Aydie dont il a reproduit les traits ? N’est-ce pas plutôt une figure de fantaisie qu’il a esquissée dans le cadre de son intrigue ? Mademoiselle Aïssé appartient dans une certaine mesure à l’Histoire. Sans doute, elle ne peut y apparaître au même titre que Mme  de Maintenon, Condé ou Faustine, mais elle tient sa place dans le xviiie siècle par sa destinée singulière, par son charme exotique. Ses traits, son caractère sont désormais bien fixés. Tout, ou à peu près tout, a été dit sur l’aimable circassienne, sur sa captivité chez les Turcs, le sort que lui prépara M. de Ferriol en l’achetant, l’éducation qu’elle reçut chez la belle-sœur de M. de Ferriol en compagnie de Pont de Veyle et de d’Argental, ses amours avec Aydie, sa correspondance avec Mme  Calendrini, et sa fin si chrétienne ménagée par le Père Boursault des Théatins, le propre fils de Boursauh, le poëte comique.

Y avait-il dans l’histoire des amours d’Aïssé et de son chevalier le germe d’une comédie ou d’un drame ? Nous ne le croyons pas. C’était se tromper gravement que de vouloir faire revivre cette délicate figure d’Aïssé, cette dernière venue de la famille des Héloïse et des La Vallière.

L’exemple de l’insuccès relatif de deux esprits distingués, MM. Paul Foucher et Alexandre de Lavergne, aurait dû profiter à Bouilhet et l’écarter d’un sujet qui avait été pour eux un écueil au Théâtre-Français en 1854.

Mettre en scène Aïssé, c’était s’exposer à heurter dans une intrigue la vérité historique et littéraire. C’est toujours une pratique douteuse que celle qui consiste à s’éloigner de l’Histoire ; mais l’erreur devient plus grave dans un sujet où lu forme est déjà donnée, où l’action a son mouvement nécessaire et son ordre inconciliable avec l’ordre artificiel de la scène «… Pourquoi, disait un critique[1] à propos du drame de MM. Paul Foucher et Alexandre de Lavergne, changer les temps, rapprocher le commencement de la fin et le dénoûment du début ? Pourquoi supprimer les intervalles, modifier les fortunes, modifier les caractères, supposer des faits nouveaux, détruire les faits anciens et ne conserver à peu près que le nom des acteurs dans une aventure où rien n’est plus intéressant que l’aventure elle-même ? »

Bouilhet, hâtons-nous de le dire, s’est montré plus scrupuleux vis-à-vis des dates et des événements que ses devanciers ; mais je doute fort que ceux qui ont lu l’attachante étude de Sainte-Beuve, et surtout lu la correspondance de Mlle  Aïssé, puissent reconnaître dans son héroïne l’amie de Mme  Calendrini et la pénitente du Père Boursault. Voici la marche du drame :

Quand le rideau se lève, Mme  de Ferriol attend avec anxiété l’issue d’une audience que doit donner un magistrat influent à l’un de ses fils, Pont de Veyle. Tout l’irrite. Aïssé est pour elle un sujet d’aigreur sans cesse renaissant. Quelle bizarre idée de la part de son frère d’avoir ramené d’Asie cette esclave ! Enfin voici Pont de Veyle suivi bientôt du comte de Brécourt, un courtisan du Régent, un nouveau favori, qui remarque la beauté d’Aïssé. L’audience a eu l’issue la plus singulière. Exaspéré d’attendre dans les antichambres. Pont de Veyle a été surpris par M. le procureur fiscal dansant le dernier rigodon à la mode. Mme  de Ferriol est fort irritée ; et elle s’excuse auprès du comte de Brécourt de ce qu’elle appelle ses hontes de famille. Aïssé, de nouveau en butte à sa mauvaise humeur, et lasse de s’entendre reprocher à toute heure d’avoir été dotée par M. de Ferriol, jette au feu le titre constitutif de sa dot. Que lui importe la richesse ! Ce qu’elle voudrait, ce serait pouvoir chérir dans une obscurité tranquille, loin des intrigues du monde élégant qui l’entoure, celui qu’elle a rencontré déjà plusieurs fois, celui qui, pauvre, modeste, a su captiver son attention ! Mais le voilà : c’est lui ! Il est entré chez Mme  de Ferriol à la suite, et peut-être avec la complicité de Pont de Veyle. Elle veut s’éloigner, mais en vain, il ne partira pas sans lui avouer son amour. — Le chevalier d’Aydie, car c’est lui, cet amoureux obscur et anonyme, rencontre par hasard un autre jour Aïssé chez Mme  de Tencin. Leur surprise est mutuelle. Une demi-explication a lieu entre eux. Ils vont donc pouvoir s’aimer librement. Mais cet amour que semble favoriser Pont de Veyle n’est pas du goût de Mme  de Ferriol et de Mme  de Tencin. Le comte de Brécourt qui tient à conserver les faveurs du Régent a sur Aïssé certaines vues qu’il fait partager aux deux sœurs. Aïssé présentée au Régent, Aïssé, maîtresse du Régent, c’est leur fortune assurée. Il faut tout faire pour quelle renonce à son amour. Pour y parvenir, tout est mis hypocritement en œuvre, tant et si bien que l’on va réussir. Aydie n’attend plus qu’une preuve de l’indignité d’Aïssé pour s’éloigner d’elle et prononcer les vœux des chevaliers de Malte. — Aïssé est conduite, malgré elle, à une fête donnée au Palais-Royal. Le Régent, à qui elle est présentée, la trouve fort à son goût et lui fait cadeau d’une riche cassette où se trouve un brevet de lecteur du Roi pour Pont de Veyle. Brécourt a su joindre au brevet un portrait du Régent orné de perles. — Aydie a tout vu. Plus de doutes. Aïssé est indigne de son amour. Plein de colère, il apostrophe Aïssé et tous ceux qui l’entourent, poussant l’audace jusqu’à faire un éclat même dans le palais du Régent. Brécourt veut se précipiter sur les pas du chevalier pour venger une telle violence qu’il considère comme une injure pour lui même. Il est arrêté par le commandeur de Mesme des chevaliers de Malte qui déclare toute provocation inutile, puisque le chevalier appartient désormais à son ordre. — Cependant Aïssé, indignée du sort qu’on lui destinait, a réussi à s’échapper des mains de Mme  de Ferriol, et, s’est réfugiée à Paris, dans une auberge. Elle a demandé une dernière entrevue à Aydie. Le chevalier vient au rendez-vous. Il arrive, plein d’indifférence, sans colère. Mais Aïssé le reçoit avec tant de noblesse et de candeur, qu’il commence à comprendre qu’il a jugé Aïssé trop précipitamment. Il doute. Il préfère croire qu’il a été trompé par les apparences. Oui, Aïssé est pure ; elle a failli être victime d’une machination infâme. Il se jette à ses pieds et implore son pardon. Aïssé pardonne. Les deux amants vont fuir pour pouvoir s’aimer et cacher leur bonheur. Tout-à-coup l’auberge est cernée par le comte de Brécourt et des soldats du guet ; le comte tient l’ordre en blanc d’enfermer à la Bastille quiconque s’opposera à ses volontés. Aydie veut défendre Aïssé, et déjà il croise le fer avec Brécourt, quand le commandeur de Mesme, en grand costume des chevaliers de Malte, suivi de plusieurs autres chevaliers, vient rappeler au chevalier les vœux qui l’attachent à l’ordre de Malte et qui doivent l’éloigner à jamais d’Aïssé. Aydie veut résister, mais les chevaliers de Malte l’entraînent, pendant qu’Aïssé, maudissant la loi du Christ, tombe inanimée entre les bras de ceux qui l’entourent.

Cette analyse permet, malgré sa sécheresse, de voir combien la vérité historique a été offensée par le poëte, et combien se trouve altéré ce caractère d’Aïssé que l’on connaît si bien grâce à sa correspondance, aux récits et mémoires du temps. Dans cette faible intrigue l’originalité de l’aimable Circassienne disparait ; et cette originalité n’est-elle pas « … d’avoir aimé le chevalier d’Aydie, d’avoir connu l’amour avant la vertu, la vertu après l’amour, d’avoir eu son cœur comme une lice ouverte aux combats obstinés de la tendresse et du devoir, d’avoir fait des vœux pour le devoir et contre elle-même, d’être morte enfin avec la joie suprême de les réconcilier l’un et l’autre en mourant… ? »[2] Des parties charmantes, de jolis détails et des épisodes gracieux comme la réception de Mme  de Tencin à sa toilette, ne font point disparaître la faiblesse de l’intrigue, les invraisemblances du drame et son intérêt mal gradué. Ce commandeur de Mesme, qui semble avoir la prétention de jouer un peu le rôle de l’évêque dans Jocelyn, est une malheureuse invention qui ne sert qu’à dérouter nos idées d’histoire littéraire, à jeter une froideur glaciale sur la fin du drame et à pousser Aïssé, Aïssé dont nous connaissons les sentiments chrétiens, surtout aux derniers instants de sa vie, à maudire la loi du Christ, contre-sens énorme, s’il en fût jamais !

Quoique la dernière, Mademoiselle Aïssé n’est point la pièce de Bouilhet la mieux réussie du groupe des compositions dramatiques où il a mis en œuvre des éléments empruntés à l’Histoire. C’est encore son début au théâtre, Madame de Montarcy, qui reste ce qu’il a fait de mieux en ce genre. C’est sa pièce la mieux équilibrée, peut-être la mieux écrite, celle où il a soudé avec le moins d’efforts et de la façon la plus adroite la fiction aux faits historiques. Il est temps de voir comment il a réussi à traiter des sujets puisés dans les réalités de notre vie quotidienne.

II

Le drame domestique et la comédie en vers présentent les plus grandes difficultés pour le poëte au point de vue du style. D’une part, il lui faut se mettre en garde contre un langage lourd et prosaïque ; d’autre part, il doit éviter la pompe, le lyrisme et la richesse des métaphores.

Les sujets puisés dans la vie de tous les jours demandent surtout une extrême précision et une grande sobriété dans les vers. Des ornements superflus, des draperies, des images, il n’en faut point. Dans cette vie que nous menons à la vapeur, les longues tirades et le langage métaphorique ne sont plus de mise. On se complaît point à faire des discours en dehors de la tribune ou de la barre. On traduit simplement ou l’on déguise simplement aussi sa pensée, et si la conversation se prolonge, c’est pour avoir l’occasion d’y semer un mot plus ou moins spirituel.

C’était une épreuve difficile pour Bouilhet que de faire parler des banquiers, des notaires, dés négociants, des journalistes ou des soubrettes, précisément à cause de ses tendances romantiques. À deux reprises différentes, il résolut de la tenter. Le premier essai, Hélène Peyron, s’il lui valut des applaudissements au Théâtre, ne fut pas sous certains rapports très-heureux au point de vue purement littéraire. La seconde tentative, l’Oncle Million, quoiqu’elle ait trouvé beaucoup moins bonne grâce près des spectateurs, est des plus intéressantes et des plus méritoires. L’Oncle Million paraît avoir concilié, autant qu’il était possible, le langage de l’école romantique avec le langage parfois sentencieux et robuste, parfois naturel et familier de l’ancienne école comique française. Cette union a produit un style qui n’est pas sans valeur. En dépit du sujet de la pièce qui est l’exaltation du poëte, l’allure de l’œuvre n’est pas trop poétique ; et si le nombre de ses représentations fut assez limité, il faut s’en prendre à la faiblesse et à la fragilité de l’intrigue. Qu’on en juge plutôt :

Une discussion s’est élevée entre M. Rousset et son fils. M. Léon Rousset, un tout jeune homme, ne veut point se livrer au commerce, comme le désire son père. Les Lettres l’ont séduit, et il désirerait leur consacrer sa vie.

M. Rousset, furieux.
… Tu veux écrire toi ?
Léon

Sans doute.

M. Rousset.

 Écrire quoi ? mais parle… ! écrire quoi ?

En raillant :

Ah ! je sais !… j’ai trouvé, parmi d’autres surprises.
Une pièce de vers sur le soir et ses brises…
Qui traînait, ce matin, au panier du comptoir !

Avec colère :

Eh ! je me moque bien de tes brises du soir !

C’est à se faire suivre en passant par la ville !…
— Si tu mettais au jour quelque volume utile,
Quelque traité pratique, où l’on trouve à puiser,
Je comprendrais, du moins, et pourrais t’excuser !
Des vers !… écrire en vers !… mais c’est une folie !
J’en sais de moins timbrés qu’on enferme et qu’on lie !
Morbleu ! qui parle en vers ?… La belle invention !
Est-ce que j’en fais, moi ?… L’imagination !…
Est-ce que j’en ai, moi ?… Fils de mes propres œuvres,
Il m’a fallu, mon cher, avaler des couleuvres.
Pour te donner un jour le plaisir émouvant
De guetter, lyre en main, l’endroit d’où vient le vent !
Ces frivolités-là, sagement entendues,
Sont bonnes, si l’on veut, à nos heures perdues
Moi-même, j’ai connu, dans une autre maison,
Un commis, bon enfant, qui tournait la chanson,
Mais qui savait, du moins, ne se monter la tête
Que pour un mariage ou bien pour une fête…
Toi, tu prétends rimer… perpétuellement !…
Voyons ! est-ce fondé sur un raisonnement ?
Vivons-nous pour cela ? Crois-tu qu’il soit bien rare
D’accommoder des mots d’une façon bizarre ?
As-tu même, un grand point que je dois éclaircir,
La réputation qu’il faut pour réussir ?

Léon, exaspéré

Nous verrons…

M. Rousset.
Ah ! fort bien, tu vas à l’étourdie !

Croisant ses bras :

Pourrais-tu seulement faire une tragédie ?

Léon, avec résignation

S’il faut que je m’y mette…

M. Rousset, vivement

S’il faut que je m’y metteAu diable !… Avise-t’en !
Malheureux !…

Léon

Malheureux !…Mais jadis tu ne criais pas tant,
Quand, dans ton cabinet, une fois par semaine.
Tu me faisais, de force, avaler Théramène,
Et souvent au dessert, ce qui te semblait beau.
Réciter la Laitière avec Maître Corbeau !…

M. Rousset

Que viens-tu nous chanter ? La distance est extrême
Entre orner sa mémoire et composer soi-même !

Léon, avec feu

Mais, mon père, entre nous, ces hommes immortels,
Debout sur leurs tombeaux comme sur des autels…
Racine et Poquelin, La Fontaine et Corneille,
Dont tu gardes les vers, ainsi qu’une merveille,
Dans ces grands livres bleus ornés de tranches d’or…
Ils composaient pourtant !…

M. Rousset, brusquement

Ils composaient pourtant !…C’est bon quand on est mort !

Léon, avec force

Mais je vivais, quand, fier de mes succès en classe,
Tu me donnais, un jour, ce beau fusil de chasse !
Mais je n’étais pas mort, quand, pour mes vers latins,
Tu passais ta journée à bénir les destins :
Et qu’ébloui d’un fils qui savait lire Homère,
Tu priais à dîner les adjoints et le maire !
Eh bien ! moi, que veux-tu ? par Virgile bercé,
J’ai pris goût, sans malice, au miel qu’on m’a versé ;
Et si tant de raisons défendent que j’y touche,
C’était un crime, alors, de m’en frotter la bouche !…


Et comme M. Étienne Dufernay, un vieux célibataire, l’Oncle Million de la pièce, prend le parti de Léon qui doit épouser sa nièce, Alice Dufernay, Rousset reprend :

… Des vers, monsieur, des vers !… pas même de la prose !
Une façon de dire où l’on ne comprend rien !
Au lieu de s’énoncer comme un homme de bien,
Clairement, simplement, à l’unisson des masses,
Sans ces contorsions, sans toutes ces grimaces,
Et ces rimes, monsieur, ridicule ornement,
Qu’on n’accorde jamais avec le jugement ;
Si bien que la pensée, aux allures moins nettes.
Semble un âne à la foire entre ses deux sonnettes !
Avouons qu’il faut être, en ce siècle éclairé.
Sinon tout-à-fait sot, du moins fort égaré,
Pour prendre au sérieux un pareil casse-tête !…
Mais je dis que Léon n’est pas même un poëte !

Lui, poète ! allons donc !… Que me chantez-vous là !
Moi qui l’ai vu, chez nous, pas plus haut que cela !
Comment ?… qu’a-t-il en lui qui passe l’ordinaire ?…
C’est un écervelé ! C’est un visionnaire !
C’est un simple idiot, et je vous réponds, moi,
Qu’il fera le commerce ou qu’il dira pourquoi !…

M. Léon doit épouser Mlle  Alice Dufernay ; mais tant que notre jeune poëte n’aura pas abandonné la Muse pour le grand livre et les échantillons, le mariage n’aura pas lieu. En attendant, Popin, un ami de la maison, introduit chez Rousset Gaudrier, un jeune notaire, à la recherche d’une dot pour finir de payer son étude. La fille de M. Rousset, Clara, ne lui déplairait point trop. Autant elle qu’une autre.

Popin
Et Clara, la trouvez-vous jolie ?
Gaudrier, froidement

Pas mal.

Popin

Pas mal.Avez-vous là, comme on dit, de l’amour ?

Gaudrier

Sa dot ?

Popin

Sa dot ?Oh ! oui, pardon. Chaque chose à son tour.

Gaudrier, gravement

Je me pose avant tout sur un terrain solide…

Popin

Et vous avez raison !

Gaudrier

Et vous avez raison !J’aime après…

Avec de pareilles dispositions chez son futur mari, Clara, une petite personne positive, qui déteste tous les arts d’agrément, sera-t-elle heureuse en ménage ? Rousset s’inquiète peu de ce point ; mais exaspéré de ce que son fils a fait insérer une pièce de vers dans un des journaux de la ville, il exile notre poëte et l’envoie au diable… pour faire pénitence. Mme  Dufernay, une femme pratique aussi, cherchera un autre gendre. Mais quel autre pourrait mieux lui convenir que le sage, que le sérieux Gaudrier ? Le notaire a su qu’Étienne Dufernay, l’oncle million, doit doter Alice ; à la première ouverture que lui fait Mme  Dufernay, le galant renonce à Clara Roussel. Mais Alice n’aime pas le notaire ? Qu’importe ! — Pauvre Léon ! pauvre Alice ! Un rendez-vous secret les réunit bientôt. Léon, éperdu d’amour, veut renoncer à la Poésie ; mais la jeune fille l’arrête et l’engage noblement à persévérer malgré les obstacles. Léon se récrie. S’il a rêvé des succès, c’était pour se rendre digne d’Alice. Que va-t-il devenir ? — Le bon oncle million saura mettre bon ordre à tout cela. Il va se marier, annonce-t-il partout. — Se marier ! Mme  Dufernay s’indigne à cette pensée. À son âge ! se marier ! Elle veut presser l’union du notaire et de sa fille. Mais Gaudrier, averti des velléités matrimoniales de l’oncle, n’entend pas de cette oreille. Une belle-mère et six mille francs de rente ! C’est trop et trop peu à la fois ! Comment rompre ? — En attendant cette pauvre Clara querelle Alice qu’elle croit coupable de lui enlever son cher notaire. Alice la calme. Qu’elle se rassure : jamais elle n’épousera Gaudrier. Le coureur de dots a déjà su simuler une maladie ; il tousse, il craint, dit-il, pour sa poitrine, il part pour les eaux. — L’oncle Étienne reparait. Les choses vont s’arranger. S’il a manifesté l’intention de se marier, c’était pour éprouver le désintéressement de Gaudrier. À cette déclaration, Mmes  Dufernay et Rousset commencent à se sentir disposés à quelques concessions littéraires en faveur de Léon que l’oncle million a recueilli et protégé près des éditeurs. Ne vient-il pas de publier un volume de poésies qui en vaut bien un autre ? Un volume ! quels titres de poésies ! La Ferme ! Un titre qui rappelle certaine métairie que l’oncle million possède dans la Beauce et qu’il donne à sa nièce le jour où elle se marie. La Pervenche ! C’est une illusion ; quand il lit ces vers, le bon oncle se croit transporté dans ces grands bois qu’il a dans la Basse-Bretagne et qu’il offre en cadeau aux jeunes époux, de même que certain moulin chanté par Léon. Cet inventaire poétique n’est pas sans toucher Rousset. Le reste se devine. Léon épouse Alice. E finita la commedia !

La fragilité de cette action n’a point empêché le poëte de rencontrer des traits de vrai comique. Sa verve franche et naïve appelle le rire sans efforts, non pas ce rire nerveux et, pour ainsi dire, dépravé que nos modernes auteurs provoquent par des procédés et des artifices, par des alliances de mots disparates ou des réticences, mais ce rire sain, innocent et facile qu’excitent les comédies de notre vieux répertoire.

L’Oncle Million était une tentative des plus honorables. Le poëte avait su prouver qu’il possédait un langage souple, facile, naturel, et mieux en harmonie avec la situation et le caractère de ses personnages que celui qu’il avait employé dans Hélène Peyron. Dans ce drame, en effet, la langue de Bouilhet est toujours de bonne école, mais elle emploie tant d’images et de coloris poétique qu’il est impossible d’y voir le véritable vers du drame domestique. Cet abus des images et du coloris arrive à être d’autant plus choquant, que certaines pages, comme pour faire contraste avec les autres, sont écrites avec sobriété, sans ornements superflus et dans le ton qu’il convient. Le vers est net, il se dégage des étreintes, des comparaisons trop poétiques pour résonner juste sur les lèvres de ce banquier, de cette courtisane, de cette soubrette ou de cette jeune fille.

Ces réserves faites, il faut rendre justice aux qualités d’Hélène Peyron. Le sujet est dramatique et intéressant. Il a trait à la destinée d’un enfant né hors d’un légitime mariage. Le théâtre contemporain a bien abusé de ce thème, et cependant il n’est pas prés d’être épuisé «… Le sujet est inépuisable, dit M. Alexandre Dumas fils, dans la préface de son Fils Naturel, tant l’insuffisance de la Loi en a varié les formes et les conséquences, tant l’égoïsme, l’ignorance et la brutalité de l’homme le compliquent et l’aggravent de jour en jour… » Bouilhet a été séduit par l’originalité d’une situation où la destinée d’un enfant naturel serait en jeu et mettrait aux prises les intérêts et les sentiments les plus opposés. Il s’est dit combien il serait dramatique de faire élever à son insu par un homme marié sa fille naturelle qui passerait pour une fille d’adoption, de laisser traîner la mère, misérable courtisane, dans la fange du vice, à la merci de toutes les aventures, de faire un jour de l’un des amants de la courtisane le fiancé de la pauvre enfant’abandonnée, et de tracer à larges traits le tableau du désarroi moral causé par cette combinaison étrange d’événements.

Sans avoir la prétention de « développer une thèse sociale et de rendre par le Théâtre plus que la peinture » des caractères, des mœurs et des passions… »[3] Sans comparer l’homme qui engendre un enfant naturel et ne lui assure pas le moyen de vivre, à un malfaiteur digne d’être classé au rang des voleurs et des assassins[4], Bouilhet s’est mis modestement à l’œuvre, et il a imaginé la fable suivante :

M. Daubret, un ancien viveur, banquier dans une ville de province, est marié depuis deux ans à une femme douce et bonne dont le seul chagrin est d’être sans enfants. Une circonstance fortuite va troubler la paix de ce ménage et faire retomber sur les deux époux à la fois les fautes de jeunesse du mari. Une femme se présente un jour chez le banquier. C’est Marceline Peyron, son ancienne maîtresse, dont il a eu une fille. Ce qu’elle veut, c’est du pain pour sa petite Hélène qui n’a que deux ans et demi. Daubret reçoit assez durement Marceline. Comment reconduire ? Le mieux, c’est peut-être de lui céder la place ; elle partira d’elle-même. Il s’en va. Mais Mme Daubret d’un appartement voisin, a tout entendu. La femme légitime et l’ancienne maîtresse se trouvent en présence. Enfin, que veut Marceline ? du pain pour sa fille, le moyen de l’empêcher d’imiter sa mère et de devenir à son tour une courtisane ? Il suffit que la mère consente à céder son enfant : Mme Daubret l’adoptera. Mais à une condition, c’est que Marceline ne la reverra jamais. Oh ! le dur sacrifice ! La mère hésite d’abord ; enfin, vaincue, elle remettra la petite Hélène à Mme Daubret qui l’élèvera comme sa fille. — Marceline tiendra-t-elle sa parole ? Ne reverra-t-elle jamais son enfant ? — Quinze ans s’écoulent. Daubret est devenu député, grâce au talent d’intrigue de Flavignac, un ami de la maison. Il n’a pas d’enfants, et pourtant une belle jeune fille de dix-sept ans se trouve dans la maison. Mme Daubret n’a pas parlé à son mari de Marceline ; mais elle a réussi à lui faire adopter une enfant qui aurait été trouvée, a-t-elle dit, dans une église. Cette enfant, c’est aujourd’hui la jeune fille de dix-sept ans, c’est Hélène. Le bonheur semble régner dans le ménage de Daubret. Mais comment le nouveau député reconnaîtra-t-il les services de Flavignac ? Daubret ne trouve rien de mieux que de vouloir lui faire épouser Hélène. Celle-ci aime en secret le courtier électoral de son père adoptif, et l’union projetée par Daubret va s’accomplir. Il ne reste plus à Flavignac qu’à rompre une ancienne liaison, à se débarrasser d’une femme qui fut sa maîtresse. Or, cette femme n’est autre que Marceline, qui n’est jamais sortie du vice. Sa vie consacrée à la paresse et au plaisir a passé successivement de la misère au luxe. En dépit de sa promesse, elle a essayé de revoir sa fille, elle la connaît. Le dimanche, aux offices, elle était sur ses pas. Dans une dernière entrevue, poussé à bout par les railleries de son ancienne maîtresse qui lui fait un portrait grotesque de sa fiancée, Flavignac lui montre un médaillon qui représente Hélène dans L’éclat de sa jeunesse et de sa beauté. La mère a reconnu sa fille ; elle tombe anéantie ; elle est donc la rivale de sa propre fille ! Une lettre anonyme est envoyée aussitôt par Marceline à Mme  Daubret. Daubret la lit et s’en moque. Flavignac a une maîtresse ! La belle affaire ! Quel est l’homme qui n’a eu au moins une maîtresse ! Faut-il se montrer d’ailleurs si difficile dans le choix d’un mari pour Hélène ? N’est-ce pas, après tout, une enfant trouvée ? On se pardonnera mutuellement le passé. Avertie de la conduite de son fiancé, Hélène pardonne en effet ; mais Marceline, elle, ne pardonne point, ou plutôt elle n’oublie point Hélène. Daubret et Flavignac sauront ce que c’est qu’Hélène. Elle écrira à sa fille, s’il le faut : « Cet homme, ne » l’épouse pas ! Je suis ta mère ; et il est mon amant ! » Marceline se présente, Hélène l’accueille avec une fureur jalouse : « Vous êtes sa maîtresse ! » dit-elle, et « pourquoi venez-vous ici ? » Mme  Daubret se précipite aux genoux de son mari, et lui révèle le secret de la naissance d’Hélène. « C’est ma fille ! » se met à crier Daubret, et quand Flavignac arrive, c’est par ce cri qu’il l’accueille. Le mariage n’aura pas lieu. Flavignac commence à accuser Marceline : elle a dépassé les limites de l’infamie, lorsque Hélène l’arrête : « Vous insultez ma mère, » lui dit-elle. Le drame touche à son terme ; il lui faut un dénouement. La pauvre Hélène, le cœur brisé, entre en religion et dénoue ainsi une situation devenue insoluble.

Si la critique a pu reprocher au poëte certaines faiblesses quant au style de son drame, elle peut signaler aussi certaines invraisemblances dans l’intrigue et dans la manière dont elle se développe. Un auteur dramatique sérieux, qui a pour but autre chose que l’amusement du public, enseigne la vie humaine. Or, pour l’enseigner, il faut conclure aussi juste qu’elle « …Le Théâtre, a dit un critique[5], n’est que de la logique en action, et la logique en action constitue à son tour la vraisemblance du Théâtre… » Bouilhet n’est pas sans avoir quelque fois négligé cette logique des faits. Comment, par exemple, le commis Daubret est-il devenu riche à trente-deux ans ? Quand elle apparaît, Marceline est-elle une fille abusée ou une fille perdue ? Si c’est une fille perdue, comment Daubret ne songe-t-il pas à s’en débarrasser à prix d’or ? Lorsqu’elle trouve dans sa fille la rivale qui lui est préférée, quel est le sentiment qui provoque sa stupeur et sa colère et qui la pousse à empêcher l’union qui s’apprête ? — Il faut chercher la force et l’intérêt de la pièce autre part que dans l’exposition de l’intrigue et le dessin des caractères ; ils résident dans l’idée générale, dans certains coups de théâtre saisissants qui éclatent comme la foudre pour illuminer la touchante figure d’Hélène, dans certains jeux de scène d’autant plus puissants qu’ils sont inattendus, dans un dénouement d’une belle invention et d’un grand effet.

III

Les défauts du style dramatique de Louis Bouilhet s’effacent dans Dolorès, grâce au choix du sujet, à sa tournure romantique, à l’époque indécise où il se passe et à l’allure héroïque de ses personnages. Ici, plus de figures historiques, comme Mme  de Maintenon, Louis XIV ou Condé, plus de figures bourgeoises comme l’oncle Million, le notaire Gaudrier, le banquier Daubret ou le journaliste Flavignac ! Place aux belles senoras et aux fiers caballeros ! Écoutez ! c’est une délicieuse sérénade qui se fait entendre ! Voyez ! c’est un balcon qui s’anime ou une jalousie qui s’ouvre ! Voyez encore ! la rapière au poing, ce sont deux gentilhommes qui ferraillent. Le poëte va placer un cavalier entre la révélation d’un secret duquel dépend l’honneur d’une femme aimée et l’opprobre d’une accusation injuste. Une telle situation met en jeu le point d’honneur. Et l’Espagne n’est-elle pas par excellence la terre où le point d’honneur a toujours fleuri… surtout au théâtre. La fantaisie du poëte nous conduira donc à Tolède.

Dona Laura, comtesse de Roxas, la perle de Tolède, la belle des belles, la femme à la mode, est aimée du marquis d’Avila, C’est pourtant folie de l’aimer : elle est à la fois si provoquante et si insensible, si coquette et si hautaine, sa vanité se joue si bien des passions qu’elle fait naître ! Dona Rosaura, une tante du marquis, voit avec peine son neveu au nombre des adorateurs les plus ardents de la comtesse. Elle ne s’amuse pas à lui faire d’inutiles sermons, mais elle appelle, de la campagne où elle a vécu jusqu’alors, Dolorès, une jeune parente à elle, dont la grâce et la fraîcheur peuvent lutter avec la beauté de dona Laura. Inutiles projets ! Si le marquis d’Avila, rebuté par les caprices de la sirène tolédane ne se jette pas trop loin de l’idée d’épouser Dolorés, celle-ci veut rester fidèle à celui qu’elle aime, à un ami de son enfance, à don Fernand de Torrès, gentilhomme noble comme le roi, mais pauvre comme Job. Don Fernand revient précisément de la guerre. Il n’a point non plus oublié Dolorès, mais ce souvenir ne résiste point à un coup d’œil de la comtesse de Roxas. Fernand va grossir le nombre des amoureux de dona Laura. Toutes les passions ameutées par sa femme ne laissent point d’inquiéter le comte de Roxas. Croyant que d’Avila est l’amant favorisé, il voue au beau marquis une haine féroce qui ne reculera devant rien pour se satisfaire. Le marquis d’Avila, épris de la nièce de dona Rosaura, fait chanter vers minuit une sérénade sous le balcon de Dolorès que par erreur don Fernand prend pour celui de dona Laura de Roxas. La jalousie de Fernand s’allume ; il s’écrie que les couplets sont détestables et que la sérénade est l’œuvre d’un sot. D’Avila impatienté dégaine en même temps que Fernand. Un duel va avoir lieu. Mais on sépare les combattants qui sauront bien se rencontrer de nouveau au premier jour. Dolorès, attirée à la fenêtre par la sérénade, a tout vu, et, croyant que Fernand allait se battre pour elle, est descendue dans la rue afin d’empêcher le combat. Que voit-elle alors ? Fernand s’éloignant au bras d’une femme, et cette femme, c’est Laura, c’est la comtesse de Roxas, furieuse d’être négligée par d’Avila. Le drame va se compliquer. Pendant que Fernand passe la nuit chez la comtesse, d’Avila est tué d’un coup d’estoc porté par derrière ; quel peut-être le meurtrier ? Des soupçons planent sur Fernand ; n’a-t-il pas voulu se battre avec d’Avila ? Il est arrêté. Cruelle alternative ! Il sera condamné comme un vil assassin, s’il ne se justifie pas, ou il sera regardé comme un lâche, si pour se disculper il dit qu’il a passé la nuit chez la comtesse de Roxas. Son parti est bientôt pris. Il mourra et il ne parlera pas. Il a compté sans son père, don Pèdre de Torrès, qui vient au nom de l’honneur de sa maison le supplier de dire la vérité. Fernand refuse. Don Pèdre, à quelques mots de Fernand, devine presque ce qui s’est passé. Il est digne de comprendre le mutisme de son fils, mais si Fernand doit se taire, dona Laura peut parler, elle. Don Pèdre la prie de ne point laisser mourir d’une mort infâme (car mourir ne serait rien) l’amant généreux qui se dévoue pour elle. L’altière comtesse va entrer chez la Reine pour lui dire où était Fernand à l’heure du crime, lorsque Dolorès qui a vu, la nuit de l’assassinat, Fernand pénétrer dans la demeure de dona Laura, accourt de son côté la supplier de proclamer l’innocence de celui qu’on accuse. Laura croit que son amant a parlé et qu’elle est victime d’une odieuse trahison. Elle ne parlera pas. Fernand va périr, lorsque Dolorès se présente devant le roi et s’écrie que son fiancé ne saurait être coupable, puisqu’il a passé chez elle la nuit du meurtre. Fernand ne veut pas accepter un tel sacrifice, et afin de restituer l’honneur à celle qui se dévoue pour lui, il affirme être l’assassin. Tout-à-coup, un ami de Fernand vient annoncer que le vrai coupable, un coupe-jarret à la solde du comte de Roxas, a été découvert — Fernand à genoux implore son pardon de celle qu’il a méconnue et qui pour lui s’est résignée à l’infamie. Il est trop tard maintenant pour l’aimer. Dolorès en allant se jeter aux pieds du roi avait pris du poison. Elle expire. Fernand ne veut pas lui survivre ; il se précipite sur son épée et s’enferre. Le tombeau le réunira dans la mort à celle qui voulait donner son honneur et sa vie pour le sauver.

Si on est loin avec cette intrigue de la Dolorès d’Achim d’Arnim, on est plus prés de Ferréol de M. Victorien Sardou, et surtout de l’innocence d’un forçat de Charles de Bernard, où Arthur d’Aubian se laisse accuser de l’assassinat de M. Gorsaz et n’ose se justifier, même dans le prétoire de la cour d’assises, de peur de déshonorer Lucie. Bouilhet a repris la situation dramatique esquissée par L’aimable romancier et l’a développée avec un raffinement de sentiments cornéliens. Son drame est mal équilibré, trop longuement exposé et attristé inutilement par un double suicide ; il peut paraître quelque peu vieillot et rococo, pour me servir d’un mot de Gustave Flaubert, mais il a de nobles élans et une grande allure, surtout au troisième acte. Peu de poètes, depuis Corneille, ont trouvé des vers aussi vigoureux pour exprimer d’aussi fiers sentiments. Si Laura est presque infâme avec sa froide coquetterie et son égoïsme féroce, Dolorès est une adorable créature. Comme ce type d’amour magnanime fait contraste avec ce caractère de Fernand, tantôt fiancé volage d’une femme ravissante, tantôt amant irréfléchi d’une coquette sans âme, et chevalier d’héroïsme à outrance. Don Pèdre de Torrès, ce proche parent du marquis de Rouvray, de Madame de Montarcy, fait songer à don Diègue du Cid, ou à Ruy Gomez de Silva d’Hernani. Lorsque son fils est accusé du meurtre du marquis d’Avila, son entrée en scène est tout un drame.

Il ose m’embrasser, il n’est donc point coupable,

dit-il, dans un vers digne de Corneille. Cette entrevue du père et du fils est poignante. Il y a dans cette scène comme une révélation que l’auteur est un compatriote de notre grand tragique ; il y règne ce souffle puissant qui circule à travers les drames héroïques des vieux dramaturges espagnols, des Lope de Vega et des Calderon, chez qui le point d’honneur, cette fatalité consentie, comme disait Théophile Gautier, remplace le fatum antique. Dolorès, en dépit de son originalité, rappelle, par exemple, la strella de Sevilla, et surtout ces belles scènes où Sancho Ortiz de las Roëlas, meurtrier de Busto Tabera, par ordre de son souverain, refuse obstinément de livrer le nom du roi, Sancho el Bravo qui a armé son bras, où dona Estella se précipite aux pieds du Roi et sait délivrer son fiancé qu’elle refuse d’épouser. Le sacrifice que Dolorés fait de son honneur est comme une reproduction adoucie du sacrifice sauvage de dona Sol, dans la corona merecida. Dona Estella, dona Sol, Chimène et Dolorès sont presque sœurs. Ne rappelle pas qui veut, parmi les dramaturges de notre temps, le souvenir de Corneille et des vieux maîtres du Théâtre espagnol !

À quoi bon parler maintenant du Panier de pêches, du Cœur à droite, du Sexe faible, et du Château des Cœurs ? Bouilhet tout entier se trouve déjà dans les pièces qui viennent d’être analysées. Avec elles seules, il peut être jugé. — Le Château des Cœurs, qui a été récemment publié, appartient presque tout entier à Gustave Flaubert ; il l’a fait sien, comme il me le disait sans détours ; il y a mis l’empreinte de sa griffe dans telles et telles scènes. — Faut-il analyser une fantaisie où la part de collaboration revenant à Bouilhet est presque impossible à définir. Une féerie ne s’analyse point d’ailleurs. Le Château des Cœurs est une spirituelle satire de l’égoïsme des hommes, de la bêtise mondaine et bourgeoise étalant sa plate turpitude. La tentation de Saint-Antoine est une raillerie amère des espérances et des croyances de l’Humanité pendant un certain espace de temps. Le Château des Cœurs ne vise que la niaiserie de nos contemporains. Le champ de la raillerie est cette fois moins vaste : la forme du sarcasme est moins élevée, sa portée moins grande. Les personnages sont moins abstraits, le drame a une action et il pourrait peut-être être mis au Théâtre. On a prononcé le mot de pièce aristophanesque à propos du Château des Cœurs. Le genre choisi par Flaubert et son ami Bouilhet ne se rapproche-t-il pas plutôt des comédies fabuleuses de Carlo Gozzi ? La satire y côtoie l’espièglerie, le trait s’y émousse facilement ou n’a pas de portée ; et les masques, les Pantalon, les Tartaglia, sont remplacés par quelques grotesques, tels que le père et la mère Thomas, le banquier Klœkher et le valet Dominique.

Flaubert n’était pas sans juger avec sévérité son œuvre et celle de ses collaborateurs. Voici ce qu’il écrivait à M. Émile Bergerat après l'avoir relue sur épreuves :

« Je n’avais pas relu le Château des Cœurs. Certaines parties m’ont amusé, mais, en somme, la pièce est disparate. La niaiserie du sujet jure avec le sérieux de la forme. L’avant-dernier tableau me paraît absolument mauvais ; mais que je voudrais voir sur les planches le Cabaret et le royaume du Pot-au-feu !… Moralité : les auteurs auraient bien fait de ne pas écrire pour être joués à toute force. Les concessions ne servent à rien qu’à dégrader ceux qui les font. »

On peut sans doute regretter avec Flaubert cette faiblesse qu’il partagea avec Bouilhet d’écrire en vue d’une représentation. Si la verve de l’auteur de Bouvard et Pécuchet et celle de l’auteur de l’oncle Million s’étaient donné carrière sans s’imposer d’entraves, le Château des Cœurs fût peut être devenu quelque chose de vraiment original, quelque fantaisie éblouissante comparable à celles de Shakespeare.

IV

M. Sully-Prudhomme, dans une poésie remarquable, à la fois ardente et inégale, prend à partie Alfred de Musset, le poète aimé de la jeunesse, et lui demande compte des dons merveilleux qu’il avait reçus. Il le félicite d’être venu à l’heure privilégiée du siècle :

… Toi, qui naquis à point dans le siècle où nous sommes,
Ni trop tôt pour savoir, ni pour chanter trop tard…

Ces vers, je ne sais comment, revenaient à notre oreille, lorsque nous commencions à parler de Louis Bouilhet. Notre poëte n’eut point l’heureuse fortune de l’auteur des Nuits ; il ne vint pas à cette heure privilégiée pour faire sa trouée dans la mêlée littéraire. Le grand concert romantique était fini depuis longtemps, les adeptes du Cénacle et les auditeurs étaient dispersés ; l’attention publique était tournée d’un autre côté ; le système de réforme du Théâtre, préconisé et pratiqué par Victor Hugo, avait déjà depuis longtemps porté ses fruits et avait été définitivement jugé. Venu plus tôt, Bouilhet aurait pu, au Théâtre, prendre place à la suite de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, et d’Alfred Vigny. Il aurait partagé leurs labeurs et leur gloire. Le hasard le fit naître dans une autre génération ; et, tout seul, il eut la singulière fortune, pour parler comme Théophile Gautier, de relever la bannière romantique qui gisait dans la poussière après tant de combats.

Il ne tarda pas à être attiré vers la poésie dramatique, cette forme de la pensée qui se rapproche le plus des arts plastiques. Melœnis l’avait recommandé, mais cette aube de renommée ne lui suffisait point. La poésie pure ne lui paraissait point une arme assez forte pour marcher à la conquête de la célébrité. Il sentait bien que le Théâtre est une puissance créatrice plus forte que les livres ou les gazettes, une puissance planant au-dessus des événements, se distribuant à l’infini par des milliers d’interprètes, possédant le relief, la couleur, la répétition quotidienne, régulière et animée de la pensée. Un matin, il se réveilla auteur dramatique. N’est-il pas naturel qu’il ait subi cet attrait irrésistible de la scène, cette sirène, ce monstre qui a dévoré tant de poëtes ? Gustave Flaubert, son ami, ne l’a-t-il pas subi lui-même ? La poésie pure ravira quelques esprits d’élite ; elle aura ses fervents, mais aura-t-elle jamais l’éclat de la poésie dramatique que viennent illuminer les feux de la rampe ! Le Théâtre ! C’est la réalisation des figures rêvées par le poëte, c’est l’incarnation des personnages dont il a étudié et peut-être ressenti les sentiments et les passions, c’est la pensée vivante, presque palpable, circulant et se répandant avec profusion devant des spectateurs qui se succèdent sans trêve ; c’est, comme dit un dramaturge célèbre, la conquête de la foule par l’acteur, c’est-à-dire, la parole, le regard, la démarche, le geste, l’action ! Un poëme, c’est la statue de marbre froide et pâle : un drame, c’est Galathée s’animant sous l’ardente étreinte de Pygmalion !

Bouilhet comprenait tout cela ; il n’était pas de ceux qui croient que dans cinquante ans le Livre aura tué le Théâtre[6]. Il n’était point non plus impunément le compatriote de Corneille. Il se présenta un drame en vers à la main. Il fut applaudi. Et, chose bizarre ! ce fut la tournure toute romantique de son drame qui lui valut une partie de son succès.

On était en 1856. Le public était fatigué des productions malsaines qui avaient inondé notre théâtre, de ces pièces où l’Histoire n’avait paru que dénaturée par la fantaisie, où le passé était inventé au lieu d’être interprété, où la vie réelle est présentée dans ce qu’elle a de moins noble, où le bon sens est soumis aux plus rudes épreuves. Les vers sonores de Madame de Montarcy vinrent surprendre les spectateurs et les frapper au visage comme un vent frais et chargé des senteurs d’un printemps nouveau, et la scène put croire un instant au retour de ces drames où la jeune école romantique voulait faire triompher ses théories. On ne vit que l’intention élevée, le labeur scrupuleux ; on s’estima heureux d’être enfin délivré du spectacle de ce demi-monde dont la découverte sur la carte dramatique par un écrivain célèbre avait tant excité la curiosité, de l’étude plus ou moins sincère de la corruption effrontée ou de la niaiserie prétentieuse. On voulait sympathiser avec le poète dont le talent plein de verdeur annonçait une sévérité de bon goût, la pratique des grands modèles et l’éloignement d’une littérature qui abêtit ou qui énerve.

Telle fut l’une des causes du premier succès de Louis Bouilhet, succès qui lui ouvrit un jour les portes de la Comédie Française et le fit le poëte favori du parterre de l’Odéon. Aujourd’hui que les derniers échos des applaudissements qui saluaient naguère son nom au Théâtre se sont assoupis, il n’est pas sans intérêt de juger dans son ensemble, l’œuvre dramatique de Louis Bouilhet, de se demander ce qui fit sa force et ce qui fit sa faiblesse.

La jeunesse ! c’est un privilège que presque tous ont eu en partage, au moins un instant, mais que bien peu savent conserver. Et par jeunesse, il faut entendre l’enthousiasme pour les belles choses, la poursuite ardente et acharnée du Vrai, les ravissements délicieux du cœur ou de l’esprit qui s’abandonne au charme des grands sentiments et des grandes idées, les délicatesses de la pensée, l’insurmontable dégoût pour les bassesses de Tart, l’éloignement pour ce qu’on a appelé le métier. S’il est vrai qu’on puisse ainsi comprendre la jeunesse, Bouilhet l’eut pour lot jusqu’à la fin de sa vie, en dépit des strophes désolées qui terminent les Dernières chansons. C’est grâce à ce don précieux qu’il charma un parterre de jeunes gens dont l’âge est l’âge même de la poésie ; il leur parla admirablement, comme dit un critique, une langue que presque tous ils avaient bégayée ; il les enchanta comme un maître de leur art et un magicien qui montre des merveilles. À leur imagination avide il offrit un aliment, à leurs vagues amours il présenta des idoles, à leur cœur sans emploi il donna un objet d’affection idéale. Les jeunes gens l’adoptèrent comme leur poëte dramatique et lui multiplièrent les ovations. N’y a-t-il pas un des secrets de ses triomphes ?

À deux exceptions près, il a choisi le sujet de ses pièces en dehors de la réalité contemporaine. C’était habile. Victor Hugo lui avait d’ailleurs donné ce prudent conseil en ne plaçant point le sujet de ses drames postérieurement au XVIIe siècle. Les œuvres dont l’action par la date s’éloigne dans le passé, lorsqu’elles sont le résultat d’un art sérieux et convaincu, ne comptent point sur l’opportunité, cette déesse recherchée des auteurs au mérite équivoque, et ne redoutent point la distraction momentanée d’une galerie partagée entre les mille petits intérêts de chaque jour qui s’écoule. Ce qu’elles montrent n’a pas besoin d’être vu un jour plutôt qu’un autre ; c’est aux spectateurs du présent et de l’avenir qu’elles s’adressent, et non aux spectateurs qu’une seule saison verra se réunir et se disperser. Tout conseillait à Bouilhet de s’adresser au passé pour y puiser ses inspirations. Son style, il le sentait bien, ne pouvait guère se plier aux exigences triviales, aux vulgarités, aux sottises de nos mœurs actuelles. Il n’avait point le génie de l’observation ; son regard, quoique vif et pénétrant, planait au-dessus des détails des demi-caractères et des demi-passions de nos contemporains. Il n’éprouvait pas de curiosité pour nos habitudes, nos vertus et nos vices et dédaignait de fouiller dans leurs asiles les plus obscurs avec cette patiente subtilité d’analyse dont Balzac nous a laissé de si remarquables modèles. Il était attiré plutôt vers le pays de la Fantaisie où l’imagination peut se donner carrière, et, rejetant d’un pied dédaigneux la fange de nos cités, s’envoler dans l’idéalité[7]. Il avait plutôt du goût pour ces époques, où les horizons lointains contribuent à donner une apparence de grandeur et d’héroïsme aux personnages mis en scène, où l’on peut estomper les contours de leur figure avec les ombres du passé, où le lieu commun (faut-il le dire ?) disparait facilement sous l’éclat et le mouvement du panache. Le siècle de Louis XIV avec son étiquette, sa politesse et ses graves élégances[8], l’Espagne avec ses paysages pittoresques, ses grilles, ses balcons, ses sérénades et surtout l’allure hautaine et lière, quelquefois héroïque de ses caballeros et de ses senoras, lui convenaient mieux que les petitesses, les agiotages, les intrigues et la dépravation de nos Parisiens[9]. Il n’avait point ses coudées franches dans les bornes étroites de la vie de chaque jour. La tragédie bourgeoise[10], de même que la comédie[11], semblait, en une seule occasion, avoir épuisé en sa faveur toutes ses ressources. Pour lui, une fois, les agitations de la vie romaine sous les empereurs, les menées des Prétoriens, les complots d’un soldat de fortune qui se fait saluer imperator par ses légions, les ambitions froides et effrénées d’uue impératrice[12] ; une autre fois, les luttes des Catholiques et des Huguenots, la rivalité des Guises et des princes de Bourbon, les faiblesses de François II, et la grâce touchante de Marie Stuart[13] étaient des sujets d’inspiration autrement puissants que les scandales cherchés dans notre société. Il leur préférait même la poudre, les frivolités, les spirituelles effronteries de ce séduisant XVIIIe siècle que traverse comme une douce vision cette aimable Aïssé dont la naissance singulière, le charme exotique. l’amour et le repentir sincères firent la renommée[14]. Il est plus attrayant pour une intelligence délicate de faire servir les puissances de l’Art soit à la création de personnages d’une époque ou d’un milieu de fantaisie soit à la création de héros imaginaires dont les aventures auront pour cadre l’Histoire, que de faire parler nos bourgeois, nos journalistes, nos financiers, nos ingénieurs ou nos notaires.

C’est ainsi qu’il a échappé complètement à ce réalisme ou à ce que certains nomment ainsi, à ce réalisme qui, surtout depuis Balzac, s’est infiltré peu-à-peu dans notre littérature et menace de nous envahir complètement. Eût-il voulu à son tour brûler quelque encens sur l’autel de l’idole, la rectitude de son esprit littéraire, la conscience de ses aptitudes, la sévérité de son goût et son atticisme l’en eussent promptement détourné.

Son bon sens littéraire n’a pas été sans le préserver d’autres erreurs. — À diverses époques, le Théâtre a eu la prétention de jouer le rôle d’initiateur et de vulgarisateur. Sénèque le Tragique et Voltaire trouvèrent le moyen de faire entendre à leurs auditeurs les principales maximes de leur philosophie. Pour certains autres. Ghénier, par exemple, la scène fut un moyen de propagande politique. Et naguère encore un écrivain dont j’ai oublié le nom intitulait bravement un recueil de pièces : « Théâtre scientifique. » ! Il s’est formé une école dramatique qui voudrait mettre la Scène au service des grandes réformes sociales et des grandes espérances de l’âme. Le Drame et la Comédie ont l’audace de vouloir corriger le Code. Eh quoi ! la peinture des caractères, des mœurs, des ridicules et des passions n’est pas un champ assez vaste pour que chacun puisse y glaner sa gerbe ! Non, tel s’adonnera à la réhabilitation de la femme déchue, tel autre à la protection de l’enfant naturel, certains s’attaqueront aux lois sur les aliénés, sur le mariage, que sais-je ? et certains autres à n’importe quel article de nos codes criminels. Il y aura des spécialistes qui feront de cet art charmant du Théâtre je ne sais quel rival du moraliste de profession, du conférencier, du jurisconsulte et de l’économiste ; je ne sais quel champion, quel don Quichotte ! Chaque nouvelle comédie ou chaque nouveau drame paraîtra accompagné d’une préface où dans un tournoi plus brillant que sérieux les mots lutteront contre les idées pour éblouir le lecteur.

Bouilhet comprit le Théâtre tout autrement que ces prétendus réformateurs. L’idée d’un théâtre moralisateur le faisait éclater de rire, nous raconte M. Maxime Ducamp. Ses œuvres ne sont pas le développement plus ou moins ingénieux de thèses sociales : et… il ne fit point de préfaces. À quoi bon donner ce que le public ne demande point ? Modestement, à son rang, il composa ses pièces, comme le faisaient ses devanciers : Shakespeare, Lope de Vega, Corneille ou Molière.

… Et son vers bien ou mal dit toujours quelque chose…

Le théâtre était pour lui une institution purement littéraire. Et c’est en pensant de la sorte qu’il pratiquait le premier devoir du poêle dramatique. Il n’ignorait pas que le dramaturge a des obligations à remplir, et il avait un grand souci de leur accomplissement.

Notre époque a formé toute une génération d’auteurs sans scrupules, ne reculant devant aucun moyen pour atteindre leur but, le succès et l’argent, et pensant que la fin légitime tous les expédients. — Ces industriels, ces escamoteurs de muscades dramatiques n’ont rien à envier aux prestidigitateurs et aux joueurs de gobelets, ni la dextérité, ni la hardiesse, ni l’aplomb superbe. Ils connaissent à merveille les mauvais instincts de la foule les penchants qu’il faut flatter pour la séduire et les lazzis qui lui conviennent. Ils s’entendent à chatouiller les fibres qui peuvent la faire rire et pâmer. — Les assistants applaudissent, se succèdent en grand nombre tous les soirs. Les directeurs de théâtre se disputent les pièces de ces dramaturges sans vergogne ; la consommation suit la production, le problème est résolu, le but est atteint.

Bouilhet eut un autre but et d’autres procédés. Il voulait intéresser et divertir honnêtement. Soucieux de la dignité de l’Art, peu préoccupé d’un succès d’argent, il pensait qu’il avait charge d’âmes. Jamais il ne comprit qu’un auteur se fit l’esclave des penchants les moins honorables de ses auditeurs ou le bouffon de leur frivolité, estimant que celui qui ne songeait pas à nourrir leur esprit et à élever leur âme désertait son devoir. — Au Théâtre, en effet, (et c’est là ce qui fait sa vie et sa puissance), comme disait Charles Magnin[15], il s’établit entre le poëte et la foule un échange continuel de pensées et d’émotions, de plaisirs et de conseils ; l’enseignement est réciproque, il descend et il remonte : poëte et peuple sont tour-à tour maître et disciple, modeleur et modèle, créancier et débiteur.

Ce n’est pas le talent qui fait défaut aujourd’hui. Au contraire, combien avons-nous (qu’on nous pardonne l’expression) de faiseurs émérites qui s’emparent d’une situation dramatique pleine à la fois de périls et de ressources et l’exploitent avec une dextérité consommée ! Combien avons-nous aussi d’écrivains qui se contentent d’enlever à la hâte une esquisse piquante des mœurs extérieures de notre époque ! Ce qui manque à ces auteurs, c’est la conscience, c’est la foi en leur œuvre, c’est le désir de mettre le temps nécessaire à son éclosion. Chez eux les études dramatiques sont superficielles. Pour leur donner en variété ce qui leur manque en profondeur, ils ont recours à des collaborations dont le résultat est l’indécision dans le dessin des caractères et la mollesse dans le style. Bouilhet pratiquait l’art dramatique tout autrement. Son aversion était marquée pour le travail facile ; le banal et le convenu, le vulgaire et le prosaïque répugnaient à sa conscience d’artiste. Aussi a-t-il jeté presque toutes ses œuvres dans le moule du vers. — Pour lui, la prose était la statue de plâtre, et la forme poétique était la statue de marbre. C’est cette forme même qui préservera dans une certaine mesure son nom des injures du temps. — La parole harmonieusement cadencée et rimée qu’on a comparée à un élixir magique, infaillible contre la vulgarité, imprime à la pensée dramatique je ne sais quelle résistance qui lui conserve une sorte de fraîcheur et de jeunesse en dépit des années. Bien des auteurs ont eu des succès plus bruyants et plus nombreux que ceux de Louis Bouilhet ; mais vienne le Temps, vienne le changement des mœurs, viennent les transformations sociales, leur œuvre sera absolument oubliée et ne sera guère tirée de l’oubli que par des curieux comme un spécimen plus ou moins douteux de notre époque. Le style, le procédé, les personnages, tout aura vieilli, tout sera démodé. L’œuvre de Louis Bouilhet n’aura point un sort aussi lamentable. Ses personnages, Mme de Montarcy, Fernand et Dolorès, Hélène Peyron. Condé et la comtesse de Brisson, don Pèdre de Torrès, Poltrot de Méré laisseront peut-être mieux qu’un souvenir chez les bibliophiles. Le spectateur même pourra retrouver quelque émotion en prêtant l’oreille à ces vers d’une facture cornélienne que le parterre soulignait jadis par ses applaudissements. Ces scènes plus ou moins bien amenées et conduites, mais saisissantes, ces coups de théâtre éclatant comme une lumière dans l’obscurité et noyant dans l’ombre les gaucheries, les inexpériences du charpentier dramatique pour ne faire apparaître qu’une situation puissante, ces dénouements d’un large pathétique n’auront point perdu tout leur pouvoir.

Que manqua-t-il donc à Bouilhet pour laisser à jamais son œuvre au répertoire de notre théâtre ? Est-ce une vue ferme et droite de l’Humanité ? Non, ses personnages sont bien des hommes ; ce ne sont pas des fantoches, et leur caractère est en général bien tracé. Est-ce l’invention dramatique ? Non encore. Quoiqu’il n’ait point possédé la dextérité extrême avec laquelle nombre de dramaturges contemporains construisent leurs pièces, il ne fut pas dépourvu de la science de l’optique théâtrale. L’action ne fait point défaut dans ses drames, quoique ses personnages ne demanderaient pas mieux que de l’oublier. Ce qui a manqué surtout à Bouilhet, c’est le style, le vrai style dramatique. Ses héros expriment moins leurs sentiments qu’ils ne les racontent. On dirait, à voir l’abus qu’ils font des descriptions et des métaphores, qu’ils sont plus préoccupés de parler en beaux vers du but qu’ils poursuivent que de poursuivre ce but lui-même. Les drames de Bouilhet sont comme ceux de Victor Hugo, pour ainsi dire, des opéras où l’action, — car il y a une action, — n’y est prétexte qu’à la poésie. On y sent l’effort d’un poëte lyrique qui veut devenir poëte dramatique. Mais c’est surtout dans le domaine de l’Art, on l’a répété souvent, que la volonté n’est pas le génie !

Le lyrisme n’est pas le moyen le plus assuré de faii-e naître dans l’âme l’idée du grand. Corneille a l’héroïsme et la force ; il n’a jamais mis sur la scène la poésie lyrique qu’avec une extrême discrétion. Il suivait en cela les grands modèles. En relisant l’Œdipe-Roi, les Choéphores, l’Electre et les Euménides, on s’étonne des idylles, des élégies, des odes, des hymnes et des madrigaux prodigués par les Romantiques dans leurs drames. «… Je comprends sans peine, — ajoutait Gustave Planche, — qu’un personnage livré à lui-même, dégagé de tout interlocuteur, parle tantôt sur le ton de l’élégie, tantôt sur le ton de l’ode. Les plus grands maîtres du Théâtre ont enseigné ce que vaut la poésie lyrique dans le monologue. Depuis Eschyle jusqu’à Shakespeare, depuis Sophocle jusqu’à Schiller, nous voyons la forme lyrique utilement employée, toutes les fois qu’il s’agit d’un sentiment qui ne trouverait pas à s’épancher librement en présence d’un témoin ; mais dans le dialogue, dans l’action, les grands maîtres que je viens de nommer se gardent bien de prodiguer les images. Ils usent de la métaphore avec sobriété… » Le vers dramatique doit marcher sans ornements, avec une allure simple, et chanter avec une familiarité mâle et franche. C’est presque une ligne de prose élégante, souple et harmonieuse, mais d’une prose qu’éclaire tout-à-coup un mot poétique heureusement placé ou une image sobre d’agréments et scrupuleusement choisie. De même qu’un seul flambeau suffit à remplir de lumière un appartement, ce mot poétique, cette image sévère suffit pour remplir d’un parfum de poésie le développement d’une pensée entière. Cette simplicité de moyens produit une impression d’harmonie, d’ordre et de clarté. Chez Louis Bouilhet, le vers traîne trop souvent à sa suite un flot d’ornements. Monture emportée, il ne sait pas assez souvent s’arrêter à propos dans sa course brillante. Alors, adieu l’art de marquer d’un trait vif et concis l’intention d’une scène, l’esprit d’un dialogue ! Adieu l’énergie et le naturel ! Il ne peut résister à l’envie de montrer l’exubérance de sa force poétique et d’exécuter une fantasia éblouissante dans un tourbillon de métaphores et d’images. Pour employer une autre comparaison, le poëte laisse mollement flotter sa barque au gré des alexandrins, sans souci des écueils voisins, tout enivré de ses accents, au lieu de la diriger vigoureusement comme un vigilant pilote. Un critique[16] raconte qu’un jeune spectateur très-bienveillant disait, le soir de la première représentation de Madame de Montarcy : « quels que soient les défauts de la pièce, cela fait grand plaisir d’entendre pendant quelques heures ce ramage mélodieux. » C’est une des meilleures critiques que l’on puisse faire des productions dramatiques de notre poète. Ses personnages parlent trop comme des poètes, même ceux qu’il a voulu représenter comme rebelles à toute poésie. Entendue ainsi, la poésie dramatique ne tend plus qu’à devenir un langage de convention à proscrire, malgré l’élévation de la pensée, malgré une certaine abondance de vers frappés nettement comme de beaux écus d’or, malgré bien des mots d’une facture cornélienne qui communiquent à toute une situation je ne sais quel air de grandeur et de force.

Ce ne sont point pourtant les conseils qui manquèrent à Bouilhet. La critique qui avait accueilli avec sympathie son début dramatique lui signala comme de véritables écueils les tendances de son style. Bouilhet ne se corrigea point. Et cependant il avait prouvé, dans sa comédie l’oncle Million, que son vers à l’occasion pouvait être simple, sobre, et posséder les qualités qu’on lui demandait. C’est qu’il appartenait, pour ainsi dire rétroactivement, à une école qui n’admet point les transactions. Il ne combattait pas avec des armes forgées par lui ; ses armes étaient prises dans l’arsenal de certains de ses prédécesseurs au Théâtre, et son activité mettait en œuvre un système déjà jugé, propriété exclusive d’un grand poète, au lieu de suivre une pensée supérieure, inspirée par les grands modèles et qui lui fût personnelle. Son art était condamné à être de seconde main.[17] La résurrection de la manière des Romantiques qu’il avait tentée avait contribué à son premier succès, il se crut lié pour toujours envers une école littéraire : il en resta toujours l’adepte fidèle et intransigeant.

Tu sé lo mio maestro e lo mio autore,

aurait-il pu dire à Victor Hugo comme Dante s’adressant à Virgile et le reconnaissant pour son maître.

Examinons ses procédés de composition : ils ne s’éloignent guère de ceux de Victor Hugo. Si on ne rencontre pas chez Bouilhet la recherche de l’exception dans les sentiments et les passions, la confusion entre un détail du cœur humain et le cœur humain tout entier, il est manifeste qu’il se préoccupe à son tour avant tout d’atteindre coûte que coûte la couleur, la saillie et l’effet. Il cède aussi à l’attrait de l’invention d’incidents et de coups de théâtre dont la cause provient quelquefois plutôt de la fantaisie que du caractère des personnages ; il est à la piste des thèmes pour exécuter quelque air de bravoure, très poétique d’ailleurs, mais fort peu en situation ; il court après le contraste et l’antithèse. L’antithèse ! Victor Hugo a coulé dans ce moule la plupart de ses pièces. Est-il bien utile de résumer à ce point de vue les principaux drames de son théâtre ? Hernani met aux prises un roi et un brigand, Angelo, la femme légitime et la courtisane. Ruy-Blas, le valet, aime la Reine d’Espagne et s’en fait aimer. Ailleurs, l’antithèse ne jaillit pas du choc de deux personnages différents, elle se place au centre d’un seul et même caractère. Triboulet est un vil bouffon, mais il est père, et le nain difforme se transfigure quand il revoit Blanche, sa fille bien aimée. Lucrèce Borgia est la femme la plus criminelle et l’épouse la plus terrible, mais elle devient la plus tendre des mères pour Gennaro. Marion Delorme est un ange, mais cet ange est aussi un démon. Antithèse partout ! antithèse dans la constitution du drame, dans l’opposition des personnages qui raniment, dans le développement individuel des caractères ! — Cette recherche de l’antithèse se montre d’une façon plus discrète, sans doute, mais bien certaine pourtant dans l’œuvre dramatique de Bouilhet. L’oncle Million met en opposition le littérateur et le commerçant, le poëte et le philistin. Hélène Peyron place en regard de la femme légitime l’ancienne maîtresse que son mari a rendue mère et délaissée. Autant Dolorès est gracieuse, aimante et généreuse, autant Laura est hautaine, fière, froide et égoïste ; plus Fernand sera enthousiaste et chevaleresque, plus le comte de Roxas sera vulgairement jaloux et désireux d’une basse vengeance. Faustine est l’impératrice la plus criminellement ambitieuse et la plus perfide des femmes, mais Marc-Aurèle est le plus magnanime des empereurs et le plus désintéressé des époux. Aïssé, malgré ses faiblesses, est la femme la plus naïvement honnête au milieu de la société la plus corrompue. J’oubliais Mme  de Montarcy, si éloignée de toute idée d’ambition, et Mme  de Maintenon, si attachée au pouvoir, Montarcy lui-même, ce pauvre mari si tendre et si terrible à la fois.

Cet emploi des procédés de l’école romantique fut peut-être pour notre poëte l’un des obstacles les plus sérieux qui l’empêchèrent à un moment donné de se créer une originalité puissante. À deux reprises, il plaça ses personnages au milieu d’un cadre et d’un entourage fournis par l’Histoire, mais il se garda bien de demander à cette grande éducatrice le secret d’un nouveau genre d’inspiration qui eût varié ses procédés, élargi sa manière et rendu sa touche plus robuste. Il ne vit guère dans l’Histoire qu’un décor de fond et un prétexte à une action tragique. Madame de Montarcy et même la Conjuration d’Amboise n’ont jamais eu, je suppose, la prétention d’être des drames historiques. C’est vraiment un singulier procédé que de faire circuler une action romanesque dans un milieu où certains personnages, dont la figure et les noms nous sont connus par les récits du passé, assistent à l’action comme de beaux portraits suspendus dans une chambre, témoins d’une scène dramatique. Sans doute, comme le remarquait Théophile Gautier, ils ajoutent à l’effet général en donnant à l’œuvre une certaine couleur archaïque, et le regard les contemple avec un certain plaisir dans les moments où l’action se repose. Mais le drame ainsi compris, avec un pareil entourage, avec une pareille décoration, constitue un genre bâtard où l’esprit n’est pas satisfait par les tableaux qui se succèdent, où l’action se trouve fatalement divisée, où l’intérêt est distrait des héros qui conduisent la marche du drame et qui devraient absorber toute l’attention du spectateur.

Il fallait aussi que notre poëte étudiât d’un œil plus curieux les passions humaines et cherchât des types nouveaux et plus variés. Les figures qu’il a tracées ne brillèrent pas par la diversité.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · facies non omnibus una,
Nec diversa tamen · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Que si l’on vient à regarder de près ces figures, on ne tarde pas à trouver qu’elles ont parfois entr’elles un grand air de ressemblance. M. de Rouvray et don Pèdre de Torrès sont frères comme Mme  de Montarcy et Mme  de Brisson sont sœurs. La parenté ne doit pas être bien éloignée non plus entre elles et Dolorès, Condé est un amoureux de la famille de Fernand, et le chevalier d’Aydie placé dans les mêmes circonstances n’aurait peut-être rien à leur envier. Si les autres personnages créés par le poète semblent présenter plus de variété, leur caractère n’est point suffisamment tranché. Mme  Daubret, Marceline Peyron, Flavignac auraient grand besoin d’un coup de brosse plus net et plus vigoureux. Quatre ou cinq figures font cependant contraste avec ces personnages dont la couleur est un peu pâle, c’est Daubret le banquier, c’est Dolorès, c’est Mme  de Montarcy et Mme  de Maintenon, c’est Faustine, c’est don Pèdre de Torrès, c’est Poltrot de Méré, encore ces deux derniers personnages n’ont-ils qu’un rôle épisodique.

Tel nous apparaît dans son ensemble le théâtre de Louis Bouilhet avec ses qualités et ses défauts les plus saillants. Il fut bien accueilli, et il méritait de l’être. Il serait un jour ou l’autre soumis de nouveau à l’épreuve de la scène qu’il récolterait un regain d’applaudissements. Dans un temps où la prose et le réalisme ont chassé la poésie du Théâtre, il arrivé des moments où les imaginations même les plus vulgaires se fatiguent des productions plates ou malsaines des écrivains dramatiques. Vienne une œuvre distinguée et poétique, nouvelle ou déjà ancienne, elle est la bienvenue ; c’est une note éclatante dans le concert si monotone que nous offre le théâtre contemporain, c’est un hôte inattendu qui marque sa place et à qui l’on fait fête. — Louis Bouilhet a déjà bénéficié du contraste de ses œuvres avec celles de ses contemporains au Théâtre ; il bénéficierait encore du contraste qui existe entre ses drames et les pièces des auteurs les plus remarqués aujourd’hui. — Ce n’est que justice. Comme dit un critique[18], ceux mêmes qui blâment l’emploi intempestif et intempérant de la poésie au Théâtre n’ont pas songé à lui reprocher trop durement ses écarts, ses fantaisies, et ses infractions aux règles nécessaires de l’art dramatique. Ses drames ont plu comme plaisent les courageux efforts d’une imagination dévouée à la cause de l’Art, et qui relève une glorieuse bannière qu’on croyait désormais abandonnée.

C’est bien avec ces idées qu’il faut juger Louis Bouilhet comme poëte dramatique. Il eut à sa manière de l’originalité ; cette originalité consista, dans un temps où toutes les voix se taisaient devant le réalisme triomphant, à se lever, plein d’enthousiasme et de talent, pour protester au nom de la poésie dédaignée. Il sut faire entendre sa voix. Ses œuvres ne resteront point vraisemblablement au répertoire, mais il aura tout au moins laissé dans la mêlée des auteurs dramatiques de son temps un souvenir de son passage.


  1. M. Edouard Thierry.
  2. Édouard Thierry.
  3. Alexandre Dumas fils, préface du Fils Naturel.
  4. Idem.
  5. M. Édouard Thierry.
  6. De Goncourt, Théâtre complet, préface.
  7. Le Château dea Cœurs.
  8. Madame de Montarcy.
  9. Dolorès.
  10. Hélène Peyron.
  11. L’oncle Million.
  12. Faustine.
  13. La Conjuration d’Amboise.
  14. Mademoiselle Aïssé.
  15. De la situation du théâtre en France.
  16. Émile Montégut.
  17. M. Émile Montegut.
  18. M. Émile Montégut.