Louis Halphen. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne (Lauer)

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Louis Halphen. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne (Lauer)
Bibliothèque de l’École des chartes82-83 (p. 166-167).
Louis Halphen. Études critiques sur l’histoire de Charlemagne. Paris, F. Alcan, 1921. In-8o, VIII-314 pages.


Cet ouvrage, dédié à la mémoire de Gabriel Monod, renferme des études sur l’histoire carolingienne qui ont toutes paru dans la Revue historique, de 1917 à 1921. Elles se divisent en deux séries : les unes concernent les sources, annales royales, petites annales, Vita Karoli d’Einhard, moine de Saint-Gall ; les autres touchent à des questions d’histoire militaire, politique ou économique. On n’ignore pas avec quelle pénétration d’analyse et quelle ingéniosité de critique ces petits mémoires ont été rédigés, et on saura gré à M. Halphen de les avoir mis plus facilement à la portée de tous, en les réunissant en un volume. Nous n’essaierons pas de le suivre dans les discussions très serrées et souvent épineuses, où il montre le peu de solidité des arguments mis en œuvre et accumulés, souvent sans beaucoup de discernement, par des érudits chez lesquels la science a fini par étouffer le jugement. Il y a là des pages qui sont un véritable réquisitoire contre les méthodes surannées de certains historiens d’outre-Rhin, pour lesquels les documents n’ont qu’une valeur quantitative et nullement qualitative. Toutefois, il est juste de reconnaître, en le regrettant, que la plupart des travaux relatifs à cette période de notre histoire ont précisément paru hors de France, et c’est ce qui explique la nécessité de les réviser, pour les débarrasser de toutes les imperfections inhérentes à leur origine.

Il y a cependant quelques réserves à faire sur certaines conclusions de M. Halphen qui, emporté par la nécessité de réagir contre des erreurs évidentes, pousse parfois, semble-t-il, ses théories à l’extrême. En ce qui concerne, par exemple, les Annales royales, il a pris le contre-pied de ce qui avait été admis jusqu’à présent, et a été ainsi conduit à soutenir que ces Annales, au lieu d’être un amalgame de toutes les « petites annales », comme l’avait admis Gabriel Monod, avaient servi au contraire à composer ces dernières, et il trouve qu’ainsi « tout devient clair ». Mais d’arguments décisifs, il n’en produit pas, et force nous est de reconnaître que, jusqu’à plus ample informé, le doute reste permis. De même, sa comparaison humoristique de l’ouvrage du moine de Saint-Gall avec les « Trois mousquetaires » d’Alexandre Dumas, au point de vue de la valeur de son témoignage, ne nous paraît pas plus solidement justifiée, car si nous connaissons bien les sources de Dumas, nous ignorons complètement celles du moine de Saint-Gall, et il est aussi vain de nier qu’il puisse y avoir une part d’imagination personnelle dans son œuvre, que de vouloir affirmer péremptoirement qu’il n’ait recueilli aucune tradition ni aucune légende populaire.

Enfin, si nous passons à la partie proprement historique du volume de M. Halphen, et si nous examinons son analyse des divers récits du couronnement de Charlemagne, nous avouerons que son explication de la « version de la surprise », qui aurait pris naissance par suite de convenances d’ordre diplomatique, pour ménager la cour de Byzance, nous paraît devoir être considérée comme une simple hypothèse ingénieuse, car elle n’est corroborée par aucune preuve positive ni aucune déduction évidente. L’état de faiblesse de l’empire byzantin au IXe siècle, qui interdisait aux Grecs toute intervention à main armée dans les affaires de l’empire franc, n’expliquerait guère de semblables précautions.

Mais je m’arrête. Tout ce qui suit concerne l’histoire économique. C’est une critique extrêmement vigoureuse, âpre parfois, des théories de MM. von Inama-Sternegg et Dopsch. Il y a là tout un travail de révision des travaux justement appréciés de ces érudits, avec une application nouvelle de leur méthode révisée à l’étude du Polyptyque d’Irminon, concernant le régime de la propriété et de l’exploitation des terres à l’époque carolingienne. Puis, pour finir, un chapitre judicieux sur l’industrie et le commerce dans l’empire carolingien, où l’auteur passe en revue tous les textes réunis par Dopsch. Il montre combien on ferait fausse route, en suivant trop facilement cet historien dans ses commentaires, avec ses généralisations trop faciles et ses tendances à vouloir prouver, coûte que coûte, le grand développement pris au IXe siècle par l’industrie et le commerce, grâce « au génie » de Charlemagne. Rien de moins prouvé, au contraire. Tout cela est bâti sur du sable. Du reste, il faut le reconnaître, nous sommes bien mal renseignés, et rien n’étant plus complexe que des phénomènes économiques, tout ce que l’on peut faire, c’est noter de loin en loin quelques constatations sûres, en évitant de vouloir en tirer trop de conclusions par analogie.

En résumé, excellent effort de discussion et de critique raisonnée, principalement dans la partie relative à l’histoire économique.


Ph. Lauer.