Louis XVIII et le duc Decazes/03

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Louis XVIII et le duc Decazes
Revue des Deux Mondes4e période, tome 148 (p. 359-395).
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LOUIS XVIII ET LE DUC DECAZES
D’APRÈS DES DOCUMENS INÉDITS

III.[1]
L’ASSASSINAT DU DUC DE BERRY (1820)


I

L’ordonnance qui mettait dans les mains de Decazes la direction suprême du gouvernement était à peine signée qu’on l’accusait de l’avoir arrachée à la faiblesse du Roi. L’accusation n’avait pas plus de fondement que n’en avait eu, l’année précédente, celle de s’être livré à des manœuvres souterraines pour contraindre Richelieu à donner sa démission. Plus tard, beaucoup plus tard, ces deux griefs devaient se dissiper à la lumière de la vérité. L’histoire en a fait justice. En réalité, Decazes n’avait fait qu’obéir à la volonté du Roi comme aux objurgations du comte de Serre. S’il commit alors la faute de n’y pas résister et de ne pas se montrer plus habile à se ménager l’avenir, en se retirant, du moins ne faisait-il de tort qu’à lui-même. Il ne pouvait d’ailleurs oublier qu’à maintes reprises, il avait trouvé des appuis à gauche sans associer la Gauche au pouvoir. N’était-il pas fondé à espérer qu’il aurait le même bonheur avec la Droite et qu’elle le soutiendrait sans exiger des portefeuilles ? Il se jetait donc dans la bataille avec son ordinaire énergie. Il est bien difficile de le blâmer d’avoir eu d’abord confiance dans le succès. Mais, en peu de jours, cette confiance reçut de rudes assauts. Vainement, d’accord avec de Serre, et pour rassurer l’opinion qu’alarmaient les modifications annoncées dans la loi électorale, il promettait des lois de liberté, le rappel des derniers bannis, supprimait la censure des journaux, réintégrait dans la Chambre des Pairs les huit membres de cette Chambre, contre qui avait été maintenue au mois de mars précédent l’exclusion prononcée en 1815, ces mesures ne ramenaient pas la Gauche, hypnotisée par la crainte de la réforme, et irritaient la Droite, plus que jamais asservie à la doctrine du Tout ou Rien.

Une autre circonstance vint accroître ces difficultés. La loi des élections qui aurait pu être adoptée, si on l’eût présentée aux Chambres dès la reprise de leurs travaux, — le 29 novembre, — quand les partis non encore initiés à leurs intentions réciproques se redoutaient et s’observaient, cette loi n’était pas prête. Les ministres n’avaient pu s’entendre sur le projet rédigé par de Serre. Ce projet modifiait la Charte en y introduisant le renouvellement intégral aux lieu et place du renouvellement partiel. Sur ce point, qui allait soulever tant de tempêtes, les ministres étaient d’accord. Mais de Serre avait imaginé, quant à l’organisation des collèges électoraux, un système impliquant, au profit d’une catégorie privilégiée d’électeurs, le droit de voter deux fois, que Decazes trouvait trop peu démocratique. Par suite de ces dissentimens, on ne parvenait pas à mettre la loi sur pied, et en même temps que, par ces retards, on accordait aux oppositions le temps de préparer leur résistance, on laissait passer le moment où il eût été aisé de tirer parti de leur défaut d’entente.

Dès le 10 décembre, à la Chambre des députés, l’élection des membres de la commission chargée de rédiger l’adresse annuelle en réponse au discours de la Couronne fournit aux opposans l’occasion de manifester. « Le choix de la commission n’est ni satisfaisant, ni de bon augure pour l’avenir, écrit le Roi à Decazes. Sur neuf membres, j’en compte quatre décidément mauvais, deux douteux, un tellement accoutumé à être hostile qu’il ne saura comment s’y prendre pour ne pas l’être, et un seul bon. O Torys ! ô Whigs ! où êtes-vous ? » Ce qu’il y a de plus grave, c’est que celui que désigne le Roi comme accoutumé à être hostile, c’est Lainé, son ancien ministre, naguère encore collègue de Decazes.

Le jour suivant, dans un début préparatoire, un des membres de la commission, Kératry, demande qu’un paragraphe de l’adresse soit consacré à signaler au Roi le péril que font courir à la religion les missions religieuses qui se sont répandues dans toute la France. En passant, il dit à Lainé, en manière d’éloge :

— Elles sont aujourd’hui plus nombreuses que lorsque vous étiez ministre de l’Intérieur.

C’est inexact ; mais Lainé ne proteste pas. Quoiqu’il se prononce contre la motion Kératry, elle est votée. L’incident porté à la connaissance du Roi l’affecte péniblement.

« J’ai peu reçu, mon cher fils, de portefeuilles dont le contenu m’ait fait autant de peine. La séance de la commission a été détestable et nous promet de tristes suites, d’autant plus que je ne vois point de force dans ceux de la minorité. Comment Lainé, par exemple, a-t-il pu avaler le compliment de Kératry ? Comment ? C’est qu’il était dirigé contre toi, car, certes, il y a eu plus de missions pendant qu’il était ministre de l’Intérieur que depuis que tu l’es. En tout, il n’est que trop facile de prévoir quel sera l’esprit général de l’adresse. Je sais bien que tout ne sera pas perdu pour cela. Nous avons la ressource d’amender et, au pis aller, celle de rejeter ; mais, ne nous faisons pas illusion ; nous combattrons sur un mauvais terrain.

« D’autre part, pouvons-nous compter même sur la Droite pour reprendre la question ? Lisons leurs journaux. Celui des Débats est détestable. Mais la Quotidienne est cent fois pire, d’autant plus que j’y ai été attrapé. La première colonne m’avait fait plaisir, je commençais à espérer une conversion, presque même à y croire. La fin ne m’a été que plus sensible. Je sais, comme on te l’écrivait hier, qu’on ne gouverne pas avec des affections. Je crois l’avoir prouvé, il y a un an. Mais fermer tout à fait l’entrée de mon cœur, non, cela m’est impossible.

« Et si Rome demande une vertu plus haute,
« Je rends grâces aux dieux de n’être pas Romain
« Pour conserver encor quelque chose d’humain. »

Ainsi, le Roi envisage l’avenir sous les plus sombres couleurs. Il s’en inquiète non seulement pour la chose publique et le bien de l’Etat, qu’il voit compromis par l’attitude de la Droite dans les deux Chambres, mais encore pour Decazes, de plus en plus attaqué. Il ne juge pas cependant le mal inguérissable, ni le cas désespéré. Loin de se décourager, il s’efforce de rallier des voix au ministère :

« Je viens de voir Courvoisier. Je ne l’ai point ramené, bien que je n’y aie, je crois, rien épargné, ce qui ne m’a pas empêché, en terminant, de lui dire que le fourreau était jeté, que je savais tout ce qu’il pouvait, que je désirais avec ardeur qu’il employât ses moyens pour nous et que j’étais persuadé qu’après réflexions, il les emploierait. Dans la conversation, il m’a attaqué par le défaut de la cuirasse, c’est-à-dire par la différence d’opinions entre ton oncle (le Comte d’Artois) et ton Louis. J’y ai répondu par des généralités. Il m’a dit qu’il croyait qu’à la Chambre, nous aurions la majorité. Si je te vois ce soir, tu auras des détails. »

La croyance de Courvoisier fut justifiée par l’événement. L’adresse, telle qu’en des circonstances si critiques pouvaient la souhaiter le Roi et ses ministres, réunit une majorité approuvant la révision de la loi électorale et disposée à la voter. C’était un succès, mais un succès bien précaire. Cette majorité, rien n’en garantissait ni la cohésion, ni la force, ni la durée. Le ministère marchait au combat sans avoir pu dresser avec certitude l’effectif de ses défenseurs, ni celui de ses ennemis. Tout en y marchant, il était contraint de l’éviter, ou de s’en tenir à des escarmouches, avançant un jour, reculant le lendemain, obligé de tenir tête de tous les côtés à la fois, même du côté de ses amis, car, de là aussi, surgissaient à l’improviste des mécontens, des pressés, des découragés, qui devenaient promptement des adversaires. Pour grouper la majorité, une action rapide eût été indispensable. Mais la loi sur les élections était lente à sortir des délibérations ministérielles, l’entente entre les ministres longue à se faire. L’opposition triomphait de tout ce temps perdu.

Une complication nouvelle vint retarder encore la présentation de la loi. De Serre, qui seul pouvait la défendre efficacement à la tribune, puisqu’elle était son œuvre, tomba malade. On espéra d’abord enrayer le mal en peu de jours. On ne se rendait pas compte du caractère véritable de ce mal : un épuisement complet des forces physiques, déterminé par les agitations d’une âme incapable de se modérer et qui se livrait avec un frénétique dévouement aux causes qu’elle avait embrassées. Cette âme exaltée avait usé le corps, trop frôle pour résister à ses transports. L’athlète, démesurément affaibli, se trouvait arrêté au moment d’engager la lutte. Pour présenter la loi, il fallait attendre qu’il fût rétabli. Son malheur privé devenait ainsi un malheur public.

Quoique moins atteinte, la santé de Decazes inspirait aussi des inquiétudes ; les lettres du Roi datées de cette époque y font allusion à tout instant. Decazes lui-même avouait que, depuis quatre ans qu’il était sur la brèche, il n’avait pas pris un jour de repos. Un rhume négligé le rendait momentanément incapable de se faire entendre dans les Chambres. Le ministre des Affaires étrangères Pasquier, le seul des autres membres du cabinet qui fût orateur, n’aurait pu supporter seul le poids d’une discussion aussi laborieuse que celle de la loi électorale. Ces circonstances ajoutaient aux embarras de la situation et achevaient de convaincre Decazes de la nécessité de fortifier le ministère en décidant Richelieu à en prendre la présidence, que lui-même était prêt à lui céder. Il ne perdait aucune occasion de lui en renouveler l’offre. Dans les derniers jours de décembre, il lui dépêchait ses deux collègues, Pasquier et Portal, pour le supplier de ne pas se dérober plus longtemps à ce qu’exigeait de lui l’intérêt de la monarchie. Mais Richelieu persistait à se récuser.

Ces difficultés n’étaient pas les seules qu’eût à surmonter Decazes. Il avait à se débattre contre l’ingérence du corps diplomatique étranger dans les affaires intérieures de la France. Les ambassadeurs accrédités à Paris affectaient de considérer le projet de substituer au renouvellement partiel de la Chambre des députés son renouvellement intégral comme une atteinte aux principes proclamés par la Charte. Celui de Russie, Pozzo di Borgo, se faisait remarquer par l’acrimonie et la vivacité de ses critiques. Decazes s’en plaignait avec amertume dans une lettre qu’il écrivait, de son lit, le 2 janvier 1820, au comte de la Ferronnays, représentant du Roi à Saint-Pétersbourg :

« Pozzo continue à ne voir et à ne parler que par le comte Molé. Les amis du duc de Richelieu l’ont cependant rendu un peu plus réservé dans ses conversations publiques. Celles particulières, qui deviennent bien vite publiques à leur tour, n’y ont rien gagné ; il y a en lui des sentimens blessés qui ne pardonnent que difficilement. Je lui ai fait dire par le duc de Richelieu qu’il n’y avait ni justice, ni convenance, ni habileté dans son intérêt personnel à dire, par exemple, que c’était coupable à nous de proposer le renouvellement intégral, que l’Empereur le trouverait très mauvais, attendu qu’il tenait beaucoup à la Charte. Il n’y avait pas justice de sa part à parler ainsi, car, il y a deux ans et cet été encore, il tenait un autre langage : convenance pour un ministre étranger de respecter les projets du Trône annoncés dans le discours du Roi ; intérêt, car il ne peut convenir à l’Empereur que la légèreté d’un de ses ministres cherche à compromettre son nom. »

Après avoir rédigé cette protestation, afin que la Ferronnays en tirât parti dans ses conversations avec les ministres russes, Decazes traçait à grands traits le tableau des dangers que créait au ministère l’attitude de la Droite.

« Les propos de Pozzo encouragent l’opposition de quelques fous de la Droite, qui menacent de tout perdre si on ne consent pas à tout leur sacrifier, et qui, dans leur haine pour les personnes et leur amour pour le pouvoir, veulent non pas leur salut et celui de la chose publique, mais leur triomphe. Cette opposition ne sera pas nombreuse, j’espère. Si elle l’était, je croirais que, comme les Jacobins sont là, il faudrait lui céder dans cette circonstance et lui sacrifier les hommes pour sauver les choses. C’est vous dire que nous ferons tout pour assurer le succès. C’est vous dire aussi la seule combinaison, je pense, qui pourrait dans ce moment amener quelque changement ministériel, changement qui n’est pas probable et qui n’arriverait, s’il arrivait, qu’autant que le duc de Richelieu changerait de résolution et voudrait accepter et le legs que nous lui ferions et l’appui, le secours entier, complet de tous nos efforts et de tous nos amis. Je vous parle de cette possibilité parce que je veux tout vous dire, et même ce qui, sans être vraisemblable, est possible.

« La maladie de M. de Serre pourrait faire seule, du reste, que la chose le fût. Hier, on nous faisait craindre qu’il fût hors d’état de parler pendant la session. Aujourd’hui, une consultation a eu lieu et les docteurs disent que, vers la fin du mois, nous pourrons compter sur lui. Pris moi-même d’un catarrhe qui ne me permet pas d’aborder la tribune, il nous est impossible de songer à aborder une discussion où le baron Pasquier serait seul. Le projet de loi a d’ailleurs des dispositions, comme le double vote, que M. de Serre peut seul défendre convenablement, parce qu’il les a conçues, méditées, et qu’il est préparé dès longtemps. C’est la partie la plus chanceuse de la loi, parce qu’elle s’éloigne le plus des idées ordinaires et de ce qui a été jusqu’à ce jour. Je n’aurais jamais songé à proposer ce moyen, si la confiance qu’il y mettait ne m’y avait encouragé, et comme mes collègues ont les mêmes impressions que moi, il est probable que notre projet subirait à cet égard quelques modifications, s’il était porté par nous au lieu de l’être par le garde des Sceaux. Nous y serions d’autant plus forcés que ni M. Lainé, ni le côté droit ne veulent défendre ce point, tout en avouant que le résultat en serait fort bon.

« Vous savez que nous avons été abandonnés par Royer-Collard, qui cependant, et jusqu’à la composition du nouveau ministère, avait partagé toutes nos idées et senti toutes les nécessités que nous imposait le péril, et qui nous demandait aussi à grands cris le changement ministériel qui a eu lieu, mais qui n’a pas compris comment tout cela avait pu se faire sans lui.

« La veille, il nous disait : — J’appuierai votre projet ; je vous serai bien plus utile en dehors qu’en dedans. Je serai le rapporteur de la loi, si vous le voulez. »

Promesses fragiles et bien vite oubliées.

De même, Courvoisier. L’année précédente, à propos des pétitions contre la réforme électorale, il s’élançait à la tribune, déclarait que ces pétitions n’étaient dues qu’aux manœuvres d’un comité directeur. Comme il a changé depuis ! Elu dans le Doubs, il en est revenu persuadé que l’ancienne loi n’offre aucun inconvénient puisqu’elle l’a fait député. Il déclare à tout venant qu’il n’y a pas lieu de la modifier. « Loin de nous être utile, il nous donnera beaucoup d’embarras, sans pourtant être hostile aux personnes et peut-être sans attaquer directement la loi. » Lainé se tait depuis la séance où il prit la parole contre l’élection Grégoire, et sans doute va-t-il persévérer dans son silence. Corbière, qui, l’an dernier, « était fort bien », est devenu anti-ministériel. Il a voté contre les six douzièmes provisoires avec la Bourdonnaye, qu’on avait pu croire converti aux idées de modération, mais chez qui le vieil homme, violent, intolérant, acerbe, a bientôt reparu.

À ces douloureuses constatations, Decazes ajoute mélancoliquement : « Rien ne serait plus facile que de reformer un centre, de reprendre trente personnes de la Gauche ou du Centre gauche, et de faire avec elles quelque chose de mieux que ce qui existe quant aux élections et à la liberté de la presse. Mais ce quelque chose serait-il suffisant ? Il ne le serait pas, et il faudrait recommencer. » Il n’y a donc pas à hésiter. Il faut mettre le côté droit en demeure de se prononcer et de se démasquer. « Nous le ferons. Je suis bien déterminé à recevoir le feu de leurs tirailleurs sans riposter, à aller droit au fait, à m’adresser à leur conscience et à les défier de rejeter une bonne loi en présence des Jacobins et de la loi actuelle qu’ils exploiteront de nouveau. Monsieur nous aidera certainement et ne souffrira pas que ces messieurs le déshonorent en le perdant, et nous avec lui. »

Tout dans cette lettre témoigne d’une rare faculté de voir et d’observer. Mais Decazes se trompe lorsqu’il croit que, la crise se prolongeant, le Comte d’Artois interviendra pour la dénouer et s’emploiera à calmer les ressentimens de ses amis. C’est mal connaître et mal juger ce prince que de le supposer capable de déployer à cet effet, malgré ses promesses antérieures, le dévouement, l’énergie, la constance qui seraient nécessaires pour opérer leur conversion. Il s’est toujours laissé dominer par eux ; c’est eux qui l’entraînent et non lui qui les guide ; quand il se croit obéi, il n’est que dirigé. Mais comment Decazes ne se tromperait-il pas quand, le jour même où il écrit à La Ferronnays la lettre qu’on vient de lire, il reçoit du Roi ce billet rassurant en ce qui touche l’attitude de Monsieur et les dispositions de la Duchesse d’Angoulême : « Tu as pu en juger par la démarche qu’un mot de toi a fait faire au premier pour Soult[2], et moi, j’en juge par leurs mines qui, depuis huit ou dix jours, ne sont pas reconnaissables de ce qu’elles étaient, quand ils entendent prononcer ton nom. » Cette constatation a mis le Roi en belle humeur. Elle se manifeste par ce coup de patte qu’en passant, il donne à Lainé : « Il dit que tu n’es pas très fort, parce qu’il n’accorde le superlatif qu’à lui-même ; mais c’est une chose immense pour lui que de te donner même le positif. »

Les jours, les semaines s’écoulent au milieu de ces alternatives, de ces lenteurs dont les Chambres commencent à se lasser et à se plaindre. La santé du ministre de Serre ne s’améliore pas ; les médecins ont fait entrevoir l’urgence d’un voyage dans le Midi. L’état de Decazes ne vaut guère mieux. Il peut encore remplir les devoirs de sa fonction présidentielle. Mais, c’est de sa chambre et du fond de son lit qu’il les remplit le plus souvent. Il a été obligé d’espacer ses visites du soir chez le Roi. La marche ministérielle se trouve entravée. La presse royaliste le constate en un langage où l’insulte se mêle à la violence.

Cet ensemble de fâcheux contretemps trouble le Roi. Sa correspondance trahit les perplexités de toutes sortes auxquelles il est livré. Un jour, — le 3 janvier, — Decazes lui ayant mandé qu’il est trop souffrant pour venir aux Tuileries, il lui répond : « J’avais fait d’avance le sacrifice de ma soirée ; je sens bien qu’il ne faut pas nous en tenir là. Il faut te mettre, s’il est possible, en état de venir au Conseil mercredi. Ainsi, je t’ordonne comme Roi et je te conjure comme père de ne pas songer à venir demain de toute la journée. » Un autre jour, il apprend par Pasquier que quelques royalistes ont exprimé le désir de voir Lainé être mis, à défaut de Richelieu, à la tête du Conseil : « J’ai vu Pasquier. Il m’a rendu compte de la nouvelle démarche qui va être faite auprès de Lainé. J’ai écouté tout cela avec une impassibilité apparente, bien démentie par les mouvemens de mon cœur. Je pensais comme toi sur le duc-de Richelieu. Mais, pour Lainé, c’est une autre affaire. L’orgueil donne tant de hardiesse ! J’avoue que j’aurais pu supporter de voir mon Élie remplacé par un Richelieu ; mais, par un Lainé ! Cela me fait éprouver le tourment du lion devenu vieux. »

Le 14 janvier, un débat s’engage à la Chambre des députés sur des pétitions contre la réforme électorale. La Gauche en demande le renvoi au gouvernement ; le ministère réclame l’ordre du jour. Decazes et de Serre sont absens, alités tous les deux. Pasquier est seul pour répondre. Malgré ses efforts, il ne peut, après une longue discussion, obtenir la clôture. La Chambre s’ajourne au lendemain. L’ordre du jour est alors voté. Mais ce n’est que grâce à l’intervention de Villèle et de Lainé.

« J’ai trouvé, mon cher fils, la majorité bien petite. Pasquier prétend qu’il en manquait dix ou douze de notre côté. Tant mieux. Sed quid hæc inter tantos ? J’ai été content, d’après les extraits, de Pasquier et de Lainé. Villèle a bien parlé… pour la question du moment. Le résultat apprend, il est vrai, aux ultras qu’ils ne peuvent se passer de nous. Mais il leur fait voir aussi que nous ne pouvons nous passer d’eux et une pareille défaite doit bien rehausser le courage de la Gauche. »

Quoique penchant maintenant à droite, Decazes ne perd de vue aucune des promesses qu’il a faites de l’autre côté. Il s’est engagé à rappeler jusqu’au dernier des derniers bannis. L’un d’eux, le général Gilly, compromis pendant les Gent-Jours, attend, caché dans un coin perdu des Cévennes, les effets de la clémence royale. Pour arracher au Roi une décision sans cesse retardée, Decazes emploie le Duc d’Angoulême et le Roi cède à la prière de son neveu : « Ton mal de tête, cher fils, en fait au cœur de ton père. Je ne suppose pas que cela doive empêcher le Conseil de demain. Si je me trompais, fais-le-moi savoir avant neuf heures… Grâce à Gilly. Qu’il la doive tout entière au Duc d’Angoulême. Je crois que je pourrai signer demain. Je t’aime. »

Quelques jours plus tard, c’est un autre incident auquel est encore mêle un général, mais celui-là plus illustre que Gilly. « Je suis fâché que tu n’aies pas pu assister à la Chambre des Pairs. Mais il ne me paraît pas certain que tu eusses trouvé l’occasion d’y parler. Je suis persuadé qu’il n’y aura pas eu discussion sur l’ordre du jour. Il y aura peut-être eu un incident assez désagréable, mais où tu n’aurais rien pu. C’est une sottise du prince d’Eckmühl sur le procès-verbal[3]. » Puis, c’est la maladie du garde des sceaux qui s’aggrave. « De Serre moins bien me fait de la peine ; mais mon bon fils vraiment mieux me fait tant de plaisir que la balance penche de son côté. Je ne te donne point quittance du portefeuille pour ce soir. Je t’aime trop pour cela. » Grâce à cette amélioration de sa santé, Decazes peut se mettre activement à la besogne pour l’achèvement de la loi électorale. « Travaille, mon ami, travaille. Je ne sais ce qu’en dira ton père ; mais, le Roi est sûr que tu feras de bonne besogne et d’avance, il voit tout l’Hellespont blanchissant sous nos rames. » Mais, le lendemain, — 19 janvier, — nouvel arrêt dans les progrès du mieux que le Roi constatait avec tant de joie. Il est encore privé du plaisir de revoir son fils : « Mon Dieu ! s’écrie-t-il, quand finiront et ma cruelle souffrance et ce jeûne qui n’est qu’un accessoire ? Tiens, tu sais le peu de cas que je fais de Gall. Dubois est un grand chirurgien ; mais cela ne me prouve pas qu’il soit bon médecin et je ne puis croire qu’ils te traitent bien. Par pitié pour moi, appelle des médecins fameux comme Portal, comme Halley ; je ne respirerai qu’après leurs ordonnances. Je t’aime tant. » Mais, voici, le même jour, qui est plus fâcheux encore : « J’allais fermer, lorsque Porlal le médecin est venu me rendre compte de l’état de De Serre. Détestable. On le condamne à partir pour Nice. »

Dans l’état des affaires et des partis, ce départ du grand orateur dont tout le monde dit que seul il peut déterminer les Chambres à voter la loi électorale est une véritable catastrophe. Le 21 janvier, le Roi, au moment de se rendre à la messe commémorative de la mort de Louis XVI, reçoit une lettre du garde des Sceaux, lettre d’adieux et de regrets. Il l’envoie à Decazes qui ne peut, vu l’état de sa santé, assister à la cérémonie. « Voici la lettre de De Serre. Garde-la. Si nous avons le malheur de perdre l’écrivain, ce sera un beau titre d’honneur pour sa famille. J’y vois qu’il est question de Siméon pour un intérim. Vous êtes donc sûrs de lui ? »

Les circonstances, par suite de cet événement, sont d’une telle gravité que Decazes, en suppliant le Roi de ne pas s’inquiéter à cause de lui, annonce que, coûte que coûte, il viendra le voir dans la soirée. Cette fois, c’est le Roi qui le lui défend : « Il faut donc que le Roi voie sans s’émouvoir le ministre en qui repose sa confiance, virum dextræ suæ, que le père voie sans s’alarmer le fils qu’il chérit plus que sa propre vie s’enrhumer de nouveau à chaque instant ou, pour mieux dire, ne pas cesser d’être enrhumé. Pour t’obéir, il faudrait une force plus qu’humaine et elle ne m’a pas été accordée ; je te l’avoue donc, je suis inquiet, tourmenté, affligé, malheureux… N’étant pas venu à la messe aujourd’hui, il ne serait pas convenable que tu parusses aux Tuileries. Aller chez de Serre est une autre affaire à débattre entre les médecins et toi. Pour demain, les mêmes raisons n’existeront plus. Mais, hélas ! tant de fois trompé par l’espérance, je n’ose plus l’écouter. Plains ton ami, cher fils ; il souffre autant qu’il t’aime ; c’est tout dire. » Ils se revoient enfin dans la journée du 22 et, le lendemain, le Roi écrit, impatient : « Je commence à sentir tout de bon le bonheur de t’avoir revu. Recommencera-t-il demain ? L’appétit vient en mangeant et j’envisage déjà le moment où il reviendra à sa véritable heure. » Ce billet est à peine parti que Decazes se présente. L’entrevue est courte ; néanmoins, « ce délicieux quart d’heure panse la plaie du Roi. » Mais, la nuit qui suit est mauvaise. C’est en gémissant qu’il approuve, le 24, « la réclusion d’aujourd’hui. » Dans ce même billet, il s’exprime durement sur les attaques auxquelles se livrent contre Decazes certains membres du corps diplomatique : « Pozzo di Borgo est un misérable. Au reste, Stuart, quoiqu’il soit bien depuis un an, ne vaut guère mieux et je dirais d’eux, comme un Gascon de deux frères : Je voudrais assommer l’aîné à coups de cadet. »

Le 26 janvier, de Serre part tristement pour le Midi, laissant le ministère désemparé. Jamais Decazes n’a été plus violemment attaqué. Une révolution vient d’éclater en Espagne. Elle sert de prétexte à des accusations calomnieuses. C’est le favori, c’est sa politique inepte et funeste qui ont déchaîné partout l’esprit révolutionnaire et bonapartiste. « Je t’ai vu, pour la première fois, ému des horreurs dont tu es le point de mire. Je conçois leur effet sur un cœur comme le tien et c’est à ce cœur que j’offre pour consolation non l’immuable confiance du Roi, mais l’inaltérable tendresse de ton père… Songe que, dans aucun cas, un ministre ne doit aller sur le pré. » Cependant, après réflexion, il ajoute : « Il faut pourtant avouer que l’avis de tes collègues me fait quelque impression. Je te conseille d’écrire au ministre de la Guerre que, ne pouvant sortir, tu le pries de se donner la peine de venir le plus tôt possible chez toi et là, seul à seul, de raisonner à fond avec lui. Je m’en rapporte à son avis. » La Tour-Maubourg, convoqué, est d’avis que Decazes ne doit demander raison à personne. Decazes cède à ce conseil. Un moment troublé par la multiplicité des agressions, il se redresse, résolu à les dédaigner, à braver ses adversaires, et à se consacrer tout entier à la loi électorale.

Sur son conseil, le Roi consent à ce que quelques personnages considérables soient adjoints aux ministres pour statuer définitivement. Le duc de Richelieu, le chancelier Dambray, Lainé, Mounier, Cuvier sont désignés pour faire partir de cette grande commission. Villèle et Corbière, redoutant d’être soupçonnés de complaisance par les ultras refusent d’y siéger. Mais ils consentent à faire connaître leur opinion sur les mesures proposées, par l’intermédiaire de Pasquier. En prévision de la réunion de ce Conseil extraordinaire qu’il doit présider, le Roi invite Decazes à céder sa place à Richelieu autour de la table des délibérations. « S’il refuse, j’ordonnerai et je ferai mettre le chancelier à ma gauche. » Les séances de la commission se prolongent jusqu’au 9 février. Ce jour-là, elle arrête enfin une rédaction définitive, qui n’est à vrai dire qu’une reproduction du projet de Serre, plus ou moins amendé. Telle qu’elle est, elle satisfait Villèle, qui promet de la soutenir. Monsieur prend l’engagement de faire cesser l’opposition de ses amis, et le Cabinet peut raisonnablement espérer la victoire. « Tu es encore le point de mire de mille atrocités, mande le Roi au président du Conseil. J’en souffre plus que toi-même sans que mon espérance ait été un moment abattue. Mais, après avoir lu le projet, je crois pouvoir t’appliquer ce passage d’un psaume : Euntes ibant et flebant, mittentes semina sua. Venientes autem venient cum exultatione, portantes manipulos suos. »

Le 10, la détente est générale, au moins en apparence. Le Roi a confiance dans le succès. « Je crois aux conversions. Celles de Mathieu de Montmorency, de Sosthènes de la Rochefoucauld, même du rude Fitz-James me paraissent sincères. Aussi je me sais bon gré d’avoir été très aimable pour Mme Sosthènes, lorsqu’elle est venue chercher hier l’almanach que, depuis le mois de janvier 1815, je suis en possession de lui donner tous les ans… Les déblatérations de Pozzo m’indignent et me baillent un peu martel en tête ; il y a quelqu’un derrière lui… Pour rester sur la bonne bouche, la lettre de l’évêque de Samos est excellentissime. Qu’on te connaisse, mon ami, qu’on te connaisse, c’est tout ce que je demande. » A cette satisfaction du Roi, il y a cependant une ombre. Son Elie est de nouveau souffrant : « Je ne t’en exhorte pas moins à aller à la bataille. Fais ce que dois, advienne que pourra. » La bataille est prochaine. Mais, une question se pose. L’engagera-t-on à la Chambre des Pairs d’abord, ou à celle des députés ? Le Roi consulté répond : « Dans mon humble opinion, je crois qu’il faut commencer par la Chambre des députés. La victoire remportée là nous l’assure ailleurs et je ne suis pas très sûr que, remportée au Luxembourg, elle ne nous fût pas plus nuisible qu’utile au Palais-Bourbon. L’exemple de l’Angleterre ne prouve rien. La Chambre des Pairs y fut toujours, sauf le temps du Long Parlement, comptée pour beaucoup. Ici, j’ai toujours peur qu’on ne la traite de superfétation. » L’avis du Roi prévaut. Le même jour, 10 février, le président de la Chambre des députés est averti qu’elle recevra, le lundi 14, une importante communication du gouvernement.

Durant les trois journées qui suivent, le Roi n’est préoccupé que de la santé de « son fils » et que de l’accueil qui sera fait à la loi par les Chambres, par la France, et par l’Europe. Il a chargé Richelieu d’aller féliciter en son nom le nouveau roi d’Angleterre, George IV, à l’occasion de son avènement. Il veut que l’envoyé royal emporte à Londres une copie du projet et qu’il la montre à qui voudra la voir. De même, il entend que son ministre des Affaires étrangères en communique sans retard des exemplaires à ses agens à l’étranger. En ce qui touche Decazes, il lui prodigue sa sollicitude avec plus d’ardeur qu’il ne l’a jamais fait. Il le sait absorbé par la rédaction de l’exposé des motifs. « Tout va être fatigue pour toi d’ici à lundi et ce jour-là n’en sera pas un de repos… Je voudrais que dès lundi, en sortant de la Chambre, tu allasses à Madrid, pour y passer tout le mardi et ne venir que le mercredi pour le Conseil. » Et le lendemain, veillée des armes, il termine un des trois billets qu’il écrit en quelques heures par ce souhait que lui dicte son cœur : « J’espère bien dès demain, au sortir de la Chambre, voir mon ami et serrer dans mes bras le fils que j’aime de tout mon cœur. »


II

Durant la soirée du 13 février, Paris s’amusait ; on touchait à la fin du carnaval. Obligé de ménager ses forces en vue de la journée du lendemain, où devait être portée à la Chambre des députés la loi électorale, Decazes avait laissé sa jeune femme aller seule à un bal donné par le maréchal Suchet, duc d’Albuféra. Il était resté chez lui, en compagnie de son collègue Pasquier. Les deux minisires relisaient ensemble l’exposé des motifs du projet de loi, rédigé par Decazes. Un peu après onze heures, comme ils achevaient ce travail de révision, un homme entra sans s’être fait annoncer, le visage pâle et décomposé. C’était l’officier de paix Joly, agent de confiance, spécialement chargé de veiller à la sûreté du Duc de Berry. A sa mine bouleversée, les ministres devinèrent qu’il était messager de malheur. Ils ne se trompaient pas. Joly s’écriait avec désespoir :

— Monseigneur vient d’être assassiné.

Au seuil de l’Opéra, le prince avait été frappé d’un coup de poignard, au moment où il rentrait au théâtre après avoir mis en voiture la Duchesse de Berry, qui se retirait sans attendre la fin du spectacle. L’assassin, arrêté sur-le-champ, se nommait Louvel. Son arme avait pénétré profondément dans la poitrine de sa victime, mais sans donner la mort. Joly ne put dire si la blessure était ou non mortelle. Quand il avait quitté le théâtre, le prince venait d’être transporté dans l’appartement du régisseur. Appelés en hâte, des médecins, parmi lesquels se trouvait Dupuytren, lui prodiguaient leurs soins. Le Comte d’Artois arrivait, suivi du Duc et de la Duchesse d’Angoulême. Le Roi n’était pas encore prévenu.

C’est à celui-ci qu’au su de ces premiers détails, Decazes songea d’abord. Il lui écrivit pour lui annoncer la catastrophe. Il promettait d’aller le voir dès qu’il se serait assuré de l’état du blessé. Il partit ensuite pour aller à l’Opéra. Pasquier l’accompagnait. A l’Opéra, le spectacle s’achevait, la nouvelle du crime ne s’étant pas encore répandue parmi les spectateurs. Mais, dans la chambre où le prince était couché, se pressaient, pêle-mêle, les membres de sa famille, ses gens, divers personnages de la cour. Tout était désarroi, consternation, gémissemens. Insensible aux efforts tentés pour apaiser sa douleur, la Duchesse de Berry se livrait au désespoir le plus exalté. Dupuytren, assisté de ses confrères, suivait les effets des premiers remèdes qu’il avait prescrits. Après avoir pratiqué plusieurs saignées, il venait d’ordonner l’application de sangsues, espérant éviter ainsi un épanchement qui eût précipité la mort.

En voyant entrer le président du Conseil, le Comte d’Artois s’était élancé au-devant de lui. Il l’embrassa à plusieurs reprises.

— Allez prévenir mon frère, lui dit-il. Suppliez-le d’avoir du courage. Nous sommes bien malheureux. Mais nos amis ne nous abandonneront pas. Nous comptons sur vous, mon cher Decazes.

Tout en larmes, Decazes s’avança vers le lit sans entendre les murmures qui s’élevaient sur son passage et sans remarquer qu’à son approche, la Duchesse de Berry s’écartait avec un geste d’horreur. Il ne songeait qu’à interroger Dupuytren. Quoique l’illustre médecin ne désespérât pas de sauver le Duc de Berry, ses réponses témoignaient d’un tel trouble que Decazes déclara qu’on devait recourir aux lumières du docteur baron Dubois. Il offrit d’aller lui-même le chercher en revenant des Tuileries où il était attendu.

Comme il sortait, Monsieur le rappela :

— Faites tous vos efforts pour empêcher le Roi de venir, lui recommanda-t-il. Sa présence apporterait la gêne de l’étiquette. Assurez-le que nous n’avons pas perdu tout espoir. S’il fallait y renoncer, il serait averti assez tôt pour avoir le temps d’apporter sa bénédiction à mon pauvre fils.

Pendant que Decazes courait aux Tuileries, sa femme apprenait chez le maréchal Suchet le dramatique événement de la soirée. Nous lisons dans ses cahiers :

« Je dansais avec je ne sais trop qui, lorsque M. de Balincourt vint à moi et me glissa à l’oreille qu’après la contredanse, il aurait quelque chose de très sérieux à me dire. La contredanse finie, il m’emmena dans l’antichambre et me dit :

« — Le Duc de Berry est assassiné.

« — Mon Dieu ! nous sommes tous perdus ! m’écriai-je. Est-il mort ?

« — Non, on espère même le sauver… Le Maréchal désire que son bal ne soit pas interrompu et que la nouvelle ne circule pas. Mais j’ai pensé qu’il fallait vous avertir. Partez ; je préviendrai votre belle-sœur et vos nièces qu’étant souffrante, vous vous êtes retirée.

« Je montai en voiture ; j’allai à l’Opéra. La loge royale et le petit salon qui la précède étaient pleins de monde. Je m’informai de mon mari. On me dit qu’il venait de se rendre chez le Roi. Je revins alors chez moi. J’y trouvai ma belle-sœur et beaucoup de gens. Mais je ne parlai à personne. J’étais atterrée. »

Le récit de Decazes n’est pas moins émouvant.

« Je trouvai le Roi couché depuis une heure, très agité, en proie à la fièvre. Il voulait se lever et j’eus beaucoup de peine à l’en empêcher. Il céda sur la promesse que je lui fis de le tenir assez exactement informé pour que, si son neveu devait succomber, il pût lui fermer les yeux. » Quelques instans après, le président du Conseil était de retour à l’Opéra, ramenant Dubois avec lui. « Il ne me laissa aucune espérance. Après avoir écouté Dupuytren, il fut d’avis d’arrêter l’application des sangsues.

« — Monseigneur n’a perdu que trop de sang, fit-il remarquer. Je voudrais pouvoir lui en rendre.

« Se tournant vers moi, il me demanda si j’avais interrogé Louvel. Je compris sa funeste pensée. J’allai dans la pièce voisine, où Louvel, garrotté, était gardé à vue. Le procureur général et le procureur du Roi l’interrogeaient. Je me penchai à son oreille et lui demandai si le poignard était empoisonné. Il se récria avec une sorte d’indignation. La question, concertée avec les deux magistrats, avait été, ainsi que la réponse, entendue par eux, par le duc de Fitz-James et par divers serviteurs de la famille royale. Le Drapeau blanc ne m’en dénonça pas moins, le lendemain, comme ayant parlé bas à Louvel et lui ayant sans doute donné des avertissemens pour sa défense. Il fallut une déclaration formelle du duc de Fitz-James pour couper court à cette infâme calomnie. »

Cependant, personne n’avait mis en doute la sincérité de la réponse de Louvel. Mais elle ne parut pas rassurer Dubois. Dupuytren le questionnait :

« — Que faut-il faire ?

— Rien.

— Vous n’êtes donc pas d’avis de continuer à mettre les sangsues ?

— Non ! répliqua Dubois avec impatience, je croyais vous l’avoir déjà dit. L’état de Monseigneur est désespéré ; le cœur est touché. Les remèdes ne feront que hâter sa fin. »

Après cette déclaration, véritable arrêt de mort, l’état du prince s’aggrava rapidement. Decazes dut prendre les ordres de Monsieur, qui l’autorisa à aller chercher le Roi. En voyant entrer le ministre dans sa chambre, le Roi lui cria :

— Tout est fini ?

— Non, Sire ; mais on demande Votre Majesté. Je la supplie de faire appel à tout son courage.

« Il m’embrassa, continue Decazes. Il m’ordonna ensuite d’appeler son valet de chambre, s’habilla sans dire un mot et persista dans son silence tout le long de la route. »

On connaît les émouvantes scènes auxquelles donna lieu la présence de Louis XVIII auprès du lit sur lequel agonisait son neveu : la Duchesse de Berry se jetant à ses pieds et le suppliant de consentir à ce qu’elle retournât en Sicile, son pays natal, avec sa fille, loin de cette France où, sans cesse, tout lui rappellerait son malheur ; l’insistance que mit le moribond à solliciter du Roi la grâce de « l’homme », son assassin ; et enfin l’allusion qu’il fit soudain à la grossesse de sa femme, que personne ne soupçonnait encore, — lueur d’espoir s’allumant à l’improviste dans l’obscurité sinistre de cette nuit de deuil.

« Toutes ces dernières heures furent déchirantes. La douleur du Roi était extrême. On voyait de grosses larmes couler sur ses joues. Quand son neveu eut rendu le dernier soupir, il s’approcha de son lit, lui baisa la main et, lui ayant fermé les yeux :

« — Allons, dit-il, ma tâche est remplie.

« Il remonta en voiture et rentra aux Tuileries. Je l’y accompagnai et me retirai bientôt ; le Roi avait besoin de repos, et moi aussi. »

Que s’étaient-ils dit, le vieux Roi et son favori, pendant les quelques instans où ils avaient pu se trouver seuls après la mort du prince sur qui reposait jusqu’à ce jour l’espoir des Bourbons de France ? Il est aisé de reconstituer les paroles qu’ils échangèrent. Le Roi ne pouvait se méprendre aux conséquences de l’événement. Il n’ignorait pas qu’à la faveur de cette catastrophe, les partis allaient se soulever ; il prévoyait que les ultras se préparaient à lui déclarer « une guerre terrible ». Il n’est pas douteux que, dès ce premier soir, il ait fait part à Decazes de ses inquiétudes et de ses craintes.

— Ils vont exploiter ma douleur, disait le Roi ; ce n’est pas ton système qu’ils attaqueront, mon cher fils ; c’est le mien. Ce n’est pas seulement à toi qu’ils en veulent ; c’est à moi. — Et comme Decazes faisait entendre que sa démission serait peut-être le plus sûr moyen de conjurer ces orages et d’écarter ces périls, le Roi se récriait avec véhémence et ordonnait : — J’exige que tu restes au ministère ; ils ne nous sépareront pas !

Le tableau de « cette nuit effroyable », où l’on vit, parmi les royalistes « des figures rayonnantes », resterait inachevé si nous ne le complétions par le récit des incidens qui se déroulaient presque en même temps au ministère de l’Intérieur. C’est encore dans les cahiers de la duchesse Decazes que nous trouvons ce récit.

« Durant toute cette nuit, ce fut une succession continuelle de visites. A cinq heures du matin, on entendit ouvrir la petite porte qui était sous mes fenêtres. On vint nous dire que c’était Louvel qu’on amenait pour lui faire subir un interrogatoire. Toutes les personnes qui étaient dans le salon se précipitèrent aux fenêtres de la salle à manger pour voir passer l’assassin. Je me cachai ; j’éprouvais une horreur que je ne peux dire, en sachant ce monstre si près de moi. Il me faisait horreur pour son crime, et peut-être aussi avais-je le pressentiment du chagrin qu’il me causerait personnellement. Bientôt après, on vint nous dire que le prince était mort. Ce furent des larmes et des cris… Je voyais cette pauvre femme penchée sur son mari assassiné et je me figurais le mien ayant bientôt le même sort. Les innombrables menaces dont il avait été l’objet me revenaient à l’esprit. Dans chaque figure nouvelle qui se présentait à moi, je voyais un assassin… Mon mari était rentré peu après l’arrivée de Louvel. Mais je ne pus le voir. Il me fit dire d’aller dans la journée au Louvre, où le corps du Duc de Berry avait été déposé[4]. »

Peut-être les craintes exprimées alors par la duchesse Decazes sembleront-elles aujourd’hui excessives et exagérées. Elles ne l’étaient pas, cependant, à l’heure où elle les éprouvait. L’irritation des ultra-royalistes contre son mari, quoique encore contenue par la protection dont le Roi le couvrait, allait en réalité jusqu’à la fureur. Certains d’entre eux, — il faut oser le dire, puisque telle est la vérité. — ne songeaient qu’à se réjouir d’un forfait qui semblait rendre sa chute inévitable. Si ce monstrueux contentement hésitait encore à se manifester, il se laissait apercevoir déjà partout où se trouvaient les familiers de Monsieur et de ses belles-filles. De ces dispositions non équivoques, les cahiers auxquels j’emprunte tant de détails inédits contiennent une preuve qu’il convient de mentionner avant de citer toutes celles que nous révèlent les manuscrits de Decazes. Elle se rapporte à la journée du 14 février.

« La veuve du Duc de Berry avait été conduite à Saint-Cloud. Les femmes de la Cour étaient tenues d’aller s’inscrire chez elle. Le Roi m’écrivit pour m’indiquer l’heure à laquelle il s’y trouverait et m’inviter à m’y rendre au même moment[5]. Ma bonne maman me proposa d’y venir avec moi. Nous y fûmes. C’est la première fois que la figure de la disgrâce s’est offerte à mes regards. Je, vis d’abord qu’on faisait des difficultés pour me laisser entrer. Puis, à peine me faisait-on la révérence. J’avoue que, d’abord, je n’y attachai pas une grande importance, tant ma douleur m’absorbait. Ce n’est qu’après avoir quitté le Palais, que je me souvins de tout ce qui s’était passé. Mme Juste de Noailles, dame d’atours de la Duchesse de Berry, avait été la seule personne qui se fût montrée réellement polie pour moi. Quand le Roi, qui arriva comme je m’éloignais, me vit, il m’appela, et me dit deux ou trois paroles bienveillantes. Aussitôt qu’il eut passé, je m’en allai. Il me tardait d’être sortie. »

Dans la matinée de ce jour, le Conseil des ministres, réuni, arrêta qu’une loi serait présentée « pour empêcher que la presse n’augmentât par des publications perfides ou téméraires l’irritation, les craintes, peut-être les espérances que le forfait pouvait ou devait faire naître ». Cette mesure était surtout motivée par la violence avec laquelle les journaux royalistes accusaient du crime l’opinion libérale. Par une autre loi, le gouvernement demandait à être armé « du droit d’arrêter les individus soupçonnés de méditer le renouvellement de pareils attentats. » On en revenait ainsi à la politique arbitraire de 1815 et de 1816. L’ultra-royalisme triomphait. Les ministres décidèrent enfin que rien ne serait changé à leurs projets antérieurs en ce qui touchait la réforme électorale. Les Chambres devaient être saisies, sous vingt-quatre heures, de ces diverses propositions. Dans la même journée, communication leur fut faite « de cet affreux malheur. »

A la Chambre des Pairs, tout se passa avec convenance. Mais, à la Chambre des députés, avant même que le Président Ravez eût donné lecture de la lettre du président du Conseil, un député de la fraction la plus avancée de la Droite, Clausel de Coussergues, s’élança à la tribune et proposa « de porter un acte d’accusation contre M. Decazes, comme complice de l’assassinat du Duc de Berry ». Il voulait développer sa proposition. Des protestations presque unanimes couvrirent sa voix. Il dut regagner sa place au milieu des huées de ses adversaires et des reproches de ses amis.

Decazes n’assistait pas à cette séance. Mais d’autres ministres étaient présens. Aucun d’eux ne demanda la parole pour le défendre. Ils considérèrent qu’il n’avait pas besoin d’être défendu. Decazes n’en fut pas moins blessé de leur silence. Il leur déclara que, si, le lendemain, à l’ouverture de la Chambre, l’un d’eux ne faisait pas justice « de ce misérable », rien ne pourrait l’empêcher de se faire justice lui-même. Ils eurent la plus grande peine à le calmer et à obtenir de lui qu’il se reposât sur eux du soin de prendre toutes les mesures que nécessiterait le souci de son honneur. Le soir venu, il recevait du Roi cette lettre bien propre à lui prouver qu’en dépit du crime de la veille, la faveur royale lui restait tout entière :

« Je savais, mon cher fils, par Pasquier, avant l’entrée de la Chambre des députés, que tu n’y serais pas et, tout en gémissant de la cause, je ne puis que t’approuver. Cette affreuse nuit en aurait accablé de plus forts que toi. Souviens-toi qu’il faut que les lois d’exception soient draconiennes et promptement proposées. Tout est, malgré l’infâme Clausel de Coussergues, bien disposé. Mais il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. « Parmi ces horribles mensonges du café de Valois, il y a une chose vraie : c’est la demande que tu as pu entendre la Duchesse de Berry me faire à genoux d’emmener sa fille en Sicile. J’ai chargé Pasquier de te dire qu’il serait bon que nos journaux parlassent du soupçon de grossesse qui existait déjà quelques jours avant le crime. Bonsoir, cher fils bien-aimé. »

Cette lettre, l’attitude de Monsieur pendant la nuit du crime, tout était pour entretenir les illusions de Decazes. Il ne savait pas que, dans la journée, ses plus ardens ennemis, réunis chez Vitrolles, s’étaient concertés pour déterminer le Comte d’Artois, d’une part, à se remarier afin de donner des héritiers à la couronne et d’autre part, à faire auprès du Roi une démarche solennelle à l’effet d’obtenir qu’il sacrifiât son ministre. Il ignorait que Monsieur, en écartant la première proposition, celle d’un mariage, que la grossesse de sa belle-fille permettait d’ajourner, avait agréé la seconde, promis d’agir sur son frère, conformément aux désirs de ses amis.

Il put s’en douter, le lendemain, en ouvrant les journaux. « Oui, monsieur Decazes, lui disait Martainville, dans le Drapeau blanc, c’est vous qui avez tué le Duc de Berry. Pleurez des larmes de sang ; obtenez que le ciel vous pardonne ; la patrie ne vous « pardonnera pas. » La Gazette de France dénonçait « sa complicité morale avec l’assassin ». Les Débats, la Quotidienne, le Censeur faisaient chorus ; Chateaubriand se distinguait par sa violence en s’associant à ces atrocités. Decazes, indigné, donna l’ordre au procureur général de poursuivre le Drapeau blanc. Une nouvelle lettre du Roi datée du 15, deux heures un quart, venait, dans ces épreuves, raffermir son courage. « Tes nouvelles, mon cher fils, me consolent un peu du mal que ton état d’hier m’avait fait… Je ne reçois ni le Drapeau blanc ni le Censeur. Mais leurs extraits font horreur. Tu as bien fait de les dénoncer. Je suis peut-être plus blessé que toi de l’infamie de Clausel. Mais j’avoue que je pense un peu là-dessus comme Col-lin : la Chambre en a fait justice. A bientôt, je t’aime de tout mon cœur. » Dans la soirée, nouvelle allusion à ces attaques des journaux. « Je lis ordinairement, mon cher fils, un peu en diagonale les œuvres de M. de Chateaubriand. Mais, aujourd’hui, je me suis imposé la pénitence de le lire en entier. J’en suis indigné. Je voudrais aller trouver l’auteur, et, le bâton haut, l’obliger à signer le désaveu de son infamie. » Et comme, ce même jour, les lois d’exception et la loi électorale avaient été déposées sur le bureau des Chambres, le Roi témoignait sa satisfaction : « Je suis bien aise qu’enfin les lois soient portées. J’espère que cela te donnera du répit. Pour y contribuer, je n’ai point commandé le Conseil pour demain. Mande-moi, je te prie, quand tu le veux et si tu exécutes le projet de Madrid. Bonsoir, cher fils ami. »

Mais il ne pouvait être question pour Decazes de se livrer au repos. A la Chambre des députés, Clausel de Coussergues reprenait sa motion de la veille. Comme la veille, elle était accueillie par une explosion d’indignation générale. On pouvait cependant remarquer qu’il n’y avait plus unanimité pour la repousser. Pas plus que la veille, Decazes n’était présent, et ses collègues persistaient dans leur silence. C’est son beau-père, le comte de Sainte-Aulaire, qui répondait à Clausel de Coussergues : « Vous êtes un calomniateur. « D’autre part, dès le matin du 15, le préfet de police lui signalait l’agitation des gardes du corps qui se réunissaient au café de Valois. Leurs propos étaient menaçans, trahissaient une haine ardente et des desseins d’une rare violence. Quelques heures plus tard, un avis analogue lui arrivait sous une forme encore plus intimidante. Il avait été décidé que les ministres se rendraient auprès de Monsieur pour lui présenter leurs complimens de condoléance. Empêché par une circonstance toute fortuite de se joindre à eux, et le marquis de la Tour-Maubourg, ministre de la Guerre, se trouvant dans le même cas, Decazes avait pris rendez-vous avec lui pour faire ensemble cette visite d’étiquette.

« A trois heures, raconte-t-il, je me disposais à me rendre au pavillon de Marsan et j’attendais mon collègue de la Guerre, qui était rentré un moment à son ministère pour signer les ordres destinés aux généraux commandant les divisions militaires, lorsque le général Alexandre d’Ambrugeac, ami du comte de Bruges et mon intermédiaire habituel avec cet aide de camp de Monsieur, entra dans mon cabinet pendant que je signais moi-même mes dépêches pour les départemens. M. de Bruges l’avait chargé, me dit-il, de me remercier de n’avoir pas accompagné mes collègues à l’audience de Son Altesse Royale ; il avait reconnu dans cette abstention ma prudence dont il se réjouissait, d’autant plus qu’il était persuadé que je ne serais pas sorti vivant de la salle des gardes du prince, tant l’irritation des gardes du corps était grande. Pour toute réponse, je sonnai et demandai qu’on fît avancer ma voiture, attelée depuis plusieurs heures.

« — Accordez-moi quelques instans, me dit le général d’Ambrugeac ; j’ai beaucoup de choses à vous raconter.

« Le ministre de la Guerre étant entré en ce moment, je dis au général :

« — Je ne peux vous écouter. Nous nous rendons auprès de Monsieur, ce que nous avons été empêchés de faire avec nos collègues, parce que nous étions à la Chambre des Pairs.

« — N’avez-vous donc pas entendu ce que je vous ai dit de la part du comte de Bruges ; il est de la meilleure foi du monde, je vous jure.

« — C’est parce que je l’ai entendu que je presse ma visite à Son Altesse Royale, étant convaincu que messieurs les gardes du corps ont été calomniés auprès de l’aide de camp de Monseigneur.

« — Au nom de Dieu, laissez-moi du moins le temps de prévenir M. de Bruges.

« En descendant de voiture, nous trouvâmes, à l’entrée du vestibule du prince, le général d’Ambrugeac désespéré. M. de Bruges était sorti. Nous entrâmes chez Monsieur. Les gardes du corps de service dans la salle des gardes se levèrent à notre arrivée ; le garde de faction à la porte de Son Altesse Royale nous fit le salut d’usage du port d’armes et du talon. Monseigneur vint à nous avec empressement, me prit les mains, me remercia de ma sollicitude pendant la funeste nuit. Des larmes coulaient de mes yeux ; il me dit :

« — Nous avons besoin de forces pour prévenir les maux que cet affreux malheur peut amener et de prendre tout sur nous. Je suis très touché de cet attendrissement dont j’ai été témoin toute la nuit.

« Et comme j’excusais le ministre de la Guerre et moi de n’être pas venus avec nos collègues, espérant que Monseigneur trouverait bon que nous eussions rempli aux deux Chambres les devoirs qui nous y avaient appelés, il reprit :

« — Je vous en remercie, il ne faut pas que notre malheur nous fasse oublier le service du Roi et les dangers du pays.

« Il nous reconduisit jusqu’à la porte de son appartement en me serrant la main à plusieurs reprises avec la plus vive émotion. La réflexion n’avait pas changé les dispositions des gardes du corps, qui nous rendirent les mêmes honneurs qu’à notre arrivée. »

Il est regrettable pour la mémoire du Comte d’Artois qu’on surprenne ici ce prince en flagrant délit de comédie et de mensonge. Tandis qu’il prodiguait à Decazes ces témoignages de bienveillance, il n’ignorait rien du complot qui s’ourdissait contre le président du Conseil. Le même soir, les gardes du corps habitués du café de Valois se présentèrent au café Lemblin, rendez-vous ordinaire des officiers à demi-solde, inféodés au parti libéral et qu’on savait bien disposés pour Decazes, qui s’était fait en plusieurs circonstances le défenseur de leurs intérêts. Il y eut des provocations, des rixes. La police dut intervenir. On consigna les gardes dans leur caserne. Mais, l’ordre ne pouvant atteindre ceux qui étaient sortis au moment où on le donnait, le bruit se répandit qu’ils projetaient d’enlever le président du Conseil. Il ne semble pas qu’il ait d’abord ajouté foi à ces rumeurs inquiétantes. Cependant des mesures de sûreté furent prises. Nous en devons à la duchesse Decazes un tableau complet et bien vivant :

« Dans la soirée, j’entrai chez mon mari. Je lui demandai s’il y avait quelque chose de nouveau :

« — Non, ma chère amie, va te coucher.

« Je montai chez moi, et me couchai. Mais je ne sais quel pressentiment m’empêcha de dormir. A deux heures, la peur me prit. Je me levai pour aller chercher ma femme de chambre Louise. Je trouvai à ma petite porte, où il n’y avait jamais personne, le grand Henri assis sur une chaise ; Je lui demandai ce qu’il faisait là :

« — Rien, Madame ; j’attends Monsieur.

« Je voulus sortir par une autre porte. J’y trouvai le domestique qui me servait personnellement. J’appelai Louise ; nous ouvrîmes les fenêtres du salon ; deux gendarmes étaient sur la terrasse et j’aperçus beaucoup de soldats dans la cour. Alors, je pensai qu’il y avait quelque chose de sérieux. Je descendis de nouveau dans les bureaux d’en bas. Tous les secrétaires et employés y étaient réunis. Ils m’apprirent qu’on avait découvert un complot des gardes du corps. Ils devaient venir attaquer le ministère pour enlever le ministre et ses papiers. Mais les précautions étaient prises, les postes doublés, les portes barricadées. Et puis, nous aurions toujours le temps de nous sauver par le jardin. J’ai su depuis par mon mari que le duc de Talleyrand lui avait fait proposer de sortir par sa maison. M. d’Ecquevilly lui avait offert aussi un asile. Mais il avait refusé, ne croyant pas à une attaque. On pense bien qu’ainsi avertie, je n’eus plus envie de me coucher. Ne pouvant voir mon mari, je remontai dans ma chambre. J’y fis venir mon fils avec sa nourrice et Louise, et nous restâmes là jusqu’au matin.

« A huit heures, j’allai chez Mme Séjourné, mère du chef du cabinet de M. Decazes. J’y trouvai son fils, qui avait passé la nuit avec quinze officiers de paix à surveiller les mouvemens qui se faisaient dans la caserne des gardes du corps et à calmer les officiers à demi-solde qui s’étaient réunis en grand nombre rue des Saints-Pères et rue des Augustins. Ils devaient beaucoup à M. Decazes et voulaient le défendre contre les ultras. Toutes ces précautions furent d’ailleurs inutiles. On avait consigné les gardes dans leur caserne ; le mouvement ne put avoir lieu. »


III

Les attaques et les menaces dont Decazes était l’objet avaient dans le cœur du Roi de douloureux échos. Néanmoins, quoique déconcerté par l’orage qui venait de fondre sur lui, il était encore bien résolu, le 16 février, à ne pas se séparer de son ministre. En se levant, il lui traçait la conduite qu’il souhaitait lui voir tenir en face de ses accusateurs :

« Il est encore de trop bonne heure, mon cher fils, pour avoir de tes nouvelles ; mais voici toujours quelques réflexions. Hier, je me contentais de la manière dont la Chambre avait repoussé l’odieuse motion de Clausel de Coussergues. Aujourd’hui, les choses sont changées. Ce n’est plus une accusation absurde qu’il porte contre toi ; c’en est une qui n’est assurément pas mieux fondée, mais qui est constitutionnelle. Peux-tu garder le silence ? Je ne le pense pas. Il me semble, au premier aperçu, que tu dois relever le gant, et voici comme j’entends que tu pourrais le faire. Remercier la Chambre d’avoir repoussé par son improbation la calomnie aussi atroce qu’insensée portée contre toi comme particulier, mais la prier de ne pas agir de même dans l’attaque qu’on te fait comme ministre, et, au contraire, de permettre au membre qui a déposé sur le bureau la proposition de la développer. Je n’ai pas besoin de t’indiquer ce que tu peux ajouter ; le champ est fertile et le moissonneur bon… Je reçois le portefeuille. Je persiste dans ce que j’ai écrit en te conjurant de consulter des gens, non qui t’aiment plus tendrement, qui soient plus attachés à ta gloire que moi, mais qui s’entendent mieux à ce qu’elle peut exiger… Tu ne me dis rien de ta santé. Hélas ! quel jugement en porterai-je ? Je t’aime. »

Cette lettre était écrite à huit heures du matin et envoyée aussitôt. Mais Decazes ne se hâta pas d’y répondre. Repoussée la veille par la Chambre des députés, la motion Clausel de Coussergues avait déjà perdu beaucoup de son intérêt, grâce surtout à des questions plus pressantes. Il s’agissait maintenant de tout autre chose. La journée qui commençait devait décider du sort des lois présentées la veille aux Chambres : loi sur les élections, loi rétablissant pour cinq ans la censure des journaux, loi sur la liberté individuelle. Or, au moment où il recevait la lettre du Roi, le président du Conseil venait d’apprendre que, dans diverses réunions préparatoires, tous ces projets avaient été désapprouvés par la Droite comme par la Gauche. Royer-Collard et Camille Jordan se présentaient bientôt après chez lui pour lui déclarer au nom du Centre gauche, où le ministère comptait encore des amis, que ce groupe était résolu à ne se prêter à aucune modification de la loi électorale, et que, quant aux lois d’exception, il ne les voterait qu’autant qu’il serait stipulé qu’on les abrogerait au bout de quelques mois. Quelques heures plus tard, Decazes constatait dans les deux Chambres l’existence d’une coalition de droite et de gauche, plus puissante que le parti ministériel désorganisé. « Retirez la loi électorale lui disaient les coalisés de gauche, et nous vous soutiendrons. » — « Que le président, du Conseil donne sa démission, disaient ceux de droite, et nous accorderons au ministère tout ce qu’il nous demandera. » Le Roi considérant la réforme électorale comme indispensable au salut de la monarchie et s’obstinant, d’autre part, à ne pas sacrifier son favori, c’en était donc fait de la majorité parlementaire. Il n’y avait plus d’autre ressource que la dissolution. Mais le remède ne serait-il pas pire que le mal ? Les dernières élections ne devaient-elles pas faire craindre une victoire nouvelle des libéraux ? Dans ces conjonctures, Decazes n’eût pas osé conseiller au Roi d’en appeler aux électeurs.

La lettre qu’il lui écrivit atteste à la fois son désintéressement et son initiative. Il y traçait le tableau fidèle des intrigues déchaînées contre sa personne et de leurs fâcheux effets : la désagrégation du parti ministériel, la défection du Centre gauche, l’ultimatum des ultras. Désespérant de vaincre ces difficultés, persuadé que seul le duc de Richelieu pourrait en avoir raison, il suppliait le Roi d’intervenir personnellement auprès de celui-ci pour le décider à prendre le pouvoir. Quant à lui, il offrait sa démission, tout prêt d’ailleurs, si le Roi la refusait, à faire partie du même ministère que Richelieu, soit comme ministre de la Maison, soit avec un autre portefeuille.

Au reçu de cette lettre, portée aux Tuileries dans l’après-midi, le Roi répondit : « Il faut, mon cher fils, que j’y aie bien peu vu tantôt, pour n’avoir pas aperçu l’ultimatum des ultras. ; n’importe. Ta lettre m’a tué ; c’est à peine si j’ai la force d’y répondre ; je m’en vais tâcher de le faire par articles : — 1° Il est absolument impossible que tu fasses partie d’un même ministère que le duc de Richelieu. — 2° Si le Duc rentre, il faut que ce soit lui-même qui choisisse ses collègues ; ce n’est pas le Roi qui est la clef de voûte : c’est le président du Conseil. — 3° Ma répugnance pour avoir un ministre de la Maison, faisant partie du ministère, est invincible. — 4° Je te laisse carte blanche pour faire ce que tu voudras ; mais il m’est impossible de parler au duc de Richelieu. Il ne m’a pas été donné de pleurer à volonté, et si je versais des larmes, le Duc me connaît assez pour bien voir que ce serait son acceptation et non pas son refus qui les ferait couler. Je t’attends, cher fils. — Cinq heures. »

En entrant chez le Roi, après dîner, Decazes le surprit excité, agité, « la figure d’un rouge violet, les yeux injectés de sang ».

— Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-il, qu’a donc le Roi ?

Et le Roi de répondre, tremblant de colère, en montrant la place près de son fauteuil :

— Là, tout à l’heure, mon frère, ma nièce, tous deux à genoux, me déclarant qu’ils ne se relèveraient que lorsque je leur aurais promis de te sacrifier !… On a dû m’entendre du Carrousel, tant ma réponse a été vive et emportée.

— Que le Roi se calme, supplia Decazes ; il n’a jamais eu plus besoin de ses forces et de sa présence d’esprit ; qu’il daigne m’apprendre ce qui s’est passé.

Alors, le Roi raconta qu’après le dîner, le service retiré, le Comte d’Artois et la Duchesse d’Angoulême s’étaient jetés à ses pieds, pour lui demander l’éloignement du président du Conseil. Le Comte d’Artois, qui portait la parole, avait parlé de Decazes dans les termes d’une véritable bienveillance et d’une parfaite estime.

— Je rends pleine justice à ses sentimens et à son mérite. Je reconnais que ses services pourront de nouveau être très utiles. Mais l’opinion royaliste s’est prononcée contre lui avec une telle violence qu’il est impossible qu’il fasse le bien. Je déplore qu’il soit indispensable de céder à cet orage passager ; je serai le premier à demander avant trois mois le rappel de M. Decazes. Mais, aujourd’hui, il faut qu’il s’éloigne.

La Duchesse d’Angoulême était alors intervenue :

— Sire, nous vous le demandons pour empêcher un nouveau crime, pour empêcher qu’il y ait une victime de plus.

Le Roi, se méprenant à cette insinuation, avait cru que sa nièce voulait parler de lui ; il protesta.

— Comme mon neveu, je braverai les poignards. Il y a plus loin qu’on ne croit, malgré ce funeste exemple, du poignard d’un assassin au cœur d’un honnête homme.

— Ah ! Sire, répondit Madame, grâce à Dieu, nos craintes ne portent pas sur Votre Majesté, mais sur une personne qui vous est chère.

— J’aurai pour mon ami le même courage que pour moi-même, et je défie le crime pour lui comme pour moi.

En achevant ce récit, le Roi ajouta que, pendant toute la scène, le Duc d’Angoulême était resté derrière son père et sa femme, debout, silencieux, tête baissée, fuyant les regards de son oncle qui semblaient lui dire : Tu quoque ! La famille s’était ensuite retirée sans avoir rien obtenu.

— Que fera Votre Majesté ? demanda Decazes, quand le Roi se fut calmé.

— Ce que je ferai ? je ne céderai pas. Est-ce toi qui me conseillerais cette lâcheté ? Ne vois-tu pas qu’autant vaudrait abdiquer[6] ?

— Le Roi sait que je n’ai jamais été d’avis qu’il abdiquât ni en fait ni en droit. Il ne doit pas cependant se dissimuler les difficultés de la situation actuelle. Je les lui ai exposées dans ma lettre de tout à l’heure. La circonstance est trop grave pour que je ne lui dise pas la vérité tout entière en oubliant ce qui m’est personnel… Sire, lorsque Monsieur intervenait jadis dans les affaires de Votre Majesté, à l’occasion de la loi du recrutement, par exemple, nous étions bien forts pour lui résister. Il empiétait alors sur votre autorité, et j’étais le premier à conseiller à Votre Majesté de montrer à tous que c’était elle, elle seule qui était Roi. Aujourd’hui, l’empiétement de Monsieur sera excusé par la douleur du père, et, si le Roi résiste, on dira qu’il a sacrifié son frère à son favori.

— Tu me conseilles donc d’abdiquer ?

— Non, Sire ; que le Roi résiste, s’il le peut faire avec succès. Mais le peut-il ? La majorité n’est plus avec moi, et, quoique prêt à de nouveaux efforts pour la ramener, je n’ose espérer d’y parvenir.

Le Roi était visiblement ébranlé. Il se rappelait que son frère lui avait dit qu’il ne s’agissait pas de sacrifier un système, mais une personne et que, Decazes parti, la Droite soutiendrait le ministère. Il répéta ces propos à son ministre :

— Les loups ne demandent au berger que le sacrifice de ses chiens, fit-il avec amertume.

— D’un seul de ses chiens, objecta Decazes ; les six autres seront conservés.

— Eh ! tu sais bien, s’écria le Roi, que, toi de moins, le berger n’aura plus de chiens pour le garder.

Devant la constatation d’une position sans issue, Decazes en revint au parti d’appeler le duc de Richelieu à la présidence du Conseil. Mais le Roi, qu’avaient blessé les refus antérieurs du Duc, ne voulait pas s’exposer à en subir un nouveau. Que Decazes, s’il le voulait, fît les premières démarches ; quant à lui, il n’interviendrait pas. Cependant, à la demande du président du Conseil, il consentit à le pourvoir d’une lettre qui, mise dès le lendemain sous les yeux de Richelieu, lui marquerait son désir ; il l’écrivit séance tenante afin que Decazes pût l’emporter :

« J’ai reçu votre lettre, mon cher Comte ; j’approuve, je ne crains pas de le dire, j’admire les sentimens que vous m’y exprimez, et je vous autorise à faire toutes les démarches que vous jugerez utiles pour déterminer le duc de Richelieu à rentrer au ministère. Mais quoique entièrement convaincu de son zèle pour l’Etat et de son attachement à ma personne, vous devez sentir qu’ayant reçu de lui, et de vive voix et par écrit, plus d’un refus à cet égard, je ne dois pas m’exposer à en recevoir un nouveau. Vous connaissez, mon cher Comte, toute mon amitié pour vous. »

Lorsque, après ce long entretien, le Roi se sépara de son ministre, ils n’avaient rien décidé. Le lendemain, dès le matin, il lui expédiait ce billet révélateur de la détresse de son âme : « Ma nuit, mon cher fils, a été bonne, mon réveil affreux. Et toi, mon pauvre ami, comment cela va-t-il ? Tu sais si je t’aime. » À trois heures, ce fut une missive plus longue. Elle témoignait de plus de calme et de liberté d’esprit, mais non d’un amoindrissement de sa douleur.

« Je viens de recevoir une lettre de Pasquier, noire comme de l’encre, dans laquelle il me répète tout ce que tu m’as écrit hier ; je vais lui répondre que tu dois voir le Duc ce matin[7]. « Les gardes du corps sont consignés. Le duc d’Havre m’a représenté ce matin qu’ils n’ont pas été seuls coupables ; que beaucoup d’officiers de la garde royale l’ont été autant si ce n’est plus qu’eux et que ne punir qu’un corps, c’est l’entacher. Que faire en pareil cas ? Consigner tous les corps, la mesure est violente et pourrait échauffer les esprits. Il pense qu’il vaudrait mieux lever la consigne, en publiant un ordre du jour très ferme. Le duc d’Havre m’en a montré un projet dont je suis fort content. Je lui ai dit que je verrais.

« Le Cardinal m’a dit ce matin que son coadjuteur ne pourrait jamais être prêt pour mardi et je le conçois fort bien. Il ne s’agit pas ici de ces lieux communs qu’il est aujourd’hui d’usage de débiter en quatre phrases, mais d’une véritable oraison funèbre. Sur cela, j’ai fait appeler M. de Brézé, qui m’a proposé un parti, le seul praticable, et que j’ai adopté d’autant plus volontiers qu’il est conforme à l’ancien usage. C’est de transporter le corps à Saint-Denis dès lundi soir ou au plus tard mardi, de l’y déposer dans une chapelle et de ne faire les funérailles que dans quelque temps, lorsque tout sera prêt. Ma grand’mère ne fut enterrée que quarante-huit jours après sa mort et mon grand-père, soixante et dix-huit.

« Je souhaite que tu ne te fasses pas illusion sur la loi des journaux, mais je crains que si. À ce sujet, je dois te dire que ce matin, le duc de la Châtre était furieux de la commission, mais bien plus encore contre M. de Chateaubriand, dont l’outrecuidance a rompu une majorité toute formée, et, sur cela, il m’en a dit de toutes les couleurs sur le noble vicomte.

« Je suis bien affligé de te savoir enrhumé ; nous n’avions pas besoin de cela de plus. Tu me demandes comment je vais ; ah ! mon ami, il fallait d’abord me demander si j’existe ; je t’aurais répondu : guère. Ce matin, en ouvrant les paupières, le corps réveillé, l’esprit encore fort peu, j’ai senti que je me portais, mais que j’avais un point douloureux au cœur ; j’ai cherché ce qui le causait ; successivement, mes idées se sont développées et, enfin, la triste vérité s’est montrée tout entière. Ma douleur est grande ; elle l’est d’autant plus que je ne peux me livrer à l’espoir que tu m’offres. Tu semblés te la reprocher. Ah ! songe plutôt à toutes les jouissances que tu as fait éprouver à mon cœur ; songe à trois années de bonheur pur, continu, sans un seul nuage, couronnées par le plus grand de tous pour moi, celui d’avoir assuré le tien ; songe, enfin, que le triomphe de nos ennemis ne sera pas complet, car, malgré eux, ils diront comme Phèdre : Ils s’aimeront toujours. »

Pendant que la tendre sentimentalité de Louis XVIII s’épanchait en cette prose désolée, Decazes allait chez Richelieu. Après lui avoir montré la lettre royale, comme une preuve du caractère officiel de sa mission, il recommençait une tentative déjà faite à plusieurs reprises et n’était pas plus heureux cette fois que lors de ses précédentes démarches. Richelieu se retranchait derrière la réponse qu’au mois de novembre, il envoyait de La Haye. Il ne se croyait pas indispensable. Ce qu’on attendait de lui, d’autres pouvaient l’accomplir et mieux que lui-même, « ayant toujours été la bête noire des ultras. »

— Quand vous êtes devenu président du Conseil, dit-il à Decazes, Monsieur vous avait promis son appui. Cela ne Ta pas empêché de vous le retirer en des circonstances si graves, et sans motif. Ce qu’il vient de faire contre vous, il le ferait contre moi. Rien ne me garantit la durée de l’engagement qu’il se déclare prêt à prendre si j’accepte le pouvoir.

Decazes ne put ébranler la résolution de Richelieu. Il revint chez lui découragé, malade, hors d’état de se rendre auprès du Roi, à qui il fit part cependant de son échec. Pour la troisième fois de la journée, Louis XVIII prenait alors la plume : « Ton état physique me désole, mon cher fils, le moral n’est guère plus consolant. Que ferons-nous d’après l’invincibilité du Duc ? Pensez-y bien ; pour moi, je suis à bout de voie. Je suis du moins bien aise que ton oncle ait été bien pour toi… Bonsoir, cher fils, je n’ai plus que la force de t’aimer de tout mon cœur. » Le lendemain matin, c’était même antienne. « Mon pauvre cœur souffre beaucoup. Ton oncle m’a écrit pour me demander un rendez-vous. Je l’ai assigné à neuf heures. »

Dans cette seconde entrevue, le Comte d’Artois insista de nouveau auprès du Roi pour obtenir le renvoi de Decazes, qui en fut aussitôt averti. « Mon frère n’a point pris ce ton exigeant que tu sais qu’il prend quelquefois. Il m’a simplement dit ce qui m’est revenu de plusieurs autres côtés, qu’avec toi, les lois seraient rejetées, que, toi de moins, elles seraient adoptées. Que lui répondre ? Le vent souffle trop de toutes parts pour que cela ne soit pas vrai. Je lui ai dit l’inutile démarche que tu as faite hier auprès du duc de Richelieu. J’ai voulu du moins jeter cette fleur… non… je ne puis achever. » Il n’achevait pas parce qu’il lui en eût trop coûté d’avouer que, vaincu par les sollicitations de son frère, il lui avait promis, formellement promis le sacrifice qu’on exigeait de lui, si toutefois le duc de Richelieu se laissait fléchir et consentait à recueillir la succession de Decazes. Mais, s’il ne confessait pas ce qu’il appelait sa faiblesse, il s’en excusait en laissant voir à quel point elle le rendait malheureux. « Viens le plus tôt que tu pourras ; viens voir le Prince ingrat qui n’a pas su te défendre et qui a encore besoin de te consulter sur les choix ; viens mêler tes larmes à celles de ton trop malheureux père… Tu me trouveras avec la main gauche gantée ; j’ai quelque chose à l’index ; mais c’est le moindre de mes maux… Peux-tu croire encore que je t’aime ? » Et dans la même lettre : « Je n’ai qu’une seule raison pour croire qu’on ait perverti le Duc d’Angoulême, c’est que ce malheur me manquait. »

Il avait vu son neveu, dans « la fatale soirée du 16 », écouter, sans s’y joindre, mais aussi sans protester, les lamentations du Comte d’Artois et de Madame, et, quoiqu’il eût d’abord attribué cette attitude à la timidité naturelle du prince, depuis, sur la foi de propos inexacts, il le croyait passé à l’ennemi. Cette défection ajoutait à sa douleur. A deux jours de là, il y revenait encore : « César fut plus heureux que moi ; il ne dit qu’une fois : Tu quoque ! Shakspeare connaissait bien le cœur humain. Voici la malédiction du roi Lear contre sa fille : Puisse-t-elle sentir combien plus acéré que la dent d’un serpent il est d’avoir un enfant ingrat ! Je ne prononce point cette malédiction, Dieu m’en garde ; mais je sens combien elle est cruelle. » Le Duc d’Angoulême ne méritait pas ces reproches. Quand il sut que le Roi s’était offensé de le voir s’associer par sa présence et par son silence à la démarche de son père et de sa femme, il vint spontanément protester de son estime et de son attachement pour Decazes. Cette explication loyale et sincère lui rendit le cœur du Roi. « Hier soir, j’ai éprouvé quelque douceur à appeler le Duc d’Angoulême mon fils. Cela ne m’était pas arrivé depuis samedi. »

Cependant, la promesse faite par le Roi à son frère, dans la matinée du 18 février, de sacrifier Decazes à Richelieu ne changeait rien aux dispositions de celui-ci. Aux offres pressantes qui lui étaient faites au nom du Comte d’Artois, il continuait à opposer l’invincible répugnance que lui inspirait le pouvoir. Son refus jetait le désarroi parmi les ultra-royalistes. Ils avaient cru tenir la victoire et s’en étaient déjà réjouis. À la pensée qu’ils s’étaient flattés d’un vain espoir et trop hâtés de triompher, leur fureur reprenait toute sa violence. Elle n’avait d’égales que leurs craintes. Decazes redevenu nécessaire et partant consolidé, décidant le Roi à renoncer à la réforme électorale, s’assurant à ce prix le concours de la Gauche, telle était la perspective qui s’offrait à eux à la faveur des rumeurs contradictoires dont, pendant vingt-quatre heures, dut se payer leur impatience. Quelques-uns, à défaut de Richelieu, mettaient en avant le nom de Talleyrand, qu’ils méprisaient, quoique depuis sa chute il se fût rapproché d’eux. Soutenu par Molé, Talleyrand se faisait fort, avec sa jactance accoutumée, de constituer un ministère dans lequel Villèle aurait eu sa place, combinaison irréalisable et que, d’ailleurs, Villèle s’empressait de repousser, la considérant « comme une œuvre de fous. » Au milieu de cette agitation, un peu d’espoir rentrait dans le cœur du Roi. Si faible que fût cet espoir, un billet écrit le 19 février le laisse transpirer : « Que dis-tu donc de m’engager dans les lacs des ultras ? Ils ne me tiennent pas. Je n’espère pas grand’chose de la visite au duc de Richelieu. Mais qui sait ce qui peut arriver si nous vainquons à la Chambre des Pairs ? Tu me feras savoir ce que tu espères de ce côté. »

La visite à laquelle le Roi faisait allusion — visite de Monsieur au duc de Richelieu — était la dernière carte des ultra-royalistes. Ce qu’il y a de plus piquant, c’est qu’elle avait été conseillée au Comte d’Artois par Decazes lui-même. À bout de ressources, Monsieur s’était décidé à faire appel au dévouement et à la loyauté de l’homme que, depuis plus de trois ans, ses amis et lui travaillaient à renverser. Il lui avait envoyé le comte Jules de Polignac pour le supplier de s’éloigner volontairement.

« Je répondis au comte Jules, raconte Decazes, que, si Monsieur lui avait réellement confié son entretien avec Sa Majesté, il devait savoir que la difficulté ne résultait que du refus du duc de Richelieu. J’ajoutai que ce refus avait pour cause la défiance du Duc en ce qui concernait la sincérité du parti ultra et de Monsieur lui-même.

« — Que Monsieur le voie, dis-je, qu’il le rassure, et la difficulté sera dénouée. »

Le Comte d’Artois s’était alors décidé à se rendre chez le duc de Richelieu. On sait par quels formels engagemens, par quelles promesses d’un concours sincère et durable, destinées à être si vite oubliées, il parvint à ébranler une résistance qui, jusqu’à ce jour, n’avait pas faibli.

« — Votre politique sera la mienne, déclarait-il ; je serai votre premier soldat. »

Et Richelieu, sur cette assurance chevaleresque, donnée d’une voix vibrante, ainsi qu’un serment solennel, consentait à écouter les propositions du Roi. Ce n’était pas encore un consentement définitif. Les perplexités de Louis XVIII ne cessaient pas, bien que l’objet en fût changé. Maintenant, il souhaitait avec ardeur ce consentement, s’étant enfin convaincu que Decazes ne pouvait plus être sauvé. « Espérons, mon cher fils, que le Duc cédera. Actuellement, je puis lui parler et je le ferai demain. Sans lui, la nécessité nous jetterait dans ce Talleyrand. » Le dimanche 20 février, à quatre heures, le Roi écrit de nouveau : « Ma lettre pour le duc de Richelieu ne fait que de partir. J’en avais écrit les premiers mots avant la messe ; depuis mon retour, je n’ai pas eu un instant de libre. Mais j’ai fait voir ce commencement à Pasquier, qui allait chez le Duc, afin qu’il fût (le Duc) certain de la démarche que j’allais faire. Un de mes mangeurs de temps a été La Tour-Maubourg, qui avait un très long travail à me présenter. Mais je lui en ai pardonné la longueur, parce que, lui ayant dit à la fin ce que j’allais faire vis-à-vis du Duc, il s’est mis sur cela à me parler de toi, sans chaleur, parce que tel est son caractère et qu’il n’est pas ton ami intime, mais parfaitement. J’ai senti que les larmes me gagnaient, et je l’ai congédié. Après son départ, j’ai pleuré, et cela m’a un peu soulagé, à peu près comme la ponction soulage un hydropique… Je suis bien, mais mon cœur est brisé… Je reçois la réponse du Duc ; il accepte et, ne pouvant venir ni écrire beaucoup, il m’annonce qu’il m’enverra Pasquier pour traiter les détails. Je souffre l’impossible. Nous nous reverrons, n’est-il pas vrai, fils adoré ? »

Le pauvre vieux Roi n’est pas au bout de ses tribulations. Pasquier arrive pour « traiter les détails. » La présidence du Conseil sans portefeuille attribuée à Richelieu, Siméon à l’Intérieur, Portalis à la Justice en attendant le retour de De Serre, toujours malade, dans le Midi ; les autres ministres maintenus, ainsi que les trois lois présentées aux Chambres, tout cela est bien vite réglé. Mais voici une condition inattendue. Decazes restant à Paris, le gouvernement serait impossible, car on croirait toujours à la continuation de son influence. Il faut qu’il parte, et, au nom de Richelieu, Pasquier propose de le nommer ambassadeur à Londres, étant entendu qu’il rejoindra son poste sur-le-champ. Le Roi est contraint de céder. À grand’peine, il obtient pour Decazes un délai de quelques semaines, que celui-ci, à qui le repos est impérieusement nécessaire, passera dans ses propriétés de la Gironde après avoir pris l’engagement de ne pas se montrer à Paris pendant ce temps. Ces choses décidées, le Roi signe, la mort dans l’âme, l’ordonnance qui ratifie son malheur.

Decazes étant venu le voir, il lui fait connaître la résolution à laquelle il a dû souscrire. Mais il lui annonce en même temps qu’il l’a créé duc et ministre d’État, tenant à prouver qu’en se séparant de lui, il ne lui retire ni sa faveur ni son amitié. Il lui montre même la lettre qu’il vient d’écrire au roi d’Angleterre.

« Monsieur mon frère, j’ai jugé à propos de rappeler le duc de Richelieu à la présidence de mon Conseil, et j’ai nommé le comte (aujourd’hui duc Decazes) mon ambassadeur auprès de Votre Majesté. Il partira dans quelque temps pour se rendre à son poste. Mais j’ose d’avance solliciter pour lui les bontés particulières de mon auguste ami. En quittant le ministère, le duc Decazes n’a rien perdu de ma confiance, et, à ce titre, je me flatte qu’il recevra de vous un accueil favorable. Je vous prie surtout d’ajouter foi à ses discours. »

En rentrant chez lui, après cette émouvante entrevue qui ne doit pas cependant être la dernière, Decazes se demande s’il a sagement agi en consentant à quitter la France. Peut-être eût-il mieux fait de refuser l’ambassade qui vient de lui être accordée sans qu’il la sollicite, et de rester à Paris ; il est pair du royaume, nul n’aurait pu le contraindre à s’éloigner, s’il s’était mis en tête de siéger dans l’assemblée à laquelle il appartient. Un parti d’opposition libérale se serait bien vite formé autour de lui et l’aurait en peu de temps ramené au pouvoir. N’est-ce point par peur de cette éventualité que le duc de Richelieu a exigé son éloignement ? Lui-même n’a-t-il pas eu tort de céder, et, quand il sera parti, n’essayera-t-on pas de le perdre dans l’esprit du Roi ? Aux questions qu’il se pose, c’est sa jeune femme qui répond. Elle n’a pas encore dix-huit ans. Mais, au spectacle des intrigues de cour dont elle est témoin depuis son mariage, elle a précocement acquis la maturité, l’expérience.

« Quand mon mari revint de chez le Roi, il m’apprit que le Roi, en acceptant sa démission, lui donnait le titre de duc et le nommait ambassadeur en Angleterre ; que le duc de Richelieu exigeait qu’il ne restât pas en France et n’acceptait le ministère qu’à cette condition. Je lui observai qu’en son absence, tous ses ennemis allaient tomber sur lui ; que les absens ont toujours tort ; qu’il n’aurait personne pour le défendre.

« — Tu ne peux rester ministre, soit ; mais tu dois demeurer à ton poste de pair pour répondre à ceux qui t’attaqueront.

« — Mes amis répondront pour moi.

« — Tes amis ! Tu quittes la partie ; ils la quitteront avec toi.

« — Non, ils me défendront. D’ailleurs, Monsieur a donné sa parole au Roi qu’après mon départ, les attaques cesseraient. »

Il croit encore à la parole de Monsieur ! Sa femme n’est pas convaincue. Mais elle se résigne, en pensant que la retraite à laquelle il a consenti sera favorable à sa santé compromise. Seulement, ses prévisions commencent à se vérifier dès le lendemain. Les journaux royalistes célèbrent la chute de Decazes avec des cris de cannibale. C’est un torrent de violences et d’injures, qui longtemps encore coulera. Chateaubriand écrit la phrase inexcusable : « Nos larmes, nos gémissemens, nos sanglots ont étonné un imprudent ministre : les pieds lui ont glissé dans le sang ; il est tombé. »

A partir de ce jour jusqu’à celui de son départ, les relations de Decazes avec le Roi ne sont plus, suivant l’expression de celui-ci, qu’une « agonie prolongée. » Les lettres royales qui lui parviennent encore présentent le caractère d’une lamentation. « Ton oppression m’arrache le cœur ; je n’ai pu conserver le meilleur des ministres, conserve-moi le meilleur et le plus tendrement aimé des fils. » — « Mon moral est abîmé ; puisses-tu souffrir moins que ton père. » — « Mon moral souffre de la fin de mon bonheur. Je suis bien malheureux, cher fils. » — « Je ne suis pas surpris que tu à les été content du duc de Gramont. Je l’avais été fort, à tel point que je ne me suis pas gêné de satisfaire devant lui le plus impérieux de mes besoins, besoin que j’éprouve à chaque instant, celui de pleurer. » — « Hélas ! c’est le commencement de nos peines ; elles sont déjà grandes, bientôt elles seront affreuses ; à le plus de courage que moi. » — « Je t’en conjure, viens de bonne heure ; que ce soit le dernier jour ou non, viens de bonne heure. Mon cœur est brisé, mon fils, mon cher fils. Je t’aime, je t’aimerai jusqu’à mon dernier soupir. »

Cette correspondance élégiaque se continue jusqu’au 25 février. Brusquement, Richelieu y coupe court. Il vient déclarer au Roi que l’intérêt du ministère comme celui de la paix publique exige que Decazes parte sans plus de retard et qu’il le lui a fait savoir. Accablé par cette mise en demeure, Louis XVIII écrit : « Le duc de Richelieu m’avait dit ce qu’il t’a fait dire par le marquis de La Tour-Maubourg. Il m’a glacé le sang. Je ne sais si je t’en aurais parlé… O mon fils, mon cher fils, pour te venger de tes ennemis, je leur souhaite mon cœur ; ils seront assez punis. »

Le départ fixé au lendemain, Decazes reçoit encore ce billet : « J’ai bien dormi, mon cher fils ; je te laisse à juger du réveil. Puisse la route, un climat plus doux et le repos te rendre la santé. Adieu, mon Elie, mon Egédie, mon petit Louis, ma Zélia, je vous aime et je vous embrasse de tout mon cœur. » Enfin, la nuit venue, comme sa famille et lui vont monter en voiture, Gonet, le valet de chambre du Roi, apporte un papier plié en quatre, adressé « A mon cousin le duc Decazes », et qui ne contient que deux lignes : « Adieu, cher fils ; c’est du fond d’un cœur brisé que je te bénis ; je t’embrasse mille fois. » C’est sur ce cri qui semble lui assurer, de loin comme de près, l’éternelle affection de Louis XVIII, que Decazes, tombé du pouvoir, quitte Paris, avançant son départ de quelques heures, afin de déjouer les manifestations hostiles qu’ont annoncées des avis mystérieux.


ERNEST DAUDET.

  1. Voyez la Revue du 15 juin et du 1er juillet.
  2. « Soult sera reçu dimanche au serment de maréchal. Le Roi a voulu qu’il en eût l’obligation à Monsieur, à qui j’ai proposé d’en faire la demande à Sa Majesté. » Decazes au comte de la Ferronnays, 2 janvier 1820.
  3. Dans la séance du 18 janvier, le maréchal Davout avait qualifié de misérables les ailleurs d’une pétition demandant l’abrogation, pour cause d’inconstitutionnalité, de la loi contre les régicides.
  4. Dans le désordre qui suivit la mort du prince, les ordres donnés pour l’exposition de sa dépouille mortelle ne furent pas exécutés. Decazes raconte que, s’étant rendu au Louvre dans la matinée du 14, il fut aussi mécontent que surpris de trouver le corps étendu sur la table à manger de M. d’Autichamp, capitaine des gardes, avec un seul cierge, sans eau bénite et sans un prêtre. « J’allai moi-même à Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse du Louvre, pour faire réparer cet étrange oubli, et j’écrivis au grand aumônier pour qu’il prit les mesures nécessaires. »
  5. Il dit à Decazes, le lendemain, que, ne pouvant la recevoir, il ne voulait pas perdre cette occasion de voir « la malheureuse innocente, qui devait tant souffrir des infâmes calomnies dont son mari était l’objet ».
  6. En reconstituant, d’après les notes de Decazes, cette curieuse scène, j’ai rétabli le tutoiement dont usait le Roi envers lui quand ils étaient seuls, comme dans ses lettres intimes, et je l’ai placée, à la date du 16 février, contrairement aux assertions de divers historiens qui disent qu’elle eut lieu le 18. Leur erreur provient de ce qu’ils n’ont connu que celle-là, alors qu’il y en eut au moins deux. Le Roi ne céda que dans la seconde. Sa correspondance, qui me sert de guide, est, à cet égard, un témoignage plus autorisé que tous les autres, même que celui de Villèle, qui ne savait qu’imparfaitement ce qui se passait aux Tuileries.
  7. Dans ses Mémoires, le chancelier semble ne s’être pas souvenu de cette réponse du Roi et avoir ignoré la démarche de Decazes. « Il fallait obtenir deux choses fort difficiles, dit-il : que le Roi consentit à se détacher de M. Decazes et que M. de Richelieu se résignât à prendre la présidence du Conseil. Nos collègues chargèrent M. Portai et moi de pressentir le Roi sur cette délicate question. Le Roi nous répondit assez sèchement par un refus absolu. » Il n’y a pas trace, dans la correspondance du Roi, d’un refus pareil. En revanche, elle contient la preuve que, vingt-quatre heures avant de recevoir la lettre de Pasquier, il avait autorisé Decazes à négocier avec Richelieu.