Lucien Leuwen (ed. Martineau)/Chapitre 54

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (Volume IIIp. 173-190).


CHAPITRE LIV


Le général Fari avait fait louer depuis un mois par son petit aide de camp, M. Ménière, un appartement au premier étage en face de la salle des Ursulines, où se faisait l’élection. Là, il s’établit avec Leuwen dès dix heures du matin. Ces messieurs avaient des nouvelles de quart d’heure en quart d’heure par des affidés du général. Quelques affidés de la préfecture, ayant su le courrier de la veille et voyant dans Leuwen le préfet futur si M. de Séranville manquait son élection, faisaient passer tous les quarts d’heure à Leuwen des cartes avec des mots au crayon rouge. Les avis donnés par ces cartes se trouvèrent fort justes.

Les opérations électorales, commencées à dix heures et demie, suivaient un cours régulier. Le président d’âge était dévoué au préfet, qui avait eu soin de faire retarder aux portes la lourde berline d’un M. de Marconnes, plus âgé que son président d’âge dévoué, et qui n’arriva à Caen qu’à onze heures. Trente ministériels qui avaient déjeuné à la préfecture furent hués en entrant dans la salle des élections.

Un petit imprimé avait été distribué avec profusion aux électeurs.

« Honnêtes gens de tous les partis, qui voulez le bien du pays dans lequel vous êtes nés, éloignez M. le préfet de Séranville. Si M. Mairobert est élu député, M. le préfet sera destitué ou nommé ailleurs. Qu’importe, après tout, le député nommé ? Chassons un préfet tracassier et menteur. À qui n’a-t-il pas manqué de parole ? »

Vers midi, l’élection du président définitif prenait la plus mauvaise tournure. Tous les électeurs du canton de…, arrivés de bonne heure, votaient en faveur de M. Mairobert.

— Il est à craindre, s’il est président, dit le général à Leuwen, que quinze ou vingt de nos ministériels, gens timides, et que dix ou quinze électeurs de campagne imbéciles, le voyant placé au bureau dans la position la plus en vue, n’osent pas écrire un autre nom que le sien sur leur bulletin.

Tous les quarts d’heure, Leuwen envoyait Coffe regarder le télégraphe ; il grillait de voir arriver la réponse à sa dépêche n° 2.

— Le préfet est bien capable de retarder cette réponse, dit le général ; il serait bien digne de lui d’avoir envoyé un de ses commis à la station du télégraphe, à quatre lieues d’ici, de l’autre côté de la colline, pour tout arrêter. C’est par des traits de cette espèce qu’il croit être un nouveau cardinal Mazarin, car il sait l’histoire de France, notre préfet.

Et le bon général voulait prouver par ce mot qu’il la savait aussi. Le petit capitaine Ménière offrit de monter à cheval et d’aller en un temps de galop sur la montagne observer le mouvement de la seconde station du télégraphe, mais M. Coffe demanda son cheval au capitaine et courut à sa place.

Il y avait mille personnes au moins devant la salle des Ursulines. Leuwen descendit dans la place pour juger un peu de l’esprit général des conversations ; il fut reconnu. Le peuple, quand il se voit en masse, est fort insolent :

— Regardez ! Regardez ! Voilà ce petit commissaire de police freluquet envoyé de Paris pour espionner le préfet !

Il n’y fut presque pas sensible.

Deux heures sonnèrent, deux heures et demie ; le télégraphe ne remuait pas.

Leuwen séchait d’impatience. Il alla voir l’abbé Disjonval.

— Je n’ai pu faire différer plus longtemps le vote de mes amis, lui dit cet abbé, auquel Leuwen trouva un air piqué, mais était évident qu’il avait différé.

« Voilà un homme qui croira que je me suis moqué de lui, et il y va de franc jeu avec moi. Je jurerais qu’il a retardé le vote de ses amis, à la vérité bien peu nombreux. »

Au moment où Leuwen cherchait à prouver à l’abbé Disjonval, par des discours chaleureux, qu’il n’avait pas voulu le tromper, Coffe accourut tout haletant :

— Le télégraphe marche !

— Daignez m’attendre chez vous encore un quart d’heure, dit Leuwen à l’abbé Disjonval ; je vole au bureau du télégraphe.

Leuwen revint tout courant vingt minutes après.

— Voilà la dépêche originale, dit-il à l’abbé Disjonval.

« Le ministre des Finances à M. le receveur général.

« Remettez cent mille francs à M. le général Fari et à M. Leuwen. »

— Le télégraphe marche encore, dit Leuwen à l’abbé Disjonval.

— Je vais au collège, dit l’abbé Disjonval, qui paraissait persuadé. Je ferai ce que je pourrai pour la nomination du président. Nous portons M. de Crémieux. De là, je cours chez M. Le Canu. Je vous engagerais à y aller sans délai.

La porte de l’appartement de l’abbé était ouverte, il y avait grand monde dans l’antichambre, que Leuwen et Coffe traversèrent en volant.

— Monsieur, voici la dépêche originale.

— Il est trois heures dix minutes, dit l’abbé Le Canu. J’ose espérer que vous n’aurez aucune objection à M. de Crémieux : cinquante-cinq ans, vingt mille francs de rente, abonné aux Débats, n’a pas émigré.

— M. le général Fari et moi approuvons M. de Crémieux. S’il est élu au lieu de M. Mairobert, le général et moi vous remettrons les cent mille francs. En attendant l’événement, en quelles mains voulez-vous, monsieur, que je dépose les cent mille francs ?

— La calomnie veille autour de nous, monsieur. C’est déjà beaucoup que quatre personnes, quelque honorables qu’elles soient, sachent un secret dont la calomnie peut tellement abuser. Je compte, monsieur, dit l’abbé Le Canu en montrant Coffe, vous, monsieur, l’abbé Disjonval et moi. À quoi bon faire voir le détail à M. le général Fari, d’ailleurs si digne de toute considération ?

Leuwen fut charmé de ces paroles, qui étaient ad rem.

— Monsieur, je suis trop jeune pour me charger seul de la responsabilité d’une dépense secrète aussi forte. Etc., etc. »

Leuwen fit consentir M. l’abbé Le Canu à l’intervention du général.

— Mais je tiens expressément, et j’en fais une condition sine qua non, je tiens à ce que le préfet n’intervienne nullement.

« Belle récompense de son assiduité à entendre la messe », pensa Leuwen.

Leuwen fit consentir M. l’abbé Le Canu à ce que la somme de cent mille francs fût déposée dans une cassette dont le général Fari et un M. Ledoyen, ami de M. Le Canu, auraient chacun une clef.

À son retour à l’appartement vis-à-vis la salle d’élection, Leuwen trouva le général extrêmement rouge. L’heure approchait où le général avait résolu d’aller déposer son vote, et il avoua franchement à Leuwen qu’il craignait fort d’être hué. Malgré ce souci personnel, le général fut extrêmement sensible à l’air de ad rem qu’avaient pris les réponses de M. l’abbé Le Canu.

Leuwen reçut un mot de l’abbé Disjonval qui le priait de lui envoyer M. Coffe. Coffe rentra une demi-heure après ; Leuwen appela le général, et Coffe dit à ces messieurs :

— J’ai vu, ce qu’on appelle vu, quinze hommes qui montent à cheval et vont battre la campagne pour faire arriver ce soir ou demain avant midi cent cinquante électeurs légitimistes. M. l’abbé Disjonval est un jeune homme, vous ne lui donneriez pas quarante ans. « Il nous aurait fallu le temps d’avoir quatre articles de la Gazette de France », m’a-t-il répété trois fois. Je crois qu’ils y vont bon jeu bon argent.

Le directeur du télégraphe envoya à Leuwen une seconde dépêche télégraphique adressée à lui-même :

« J’approuve vos projets. Donnez cent mille francs. Un légitimiste quelconque, même M. B[erryer] ou F[itz-James], vaut mieux que M. Hampden. »

— Je ne comprends pas, dit le général ; qu’est-ce que M. Hampden ?

— Hampden veut dire Mairobert, c’est le nom dont je suis convenu avec le ministre.

— Voilà l’heure, dit le général fort ému. Il prit son uniforme et quitta l’appartement d’observation pour aller donner son vote. La foule s’ouvrit pour lui laisser faire les cent pas qui le séparaient de la porte de la salle. Le général entra ; au moment où il s’approchait du bureau, il fut applaudi par tous les électeurs mairobertistes.

— Ce n’est pas un plat coquin comme le préfet, disait-on tout haut, il n’a que ses appointements, et il a une famille à nourrir.

Leuwen expédia cette dépêche télégraphique n° 3 : « Caen, quatre heures.

» Les chefs légitimistes paraissent de bonne foi. Des observateurs militaires placés aux portes ont vu sortir dix-neuf ou vingt agents qui vont chercher dans la campagne cent soixante électeurs légitimistes. Si quatre-vingts ou cent arrivent le 18 avant trois heures, Hampden ne sera pas élu. Dans ce moment, Hampden a la majorité pour la présidence. Le scrutin sera dépouillé à cinq heures. »

Le scrutin dépouillé donna :

Électeurs présents : 873
Majorité : 437
Voix à M. Mairobert : 451
À M. Gonin, le candidat du préfet : 389
À M. de Crémieux, le candidat de M. Le Canu
depuis qu’il avait accepté les cent mille francs :  
19
Voix perdues : 14

Ces dix-neuf voix à M. de Crémieux firent beaucoup de plaisir au général et à Leuwen ; c’était une demi-preuve que M. Le Canu ne se jouait pas d’eux.

À six heures, des valeurs sans reproche s’élevant à cent mille francs furent remises par M. le receveur général lui-même entre les mains du général Fari et de Leuwen, qui lui en donnèrent reçu.

M. Ledoyen se présenta. C’était un fort riche propriétaire, généralement estimé. La cérémonie de la cassette fut effectuée, il y eut parole d’honneur réciproque de remettre la cassette et son contenu à M. Ledoyen si tout autre que M. Mairobert était élu, et à M. le général Fari si M. Mairobert était député.

M. Ledoyen parti, on dîna. « Maintenant, la grande affaire est le préfet, dit le général, extraordinairement gai ce soir-là. Prenons courage, et montons à l’assaut.

Il y aura bien 900 votants demain.

M. Gonin a eu : 389
M. de Crémieux 19
------
408

Nous voilà avec 408 voix sur 873. Supposons que les vingt-sept voix arrivées demain matin donnent dix-sept voix à Mairobert et dix à nous, nous sommes :

Crémieux     418
Mairobert 468

Cinquante et une voix de M. Le Canu donnent l’avantage à M. de Crémieux.

Ces chiffres furent retournés de cent façons par le général, Leuwen, Coffe et l’aide de camp Ménière, les seuls convives de ce dîner.

— Appelons nos deux meilleurs agents, dit le général.

Ces messieurs parurent et, après une assez longue discussion, dirent d’eux-mêmes que la présence de soixante légitimistes décidait l’affaire.

— Maintenant, à la préfecture, dit le général.

— Si vous ne trouvez pas d’indiscrétion à ma demande, dit Leuwen, je vous prierais de porter la parole, je suis odieux à ce petit préfet.

— Cela est un peu contre nos conventions ; je m’étais réservé un rôle tout à fait secondaire. Mais enfin, j’ouvrirai le débat, comme on dit en Angleterre.

Le général tenait beaucoup à montrer qu’il avait des lettres. Il avait bien mieux : un rare bon sens, et de la bonté. À peine eut-il expliqué au préfet qu’on le suppliait de donner les 389 voix dont il avait disposé la veille lors de la nomination du président à M. de Crémieux, qui de son côté se faisait fort de réunir soixante voix légitimistes, et peut-être quatre-vingts…, le préfet l’interrompit d’une voix aigre :

— Je ne m’attendais pas à moins, après toutes ces communications télégraphiques. Mais enfin, messieurs, il vous en manque une : je ne suis pas encore destitué, et M. Leuwen n’est pas encore préfet de Caen.

Tout ce que la colère peut mettre dans la bouche d’un petit sophiste sournois fut adressé par M. de Séranville au général et à Leuwen. La scène dura cinq heures. Le général ne perdit un peu patience que vers la fin. M. de Séranville, toujours ferme à refuser, changea cinq ou six fois de système quant aux raisons de refuser.

— Mais, monsieur, même en vous réduisant aux raisons égoïstes, votre élection est évidemment perdue. Laissez-la mourir entre les mains de M. Leuwen. Comme les médecins appelés trop tard, M. Leuwen aura tout l’odieux de la mort du malade.

— Il aura ce qu’il voudra ou ce qu’il pourra, mais jusqu’à ma destitution, il n’aura pas la préfecture de Caen.

Ce fut sur cette réponse de M. de Séranville que Leuwen fut obligé de retenir le général.

— Un homme qui trahirait le gouvernement, dit le général, ne pourrait pas faire mieux que vous, monsieur le préfet, et c’est ce que je vais écrire aux ministres. Adieu, monsieur[1].

À minuit et demi, en sortant, Leuwen dit au général :

— Je vais écrire ce beau résultat à M. l’abbé Le Canu.

— Si vous m’en croyez, voyons un peu agir ces alliés suspects ; attendons demain matin, après votre dépêche télégraphique. D’ailleurs, ce petit animal de préfet peut se raviser.

À cinq heures et demie du matin, Leuwen attendait le jour dans le bureau du télégraphe. Dès qu’on put y voir, la dépêche suivante fut expédiée (n° 4) :

« Le préfet a refusé ses 389 voix d’hier à M. de Crémieux. Le concours des 70 à 80 voix que le général Fari et M. Leuwen attendaient des légitimistes devient inutile, et M. Hampden va être élu. »

Leuwen, mieux avisé, n’écrivit pas à MM. Disjonval et Le Canu, mais alla les voir. Il leur expliqua le malheur nouveau avec tant de simplicité et de sincérité évidente que ces messieurs, qui connaissaient le génie du préfet, finirent par croire que Leuwen n’avait pas voulu leur tendre un piège.

— L’esprit de ce petit préfet des Grandes Journées, dit M. Le Canu, est comme les cornes des boucs de mon pays : noir, dur, et tortu.

Le pauvre Leuwen était tellement emporté par l’envie de ne pas passer pour un coquin, qu’il supplia M. Disjonval d’accepter de sa bourse le remboursement des frais de messager et autres qu’avait pu entraîner la convocation extraordinaire des électeurs légitimistes. M. Disjonval refusa, mais, avant de quitter la ville de Caen, Leuwen lui fit remettre cinq cents francs par M. le président Donis d’Angel.

Le grand jour de l’élection, à dix heures, le courrier de Paris apporta cinq lettres annonçant que M. Mairobert était mis en accusation à Paris comme fauteur du grand mouvement insurrectionnel et républicain dont l’on parlait alors. Aussitôt, douze des négociants les plus riches déclarèrent qu’ils ne donneraient pas leurs voix à Mairobert.

— Voilà qui est bien digne du préfet, dit le général à Leuwen, avec lequel il avait repris son poste d’observation vis-à-vis la salle des Ursulines. Il serait plaisant, après tout, que ce petit sophiste réussît. C’est bien alors, monsieur, ajouta le général avec la gaieté et la générosité d’un homme de cœur, que, pour peu que le ministre soit votre ennemi et ait besoin d’un bouc émissaire, vous jouerez un joli rôle.

— Je recommencerais mille fois. Quoique la bataille fût perdue, j’ai fait donner mon régiment.

— Vous êtes un brave garçon… Permettez-moi cette locution familière, ajouta bien vite le bon général, craignant d’avoir manqué à la politesse, qui était pour lui comme une langue étrangère apprise tard. Leuwen lui serra la main avec émotion et laissa parler son cœur.

À onze heures, on constata la présence de 948 électeurs. Au moment où un émissaire du général venait lui donner ce chiffre, M. le président Donis voulut forcer toutes les consignes pour pénétrer dans l’appartement, mais n’y réussit pas.

— Recevons-le un instant, dit Leuwen.

— Ah ! que non. Ce pourrait être la base d’une calomnie de la part du préfet, de la part de M. Le Canu, ou de la part de ces pauvres républicains plus fous que méchants. Allez recevoir le digne président, et ne vous laissez pas trahir par votre honnêteté naturelle.

— Il me portait l’assurance que, malgré les contre-ordres de ce matin, il y a quarante-neuf légitimistes et onze partisans du préfet gagnés en faveur de M. de Crémieux dans la salle des Ursulines.

L’élection suivit son cours paisible ; les figures étaient plus sombres que la veille. La fausse nouvelle du préfet sur la mise en accusation de M. Mairobert avait mis en colère cet homme si sage jusque-là, et surtout ses partisans. Deux ou trois fois, on fut sur le point d’éclater. On voulait envoyer trois députés à Paris pour interroger les cinq personnes qui avaient donné la nouvelle du mandat d’arrêt lancé contre M. Mairobert. Mais enfin un beau-frère de M. Mairobert monta sur une charrette arrêtée à cinquante pas de la salle des Ursulines et dit :

— Renvoyons notre vengeance à quarante-huit heures après l’élection, autrement la majorité vendue à la Chambre des députés l’annulera.

Ce bref discours fut bientôt imprimé à vingt mille exemplaires. On eut même l’idée d’apporter une presse sur la place voisine de la salle d’élection. Les agents de la préfecture n’osèrent approcher de la presse ni tenter de mettre obstacle à la circulation du bref discours. Ce spectacle frappa les esprits et contribua à les calmer.

Leuwen, qui se promenait hardiment partout, ne fut point insulté ce jour-là ; il remarqua que cette foule sentait sa force. À moins de la mitrailler à distance, aucune force ne pouvait agir sur elle.

« Voilà le peuple vraiment souverain », se dit-il.

Il revenait de temps à autre à l’appartement d’observation. L’avis du capitaine Ménière était que personne n’aurait la majorité ce jour-là.

À quatre heures, il arriva une dépêche télégraphique au préfet, qui lui ordonnait de porter ses votes au légitimiste désigné par le général Fari et par Leuwen. Le préfet ne fit rien dire au général ni à Leuwen. À quatre heures un quart, Leuwen eut une dépêche télégraphique dans le même sens. Sur quoi Coffe s’écria :

« Un peu moins de fortune, et plus tôt survenue[2]… »

Polyeucte.

Le général fut charmé de la citation et se la fit répéter.

À ce moment, ces messieurs furent étourdis par un vivat général et assourdissant.

« Est-ce joie ou révolte ? s’écria le général en courant à la fenêtre.

— C’est joie, dit-il avec un soupir, et nous sommes f… »

En effet, un émissaire qui arriva, son habit déchiré tant il avait eu de peine à traverser la foule apporta le bulletin de dépouillement du scrutin.

Électeurs présents : 948
Majorité : 475
M. Mairobert : 475
M. de Crémieux : 61
M. Sauvage, républicain, voulant retremper le caractère des Français par des lois draconiennes : 9
Voix perdues : 2

Le soir, la ville fut entièrement illuminée.

— Mais où sont donc les fenêtres des quatre cent un partisans du préfet ? disait Leuwen à Coffe.

La réponse fut un bruit effroyable de vitres cassées ; on brisait les fenêtres du président Donis d’Angel.

Le lendemain, Leuwen s’éveilla à onze heures du matin et alla seul [se] promener dans toute la ville. Une singulière pensée s’était rendue maîtresse de son esprit.

« Que dirait madame de Chasteller si je lui racontais ma conduite ? »

Il fut bien une heure avant de trouver la réponse à cette question, et cette heure fut bien douce.

« Pourquoi ne lui écrirais-je pas ? » se dit Leuwen. Et cette question s’empara de son âme pour huit jours.

En approchant de Paris, il vint par hasard à penser à la rue où logeait madame Grandet, et ensuite à elle. Il partit d’un éclat de rire.

— Qu’avez-vous donc ? lui dit Coffe.

— Rien. J’avais oublié le nom d’une belle dame pour qui j’ai une grande passion.

— Je croyais que vous pensiez à l’accueil que va vous faire votre ministre.

— Le diable l’emporte !… Il me recevra froidement, me demandera l’état de mes déboursés, et trouvera que c’est bien cher.

— Tout dépend du rapport que les espions du ministre lui auront fait sur votre mission. Votre conduite a été furieusement imprudente, vous avez donné pleinement dans cette folie de la première jeunesse qu’on appelle zèle.

  1. Mettre M. Rollet, maire de Caen, sot, ami de M. Séranville, et qui a pris Leuwen en grippe.
  2. À son ordinaire Stendhal cite le vers de Corneille un peu inexactement. N. D. L. E.