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Lyndamine ou l’Optimisme des pays chauds/4

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Giovane Della Rosa (J. Gay) (p. 141-160).

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CHAPITRE IV

Voyage de Lyndamine.


En conséquence de mon plan, je retins une place dans le carrosse qui devait me conduire à Vitbourg, où l’on m’avait dit qu’avec quelques grâces et des talents, l’on pouvait vivre tranquillement.

Le même hasard qui me fit choisir ce jour de départ avait conduit dans la même voiture un jeune capitaine, qui se rendait à sa garnison, et une dame encore fraîche et de bonne humeur. La première chose que l’on fait en entrant dans une voiture, c’est de prendre sa place ; je n’étais qu’en troisième, et je m’en contentai. Le capitaine et la dame occupaient le fond. L’on fut quelques heures à bâiller, à se regarder, à prendre ses aises, et, comme il faisait froid, la dame se fit apporter un chauffe-pieds, qu’il fallut élever de plus d’un pied pour ne pas mettre le feu à la voiture.

Moi, qui n’avais pas chaud, et qui étais en face de la dame, je jugeai à propos de baisser mon siège, afin de mieux me renfermer dans mes jupes et conserver de ma chaleur.

Tandis que nous nous toisions réciproquement, et que, pour jouer la pudeur, je baissais et levais de temps en temps les yeux, j’aperçus que la dame qui, crainte de brûler ses cotillons, les avait haussés, à la manière de celles qui, devant le feu, veulent chauffer la chapelle, j’aperçus, dis-je, que la dame avait découvert tous ses pays chauds ; j’avais l’œil vif et fin. Je vis exactement depuis l’anus jusqu’au nombril, et, dans cet espace, une perruque si forte et d’un brun si foncé que j’eus d’abord beaucoup de peine à découvrir la tonsure, que j’avais le plus d’envie de bien voir. J’y réussis enfin ; et à l’odeur qui m’en revenait quelquefois, je conclus que cette jolie pièce avait été savonnée fort honnêtement ; mais je ne m’avisai pas de faire le semblant de mes découvertes.

Sur ces entrefaites, le militaire, qui se croyait mal placé, ou peut-être qui me jugea plus jolie que sa voisine, prit place à mes côtés ; et plongeant ses yeux sur ma gorge, qui était assez mal fermée, il aperçut deux globes qui le charmèrent et dont, sur-le-champ, il s’adjugea l’empire ; mais il feignit, comme moi, de n’avoir rien vu ; c’était à l’occasion de faire naître celle de la jouissance. Cependant nous arrivâmes à la dînée, et le galant capitaine nous offrit sa table. Nous l’acceptâmes, et nous fûmes très bien régalées.

Pendant le repas, une servante jeune et dessalée nous servait ; elle était dans un de ces déshabillés qui plaisent plus que les habits les plus séduisants. Une simple cotte, fort courte, ne l’empêchait ni de se tourner, ni de voler au besoin.

Le polisson de capitaine lui fit ramasser je ne sais quoi à côté de lui ; et tandis qu’elle était courbée, il glisse sa main, et la saisissant au crin :

— Cache-le donc, coquine, lui dit-il.

Faute d’équilibre ou exprès, la tête emporta le cul. Les jupes furent sur le dos, et la belle fit ce qu’on nomme la courbe selle. Tous ses appas étaient sous nos yeux. Un rire fou fut notre premier mouvement.

— Combien louez-vous ce bijou-là ? lui dis-je en me levant pour la couvrir.

— Autant que ce bon cavalier loue le vôtre, répond-elle.

— Vous êtes une salope, repris-je ; êtes-vous payée pour m’insulter ?

— Attends, attends, bougresse, ajouta le militaire ; laisse-moi dîner, je te promets un bon loyer ; mais commence par te laver le cul ; tu m’as infecté. L’on voit que ton con est celui d’une servante de cabaret.

Ce gros mot la fit un peu rougir ; elle se retira ; nous fîmes notre commentaire. Ce fut le commencement d’une connaissance intime et de peu de durée. La drôlesse, qui craignait le fouet, comme le militaire avait dit tout haut qu’il le lui donnerait, ne se montra plus ; nous en fûmes pour nos propos, et nous remontâmes dans le carrosse.

— Madame va-t-elle loin ? dit en s’asseyant le cavalier.

— Jusqu’à la couchée, répond-elle en riant.

— J’espère, ma belle dame, la partager avec vous.

— Non pas, je ne couche point à l’auberge ; j’ai une maison d’ami.

— J’en suis pénétré ; j’aurais eu tant de plaisir à faire le rapport des charmes de cette servante avec les vôtres, qui me paraissent devoir éblouir les yeux.

— Il ne faut pas aller si loin, lui dis-je tout bas ; prenez ma place, monsieur, et vous serez satisfait.

Nous en changeâmes comme par délassement, et mon homme jouit de ce qu’il souhaitait.

— Ah ! madame, s’écrie-t-il à l’instant, que n’êtes-vous une servante d’auberge !

— Pourquoi cette exclamation ?

— C’est ! que je rendrais hommage à ce portique charmant dont je n’ai que la vue.

— Vous êtes un badin, dit-elle en feignant de lever la jambe pour lui donner un coup de pied.

Mon homme la lui retient adroitement, s’enhardit à glisser la main jusqu’à la porte du sanctuaire. Ce mouvement la fit pencher ; elle tombe au bas du siège, le cul sur son chauffe-pieds et ses jupes, retenues par le galant, sont sur son estomac.

— C’est là, s’écrie-t-il, ce qui est superbe ; me sera-t-il permis d’adorer, madame ?

— Vous êtes trop avancé, ajoutai-je, pour reculer. Prêtez-vous de bonne grâce, ma belle dame, aux caresses de cet aimable cavalier.

— Ah ! mais, mademoiselle, me répond-elle, auriez-vous cette complaisance ?

— Que cela ne vous inquiète pas, je voyagerai plus d’un jour avec monsieur.

Il m’embrassa pour me remercier et revint bientôt à l’objet présent de ses feux, en l’invitant à tirer elle-même son adorateur de sa prison.

De tels propos enflamment la femme la plus vertueuse. La dame contrefit la fâchée, eut de l’humeur, retint ses jupes à deux mains, balbutia et finit par dire que le lieu n’était pas commode pour ce voluptueux combat.

Ici je rappelai la scène originale du petit abbé avec la Culrond, et je la proposai aux deux amants ; elle fut acceptée, et mes cuisses servirent de tabouret. Il fallut les mettre à nu pour ne pas écorcher les belles fesses du cavalier, qui s’assit sur mes genoux. La dame, cottes en l’air et pièces étalées, l’embrasse avec ses jambes. Je prends d’une main le joli dieu qui bouillait, et de l’autre j’entr’ouvre la porte touffue de madame.

— Vous y voilà, dis-je alors ; ferme dans les boules, mes enfants.

Pour les exciter encore, je les faisais sauter sur mes genoux, comme une nourrice fait sauter son petit ; et chaque saut, que je n’épargnais pas, servait à les enfiler plus parfaitement. Bref, les pièces furent si bien unies que je ne pus réussir à insérer mon seul petit doigt entre les deux toisons.

L’on conçoit bien que le carrosse roulait, tandis que nos champions s’escrimaient avec tant de volupté. Nous arrivâmes un peu trop tôt pour leurs plaisirs. Il fallut dégainer et séparer deux pièces qui se trouvaient si bien ensemble.

L’on arrive. Le galant, satisfait de sa soirée, conduit la dame chez l’ami qui l’attendait, tandis qu’à l’auberge je fis disposer tout pour un bon souper.

À peine mon cavalier fut-il de retour qu’il vint me sauter au cou et me remercier encore de mon stratagème.

— Je vous dois cette délicieuse journée, mademoiselle, me dit-il, et j’ose me flatter que vous ne la finirez pas en me punissant.

Je compris ce qu’il voulait me dire.

— Il faut donc du champagne pour vous refaire ; car, sans façon, vous vous en êtes tiré vigoureusement, et l’acier doit en être détrempé.

— Point du tout, il a plus de ressort que ce matin.

— C’est ce que je voudrais voir, répondis-je.

— Tout à l’heure, reprend-il, en le cherchant dans son étui.

— Après souper nous traiterons cette affaire ; mais gardez-vous d’être tenté d’un con de servante, je n’ai pas oublié l’escapade de la dînée.

Il me jura d’être sage, et il le fut. La domestique eut à peine la douceur dont sans doute elle ne fut pas trop joyeuse ; il faut à ces filles-là du plaisir et de l’argent.

Nous avions eu la précaution de nous faire passer pour époux. L’on ne disposa, conséquemment qu’un lit, et, dès que nous fûmes retirés, échauffés par un vin fumeux que nous avions bu à plein verre, nous pensâmes à la partie que j’avais remise après souper, parce que je voulais satisfaire une curiosité nouvelle et qui me tracassait. Il est vrai que j’avais eu le temps d’exploiter tous les apanages du vit ; j’en avais pressuré plus d’un dans rues mains. Cependant, je ne m’en occupais que depuis quelques heures, et je voulais suivre cette idée, examiner Priape de la racine à la tête, du repos au bandage.

Je vis avec un plaisir ravissant cette bouche imperceptible qui verse si abondamment la liqueur vitale lorsqu’elle tombe dans ses accès de rage ; et prenant d’une main mon officier aux couilles, que je frottai violemment, je fis de l’autre un fourreau pour son glaive qui ne tarda pas à me menacer.

Un vase, dont j’avais mesuré la distance, était disposé pour recevoir le baume de vie, que j’eusse voulu pomper, et que je sacrifiai pour mon expérience. Il fut lancé à plus d’un pied des bords de la couche.

Quel ressort dans les reins ! Quel trésor dans ces précieuses olives que je caressais avec tant de volupté. Dès que l’amour eut rempli son principal devoir, je lui demandai pardon du piège que je lui avais préparé, et mes yeux se portèrent sur le germe de l’espèce.

Avec quelle confusion vis-je le genre humain, ce genre si sublime renfermé dans une demi-once d’écume blanchâtre assez puante ! J’en fus presque autant dégoûtée que j’avais de plaisir à lui ouvrir le sein de la nature.

Une dévote qui craint tous les diables, lorsque sa bouillante imagination lui peint grossièrement la noble figure d’un vit, qui n’ose s’essuyer le con lorsqu’elle a pissé, ni le cul lorsqu’elle en a graissé le vilain orifice, cette dévote croit pourtant connaître son Dieu. Aussi est-elle pétrie d’orgueil.

Ô sottes de tous les âges, qui, par vos bêtises, contrariez le vœu de la nature qui se fait entendre au faubourg de votre cul, représentez-vous ce vit qui lance le foutre, vous serez humiliées de votre origine ; vous adorerez la puissance et les charmes du Créateur des vits ; vous aurez des plaisirs qu’il vous a préparés : vous tomberez aux pieds du grand maître qui de rien vous a construit un si beau corps ; et vous vous écrierez dans votre extase que tout est au mieux lorsque l’on a le vit au con.

Ces réflexions, que j’étais en train de continuer, n’étaient guère du goût de mon officier.

— Sais-tu, mon enfant, que tu m’ennuies avec ton jargon ? Une fille philosophe ! Cela est, ma foi, aussi rare qu’un militaire qui raisonne. Jouissons, ma belle, jouissons, nous philosopherons lorsque nous ne pourrons plus jouir.

Je me rendis à cette apostrophe, et je donnai à mon capitaine une dose de plaisirs qu’il m’avoua être plus piquants que ceux qu’il avait partagés avec la dame de la voiture. Une partie de la nuit fut entrecoupée par des dépenses amoureuses et par des restaurants. Nous réservâmes la matinée au sommeil ; le carrosse y invite et presque tous les voyageurs ne le préfèrent qu’à raison de cette commodité. Nous en profitâmes jusqu’à midi, qu’il fallut se séparer, parce que mon brave était attendu à l’auberge par une vingtaine d’officiers de son régiment, qui m’eussent volontiers hébergée, et que je refusai. Je connais trop le militaire pour m’abandonner au libertinage et aux maux dont on hérite entre leurs bras.

Me voilà donc seule dans la voiture ; c’est-à-dire que je m’attendais à m’ennuyer et à gémir jusqu’à la mort. Cette idée, qui commençait à me surmonter, me donnait déjà de l’humeur, lorsqu’on m’avertit qu’il fallait partir.

Je monte languissamment dans le carrosse. Nous avions déjà fait une bonne lieue ; j’appelais à mon secours un salutaire sommeil, lorsque la Providence inspira un jeune chanoine de la ville où nous devions coucher de se faire voiturer jusqu’à sa maison.


Cul de lampe de fin de paragraphe
Cul de lampe de fin de paragraphe

ARTICLE PREMIER

Rencontre d’un chanoine avec Lyndamine et leur conversation.


Il me semble inutile de dire que messieurs les abbés disputent au galant uniforme l’art nouveau de séduire le beau sexe et de s’en faire aimer ; toutes les femmes du siècle leur rendent cette justice.

Monsieur Hapecon était trop bien né, trop poliment élevé pour dégénérer des vertus de ses confrères. À

peine fut-il tête à tête avec moi qu’il me donna des preuves de galanterie qui me réveillèrent et qu’il ne cessa de prodiguer.

L’une de ses premières paroles fut un mot de politesse.

— Vous ne coucherez pas à l’auberge, ma charmante demoiselle, me dit-il ; un appartement digne de vos grâces vous attend chez moi, et je vous prie de l’accepter.

Comblée de cette prévenance, j’y répondis en le remerciant de sa générosité ; et à notre arrivée, il me donna la main pour me conduire, et n’oublia rien pour captiver ma reconnaissance. La soirée se passa en propos galants. Je fus introduite, après le souper, dans une chambre élégante, qu’il m’invita à regarder comme mon bien.

— Elle vous appartiendra tant qu’elle sera de votre goût, ajouta-t-il. Autant vaut que notre ville jouisse de vos charmes qu’une autre ; et je serai glorieux de lui avoir ménagé ce trésor. Dormez, ma belle enfant, reposez-vous de vos fatigues ; demain matin vous me donnerez la mort ou vous me rendrez la vie, que je perdrais en vous perdant.

Que d’actions de grâces je devais rendre à ce généreux bienfaiteur ! Je ne les lui rendis que par mon silence ; il se retira et me recommanda tout le repos qu’il me souhaitait. Je n’eus pas de peine à souscrire à ses offres, et, dès l’instant, j’étais décidée à profiter de ses faveurs. Le lendemain matin il vint recevoir ce bon mot ; et bientôt tout ce qui peut flatter le caprice ou le goût d’une jolie femme fut étalé sur une toilette ravissante.

— Vous êtes reine ici, dit-il, ma belle demoiselle ; régnez sur mes sens et sur mes biens. Je ne serai que votre premier sujet.

Je vis bien qu’il ne voulait m’entretenir ainsi que pour ses plaisirs ; mais il ne méritait pas d’être trompé. Il me croit peut-être pucelle, disais-je scrupuleusement ; s’il savait l’histoire de ma vie, je serais chassée honteusement. Quoi qu’il en soit, je serai honnête ; je lui ferai d’humiliants aveux dans le premier tête-à-tête. Je les dois à ma gloire et à ses bienfaits.

Le lendemain fut un jour de fête. Tous les amis des deux sexes furent invités à un dîner splendide. L’on se divertit cordialement, et un bal paré fit la clôture du premier plaisir public qu’il daigna me donner. Les chanoines de cette ville sont, depuis longtemps, en possession de se permettre ces divertissements, dont leur sémillant évêque leur donne un exemple journalier ; et dans ce beau jour ils se surpassèrent.

Lorsque la compagnie fut congédiée, une fille honnête et entendue, qui lui servait de domestique et qui s’appelait Julie, m’aida à me mettre en déshabillé. J’en fus encore plus piquante, et la tête de mon cher Hapecon tourna presque lorsqu’il me vit sous ces vêtements, qui parent d’autant plus un beau corps qu’ils en laissent entrevoir les contours les plus secrets.

La toilette faite, la fille se retira, et mon chanoine, à mes genoux, me demanda quelles faveurs je lui réservais ?

— Je suis engagée par vos bienfaits, répondis-je ; ordonnez, cher amant, de mon sort et de nos plaisirs.

— Puisque vous le permettez, je vous prierai de me donner la séduisante vue de tous vos charmes.

Et il m’aida lui-même à me défaire des faibles voiles qui les gazaient. Je le laissai faire, baiser toutes les parties de mon corps et les caresser ; mais lorsqu’il voulut s’étendre sur les éloges qu’il préparait au centre de ses ébats :

— Vous êtes trop généreux, lui dis-je, pour que je reçoive des louanges que je ne mérite pas. Vous étiez seul digne sans doute de posséder la divine clef de mes secrets appas ; mais je vous connais trop tard, et il y a longtemps que l’amour a pénétré dans ce sanctuaire.

Il voulut le voir, et, d’après son examen, il avoua que si la porte avait été ouverte autrefois, elle lui semblait encore assez close pour le satisfaire. J’avais réellement ce charmant orifice si petit que l’on trouvait toujours un plaisir nouveau lorsque l’on tentait de le rouvrir.

Il fut donc arrêté que je serais sa maîtresse et que je partagerais ses plaisirs, ou plutôt qu’il ne goûterait de vrais plaisirs qu’entre mes bras. Cet arrangement fut scellé sur un lit délicieux.

Je me louai du premier tribut que je reçus, et j’adorai la Providence, qui me prouvait constamment que, sur la terre, tout est au mieux quand on veut se prêter au bien commun.


Cul de lampe de fin de paragraphe
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ARTICLE II

Scrupules de Lyndamine et réponse philosophique du chanoine.


Le scrupule cependant s’emparait de mon âme sans que je m’en aperçusse. Une vieille dévote la réveilla, et me persuada presque que je devais renoncer à la plus intime société de mon bienfaiteur.

— Oh ! disait-elle, si vous vous confessiez bien, l’on vous apprendrait le moyen d’éteindre vos feux, et dans peu vous renonceriez au commerce qui vous donne tant de satisfaction.

Cette sotte bégueule me fit prendre le parti de confier à mon chanoine les idées qu’elle me donnait de ce qu’on appelle les sacrements.

— Sois tranquille, me dit cet ecclésiastique philosophe et ami de l’humanité ; tout à l’heure je vais te confesser, et dans un autre instant je te parlerai de la communion.

J’étais béante et j’attendais ses instructions.

— Sais-tu, ma tendre fille, me dit-il, ce qu’il faut faire pour se confesser ?

— N’est-ce pas, répondis-je, ce que l’on entend vulgairement ?

— Pas tout à fait, reprend-il. Je permets à toutes les sottes de tous les pays de confier secrètement leurs petites fredaines aux plus jeunes prêtres, et nous n’ignorons pas les suites de cet abus d’une religion qu’il faut respecter tout haut ; mais entre nous deux, te confesser, c’est fesser ton con, et je m’en ferai un devoir. Il est si charmant qu’il mérite mon fouet, dès que mon fouet l’enchante : il t’a déjà fessée. Mets-toi en garde, ma mignonne, et prends ta verge ; je te laisse le soin de la diriger, et ce n’est qu’à tes ordres qu’elle te punira.

J’avoue que je ne m’attendais pas à ce commentaire de la confession ; mais je fus charmée d’entendre qu’il respectait la religion publique et qu’il ne s’expliquait que dans le tête-à-tête. Je fus conséquemment bientôt sous le fouet. Je le reçus avec des transports qui m’extasièrent et je ne manquai pas de baiser la verge qui m’avait si délicieusement fouettée.

— Je suis content de toi, me dit alors l’aimable chanoine, et tu dois convenir avec moi que je t’ai scrupuleusement confessée. Repose-toi ; je vais t’envoyer une succulente liqueur qui te rendra le ressort nécessaire à la communion que je te réserve ; je ne te ferai pas languir.

Il tint parole.

Julie m’apporta deux massepains, une bouteille du plus excellent alicante et un verre de la plus stomachique liqueur.

— Restez au lit, ajouta Julie, monsieur veut que vous ne sortiez pas. Vous êtes malade apparemment, mademoiselle, et mon maître est plein d’attentions. Je vous souhaite une meilleure santé.

Julie prenait ou faisait semblant de prendre le change. En tout cas j’entrai dans ses vues.

— Je te suis obligée, lui dis-je, de l’intérêt que tu prends à ma santé ; tu viens de m’apporter des forces, et déjà je les sens renaître. Dis à monsieur l’abbé que j’espère être bientôt en état de le remercier.

Mon bon chanoine avait compris ma réponse et revint plus bouillant et plus galant que je ne l’avais vu encore.

— Je suis heureux, me dit cet homme charmant, de recevoir tes faveurs et d’apprendre que tu ne dédaignes pas mes hommages.

— J’aurais, répondis-je, grand tort de les dédaigner ; vous me mettez à mon aise et vous me procurez mille voluptueux plaisirs. Ah ! si la fille du pape Urbain X, privée d’une fesse, était à ma place, le docteur Pangloss l’aurait confessée avec autant de grâce que vous m’avez fouettée ; et elle se ferait pendre pour son optimisme. Vous me permettrez bien de ne pas me pendre, du moins avant la communion que vous m’avez promise.

— Prends garde à tes paroles, me dit alors d’un ton majestueux mon sémillant chanoine. Ce mot de communion est consacré par la religion, que je t’ai déjà dit qu’il fallait respecter publiquement. C’est toujours dans le tête-à-tête que je te parle. Dieu est Dieu, disait Mahomet dans son langage sublime. Cette seule définition m’anéantit. Dieu est celui qui est, dit la religion que l’on professe dans cette ville. Penses-tu que j’outrage ce grand être jusqu’à nourrir ma cervelle des épouvantables prodiges que l’on en raconte, et qui le dégraderaient s’ils étaient constatés ? Quoi ! cet être immense, devant lequel l’univers entier est à peine un atome, daigne, à l’ordre du premier coquin dont on a graissé les mains, descendre du ciel et prendre, en personne, possession d’un million de milliards de petits morceaux arrondis de farine cuite pour alimenter des âmes que l’on n’engraisse pas avec des corps ? Nos prêtres, qui font ce miracle quand on les paye pour le renouveler, se croient-ils donc assez puissants pour commander à l’être de tous les êtres ? Ces réflexions me font frémir. Qui croira cette absurdité, qui déshonore mon Dieu, doit être un imbécile, ou, s’il est persuadé, il doit, en célébrant la messe, avoir le plus redoutable frisson dont soit capable la machine animale.

« — Malheureux ! lui dirais-je, tu penses qu’à tes ordres ton Dieu va se placer dans une feuille de pâte que tu tiens dans les mains, et tu n’es pas confondu de ce miracle qui devrait t’anéantir et qui effraye toute la nature ? Va, tu ne le crois pas. Tu joues le public pour dix sols par jour, et je t’abandonne. »

— Ne vous mettez pas en colère, dis-je en l’interrompant ; vous me convainquez du pharisaïsme des prêtres, en même temps que vous m’apprenez à les respecter en public. Je suivrai vos principes ; je les défendrai tout haut et ne communiquerai que secrètement avec eux. Vous m’avez annoncé une communion bien différente de celle qu’ils prêchent. Donnez-la, je vous prie. J’ai toujours désiré de m’instruire, et la leçon que j’attends de vous n’est pas la moins essentielle au plan du bien-être que j’espère goûter entre vos bras.

— Ma communion est simple, me dit-il. Selon les principes de la religion, elle unit un corps divin avec l’âme humaine, et il est bien outrageant pour un Dieu que l’on ose ainsi l’unir avec le néant. Je m’en tiens à mes maximes, et, d’après elles, la vraie communion est une commune union. Eh ! quelle union plus commune, plus respectable, plus désirable, que celle qu’indique la nature ? Celle-ci est facile à comprendre et à expliquer. Il ne faut que contempler les êtres qu’elle veut unir.

Tes jolis tétons, par exemple, s’unissent à moi ; j’en pompe le lait avec mes lèvres, et cette substance me nourrit. Ce fourreau ravissant que t’a donné le Créateur, et qui te force à me désirer, me porte aussi vers toi avec une impétuosité dictée par le grand maître et suivie par tous les êtres animés ; c’est donc pour obéir à mon Dieu que tu présentes à mes vœux le centre de tes appas. C’est donc pour suivre ses ordres que je plonge dans cette gaîne délicieuse le précieux glaive dont il m’a fait présent pour m’unir avec toi.

Voilà, ma chère, la véritable union. Elle est proportionnelle, puisqu’elle est de corps à corps ; puisqu’elle enchaîne les deux sexes créés par la nature ; puisque, malgré les canons et les préjugés, je brûle de me plonger dans ton sein et que tu brûles de m’y recevoir et de pomper le baume de la vie que je te transmets, puisque enfin ce n’est qu’à l’approche de la plus solide union de nos sexes que nous nous écrions : « Tout est au mieux ; il ne manque enfin à notre optimisme que d’être plus durable. » Hélas ! rien ne l’est sur cette terre, qui s’éteint et se reproduit par nos plaisirs.

Mes sens ravis avaient déjà souscrit à ces décisions ; l’idée de mon bien-être me soutenait, et j’avoue que, depuis une année que je recueille les douceurs de la conversation de mon amant et les caresses qu’il me prodigue, j’aurais oublié mes premiers jours si je n’avais eu la précaution de les confier d’avance au papier.

Cet honnête homme, si au-dessus des préjugés vulgaires, a lu le premier cette histoire manuscrite de mon libertinage, il m’a pardonné tous les gros mots dont elle est créée, parce que chacun doit adopter les termes de son pays et se plier aux variétés de l’opinion. Ce n’est encore qu’après les plus vives instances de sa part que je me suis déterminée à transmettre à la postérité le scandale de ma vie.

— Pourquoi, mon ami, lui disais-je, apprendre à de jeunes filles qui me liront la route de la volupté, que la séduction leur apprend assez ?

— Très bien, ma chère, m’a-t-il répondu, les jeunes filles sauront ton alphabet avant de lire ton histoire ; elles auront abusé de leurs appas avant d’être instruites du premier usage que tu as fait des tiens. Ton livre ne sera donc lu que par une jeunesse déjà disposée au moins à se perdre. Qu’a-t-il donc de dangereux ? Puisse ta fin lui apprendre que l’on gagne à se retirer du vice et engager quelques saints ecclésiastiques à lui donner un pain abondant.

La Providence alors sera justifiée des blasphèmes de tant de dévotes et de bigots. Il me semble déjà les entendre s’écrier :

« — Tout est au mieux sur la terre lorsque l’on suit l’économie de la nature. »


FIN