L’Art de greffer/Conditions de succès du greffage

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G. Masson Éditeur (p. 5-11).

II. — Conditions de succès du greffage

L’habileté de l’opérateur compte pour beaucoup dans le succès de la greffe. Mais il est d’autres conditions essentielles à la réussite, et qui sont en quelque sorte les règles du greffage. Telles sont l’affinité entre espèces, la vigueur des deux parties mises en contact, leur état de sève, leur rapprochement intime, la saison, la température. Si la science ne peut formuler ces conditions d’une manière précise, le tact du greffeur doit savoir y suppléer.

[2.1]Affinité entre espèces. — Les lois d’affinité spécifique sont presque inconnues. Les faits acquis ne peuvent être que l’objet d’une constatation ; aucune théorie ne saurait encore en être déduite. Il est cependant admis que ces lois d’affinité ont une corrélation avec les familles naturelles ; les genres qui peuvent être rapprochés par la greffe doivent appartenir à la même famille botanique. Il ne s’ensuit pas cependant que tous les genres, toutes les espèces d’une même famille, puissent être greffés l’un sur l’autre ; mais, répétons-le, les espèces à rapprocher par la greffe doivent être de la même famille.

L’explication des sympathies et des antipathies dans le greffage d’espèces différentes manque encore ; on n’explique pas davantage pourquoi certains genres peuvent être greffés, celui-ci sur celui-là, sans que la réciproque soit possible. Exemples : le Poirier réussit sur Cognassier ; l’Alisier, le Néflier, le Cognassier sur Aubépine ; le Cerisier sur Mahaleb ; le Lilas sur le Troène, etc. Transposons les rôles, le succès est incertain.

Et combien de personnes qui ne jugent de la parenté que par les apparences, hésitent à croire que le Châtaignier est greffable sur le Chêne et non sur le Marronnier d’Inde, et ne se doutent guère que la Bignone est sympathique au Catalpa, le Clianthus au Baguenaudier, la Pervenche au Nerium dit Laurier-Rose… ?

La greffe des arbres à feuillage persistant sur les espèces à feuilles caduques présente plus d’une bizarrerie. Le Photinia, voisin de l’Alisier, le Bibacier, voisin du Néflier, se greffent sur le Cognassier, mieux que sur l’Aubépine, contrairement à l’Alisier et au Néflier qui prennent mieux sur Aubépine que sur Cognassier. Avec ce dernier sujet réussissent le Cotonéaster le Raphiolépis, le Buisson ardent. Le Mahonia vit sur l’Épine-vinette ; le Laurier-amande sur le Merisier à grappes et même sur le Cerisier-merisier, dont l’aspect est si différent. L’Osmanthe greffé sur le Troène commun est plus vigoureux que s’il est élevé de bouture. Le Fusain toujours vert forme une boule de verdure perpétuelle sur la tige nue du Fusain des bois.

Le greffage des arbres à feuilles caduques sur ceux à feuillage persistant a presque toujours résisté aux expériences qui en ont été faites.

[2.2]Vigueur réciproque des parties. — En principe, il est préférable de rapprocher par le greffage des sujets ayant entre eux quelque analogie de vigueur, d’entrée en végétation, de robusticité.

S’il y avait discordance, il vaudrait mieux que le greffon eût une végétation moins précoce que le sujet ; dans le cas contraire, privé de la nourriture du sol, il s’affamerait vite.

D’autre part, quand on vise à la floraison ou à la fructification, il serait à désirer que le greffon fût d’une espèce plus vigoureuse que celle du sujet ; celui-là se tempérerait forcément devant l’action modérée de son support et se mettrait plus vite à fruit, comme le Poirier greffé sur Cognassier. Moins d’eau dans les vaisseaux nourriciers, plus de carbone dans le liber.

Les espèces ou variétés qui sont habituellement d’une végétation modérée s’accommodent volontiers d’un sujet de vigueur moyenne.

Avec un sujet faible, le greffage d’une espèce délicate produirait un arbre chétif. Si, au contraire, le sujet était fougueux en sève, le résultat pourrait être le même, la greffe étant dans l’impossibilité d’absorber toute la nourriture fournie par les racines ; l’équilibre de végétation, si nécessaire à l’existence normale de la plante, serait rompu.

Lorsqu’il s’agit de vigueur, les inégalités trop saillantes peuvent être amorties au moyen d’un double greffage ou surgreffage. On greffe d’abord sur le sujet une variété de vigueur intermédiaire ; plus tard, c’est elle qui supportera le greffage de la variété que l’on désire propager.

Toutefois, le sujet doit être assez fort pour recevoir la greffe. S’il est chétif, le greffon se soudera, mais l’arbre futur restera délicat. À son tour, le greffon doit sortir de race pure. Sain, le végétal qui le fournit lui transmettra la santé, la rusticité. Dans l’éducation des végétaux, il est toujours plus facile de prévenir que de guérir le mal. La dégénérescence, plus apparente que celle des espèces et des variétés, a surtout pour cause le mauvais choix des éléments de multiplication. Il est donc préférable que le végétal, dit étalon, qui fournit les greffons, soit d’une nature robuste. Ici, le mot étalon est pris dans le sens de type ou point de repère.

Pour toute sorte de greffage, il est indispensable que les deux parties greffées aient en communication intime, non pas leur épiderme ni la moelle, mais leur zone génératrice, c’est-à-dire les couches nouvelles et vives du liber ou de l’aubier, dans le tissu desquelles circule la sève. La liaison ne s’accomplit bien qu’à cette condition.

La multiplicité des points de contact favorise une soudure plus complète, qui gagnera encore par la similitude de contexture entre le greffon et le sujet, principalement en ce qui regarde la nature herbacée ou ligneuse de leurs tissus.

Une précaution à prendre, et qui a sa raison d’être, consiste à ménager un œil au sujet et un œil au greffon à leur point de jonction. Il en résultera des bourgeons d’appel qui hâteront la soudure des cellules et des fibres juxtaposées.

Enfin la prompte agglutination des parties est une conséquence de l’habileté de l’opérateur, qui saura éviter les plaies ou les aviver et les soustraire à l’action des agents atmosphériques.

[2.3]Saison du greffage. — En principe, le greffage doit être pratiqué pendant que la sève est en mouvement. Lorsqu’on opère au printemps, on a soin de choisir le moment où la sève se réveille ; à l’automne, c’est avant qu’elle entre en léthargie. Pendant l’été, on évitera la phase où le liquide séveux est trop actif. Pour toute sorte de greffage, avons-nous dit, il est bon que le sujet et le greffon soient dans un état de sève à peu près analogue, la formation du tissu cicatriciel ou de soudure en sera mieux assurée.

La saison du greffage en plein air est depuis le mois de mars jusqu’en septembre. Nous parlons en général ; dans les pays chauds, la végétation commence un mois plus tôt. Ailleurs, certains végétaux conservent leur sève jusqu’en octobre et en novembre, ce qui permet de retarder quelque peu le greffage d’automne.

Une atmosphère calme, sans hâles desséchants, plutôt chaude que pluvieuse ou froide, est avantageuse au succès de l’opération. La chaleur, dans certaines limites, excite le fluide nourricier ; le froid l’engourdit.

Pendant les gelées d’hiver, la greffe — nous entendons la greffe avec soudure immédiate — n’est possible qu’à l’abri d’un verre protecteur. La chaleur factice et les combinaisons de l’horticulteur y excitent et entretiennent la végétation au degré voulu. Le greffage sous verre, pratiqué dans la serre à multiplication, ou sous cloche, ou dans une bâche, se fait habituellement de janvier en mars et de juillet en septembre.

Sous les tropiques, où la végétation est pour ainsi dire permanente, le greffeur devra éviter la période des grandes pluies et, si possible, la pleine saison des chaleurs excessives.