L’Encyclopédie/1re édition/FAUX-GERME

La bibliothèque libre.
FAUX-JOUR  ►

Faux-Germe, s. m. (Physiol.) conception d’un fœtus informe, imparfaite, & entierement défectueuse.

L’histoire naturelle de l’homme commençant à sa premiere origine, doit avoir pour principe l’instant de sa conception. On peut croire que l’homme, ainsi que tous les animaux, naît dans un œuf, qui, par les sucs nourriciers, transmis de la matrice dans le cordon ombilical, donne au germe qu’il renferme un commencement de consistance au bout de quelques jours que cet œuf a séjourné dans la matrice. Quelque tems après, la figure de l’homme est un peu plus apparente. Enfin après quatre ou six semaines de conception & d’accroissement perpétué, la figure humaine est tout-à-fait déterminée : on y distingue une conformation générale, des membres figurés, & des marques sensibles du sexe dont il est.

Si cependant ce bel ouvrage de la nature plus ou moins avancé, reçoit des troubles & des commotions trop fortes dès ses premiers jours d’arrangement ; que par exemple la seve nourriciere manque ou soit détournée du vrai germe avant qu’il ait acquis un commencement de solidité, de vrai germe il devient faux-germe, ses premiers linéamens s’effacent & se détruisent par le long séjour qu’il fait encore dans la matrice avant que d’être expulsé : cette congélation séminale flotante dans beaucoup plus d’eau qu’elle n’a de volume, se divise d’abord, puis elle se confond si bien dans les parties aqueuses, qu’on ne retrouve plus que de l’eau un peu louche dans le centre du faux-germe.

C’est donc dans ce point, que ce petit œuf, régulier dans sa figure, transparent à-travers ses membranes, laissant appercevoir par sa diaphanéïté un petit corps louche dans le centre de ses eaux, change peu-à-peu, prend une figure informe, & mérite alors le nom de faux-germe.

La figure informe du faux-germe déterminée dès les premiers dérangemens du vrai germe, devient plus ou moins apparente & monstrueuse, selon le plus ou le moins de tems qu’il séjourne & qu’il vit, pour ainsi dire, dans la matrice ; les sucs nourriciers ne pouvant plus se transmettre au vrai germe, se fixent & s’arrêtent à ses membranes : leur transparence devient opaque ; ses pellicules prennent forme de chair par une seve sur-abondante ; & le trouble mis dans la distribution des liqueurs & des esprits, fait prendre à l’œuf une figure monstrueuse : il devient corps étranger pour la nature, & plus il reste dans la matrice, plus son irrégularité & son volume la tourmentent, & plus elle essuie d’accidens ou de violences pour s’en débarrasser.

La chûte du faux-germe, ou son expulsion la plus générale hors de la matrice, est depuis six semaines de conception jusqu’au terme de trois mois ou environ : je dis la plus générale, parce que des hasards heureux pour les gens de l’art, ont expulsé de la matrice des germes manqués si nouvellement, que la figure réguliere de l’œuf n’avoit pas eu le tems d’être changée, qu’on distinguoit encore à-travers la transparence de ses membranes, l’embrion suspendu en forme de toison dans le centre d’une mer d’eau proportionnément au petit volume de l’embrion. Feu M. Puzos, démonstrateur pour les accouchemens à Paris, en a fait voir de très-naturels dans les écoles de S. Côme à ses écoliers : & comme le tems détruit bien-tôt ces petits phénomenes, quelque précaution qu’on apporte pour les conserver, il en a fait d’artificiels si ressemblans à ceux que la nature sembloit avoir voulu lui donner en présent, qu’il paroîtroit assez difficile de douter, & de la naissance de l’homme dans un œuf, de son accroissement gradué dans ce même œuf, & de la perversion de l’œuf, & de son vrai germe par les causes déduites ci-dessus.

Ce n’est pas une regle générale dans la perversion des vrais germes, qu’on ne trouve dans ces masses informes que de l’eau : c’est à la vérité la fausse-couche la plus ordinaire, cependant il s’en fait dans lesquelles on trouve l’embrion commencé au centre du faux-germe ; il lui suffit d’avoir profité pendant une quinzaine de jours pour prendre consistence, & former un petit corps solide qui ne se détruit plus. On en voit du volume d’une mouche à miel, & ce sont les plus petits, de même que les plus gros qui se trouvent renfermés dans le faux-germe, n’excedent guere le volume du ver à soie renfermé dans sa coque avant que d’être en feve.

L’embrion au-dessus de cette derniere grosseur mérite alors le nom de fœtus : cinq ou six semaines d’accroissement lui donnent forme humaine ; il est distingué & reconnu pour tel dans toutes ses parties & dans toutes ses dépendances. On le trouve renfermé dans toutes ses membranes, flotant dans ses eaux, nourri par le cordon ombilical, & muni d’un placenta adhérent au fond de la matrice ; que si par quelque cause que ce soit, ce petit fœtus périt, ce qui l’entoure ne devient plus faux-germe, ni corps informe : il reste dans ses membranes & dans ses eaux jusqu’à ce que la matrice ait acquis des moyens suffisans pour l’expulser ; elle y parvient toûjours en plus ou moins de tems, & ces moyens sont toûjours ou douleurs considérables avec perte de sang legere, ou perte de sang très-violente & fort peu de douleurs.

L’expulsion du fœtus bien formé hors de la matrice, est un avortement bien certain, c’est un fruit bien commencé, lequel arrêté dans son accroissement se flétrit, seche pour ainsi dire sur pié, & ne demande qu’à sortir ; pour cet effet, il fournit par son séjour des importunités à la matrice, qui à la fin tournent en douleurs & en perte de sang, & exigent un travail fort ressemblant à celui d’un enfant vivant & fort avancé ; & comme il ne résulte de ce travail qu’un homme manqué dès sa premiere configuration, on doit donner à ce travail le nom d’avortement, puisqu’il ne produit qu’un fruit avorté sans perdre la ressemblance & la figure de ce qu’il devroit être.

Nous appellerions donc volontiers avortement tout fœtus expulsé hors de la matrice mort ou vivant, mais toûjours dans le cas de ne pouvoir vivre, quelque soin qu’on puisse en prendre dès qu’il est né : nous comprendrions par conséquent les termes des grossesses susceptibles d’avortement, depuis six semaines jusqu’à six mois révolus ; au septieme mois révolu de la grossesse, l’enfant venu au monde vivant, mais trop tôt, & pouvant s’élever par des soins & des hasards heureux, forme un accouchement prématuré : presque tous les enfans nés à sept mois périssent, peu d’entr’eux échappent au défaut de forces & de tems, au contraire de ceux qui naissent dans le huitieme mois, qui plus communément vivent, & sont plus en état de pouvoir profiter des alimens qui leur conviennent : enfin l’accouchement de neuf mois est celui d’une parfaite maturité ; c’est le terme que la nature a prescrit au séjour de l’enfant dans la matrice ; terme néanmoins souvent accourci par des causes naturelles, telles que la grossesse de deux ou trois enfans, l’hydropisie de la matrice, sa densité qui l’empêche de s’étendre autant que l’accroissement de l’enfant l’exige, ou la foiblesse de ses ressorts qui la font céder trop tôt au poids des corps contenus : on pourroit joindre aux causes naturelles des accouchemens prématurés, des maladies, des coups, des chûtes, & généralement tout accident capable d’accélérer la sortie d’un enfant avant son terme.

Qui voudroit traiter cette matiere à fond, trouveroit de quoi faire un volume assez intéressant, s’il étoit entrepris par une main que l’expérience & la théorie conduisissent ; mais comme il n’est ici question que de donner une idée générale du germe manqué dans la conception de l’homme, nous croyons en avoir assez dit, pour porter les curieux à prendre quelque teinture des connoissances réservées d’ordinaire aux gens de l’art. Voyez cependant les articles Avortement, Fausse-couche, Germe, Œuf, Génération, Fœtus, Mole, Accouchement, Enfantement, &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.