L’Encyclopédie/1re édition/FERMIER

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FERMIER, s. m. (Econom. rust.) celui qui cultive des terres dont un autre est propriétaire, & qui en recueille le fruit à des conditions fixes : c’est ce qui distingue le fermier du métayer. Ce que le fermier rend au propriétaire, soit en argent, soit en denrées, est indépendant de la variété des récoltes. Le métayer partage la récolte même, bonne ou mauvaise, dans une certaine proportion. Voyez Métayer.

Les fermiers sont ordinairement dans les pays riches, & les métayers dans ceux où l’argent est rare. Les uns & les autres sont connus aussi sous le nom de laboureurs. Voyez Fermiers, (Economie politiq.)

Les devoirs d’un fermier à l’égard de son propriétaire, sont ceux de tout homme qui fait une convention avec un autre : il ne doit point l’éluder par mauvaise foi, ni se mettre par négligence dans le cas d’y manquer. Il faut donc qu’avant de prendre un engagement, il en examine mûrement la nature, & qu’il en mesure l’étendue avec ses forces.

L’assiduité & l’activité sont les qualités essentielles d’un fermier. L’Agriculture demande une attention suivie, & des détails d’intelligence qui suffisent pour occuper un homme tout entier. Chaque saison, chaque mois amene de nouveaux soins pour tous les cultivateurs. Voyez l’article Agriculture. Voyez aussi l’art. Culture des Terres. Chaque jour & presque chaque instant sont naître pour le cultivateur assidu, des variations & des circonstances particulieres. Parmi les fermiers, ceux qui, sous prétexte de joindre le commerce au labourage, se répandent souvent dans les marchés publics, n’en rapportent que le goût de la dissipation, & perdent de vûe la seule affaire qui leur soit importante. Que peuvent-ils attendre de la part des rustres qui manient la charrue ? ces hommes sont pour la plûpart comme des automates qui ont besoin à tous les momens d’être animés & conduits ; le privilege de ne guere penser est pour eux le dédommagement d’un travail assidu. D’ailleurs ils sont privés de l’instinct qui produit l’activité & les lumieres. S’ils sont abandonnés à eux-mêmes, on a toûjours à craindre ou de leur maladresse ou de leur inaction. Telle piece de terre a besoin d’être incessamment labourée ; telle autre, quoique voisine, ne peut l’être avec fruit que plusieurs jours après. Ici il est nécessaire de doubler, là il peut être utile de diminuer l’engrais. Différentes raisons peuvent demander que cette année le grain soit enterré avec la charrue, dans une terre où l’on n’a coûtume de se servir que de la herse. Quelle étrange diminution dans la récolte, si les fautes se multiplient sur tous ces points ! La même ferme qui enrichira son fermier, si elle est bien conduite, lui fournira à peine les moyens de vivre, si elle ne l’est que médiocrement. On ne peut donc trop insister sur la nécessité de la présence du fermier à toutes les opérations de la culture ; ce soin extérieur lui appartient, & n’appartient qu’à lui. A l’égard de l’ordre intérieur de la maison, du soin des bestiaux, du détail de la basse-cour, la fermiere doit en être chargée. Ces objets demandent une vigilance plus resserrée, une économie exacte & minutieuse, qu’il seroit dangereux d’appliquer aux grandes parties de l’agriculture. Dans la maison on ne gagne qu’en épargnant, dans le champ une grande hardiesse à dépenser est souvent nécessaire pour gagner beaucoup. Il arrive très souvent que les fermieres qui deviennent veuves, se ruinent, parce qu’elles conduisent toute la ferme par les principes qui ne conviennent qu’à la bassecour.

On ne peut pas entreprendre de détailler tout ce qu’un fermier doit savoir pour diriger son labourage le mieux qu’il est possible. La théorie de l’agriculture est simple, les principes sont en petit nombre ; mais les circonstances obligent à les modifier de tant de manieres, que les regles échappent à-travers la foule des exceptions. La vraie science ne peut être enseignée que par la pratique, qui est la grande maîtresse des arts ; & elle n’est donnée dans toute son étendue, qu’à ceux qui sont nés avec du sens & de l’esprit. Pour ceux-là, nous pouvons assûrer qu’ils savent beaucoup ; nous oserions presque dire qu’on n’en saura pas plus qu’eux, s’il n’étoit pas plus utile & plus doux d’espérer toûjours des progrès.

Pourquoi les Philosophes, amis de l’humanité, qui ont tenté d’ouvrir des routes nouvelles dans l’agriculture, n’ont-ils pas eu cette opinion raisonnable de nos bons fermiers ? en se familiarisant avec eux, ils auroient trouvé dans des faits constans la solution de leurs problemes ; ils se seroient épargné beaucoup d’expériences, en s’instruisant de celles qui sont déjà faites : faute de ce soin, ils ont quelquefois marché à tâtons dans un lieu qui n’étoit point obscur. Cependant le tems s’écoule, l’esprit s’appesantit ; on s’attache à des puérilités, & l’on perd de vûe le grand objet, qui à la vérité demande un coup d’œil plus étendu.

Les cultivateurs philosophes ont encore eu quelquefois un autre tort. Lorsqu’en proposant leurs découvertes ils ont trouvé dans les praticiens de la froideur ou de la répugnance, une vanité peu philosophique leur a fait envisager comme un effet de stupidité ou de mauvaise volonté, une disposition née d’une connoissance intime & profonde qui produit un pressentiment sûr. Les bons fermiers ne sont ni stupides ni mal-intentionnés ; une vraie science qu’ils doivent à une pratique réfléchie, les défend contre l’enthousiasme des nouveautés. Ce qu’ils savent les met dans le cas de juger promptement & sûrement des choses qui en sont voisines. Ils ne sont point séduits par les préjugés qui se perpétuent dans les livres : ils lisent peu, ils cultivent beaucoup ; & la nature qu’ils observent avec intérêt, mais sans passion, ne les trompe point sur des faits simples.

On voit combien les véritables connoissances en agriculture, dépendent de la pratique, par l’exemple d’un grand nombre de personnes qui ont essayé sans succès de faire valoir leurs terres ; cependant parmi ceux qui ont fait ces tentatives malheureuses, il s’en est trouvé qui ne manquoient ni de sens ni d’esprit, & qui n’avoient pas négligé de s’instruire. Mais où puiser des instructions vraiment utiles, sinon dans la nature ? On se plaint avec raison des livres qui traitent de l’agriculture ; ils ne sont pas bons, mais il est plus aisé de les trouver mauvais que d’en faire de meilleurs. Quelque bien fait que fût un livre en ce genre, il ne parviendroit jamais à donner une forme constante à l’art, parce que la nature ne s’y prête pas. Il faut donc, lorsqu’on porte ses vûes sur les progrès de l’agriculture, voir beaucoup en détail & d’une maniere suivie, la pratique des fermiers ; il faut souvent leur demander, plus souvent deviner les raisons qui les font agir. Quand on aura mis à cette étude le tems & l’attention nécessaires, on verra peut-être que la science de l’économie rustique est portée très loin par les bons fermiers ; qu’elle n’en existe pas moins, parce qu’il y a beaucoup d’ignorans ; mais qu’en général le courage & l’argent manquent plus que les lumieres.

Nous disons le courage & l’argent ; il faut beaucoup de l’un & de l’autre pour réussir à un certain point dans le labourage. La culture la plus ordinaire exige des avances assez grandes, la bonne culture en demande de plus grandes encore ; & ce n’est qu’en multipliant les dépenses de toute espece, qu’on parvient à des succès intéressans. Voyez Ferme.

Il ne faut pas moins de courage pour ne pas se rebuter d’une assiduité aussi laborieuse, sans être soûtenu par la considération qui couronne les efforts dans presque toutes les occupations frivoles.

Quelqu’habileté qu’ait un fermier, il est toûjours ignoré, souvent il est méprisé. Bien des gens mettent peu de différence entre cette classe d’hommes, & les animaux dont ils se servent pour cultiver nos terres. Cette façon de penser est très-ancienne, & vraissemblablement elle subsistera long-tems. Quelques auteurs, il est vrai, Caton, par exemple, disent que les Romains voulant loüer un citoyen vertueux, l’appelloient un bon laboureur ; mais c’étoit dans les premiers tems de la république. D’autres écrivains envisagent l’agriculture comme une fonction sacrée, qui ne doit être confiée qu’à des mains pures. Ils disent qu’elle est voisine de la sagesse, & alliée de près à la vertu. Mais il en est de ce goût respectable comme de l’intégrité précieuse, à laquelle les Latins ajoûtoient l’épithete d’antique. L’un & l’autre sont relégués ensemble dans les premiers âges, toûjours distingués par des regrets, jamais par des égards : aussi les auteurs qui sont habitans des villes, ne parlent que des vertus anciennes & des vices présens. Mais en pénétrant dans les maisons des laboureurs, on retrouve, de nos jours même, les mœurs que le luxe a chassées des grandes villes ; on peut y admirer encore la droiture, l’humanité, la foi conjugale, une religieuse simplicité. Les fermiers par leur état n’éprouvent ni le dégoût des besoins pressans de la vie, ni l’inquiétude de ceux de la vanité ; leurs desirs ne sont point exaltés par cette fermentation de chimeres & d’intérêts qui agitent les citoyens des villes : ils n’ont point de craintes outrées, leurs espérances sont modérées & légitimes : une honnête abondance est le fruit de leurs soins, ils n’en joüissent pas sans la partager : leurs maisons sont l’asyle de ceux qui n’ont point de demeure, & leurs travaux la ressource de ceux qui ne vivent que par le travail. A tant de motifs d’estime si l’on joint l’importance de l’objet dont s’occupent les fermiers, on verra qu’ils méritent d’être encouragés par le gouvernement & par l’opinion publique ; mais en les garantissant de l’avilissement, en leur accordant des distinctions, il faudroit se conduire de maniere à ne pas leur enlever un bien infiniment plus précieux, leur simplicité ; elle est peut-être la sauve-garde de leur vertu. Cet article est de M. le Roy, lieutenant des chasses du parc de Versailles.

Fermiers, (Econ. polit.) sont ceux qui afferment & font valoir les biens des campagnes, & qui procurent les richesses & les ressources les plus essentielles pour le soûtien de l’état ; ainsi l’emploi du fermier est un objet très-important dans le royaume, & mérite une grande attention de la part-du gouvernement.

Si on ne considere l’agriculture en France que sous un aspect général, on ne peut s’en former que des idées vagues & imparfaites. On voit vulgairement que la culture ne manque que dans les endroits où les terres restent en friche ; on imagine que les travaux du pauvre cultivateur sont aussi avantageux que ceux du riche fermier. Les moissons qui couvrent les terres nous en imposent ; nos regards qui les parcourent rapidement, nous assûrent à la vérité que ces terres sont cultivées, mais ce coup-d’œil ne nous instruit pas du produit des récoltes ni de l’état de la culture, & encore moins des profits qu’on peut retirer des bestiaux & des autres parties nécessaires de l’agriculture : on ne peut connoître ces objets que par un examen fort étendu & fort approfondi. Les différentes manieres de traiter les terres que l’on cultive, & les causes qui y contribuent, décident des produits de l’agriculture ; ce sont les différentes sortes de cultures, qu’il faut bien connoître pour juger de l’état actuel de l’agriculture dans le royaume.

Les terres sont communément cultivées par des fermiers avec des chevaux, ou par des métayers avec des bœufs. Il s’en faut peu qu’on ne croye que l’usage des chevaux & l’usage des bœufs ne soient également avantageux. Consultez les cultivateurs mêmes, vous les trouverez décidés en faveur du genre de culture qui domine dans leur province. Il faudroit qu’ils fussent également instruits des avantages & des desavantages de l’un & de l’autre, pour les évaluer & les comparer ; mais cet examen leur est inutile, car les causes qui obligent de cultiver avec des bœufs, ne permettent pas de cultiver avec des chevaux.

Il n’y a que des fermiers riches qui puissent se servir de chevaux pour labourer les terres. Il faut qu’un fermier qui s’établit avec une charrue de quatre chevaux, fasse des dépenses considérables avant que d’obtenir une premiere récolte : il cultive pendant un an les terres qu’il doit ensemencer en blé, & après qu’il a ensemencé, il ne recueille qu’au mois d’Août de l’année suivante : ainsi il attend près de deux ans les fruits de ses travaux & de ses dépenses. Il a fait les frais des chevaux & des autres bestiaux qui lui sont nécessaires ; il fournit les grains pour ensemencer les terres, il nourrit les chevaux, il paye les gages & la nourriture des domestiques : toute, ces dépenses qu’il est obligé d’avancer pour les deux premieres années de culture d’un domaine d’une charrue de quatre chevaux, sont estimés à 10 ou 12 mille livres ; & pour deux ou trois charrues, 20 ou 30 mille livres.

Dans les provinces où il n’y a pas de fermier en état de se procurer de tels établissemens, les propriétaires des terres n’ont d’autres ressources pour retirer quelques produits de leurs biens, que de les faire cultiver avec des bœufs, par des paysans qui leur rendent la moitié de la récolte. Cette sorte de culture exige très-peu de frais de la part du métayer ; le propriétaire lui fournit les bœufs & la semence, les bœufs vont après leur travail prendre leur nourriture dans les pâturages ; tous les frais du métayer se réduisent aux instrumens du labourage & aux dépenses pour sa nourriture jusqu’au tems de la premiere récolte, souvent même le propriétaire est obligé de lui faire les avances de ces frais.

Dans quelques pays les propriétaires assujettis à toutes ces dépenses, ne partagent pas les récoltes ; les métayers leur payent un revenu en argent pour le fermage des terres, & les intérêts du prix des bestiaux. Mais ordinairement ce revenu est fort modique : cependant beaucoup de propriétaires qui ne résident pas dans leurs terres, & qui ne peuvent pas être présens au partage des récoltes, préferent cet arrangement.

Les propriétaires qui se chargeroient eux-mêmes de la culture de leurs terres dans les provinces où l’on ne cultive qu’avec des bœufs, seroient obligés de suivre le même usage ; parce qu’ils ne trouveroient dans ces provinces ni métayers ni charretiers en état de gouverner & de conduire des chevaux. Il faudroit qu’ils en fissent venir de pays éloignés, ce qui est sujet à beaucoup d’inconvéniens ; car si un charretier se retire, ou s’il tombe malade, le travail cesse. Ces évenemens sont fort préjudiciables, surtout dans les saisons pressantes : d’ailleurs le maître est trop dépendant de ces domestiques, qu’il ne peut pas remplacer facilement lorsqu’ils veulent le quitter, ou lorsqu’ils servent mal.

Dans tous les tems & dans tous les pays on a cultivé les terres avec des bœufs ; cet usage a été plus ou moins suivi, selon que la nécessité l’a exigé : car les causes qui ont fixé les hommes à ce genre de culture, sont de tout tems & de tout pays ; mais elles augmentent ou diminuent, selon la puissance & le gouvernement des nations.

Le travail des bœufs est beaucoup plus lent que celui des chevaux : d’ailleurs les bœufs passent beaucoup de tems dans les pâturages pour prendre leur nourriture ; c’est pourquoi on employe ordinairement douze bœufs, & quelquefois jusqu’à dix-huit, dans un domaine qui peut être cultivé par quatre chevaux. Il y en a qui laissent les bœufs moins de tems au pâturage. & qui les nourrissent en partie avec du fourrage sec : par cet arrangement ils tirent plus de travail de leurs bœufs ; mais cet usage est peu suivi.

On croit vulgairement que les bœufs ont plus de force que les chevaux, qu’ils sont nécessaires pour la culture des terres fortes, que les chevaux, dit-on, ne pourroient pas labourer ; mais ce préjugé ne s’accorde pas avec l’expérience. Dans les charrois, six bœufs voiturent deux ou trois milliers pesant, au lieu que six chevaux voiturent six à sept milliers.

Les bœufs retiennent plus fortement aux montagnes, que les chevaux ; mais ils tirent avec moins de force. Il semble que les charrois se tirent mieux dans les mauvais chemins par les bœufs que par les chevaux ; mais leur charge étant moins pesante, elle s’engage beaucoup moins dans les terres molles ; ce qui a fait croire que les bœufs tirent plus fortement que les chevaux, qui à la vérité n’appuyent pas fermement quand le terrein n’est pas solide.

On peut labourer les terres fort legeres avec deux bœufs, on les laboure aussi avec deux petits chevaux. Dans les terres qui ont plus de corps, on met quatre bœufs à chaque charrue, ou bien trois chevaux.

Il faut six bœufs par charrue dans les terres un peu pesantes : quatre bons chevaux suffisent pour ces terres.

On met huit bœufs pour labourer les terres fortes : on les laboure aussi avec quatre forts chevaux.

Quand on met beaucoup de bœufs à une charrue, on y ajoûte un ou deux petits chevaux ; mais ils ne servent guere qu’à guider les bœufs. Ces chevaux assujettis à la lenteur des bœufs, tirent très-peu, ainsi ce n’est qu’un surcroît de dépense.

Une charrue menée par des bœufs, laboure dans les grands jours environ trois quartiers de terre ; une charrue tirée par des chevaux, en laboure environ un arpent & demi : ainsi lorsqu’il faut quatre bœufs à une charrue, il en faudroit douze pour trois charrues, lesquelles laboureroient environ deux arpens de terre par jour ; au lieu que trois charrues menées chacune par trois chevaux, en laboureroient environ quatre arpens & demi.

Si on met six bœufs à chaque charrue, douze bœufs qui tireroient deux charrues, laboureroient environ un arpent & demi ; mais huit bons chevaux qui meneroient deux charrues, laboureroient environ trois arpens.

S’il faut huit bœufs par charrue, vingt-quatre bœufs ou trois charrues labourent deux arpens ; au lieu que quatre forts chevaux étant suffisans pour une charrue, vingt-quatre chevaux, ou six charrues, labourent neuf arpens : ainsi en réduisant ces différens cas à un état moyen, on voit que les chevaux labourent trois fois autant de terre que les bœufs. Il faut donc au moins douze bœufs où il ne faudroit que quatre chevaux.

L’usage des bœufs ne paroît préférable à celui des chevaux, que dans des pays montagneux ou dans des terreins ingrats, où il n’y a que de petites portions de terres labourables dispersées, parce que les chevaux perdroient trop de tems à se transporter à toutes ces petites portions de terre, & qu’on ne profiteroit pas assez de leur travail ; au lieu que l’emploi d’une charrue tirée par des bœufs, est borné à une petite quantité de terre, & par conséquent à un terres beaucoup moins étendu que celui que les chevaux parcourroient pour labourer une plus grande quantité de terres si dispersées.

Les bœufs peuvent convenir pour les terres à seigle, ou fort legeres, peu propres à produire de l’avoine ; cependant comme il ne faut que deux petits chevaux pour ces terres, il leur faut peu d’avoine, & il y a toûjours quelques parties de terres qui peuvent en produire suffisamment.

Comme on ne laboure les terres avec les bœufs qu’au défaut de fermiers en état de cultiver avec des chevaux, les propriétaires qui fournissent des bœufs aux paysans pour labourer les terres, n’osent pas ordinairement leur confier des troupeaux de moutons, qui serviroient à faire des fumiers & à parquer les terres ; on craint que ces troupeaux ne soient mal gouvernés, & qu’ils ne périssent.

Les bœufs qui passent la nuit & une partie du jour dans les pâturages, ne donnent point de fumier ; ils n’en produisent que lorsqu’on les nourrit pendant l’hyver dans les étables.

Il s’ensuit de-là que les terres qu’on laboure avec des bœufs, produisent beaucoup moins que celles qui sont cultivées avec des chevaux par des riches fermiers. En effet, dans le premier cas les bonnes terres ne produisent qu’environ quatre septiers de blé mesure de Paris ; & dans le second elles en produisent sept ou huit. Cette même différence dans le produit se trouve dans les fourrages, qui serviroient à nourrir des bestiaux, & qui procureroient des fumiers.

Il y a même un autre inconvénient qui n’est pas moins préjudiciable : les métayers qui partagent la récolte avec le propriétaire, occupent, autant qu’ils peuvent, les bœufs qui leur sont confiés, à tirer des charrois pour leur profit, ce qui les intéresse plus que le labourage des terres ; ainsi ils en négligent tellement la culture, que si le propriétaire n’y apporte pas d’attention, la plus grande partie des terres reste en friche.

Quand les terres restent en friche & qu’elles s’enbuissonnent, c’est un grand inconvénient dans les pays où l’on cultive avec des bœufs, c’est-à-dire où l’on cultive mal, car les terres y sont à très-bas prix ; ensorte qu’un arpent de terre qu’on esserteroit & défricheroit, coûteroit deux fois plus de frais que le prix que l’on acheteroit un arpent de terre qui seroit en culture : ainsi on aime mieux acquérir que de faire ces frais, ainsi les terres tombées en friche restent pour toûjours en vaine pâture, ce qui dégrade essentiellement les fonds des propriétaires.

On croit vulgairement qu’il y a beaucoup plus de profit, par rapport à la dépense, à labourer avec des bœufs, qu’avec des chevaux : c’est ce qu’il faut examiner en détail.

Nous avons remarqué qu’il ne faut que quatre chevaux pour cultiver un domaine où l’on employe douze bœufs.

Les chevaux & les bœufs sont de différens prix. Le prix des chevaux de labour est depuis 60 liv. jusqu’à 400 liv. celui des bœufs est depuis 100 livres la paire, jusqu’à 500 liv. & au-dessus ; mais en supposant de bons attelages, il faut estimer chaque cheval 300 livres, & la paire de gros bœufs 400 livres, pour comparer les frais d’achat des uns & des autres.

Un cheval employé au labour, que l’on garde tant qu’il peut travailler, peut servir pendant douze années. Mais on varie beaucoup par rapport au tems qu’on retient les bœufs au labour ; les uns les renouvellent au bout de quatre années, les autres au bout de six années, d’autres après huit années : ainsi en réduisant ces différens usages à un tems mitoyen, on le fixera à six années. Après que les bœufs ont travaillé au labour, on les engraisse pour la boucherie ; mais ordinairement ce n’est pas ceux qui les employent au labour, qui les engraissent ; ils les vendent maigres à d’autres, qui ont des pâturages convenables pour cet engrais. Ainsi l’engrais est un objet à part, qu’il faut distinguer du service des bœufs. Quand on vend les bœufs maigres après six années de travail, ils ont environ dix ans, & on perd à-peu-près le quart du prix qu’ils ont coûté ; quand on les garde plus long-tems, on y perd davantage.

Après ce détail, il sera facile de connoître les frais d’achat des bœufs & des chevaux, & d’appercevoir s’il y a à cet égard plus d’avantage sur l’achat des uns que sur celui des autres.

Quatre bons chevaux de labour estimés chacun 300 livres, valent 1200 liv.
1920 liv.
Ces quatre chevaux peuvent servir pendant douze ans : les intérêts des 1200 liv. qu’ils ont coûté, montent en douze ans à 720 liv.
Supposons qu’on n’en tire rien après douze ans, la perte seroit de 1920 liv.
Douze gros bœufs estimés chacun 200 livres, valent 2400 liv.
3120 liv.
Ces bœufs travaillent pendant six ans. Les intérêts des 2400 livres qu’ils ont coûté, montent en six ans à 720 liv.
Ils se vendent maigres, après six ans de travail, chacun 150 livres ; ainsi on retire de ces douze bœufs 1800 liv. ils ont coûté 2400 livres d’achat. Il faut ajoûter 720 liv. d’intérêts, ce qui monte à 3120 liv. dont on retire 1800 livres ; ainsi la perte est de 1320 liv.
Cette perte doublée, en douze ans est de 2640 liv.

La dépense des bœufs surpasse donc à cet égard celle des chevaux d’environ 700 livres. Supposons même moitié moins de perte sur la vente des bœufs, quand on les renouvelle ; cette dépense surpasseroit encore celle des chevaux : mais la différence en douze ans est pour chaque année un petit objet.

Si on suppose le prix d’achat des chevaux & celui des bœufs de moitié moins, c’est-à-dire chaque cheval à 150 livres, & le bœuf à 100 livres, on trouvera toûjours que la perte sur les bœufs surpassera dans la même proportion celle que l’on fait sur les chevaux.

Il y en a qui n’employent les bœufs que quelques années, c’est-à-dire jusqu’à l’âge le plus avantageux pour la vente.

Il y a des fermiers qui suivent le même usage pour les chevaux de labour, & qui les vendent plus qu’ils ne les achetent. Mais dans ces cas on fait travailler les bœufs & les chevaux avec ménagement, & il y a moins d’avantage pour la culture.

On dit que les chevaux sont plus sujets aux accidens & aux maladies que les bœufs ; c’est accorder beaucoup que de convenir qu’il y a trois fois plus de risque à cet égard pour les chevaux que pour les bœufs : ainsi par proportion, il y a le même danger pour douze bœufs que pour quatre chevaux.

Le desastre général que cause les maladies épidémiques des bœufs, est plus dangereux que les maladies particulieres des chevaux : on perd tous les bœufs, le travail cesse ; & si on ne peut pas réparer promptement cette perte, les terres restent incultes. Les bœufs, par rapport à la quantité qu’il en faut, coûtent pour l’achat une fois plus que les chevaux ; ainsi la perte est plus difficile à réparer. Les chevaux ne sont pas sujets, comme les bœufs, à ces maladies générales ; leurs maladies particulieres n’exposent pas le cultivateur à de si grands dangers.

On fait des dépenses pour le ferrage & le harnois des chevaux, qu’on ne fait pas pour les bœufs : mais il ne faut qu’un charretier pour labourer avec quatre chevaux, & il en faut plusieurs pour labourer avec douze bœufs. Ces frais de part & d’autre peuvent être estimés à-peu-près les mêmes.

Mais il y a un autre objet à considérer, c’est la nourriture : le préjugé est en faveur des bœufs. Pour le dissiper, il faut entrer dans le détail de quelque point d’agriculture, qu’il est nécessaire d’apprécier.

Les terres qu’on cultive avec des chevaux sont assolées par tiers : un tiers est ensemencé en blé, un tiers en avoine & autres grains qu’on seme après l’hyver, l’autre tiers est en jachere. Celles qu’on cultive avec les bœufs sont assolées par moitié : une moitié est ensemencée en blé, & l’autre est en jachere. On seme peu d’avoine & d’autres grains de Mars, parce qu’on n’en a pas besoin pour la nourriture des bœufs ; le même arpent de terre produit en six ans trois récoltes de blé, & reste alternativement trois années en repos : au lieu que par la culture des chevaux, le même arpent de terre ne produit en six ans que deux récoltes en blé ; mais il fournit aussi deux récoltes de grains de Mars, & il n’est que deux années en repos pendant six ans.

La récolte en blé est plus profitable, parce que les chevaux consomment pour leur nourriture une partie des grains de Mars : or on a en six années une récolte en blé de plus par la culture des bœufs, que par la culture des chevaux ; d’où il semble que la culture qui se fait avec les bœufs, est à cet égard plus avantageuse que celle qui se fait avec les chevaux. Il faut cependant remarquer qu’ordinairement la sole de terre qui fournit la moisson, n’est pas toute ensemencée en blé ; la lenteur du travail des bœufs détermine à en mettre quelquefois plus d’un quart en menus grains, qui exigent moins de labour : dès-là tout l’avantage disparoît.

Mais de plus on a reconnu qu’une même terre qui n’est ensemencée en blé qu’une fois en trois ans, en produit plus, à culture égale, que si elle en portoit tous les deux ans ; & on estime à un cinquieme ce qu’elle produit de plus : ainsi en supposant que trois récoltes en six ans produisent vingt-quatre mesures, deux récoltes en trois ans doivent en produire vingt. Les deux récoltes ne produisent donc qu’un sixieme de moins que ce que les trois produisent.

Ce sixieme & plus se retrouve facilement par la culture faite avec des chevaux ; car de la sole cultivée avec des bœufs, il n’y a ordinairement que les trois quarts ensemencés en blé, & un quart en menus grains : ces trois récoltes en blé ne forment donc réellement que deux récoltes & un quart. Ainsi au lieu de trois récoltes que nous avons supposées produire vingt-quatre mesures, il n’y en a que deux & un quart qui ne fournissent, selon la même proportion, que dix-huit mesures ; les deux récoltes que produit la culture faite avec les chevaux, donne 20 mesures : cette culture produit donc en blé un dixieme de plus que celle qui se fait avec les bœufs. Nous supposons toûjours que les terres soient également bonnes & également bien cultivées de part & d’autre, quoiqu’on ne tire ordinairement par la culture faite avec les bœufs, qu’environ la moitié du produit que les bons fermiers retirent de la culture qu’ils font avec les chevaux. Mais pour comparer plus facilement la dépense de la nourriture des chevaux avec celle des bœufs, nous supposons que des terres également bonnes, soient également bien cultivées dans l’un & l’autre cas : or dans cette supposition même le produit du blé, par la culture qui se fait avec les bœufs, égaleroit tout au plus celui que l’on retire par la culture qui se fait avec les chevaux.

Nous avons remarqué que les fermiers qui cultivent avec des chevaux, recueillent tous les ans le produit d’une sole entiere en avoine, & que les métayers qui cultivent avec des bœufs, n’en recueillent qu’un quart. Les chevaux de labour consomment les trois quarts de la récolte d’avoine, & l’autre quart est au profit du fermier. On donne aussi quelque peu d’avoine aux bœufs dans les tems où le travail presse ; ainsi les bœufs consomment à-peu-près la moitié de l’avoine que les métayers recueillent. Ils en recueillent trois quarts moins que les fermiers qui cultivent avec des chevaux : il n’en reste donc au métayer qu’un huitieme, qui n’est pas consommé par les bœufs ; au lieu qu’il peut en rester au fermier un quart, qui n’est pas consommé par les chevaux. Ainsi malgré la grande consommation d’avoine pour la nourriture des chevaux, il y a à cet égard plus de profit pour le fermier qui cultive avec des chevaux, que pour le métayer qui cultive avec des bœufs. D’ailleurs à culture égale, quand même la sole du métayer seroit toute en blé, comme l’exécutent une partie des métayers, la récolte de ceux-ci n’est pas plus avantageuse que celle du fermier, la consommation de l’avoine pour la nourriture des chevaux étant fournie. Et dans le cas même où les chevaux consommeroient toute la récolte d’avoine, la comparaison en ce point ne seroit pas encore au desavantage du fermier. Cependant cette consommation est l’objet qui en impose sur la nourriture des chevaux de labour. Il faut encore faire attention qu’il y a une récolte de plus en fourrage ; car par la culture faite avec les chevaux, il n’y a que deux années de jachere en six ans.

Il y en a qui cultivent avec des bœufs, & qui assolent les terres par tiers : ainsi, à culture égale, les récoltes sont les mêmes que celles que procure l’usage des chevaux, le laboureur a presque toute la récolte de l’avoine ; il nourrit les bœufs avec le fourrage d’avoine ; ces bœufs restent moins dans les pâtures ; on en tire plus de travail, ils forment plus de fumier ; le fourrage du blé teste en entier pour les troupeaux, on peut en avoir davantage ; ces troupeaux procurent un bon revenu & fournissent beaucoup d’engrais aux terres. Ces avantages peuvent approcher de ceux de la culture qui se fait avec les chevaux. Mais cet usage ne peut avoir lieu avec les métayers ; il faut que le propriétaire qui fait la dépense des troupeaux, se charge lui-même du gouvernement de cette sorte de culture ; de-là vient qu’elle n’est presque pas usitée. Elle n’est pas même préférée par les propriétaires qui font valoir leurs terres dans les pays où l’on ne cultive qu’avec des bœufs ; parce qu’on suit aveuglément l’usage général. Il n’y a que les hommes intelligens & instruits qui peuvent se préserver des erreurs communes, préjudiciables à leurs intérêts : mais encore faut-il pour réussir qu’ils soient en état d’avancer les fonds nécessaires pour l’achat des troupeaux & des autres bestiaux, & pour subvenir aux autres dépenses, car l’établissement d’une bonne culture est toûjours fort cher.

Outre la consommation de l’avoine, il faut encore, pour la nourriture des chevaux, du foin & du fourrage. Le fourrage est fourni par la culture du blé ; car la paille du froment est le fourrage qui convient aux chevaux ; les pois, les vesses, les féverolles, les lentilles, &c. en fournissent qui suppléent au foin : ainsi par le moyen de ces fourrages, les chevaux ne consomment point de foin, ou n’en consomment que fort peu ; mais la consommation des pailles & fourrages est avantageuse pour procurer des fumiers : ainsi l’on ne doit pas la regarder comme une dépense préjudiciable au cultivateur.

Les chevaux par leur travail se procurent donc eux-mêmes leur nourriture, sans diminuer le profit que la culture doit fournir au laboureur.

Il n’en est pas de même de la culture ordinaire qui se fait avec les bœufs, car les récoltes ne fournissent pas la nourriture de ces animaux, il leur faut des pâturages pendant l’été & du foin pendant l’hyver. S’il y a des laboureurs qui donnent du foin aux chevaux, ce n’est qu’en petite quantité, parce qu’on peut y suppléer par d’autres fourrages que les grains de Mars fournissent : d’ailleurs la quantité de foin que douze bœufs consomment pendant l’hyver & lorsque le pâturage manque, surpasse la petite quantité que quatre chevaux en consomment pendant l’année ; ainsi il y a encore à cet égard de l’épargne sur la nourriture des chevaux : mais il y a de plus pour les bœufs que pour les chevaux, la dépense des pâturages.

Cette dépense paroît de peu de conséquence, cependant elle mérite attention ; car des pâturages propres à nourrir les bœufs occupés à labourer les terres, pourroient de même servir à élever ou à nourrir d’autres bestiaux, dont on pourroit tirer annuellement un profit réel. Cette perte est plus considérable encore, lorsque les pâturages peuvent être mis en culture : on ne sait que trop combien, sous le prétexte de conserver des pâturages pour les bœufs de labour, il reste de terres en friche qui pourroient être cultivées. Malheureusement il est même de l’intérêt des métayers de cultiver le moins de terres qu’ils peuvent, afin d’avoir plus de tems pour faire des charois à leur profit. D’ailleurs il faut enclore de haies, faites de branchages, les terres ensemencées pour les garantir des bœufs qui sont en liberté dans les pâturages ; les cultivateurs employent beaucoup de tems à faire ces clôtures dans une saison où ils devroient être occupés à labourer les terres. Toutes ces causes contribuent à rendre la dépense du pâturage des bœufs de labour fort onéreuse ; dépense qu’on évite entierement dans les pays où l’on cultive avec des chevaux : ainsi ceux qui croyent que la nourriture des bœufs de labour coute moins que celle des chevaux, se trompent beaucoup.

Un propriétaire d’une terre de huit domaines a environ cent bœufs de labour, qui lui coûtent pour leur nourriture au moins 4000 liv. chaque année, la dépense de chaque bœuf étant estimée à 40 liv. pour la consommation des pacages & du foin ; dépense qu’il éviteroit entierement par l’usage des chevaux.

Mais si l’on considere dans le vrai la différence des produits de la culture qui se fait avec les bœufs, & de celle qui se fait avec les chevaux, on appercevra qu’il y a moitié à perdre sur le produit des terres qu’on cultive avec des bœufs. Il faut encore ajoûter la perte du revenu des terres qui pourroient être cultivées, & qu’on laisse en friche pour le pâturage des bœufs. De plus, il faut observer que dans les tems secs où les pâturages sont arides, les bœufs trouvent peu de nourriture, & ne peuvent presque pas travailler : ainsi le défaut de fourrage & de fumier, le peu de travail, les charrois des métayers, bornent tellement la culture, que les terres, même les terres fort étendues, ne produisent que très-peu de revenu, & ruinent souvent les métayers & les propriétaires.

On prétend que les sept huitiemes des terres du royaume sont cultivées avec des bœufs : cette estimation peut au moins être admise, en comprenant sous le même point de vûe les terres mal cultivées avec des chevaux, par des pauvres fermiers, qui ne peuvent pas subvenir aux dépenses nécessaires pour une bonne culture. Ainsi une partie de toutes ces terres sont en friche, & l’autre partie presqu’en friche ; ce qui découvre une dégradation énorme de l’agriculture en France, par le défaut de fermiers.

Ce desastre peut être attribué à trois causes, 1° à la desertion des enfans des laboureurs qui sont forcés à se réfugier dans les grandes villes, où ils portent les richesses que leurs peres employent à la culture des terres : 2° aux impositions arbitraires, qui ne laissent aucune sûreté dans l’emploi des fonds nécessaires pour les dépenses de l’agriculture : 3° à la gêne, à laquelle on s’est trouvé assujetti dans le commerce des grains.

On a cru que la politique regardoit l’indigence des habitans de la campagne, comme un aiguillon nécessaire pour les exciter au travail : mais il n’y a point d’homme qui ne sache que les richesses sont le grand ressort de l’agriculture, & qu’il en faut beaucoup pour bien cultiver. Voyez l’article précédent Fermier, (Econ. rust.). Ceux qui en ont ne veulent pas être ruinés : ceux qui n’en ont pas travailleroient inutilement, & les hommes ne sont point excités au travail, quand ils n’ont rien à espérer pour leur fortune ; leur activité est toûjours proportionnée à leurs succès. On ne peut donc pas attribuer à la politique des vûes si contraires au bien de l’état, si préjudiciables au souverain, & si desavantageuses aux propriétaires des biens du royaume.

Le territoire du royaume contient environ cent millions d’arpens. On suppose qu’il y en a la moitié en montagnes, bois, prés, vignes, chemins, terres ingrates, emplacemens d’habitations, jardins, herbages, ou prés artificiels, étangs, & rivieres ; & que le reste peut être employé à la culture des grains.

On estime donc qu’il y a cinquante millions d’arpens de terres labourables dans le royaume ; si on y comprend la Lorraine, on peut croire que cette estimation n’est pas forcée. Mais, de ces cinquante millions d’arpens, il est à présumer qu’il y en a plus d’un quart qui sont négligés ou en friche.

Il n’y en a donc qu’environ trente six millions qui sont cultivés, dont six ou sept millions sont traités par la grande culture, & environ trente millions cultivés avec des bœufs.

Les sept millions cultivés avec des chevaux, sont assolés par tiers : il y en a un tiers chaque année qui produit du blé, & qui année commune peut donner par arpent environ six septiers, semence prélevée. La sole donnera quatorze millions de septiers.

Les trente millions traités par la petite culture, sont assolés par moitié. La moitié qui produit la récolte n’est pas toute ensemencée en blé, il y en a ordinairement le quart en menus grains ; ainsi il n’y auroit chaque année qu’environ onze millions d’arpens ensemencés en blé. Chaque arpent, année commune, peut produire par cette culture environ trois septiers de blé, dont il faut retrancher la semence ; ainsi la sole donnera 28 millions de septiers.

Le produit total des deux parties est 42 millions.

On estime, selon M. Dupré de Saint-Maur, qu’il y a environ seize millions d’habitans dans le royaume. Si chaque habitant consommoit trois septiers de blé, la consommation totale seroit de quarante-huit millions de septiers : mais de seize millions d’habitans, il en meurt moitié avant l’âge de quinze ans. Ainsi de seize millions il n’y en a que huit millions qui passent l’âge de 15 ans, & leur consommation annuelle en blé ne passe pas vingt-quatre millions de septiers. Supposez-en la moitié encore pour les enfans au-dessous de l’âge de 15 ans, la consommation totale sera trente-six millions de septiers. M. Dupré de Saint-Maur estime nos récoltes en blé, année commune, à trente-sept millions de septiers ; d’où il paroît qu’il n’y auroit pas d’excédent dans nos récoltes en blé. Mais il y a d’autres grains & des fruits dont les paysans sont usage pour leur nourriture : d’ailleurs je crois qu’en estimant le produit de nos récoltes par les deux sortes de cultures dont nous venons de parler, elles peuvent produire, année commune, quarante-deux millions de septiers.

Si les 50 millions d’arpens de terres labourables[1] qu’il y a pour le moins dans le royaume, étoient tous traités par la grande culture, chaque arpent de terre, tant bonne que médiocre, donneroit, année commune, au moins cinq septiers, semence prélevée ; le produit du tiers chaque année, seroit 85 millions de septiers de blé ; mais il y auroit au moins un huitieme de ces terres employé à la culture des légumes, du lin, du chanvre, &c. qui exigent de bonnes terres & une bonne culture ; il n’y auroit donc par an qu’environ quatorze millions d’arpens qui porteroient du blé, & dont le produit seroit 70 millions de septiers.

Ainsi l’augmentation de récolte seroit chaque année, de vingt-six millions de septiers.

Ces vingt-six millions de septiers seroient surabondans dans le royaume, puisque les récoltes actuelles sont plus que suffisantes pour nourrir les habitans : car on présume avec raison qu’elles excedent, année commune, d’environ neuf millions de septiers.

Ainsi quand on supposeroit à l’avenir un surcroît d’habitans fort considérable, il y auroit encore plus de 26 millions de septiers à vendre à l’étranger.

Mais il n’est pas vraissemblable qu’on pût en vendre à bon prix une si grande quantité. Les Anglois n’en exportent pas plus d’un million chaque année ; la Barbarie n’en exporte pas un million de septiers. Leurs colonies, sur-tout la Pensylvanie qui est extrèmement fertile, en exportent à-peu-près autant. Il en sort aussi de la Pologne environ huit cents mille tonneaux, ou sept millions de septiers ; ce qui fournit les nations qui en achetent. Elles ne le payent pas même fort cherement, à en juger par le prix que les Anglois le vendent ; mais on peut toûjours conclure de-là que nous ne pourrions pas leur vendre vingt-six millions de septiers de blé, du moins à un prix qui pût dédommager le laboureur de ses frais.

Il faut donc envisager par d’autres côtés les produits de l’agriculture, portée au degré le plus avantageux.

Les profits sur les bestiaux en forment la partie la plus considérable. La culture du blé exige beaucoup de dépenses. La vente de ce grain est fort inégale ; si le laboureur est forcé de le vendre à bas prix, ou de le garder, il ne peut se soûtenir que par les profits qu’il fait sur les bestiaux. Mais la culture des grains n’en est pas moins le fondement & l’essence de son état : ce n’est que par elle qu’il peut nourrir beaucoup de bestiaux ; car il ne suffit pas pour les bestiaux d’avoir des pâturages pendant l’été, il leur faut des fourrages pendant l’hyver, & il faut aussi des grains à la plûpart pour leur nourriture. Ce sont les riches moissons qui les procurent : c’est donc sous ces deux points de vûe qu’on doit envisager la régie de l’agriculture.

Dans un royaume comme la France dont le territoire est si étendu, & qui produiroit beaucoup plus de blé que l’on n’en pourroit vendre, on ne doit s’attacher qu’à la culture des bonnes terres pour la production du blé ; les terres fort médiocres qu’on cultive pour le blé, ne dédommagent pas suffisamment des frais de cette culture. Nous ne parlons pas ici des améliorations de ces terres ; il s’en faut beaucoup qu’on puisse en faire les frais en France, où l’on ne peut pas même, à beaucoup près, subvenir aux dépens de la simple agriculture. Mais ces mêmes terres peuvent être plus profitables, si on les fait valoir par la culture de menus grains, de racines, d’herbages, ou de prés artificiels, pour la nourriture des bestiaux ; plus on peut par le moyen de cette culture nourrir les bestiaux dans leurs étables, plus ils fournissent de fumier pour l’engrais des terres, plus les récoltes sont abondantes en grains & en fourrages, & plus on peut multiplier les bestiaux. Les bois, les vignes qui sont des objets importans, peuvent aussi occuper beaucoup de terres sans préjudicier à la culture des grains. On a prétendu qu’il falloit restreindre la culture des vignes, pour étendre davantage la culture du blé : mais ce seroit encore priver le royaume d’un produit considérable sans nécessité, & sans remédier aux empêchemens qui s’opposent à la culture des terres. Le vigneron trouve apparemment plus d’avantage à cultiver des vignes ; ou bien il lui faut moins de richesses pour soûtenir cette culture, que pour préparer des terres à produire du blé. Chacun consulte ses facultés ; si on restreint par des lois des usages établis par des raisons invincibles, ces lois ne sont que de nouveaux obstacles qu’on oppose à l’agriculture : cette législation est d’autant plus déplacée à l’égard des vignes, que ce ne sont pas les terres qui manquent pour la culture du blé ; ce sont les moyens de les mettre en valeur.

En Angleterre, on réserve beaucoup de terres pour procurer de la nourriture aux bestiaux. Il y a une quantité prodigieuse de bestiaux dans cette île ; & le profit en est si considérable, que le seul produit des laines est evalué à plus de cent soixante millions.

Il n’y a aucune branche de commerce qui puisse être comparée à cette seule partie du produit des bestiaux ; la traite des negres, qui est l’objet capital du commerce extérieur de cette nation, ne monte qu’environ à soixante millions : ainsi la partie du cultivateur excede infiniment celle du négociant. La vente des grains forme le quart du commerce intérieur de l’Angleterre, & le produit des bestiaux est bien supérieur à celui des grains. Cette abondance est dûe aux richesses du cultivateur. En Angleterre, l’état de fermier est un état fort riche & fort estimé, un état singulierement protégé par le gouvernement. Le cultivateur y fait valoir ses richesses à découvert, sans craindre que son gain attire sa ruine par des impositions arbitraires & indéterminées.

Plus les laboureurs sont riches, plus ils augmentent par leurs facultés le produit des terres, & la puissance de la nation. Un fermier pauvre ne peut cultiver qu’au desavantage de l’état, parce qu’il ne peut obtenir par son travail les productions que la terre n’accorde qu’à une culture opulente.

Cependant il faut convonir que dans un royaume fort étendu, les bonnes terres doivent être préférées pour la culture du blé, parce que cette culture est fort dispendieuse ; plus les terres sont ingrates, plus elles exigent de dépenses, & moins elles peuvent par leur propre valeur dédommager le laboureur.

En supposant donc qu’on bornât en France la culture du blé aux bonnes terres, cette culture pourroit se réduire à trente millions d’arpens, dont dix seroient chaque année ensemencés en blé, dix en avoine, & dix en jachere.

Dix millions d’arpens de bonnes terres bien cultivées ensemencées en blé, produiroient, année commune, au moins six septiers par arpent, semence prélevée ; ainsi les dix millions d’arpens donneroient soixante millions de septiers.

Cette quantité surpasseroit de dix-huit millions de septiers le produit de nos récoltes actuelles de blé. Ce surcroît vendu à l’étranger dix-sept livres le septier seulement, à cause de l’abondance, les dix-huit millions de septiers produiroient plus de trois cents millions ; & il resteroit encore 20 ou 30 millions d’arpens de nos terres, non compris les vignes, qui seroient employés à d’autres cultures.

Le surcroît de la récolte en avoine & menus grains qui suivent le blé, seroit dans la même proportion ; il serviroit avec le produit de la culture des terres médiocres, à l’augmentation du profit sur les bestiaux.

On pourroit même présumer que le blé qu’on porteroit à l’étranger se vendroit environ vingt livres le septier prix commun, le commerce du blé étant libre ; car depuis Charles IX. jusqu’à la fin du regne de Louis XIV. les prix communs, formés par dixaines d’années, ont varié depuis 20 jusqu’à 30 livres de notre monnoie d’aujourd’hui ; c’est-à-dire environ depuis le tiers jusqu’à la moitié de la valeur du marc d’argent monnoyé ; la livre de blé qui produit une livre de gros pain, valoit environ un sou, c’est-à-dire deux sous de notre monnoye actuelle.

En Angleterre le blé se vend environ vingt-deux livres, prix commun ; mais, à cause de la liberté du commerce, il n’y a point eu de variations excessives dans le prix des différentes années ; la nation n’essuie ni disettes ni non-valeurs. Cette régularité dans les prix des grains est un grand avantage pour le soûtien de l’agriculture ; parce que le laboureur n’étant point obligé de garder ses grains, il peut toûjours par le produit annuel des récoltes, faire les dépenses nécessaires pour la culture.

Il est étonnant qu’en France dans ces derniers tems le blé soit tombé si fort au-dessous de son prix ordinaire, & qu’on y éprouve si souvent des disettes : car depuis plus de 30 ans le prix commun du blé n’a monté qu’à 17 liv. dans ce cas le bas prix du blé est de onze à treize livres. Alors les disettes arrivent facilement à la suite d’un prix si bas, dans un royaume où il y a tant de cultivateurs pauvres ; car ils ne peuvent pas attendre les tems favorables pour vendre leur grain ; ils sont même obligés, faute de débit, de faire consommer une partie de leur blé par les bestiaux pour en tirer quelques profits. Ces mauvais succès les découragent ; la culture & la quantité du blé diminuent en même tems, & la disette survient.

C’est un usage fort commun parmi les laboureurs, quand le blé est à bas prix, de ne pas faire battre les gerbes entierement, afin qu’il reste beaucoup de grain dans le fourrage qu’ils donnent aux moutons ; par cette pratique ils les entretiennent gras pendant l’hyver & au printems, & ils tirent plus de profit de la vente de ces moutons que de la vente du blé. Ainsi il est facile de comprendre, par cet usage, pourquoi les disettes surviennent lorsqu’il arrive de mauvaises années.

On estime, année commune, que les récoltes produisent du blé environ pour deux mois plus que la consommation d’une année : mais l’estimation d’une année commune est établie sur les bonnes & les mauvaises récoltes, & on suppose la conservation des grains que produisent de trop les bonnes récoltes. Cette supposition étant fausse, il s’ensuit que le blé doit revenir fort cher quand il arrive une mauvaise récolte ; parce que le bas prix du blé dans les années précédentes, a déterminé le cultivateur à l’employer pour l’engrais des bestiaux, & lui a fait négliger la culture : aussi a-t-on remarqué que les années abondantes, où le blé a été à bas prix, & qui sont suivies d’une mauvaise année, ne préservent pas de la disette. Mais la cherté du blé ne dédommage pas alors le pauvre laboureur, parce qu’il en a peu à vendre dans les mauvaises années. Le prix commun qu’on forme des prix de plusieurs années n’est pas une regle pour lui ; il ne participe point à cette compensation qui n’existe que dans le calcul à son égard.

Pour mieux comprendre le dépérissement indispensable de l’agriculture, par l’inégalité excessive des prix du blé, il ne faut par perdre de vûe les dépenses qu’exige la culture du blé.

Une charrue de quatre forts chevaux cultive quarante arpens de blé, & quarante arpens de menus grains qui se sement au mois de Mars.

Un fort cheval bien occupé au travail consommera, étant nourri convenablement, quinze septiers d’avoine par an ; le septier à dix livres, les quinze septiers valent cent cinquante livres : ainsi la dépense en avoine pour quatre chevaux est 600 liv.
On ne compte point les fourrages, la récolte les fournit, & ils doivent être consommés à la ferme pour fournir les fumiers.
Les frais de charron, de bourrelier, de cordages, de toile, du maréchal, pour les socs, le serrage, les essieux de charrette, les bandes des roues, &c. 250
Un charretier pour nourriture & gages, ci 300
Un valet manouvrier, ci 200
On ne compte pas les autres domestiques occupés aux bestiaux & à la basse-cour, parce que leurs occupations ne concernent pas précisément le labourage, & que leur dépense doit se trouver sur les objets de leur travail.
On donne aux chevaux du foin de pré, ou du foin de prairies artificielles ; mais les récoltes que produit la culture des grains fournissent du fourrage à d’autres bestiaux ; ce qui dédommage de la dépense de ces foins.
Le loyer des terres, pour la récolte des blés, est de deux années ; l’arpent de terre étant affermé huit livres, le fermage de deux années pour quarante arpens est 640
La taille, gabelle, & autres impositions montant à la moitié du loyer, est 320
Les frais de moisson, 4 liv. & d’engrangemens, 1 liv. 10 s. font 5 l. 10 s. par arpent de blé ; c’est pour quarante arpens 220
Pour le battage, quinze sols par septier de blé ; l’arpent produisant six septiers, c’est pour quarante arpens 180
Pour les intérêts du fonds des dépenses d’achat de chevaux, charrues, charrettes, & autres avances foncieres qui périssent, lesquelles, distraction faite de bestiaux, peuvent être estimées trois mille livres, les intérêts sont au moins 300
Faux frais & petits accidens, 200

Total pour la culture de 40 arpens, 3220 liv.

C’est par arpent de blé environ quatre-vingt liv. de dépense, & chaque arpent de blé peut être estimé porter six septiers & demi, mesure de Paris : c’est une récolte passable, eu égard à la diversité des terres bonnes & mauvaises d’une ferme, aux accidens, aux années plus ou moins avantageuses. De six septiers & demi que rapporte un arpent de terre, il faut en déduire la semence ; ainsi il ne reste que cinq septiers & dix boisseaux pour le fermier. La sole de quarante arpens produit des blés de différente valeur ; car elle produit du seigle, du méteil, & du froment pur. Si le prix du froment pur étoit à seize livres le septier, il faudroit réduire le prix commun de ces différens blés à quatorze livres : le produit d’un arpent seroit donc quatre-vingt-une liv. treize sols ; ainsi quand la tête du blé est à seize livres le septier, le cultivateur retire à peine ses frais, & il est exposé aux tristes évenemens de la grêle, des années stériles, de la mortalité des chevaux, &c.

Pour estimer les frais & le produit des menus grains qu’on seme au mois de Mars, nous les réduirons tous sur le pié de l’avoine ; ainsi en supposant une sole de quarante arpens d’avoine, & en observant qu’une grande partie des dépenses faites pour le blé, sert pour la culture de cette sole, il n’y a à compter de plus que

Le loyer d’une année de quarante arpens, qui est 320 liv.
La part de la taille, gabelle, & autres impositions qui retombent sur cette sole, 160
Les frais de récolte, 80
Le battage, 80
Faux frais, 50
Total, 690
Ces frais partagés à quarante arpens, sont pour chaque arpent 18 liv. 5 s. Un arpent produit environ deux septiers, semence prélevée ; le septier, mesure d’avoine, à 10 liv. c’est 20 liv. par arpent.
Les frais du blé pour quarante arpens, sont 3220
Les frais des menus grains sont 690
Total, 3910
Le produit du blé est 3266
Le produit des menus grains est 800
Total, 4066

Ainsi le produit total du blé & de l’avoine n’excede alors que de 150 liv. les frais dans lesquels on n’a point compris sa nourriture ni son entretien pour sa famille & pour lui. Il ne pourroit satisfaire à ces besoins essentiels que par le produit de quelques bestiaux, & il resteroit toûjours pauvre, & en danger d’être ruiné par les pertes : il faut donc que les grains soient à plus haut prix, pour qu’il puisse se soûtenir & établir ses enfans.

Le métayer qui cultive avec des bœufs, ne recueille communément que sur le pié du grain cinq ; c’est trois septiers & un tiers par arpent : il faut en retrancher un cinquieme pour la semence. Il partage cette recolte par moitié avec le propriétaire, qui lui fournit les bœufs, les friches, les prairies pour la nourriture des bœufs, le décharge du loyer des terres, lui fournit d’ailleurs quelques autres bestiaux dont il partage le profit. Ce métayer avec sa famille cultive lui-même, & évite les frais des domestiques, une partie des frais de la moisson, & les frais de battage : il fait peu de dépense pour le bourrelier & le maréchal, &c. Si ce métayer cultive trente arpens de blé chaque année, il recueille communément pour sa part environ trente ou trente-cinq septiers, dont il consomme la plus grande partie pour sa nourriture & celle de sa famille : le reste est employé à payer sa taille, les frais d’ouvriers qu’il ne peut pas éviter, & la dépense qu’il est obligé de faire pour ses besoins & ceux de sa famille. Il reste toûjours très-pauvre ; & même quand les terres sont médiocres, il ne peut se soûtenir que par les charrois qu’il fait à son profit. La taille qu’on lui impose est peu de chose en comparaison de celle du fermier, parce qu’il recueille peu, & qu’il n’a point d’effets à lui qui assûrent l’imposition : ses recoltes étant très-foibles, il a peu de fourrages pour la nourriture des bestiaux pendant l’hyver ; ensorte que ses profits sont fort bornés sur cette partie, qui dépend essentiellement d’une bonne culture.

La condition du propriétaire n’est pas plus avantageuse ; il retire environ 15 boisseaux par arpent, au lieu d’un loyer de deux années que lui payeroit un fermier : il perd les intérêts du fonds des avances qu’il fournit au métayer pour les bœufs. Ces bœufs consomment les soins de ses prairies, & une grande partie des terres de ses domaines reste en friche pour leur pâturage ; ainsi son bien est mal cultivé & presqu’en non-valeur. Mais quelle diminution de produit, & quelle perte pour l’état !

Le fermier est toûjours plus avantageux à l’état, dans les tems mêmes où il ne gagne pas sur ses recoltes, à cause du bas prix des grains ; le produit de ses dépenses procure du moins dans le royaume un accroissement annuel de richesses réelles. A la vérité cet accroissement de richesses ne peut pas continuer, lorsque les particuliers qui en font les frais n’en retirent point de profit, & souffrent même des pertes qui diminuent leurs facultés. Si on tend à favoriser par le bon marché du blé les habitans des villes, les ouvriers des manufactures, & les artisans, on desole les campagnes, qui sont la source des vraies richesses de l’état : d’ailleurs ce dessein réussit mal. Le pain n’est pas la seule nourriture des hommes ; & c’est encore l’agriculture, lorsqu’elle est protégée, qui procure les autres alimens avec abondance.

Les citoyens, en achetant la livre de pain quelques liards plus cher, dépenseroient beaucoup moins pour satisfaire à leurs besoins. La police n’a de pouvoir que pour la diminution du prix du blé, en empêchant l’exportation ; mais le prix des autres denrées n’est pas de même à sa disposition, & elle nuit beaucoup à l’aisance des habitans des villes, en leur procurant quelque légere épargne sur le blé, & en détruisant l’agriculture. Le beurre, le fromage, les œufs, les légumes, &c. sont à des prix exorbitans, ce qui enchérit à proportion les vêtemens & les autres ouvrages des artisans dont le bas peuple a besoin. La cherté de ces denrées augmente le salaire des ouvriers. La dépense inévitable & journaliere de ces mêmes ouvriers deviendroit moins onéreuse, si les campagnes étoient peuplées d’habitans occupés à élever des volailles, à nourrir des vaches, à cultiver des feves, des haricots, des pois, &c.

Le riche fermier occupe & soûtient le paysan ; le paysan procure au pauvre citoyen la plûpart des denrées nécessaires aux besoins de la vie. Par-tout où le fermier manque & où les bœufs labourent la terre, les paysans languissent dans la misere ; le métayer qui est pauvre ne peut les occuper : ils abandonnent la campagne, ou bien ils y sont réduits à se nourrir d’avoine, d’orge, de blé noir, de pommes de terre, & d’autres productions de vil prix qu’ils cultivent eux-mêmes, & dont la récolte se fait peu attendre. La culture du blé exige trop de tems & de travail ; ils ne peuvent attendre deux années pour obtenir une récolte. Cette culture est réservée an fermier qui en peut faire les frais, ou au métayer qui est aidé par le propriétaire, & qui d’ailleurs est une foible ressource pour l’agriculture ; mais c’est la seule pour les propriétaires dépourvûs de fermiers. Les fermiers eux-mêmes ne peuvent profiter que par la supériorité de leur culture, & par la bonne qualité des terres qu’ils cultivent ; car ils ne peuvent gagner qu’autant que leurs récoltes surpassent leurs dépenses. Si, la semence & les frais prélevés, un fermier a un septier de plus par arpent, c’est ce qui fait son avantage ; car quarante arpens ensemencés en blé, lui forment alors un bénéfice de quarante septiers, qui valent environ 600 livres ; & s’il cultive si bien qu’il puisse avoir pour lui deux septiers par arpent, son profit est doublé. Il faut pour cela que chaque arpent de terre produise sept à huit septiers ; mais il ne peut obtenir ce produit que d’une bonne terre. Quand les terres qu’il cultive sont les unes bonnes & les autres mauvaises, le profit ne peut être que fort médiocre.

Le paysan qui entreprendroit de cultiver du blé avec ses bras, ne pourroit pas se dédommager de son travail ; car il en cultiveroit si peu, que quand même il auroit quelques septiers de profit au-delà de sa nourriture & de ses frais, cet avantage ne pourroit suffire à ses besoins : ce n’est que sur de grandes récoltes qu’on peut retirer quelque profit. C’est pourquoi un fermier qui employe plusieurs charrues, & qui cultive de bonnes terres, profite beaucoup plus que celui qui est borné à une seule charrue, & qui cultiveroit des terres également bonnes : & même dans ce dernier cas les frais sont, à bien des égards, plus considérables à proportion. Mais si celui qui est borné à une seule charrue manque de richesses pour étendre son emploi, il fait bien de se restreindre, parce qu’il ne pourroit pas subvenir aux frais qu’exigeroit une plus grande entreprise.

L’Agriculture n’a pas, comme le Commerce, une ressource dans le crédit. Un marchand peut emprunter pour acheter de la marchandise, ou il peut l’acheter à crédit, parce qu’en peu de tems le profit & le fonds de l’achat lui rentrent ; il peut faire le remboursement des sommes qu’il emprunte : mais le laboureur ne peut retirer que le profit des avances qu’il a faites pour l’agriculture ; le fonds reste pour soûtenir la même entreprise de culture ; ainsi il ne peut l’emprunter pour le rendre à des termes préfixs ; & ses effets étant en mobilier, ceux qui pourroient lui prêter n’y trouveroient pas assez de sûreté pour placer leur argent à demeure. Il faut donc que les fermiers soient riches par eux-mêmes ; & le gouvernement doit avoir beaucoup d’égards à ces circonstances, pour relever un état si essentiel dans le royaume.

Mais on ne doit pas espérer d’y réussir, tant qu’on imaginera que l’agriculture n’exige que des hommes & du travail ; & qu’on n’aura pas d’égard à la sûreté & au revenu des fonds que le laboureur doit avancer. Ceux qui sont en état de faire ces dépenses, examinent, & n’exposent pas leurs biens à une perte certaine. On entretient le blé à un prix très-bas, dans un siecle où toutes les autres denrées & la main-d’œuvre sont devenues fort cheres. Les dépenses du laboureur se trouvent donc augmentées de plus d’un tiers, dans le tems que ses profits sont diminués d’un tiers ; ainsi il souffre une double perte qui diminue ses facultés, & le met hors d’état de soûtenir les frais d’une bonne culture : aussi l’état de fermier ne subsiste-t-il presque plus ; l’agriculture est abandonnée aux métayers, au grand préjudice de l’état.

Ce ne sont pas simplement les bonnes ou mauvaises récoltes qui reglent le prix du blé ; c’est principalement la liberté ou la contrainte dans le commerce de cette denrée, qui décide de sa valeur. Si on veut en restraindre ou en gêner le commerce dans les tems des bonnes récoltes, on dérange les produits de l’agriculture, on affoiblit l’état, on diminue le revenu des propriétaires des terres, on fomente la paresse & l’arrogance du domestique & du manouvrier qui doivent aider à l’agriculture ; on ruine les laboureurs, on dépeuple les campagnes. Ce ne seroit pas connoître les avantages de la France, que d’empêcher l’exportation du blé par la crainte d’en manquer, dans un royaume qui peut en produire beaucoup plus que l’on n’en pourroit vendre à l’étranger.

La conduite de l’Angleterre à cet égard, prouve au contraire qu’il n’y a point de moyen plus sûr pour soûtenir l’agriculture, entretenir l’abondance & obvier aux famines, que la vente d’une partie des récoltes à l’étranger. Cette nation n’a point essuyé de cherté extraordinaire ni de non-valeur du blé, depuis qu’elle en a favorisé & excité l’exportation.

Cependant je crois qu’outre la retenue des blés dans le royaume, il y a quelqu’autre cause qui a contribué à en diminuer le prix ; car il a diminué aussi en Angleterre assez considérablement depuis un tems, ce qu’on attribue à l’accroissement de l’agriculture dans ce royaume. Mais on peut présumer aussi que le bon état de l’agriculture dans les colonies, surtout dans la Pensylvanie, où elle a tant fait de progrès depuis environ cinquante ans, & qui fournit tant de blé & de farine aux Antilles & en Europe, en est la principale cause, & cette cause pourra s’accroître encore dans la suite : c’est pourquoi je borne le prix commun du blé en France à 18 livres, en supposant l’exportation & le rétablissement de la grande culture ; mais on seroit bien dédommagé par l’accroissement du produit des terres, & par un débit assûré & invariable, qui soûtiendroient constamment l’agriculture.

La liberté de la vente de nos grains à l’étranger, est donc un moyen essentiel & même indispensable pour ranimer l’agriculture dans le royaume ; cependant ce seul moyen ne suffit pas. On appercevroit à la vérité que la culture des terres procureroit de plus grands profits ; mais il faut encore que le cultivateur ne soit pas inquiété par des impositions arbitraires & indéterminées : car si cet état n’est pas protégé, on n’exposera pas des richesses dans un emploi si dangereux. La sécurité dont on joüit dans les grandes villes, sera toûjours préférable à l’apparence d’un profit qui peut occasionner la perte des fonds nécessaires pour former un établissement si peu solide.

Les enfans des fermiers redoutent trop la milice ; cependant la défense de l’état est un des premiers devoirs de la nation : personne à la rigueur n’en est exempt, qu’autant que le gouvernement qui regle l’emploi des hommes, en dispense pour le bien de l’état. Dans ces vûes, il ne réduit pas à la simple condition de soldat ceux qui par leurs richesses ou par leurs professions peuvent être plus utiles à la société. Par cette raison l’état du fermier pourroit être distingué de celui du métayer, si ces deux états étoient bien connus.

Ceux qui sont assez riches pour embrasser l’état de fermier, ont par leurs facultés la facilité de choisir d’autres professions ; ainsi le gouvernement ne peut les déterminer que par une protection décidée, à se livrer à l’agriculture[2].

Jettons les yeux sur un objet qui n’est pas moins important que la culture des grains, je veux dire sur le profit des bestiaux dans l’état actuel de l’agriculture en France.

Les 30 millions d’arpens traités par la petite culture, peuvent former 375 mille domaines de chacun 80 arpens en culture. En supposant 12 bœufs par domaine, il y a 4 millions 500000 bœufs employés à la culture de ces domaines : la petite culture occupe donc pour le labour des terres 4 ou 5 millions de bœufs. On met un bœuf au travail à trois ou quatre ans ; il y en a qui ne les y laissent que trois, quatre, cinq ou six ans : mais la plûpart les y retiennent pendant sept, huit ou neuf ans. Dans ce cas on ne les vend à ceux qui les mettent à l’engrais pour la boucherie, que quand ils ont douze ou treize ans ; alors ils sont moins bons, & on les vend moins cher qu’ils ne valoient avant que de les mettre au labour. Ces bœufs occupent pendant long-tems des pâturages dont on ne tire aucun profit ; au lieu que si on ne faisoit usage de ces pâturages que pour élever simplement des bœufs jusqu’au tems où ils seroient en état d’être mis à l’engrais pour la boucherie, ces bœufs seroient renouvellés tous les cinq ou six ans.

Par la grande culture les chevaux laissent les pâturages libres ; ils se procurent eux-mêmes leur nourriture sans préjudicier au profit du laboureur, qui tire encore un plus grand produit de leur travail que de celui des bœufs ; ainsi par cette culture on mettroit à profit les pâturages qui servent en pure perte à nourrir 4 ou 5 millions de bœufs que la petite culture retient au labour, & qui occupent, pris tous ensemble, au moins pendant six ans, les pâturages qui pourroient servir à élever pour la boucherie 4 ou 5 autres millions de bœufs.

Les bœufs, avant que d’être mis à l’engrais pour la boucherie, se vendent différens prix, selon leur grosseur : le prix moyen peut être réduit à 100 liv. ainsi 4 millions 500 mille bœufs qu’il y auroit de surcroît en six ans, produiroient 450 millions de plus tous les six ans. Ajoûtez un tiers de plus que produiroit l’engrais ; le total seroit de 600 millions, qui, divisés par six années, fourniroient un profit annuel de 100 millions. Nous ne considérons ce produit que relativement à la perte des pâturages ou des friches abandonnés aux bœufs qu’on retient au labour, mais ces pâturages pourroient pour la plûpart être remis en culture, du moins en une culture qui fourniroit plus de nourriture aux bestiaux : alors le produit en seroit beaucoup plus grand.

Les troupeaux de moutons présentent encore un avantage qui seroit plus considérable, par l’accroissement du produit des laines & de la vente annuelle de ces bestiaux. Dans les 375 mille domaines cultivés par des bœufs, il n’y a pas le tiers des troupeaux qui pourroient y être nourris, si ces terres étoient mieux cultivées, & produisoient une plus grande quantité de fourrages. Chacun de ces domaines avec ses friches nourriroit un troupeau de 250 moutons ; ainsi une augmentation des deux tiers seroit environ de 250 mille troupeaux, ou de 60 millions de moutons, qui partagés en brebis, agneaux, & moutons proprement dits, il y auroit 30 millions de brebis qui produiroient 30 millions d’agneaux, dont moitié seroient mâles ; on garderoit ces mâles, qui forment des moutons que l’on vend pour la boucherie quand ils ont deux ou trois ans. On vend les agneaux femelles, à la reserve d’une partie que l’on garde pour renouveller les brebis. Il y auroit 15 millions d’agneaux femelles ; on en vendroit 10 millions, qui, à 3 liv. piece, produiroient 30 millions.

Il y auroit 15 millions de moutons qui se succéderoient tous les ans ; ainsi ce seroit tous les ans 15 millions de moutons à vendre pour la boucherie, qui étant supposés pour le prix commun à huit livres la piece, produiroient 120 millions. On vendroit par an cinq millions de vieilles brebis, qui, à 3 livres piece, produiroient 15 millions de livres. Il y auroit chaque année 60 millions de toisons (non compris celles des agneaux), qui réduites les unes avec les autres à un prix commun de 40 sous la toison, produiroient 120 millions ; l’accroissement du produit annuel des troupeaux monteroit donc à plus de 285 millions ; ainsi le surcroît total en blé, en bœufs & en moutons, seroit un objet de 685 millions.

Peut-être objectera-t-on que l’on n’obtiendroit pas ces produits sans de grandes dépenses. Il est vrai que si on examinoit simplement le profit du laboureur, il faudroit en soustraire les frais ; mais en envisageant ces objets relativement à l’état, on apperçoit que l’argent employé pour ces frais reste dans le royaume, & tout le produit se trouve de plus.

Les observations qu’on vient de faire sur l’accroissement du produit des bœufs & des troupeaux, doivent s’étendre sur les chevaux, sur les vaches, sur les veaux, sur les porcs, sur les volailles, sur les vers à soie, &c. car par le rétablissement ou la grande culture on auroit de riches moissons, qui procureroient beaucoup de grains, de légumes & de fourrages. Mais en faisant valoir les terres médiocres par la culture des menus grains, des racines, des herbages, des prés artificiels, des mûriers, &c. on multiplieroit beaucoup plus encore la nourriture des bestiaux, des volailles, & des vers à soie, dont il résulteroit un surcroît de revenu qui seroit aussi considérable que celui qu’on tireroit des bestiaux que nous avons évalués ; ainsi il y auroit par le rétablissement total de la grande culture, une augmentation continuelle de richesses de plus d’un milliard.

Ces richesses se répandroient sur tous les habitans, elles leur procureroient de meilleurs alimens, elles satisferoient à leurs besoins, elles les rendroient heureux, elles augmenteroient la population, elles accroîtroient les revenus des propriétaires & ceux de l’état.

Les frais de la culture n’en seroient guere plus considérables, il faudroit seulement de plus grands fonds pour en former l’établissement ; mais ces fonds manquent dans les campagnes, parce qu’on les a attirés dans les grandes villes. Le gouvernement qui fait mouvoir les ressorts de la société, qui dispose de l’ordre général, peut trouver les expédiens convenables & intéressans pour les faire retourner d’eux-mêmes à l’agriculture, où ils seroient beaucoup plus profitables aux particuliers, & beau coup plus avantageux à l’état. Le lin, le chanvre, les laines, la soie, &c. seroient les matieres premieres de nos manufactures ; le blé, les vins, l’eau-de-vie, les cuirs, les viandes salées, le beurre, le fromage, les graisses, le suif, les toiles, les cordages, les draps, les étoffes, formeroient le principal objet de notre commerce avec l’étranger. Ces marchandises seroient indépendantes du luxe, les besoins des hommes leur assûrent une valeur réelle ; elles naîtroient de notre propre fonds, & seroient en pur profit pour l’état : ce seroit des richesses toûjours renaissantes, & toûjours supérieures à celles des autres nations.

Ces avantages, si essentiels au bonheur & à la prospérité des sujets, en procureroient un autre qui ne contribue pas moins à la force & aux richesses de l’état ; ils favoriseroient la propagation & la conservation des hommes, sur-tout l’augmentation des habitans de la campagne. Les fermiers riches occupent les paysans, que l’attrait de l’argent détermine au travail : ils deviennent laborieux, leur gain leur procure une aisance qui les fixe dans les provinces, & qui les met en état d’alimenter leurs enfans, de les retenir auprès d’eux, & de les établir dans leur province. Les habitans des campagnes se multiplient donc à proportion que les richesses y soûtiennent l’agriculture, & que l’agriculture augmente les richesses.

Dans les provinces où la culture se fait avec des bœufs, l’agriculteur est pauvre, il ne peut occuper le paysan : celui-ci n’étant point excité au travail par l’appât du gain, devient paresseux, & languit dans la misere ; sa seule ressource est de cultiver un peu de terre pour se procurer de quoi vivre. Mais quelle est la nourriture qu’il obtient par cette culture ? Trop pauvre pour préparer la terre à produire du blé & pour en attendre la récolte, il se borne, nous l’avons déjà dit, à une culture moins pénible, moins longue, qui peut en quelques mois procurer la moisson : l’orge, l’avoine, le blé noir, les pommes de terre, le blé de Turquie ou d’autres productions de vil prix, sont les fruits de ses travaux ; voilà la nourriture qu’il se procure, & avec laquelle il éleve ses enfans. Ces alimens, qui à peine soûtiennent la vie en ruinant le corps, font périr une partie des hommes dès l’enfance ; ceux qui résistent à une telle nourriture, qui conservent de la santé & des forces, & qui ont de l’intelligence, se délivrent de cet état malheureux en se refugiant dans les villes : les plus débiles & les plus ineptes restent dans les campagnes, où ils sont aussi inutiles à l’état qu’à charge à eux-mêmes.

Les habitans des villes croyent ingénument que ce sont les bras des paysans qui cultivent la terre, & que l’agriculture ne dépérit que parce que les hommes manquent dans les campagnes. Il faut, dit-on, en chasser les maîtres d’école, qui par les instructions qu’ils donnent aux paysans, facilitent leur désertion : on imagine ainsi des petits moyens, aussi ridicules que desavantageux ; on regarde les paysans comme les esclaves de l’état ; la vie rustique paroît la plus dure, la plus pénible, & la plus méprisable, parce qu’on destine les habitans des campagnes aux travaux qui sont réservés aux animaux. Quand le paysan laboure lui-même la terre, c’est une preuve de sa misere & de son inutilité. Quatre chevaux cultivent plus de cent arpens de terre ; quatre hommes n’en cultiveroient pas 8. A la reserve du vigneron, du jardinier, qui se livrent à cette espece de travail, les paysans sont employés par les riches fermiers à d’autres ouvrages plus avantageux pour eux, & plus utiles à l’agriculture. Dans les provinces riches où la culture est bien entretenue, les paysans ont beaucoup de ressources ; ils ensemencent quelques arpens de terre en blé & autres grains : ce sont les fermiers pour lesquels ils travaillent qui en font les labours, & c’est la femme & les enfans qui en recueillent les produits : ces petites moissons qui leur donnent une partie de leur nourriture, leur produisent des fourrages & des fumiers. Ils cultivent du lin, du chanvre, des herbes potageres, des légumes de toute espece ; ils ont des bestiaux & des volailles qui leur fournissent de bons alimens, & sur lesquels ils retirent des profits ; ils se procurent par le travail de la moisson du laboureur, d’autres grains pour le reste de l’année ; ils sont toûjours employés aux travaux de la campagne ; ils vivent sans contrainte & sans inquiétude ; ils méprisent la servitude des domestiques, valets, esclaves des autres hommes ; ils n’envient pas le sort du bas peuple qui habite les villes, qui loge au sommet des maisons, qui est borné à un gain à peine suffisant au besoin présent, qui étant obligé de vivre sans aucune prévoyance & sans aucune provision pour les besoins à venir, est continuellement exposé à languir dans l’indigence.

Les paysans ne tombent dans la misere & n’abandonnent la province, que quand ils sont trop inquiétés par les vexations auxquelles ils sont exposés, ou quand il n’y a pas de fermiers qui leur procurent du travail, & que la campagne est cultivée par de pauvres métayers bornés à une petite culture, qu’ils exécutent eux-mêmes fort imparfaitement. La portion que ces métayers retirent de leur petite récolte, qui est partagée avec le propriétaire, ne peut suffire que pour leurs propres besoins ; ils ne peuvent réparer ni améliorer les biens.

Ces pauvres cultivateurs, si peu utiles à l’état, ne représentent point le vrai laboureur, le riche fermier qui cultive en grand, qui gouverne, qui commande, qui multiplie les dépenses pour augmenter les profits ; qui ne négligeant aucun moyen, aucun avantage particulier, fait le bien général ; qui employe utilement les habitans de la campagne, qui peut choisir & attendre les tems favorables pour le débit de ses grains, pour l’achat & pour la vente de ses bestiaux.

Ce sont les richesses des fermiers qui fertilisent les terres, qui multiplient les bestiaux, qui attirent, qui fixent les habitans des campagnes, & qui font la force & la prospérité de la nation.

Les manufactures & le commerce entretenus par les desordres du luxe, accumulent les hommes & les richesses dans les grandes villes, s’opposent à l’amélioration des biens, dévastent les campagnes, inspirent du mépris pour l’agriculture, augmentent excessivement les dépenses des particuliers, nuisent au soûtien des familles, s’opposent à la propagation des hommes, & affoiblissent l’état.

La décadence des empires a souvent suivi de près un commerce florissant. Quand une nation dépense par le luxe ce qu’elle gagne par le commerce, il n’en résulte qu’un mouvement d’argent sans augmentation réelle de richesses. C’est la vente du superflu qui enrichit les sujets & le souverain. Les productions de nos terres doivent être la matiere premiere des manufactures & l’objet du commerce : tout autre commerce qui n’est pas établi sur ces fondemens, est peu assûré ; plus il est brillant dans un royaume, plus il excite l’émulation des nations voisines, & plus il se partage. Un royaume riche en terres fertiles, ne peut être imité dans l’agriculture par un autre qui n’a pas le même avantage. Mais pour en profiter, il faut éloigner les causes qui font abandonner les campagnes, qui rassemblent & retiennent les richesses dans les grandes villes. Tous les seigneurs, tous les gens riches, tous ceux qui ont des rentes ou des pensions suffisantes pour vivre commodément, fixent leur séjour à Paris ou dans quelqu’autre grande ville, où ils dépensent presque tous les revenus des fonds du royaume. Ces dépenses attirent une multitude de marchands, d’artisans, de domestiques, & de manouvriers : cette mauvaise distribution des hommes & des richesses est inévitable, mais elle s’étend beaucoup trop loin ; peut-être y aura-t-on d’abord beaucoup contribué, en protégeant plus les citoyens que les habitans des campagnes. Les hommes sont attirés par l’intérêt & par la tranquillité. Qu’on procure ces avantages à la campagne, elle ne sera pas moins peuplée à proportion que les villes. Tous les habitans des villes ne sont pas riches, ni dans l’aisance. La campagne a ses richesses & ses agrémens : on ne l’abandonne que pour éviter les vexations auxquelles on y est exposé ; mais le gouvernement peut remédier à ces inconvéniens. Le commerce paroît florissant dans les villes, parce qu’elles sont remplies de riches marchands. Mais qu’en résulte-t-il, sinon que presque tout l’argent du royaume est employé à un commerce qui n’augmente point les richesses de la nation ? Locke le compare au jeu, où après le gain & la perte des joüeurs, la somme d’argent reste la même qu’elle étoit auparavant. Le commerce intérieur est nécessaire pour procurer les besoins, pour entretenir le luxe, & pour faciliter la consommation ; mais il contribue peu à la force & à la prospérité de l’état. Si une partie des richesses immenses qu’il retient, & dont l’emploi produit si peu au royaume, étoit distribuée à l’agriculture, elle procureroit des revenus bien plus réels & plus considérables. L’agriculture est le patrimoine du souverain : toutes ses productions sont visibles ; on peut les assujettir convenablement aux impositions ; les richesses pécuniaires échappent à la répartition des subsides, le gouvernement n’y peut prendre que par des moyens onéreux à l’état.

Cependant la répartition des impositions sur les laboureurs, présente aussi de grandes difficultés. Les taxes arbitraires sont trop effrayantes & trop injustes pour ne pas s’opposer toûjours puissamment au rétablissement de l’agriculture. La répartition proportionnelle n’est guere possible ; il ne paroît pas qu’on puisse la régler par l’évaluation & par la taxe des terres : car les deux sortes d’agriculture dont nous avons parlé, emportent beaucoup de différence dans les produits des terres d’une même valeur ; ainsi tant que ces deux sortes de culture subsisteront & varieront, les terres ne pourront pas servir de mesure proportionnelle pour l’imposition de la taille. Si l’on taxoit les terres selon l’état actuel, le tableau deviendroit défectueux à mesure que la grande culture s’accroîtroit : d’ailleurs il y a des provinces où le profit sur les bestiaux est bien plus considérable que le produit des récoltes, & d’autres où le produit des récoltes surpasse le profit que l’on retire des bestiaux ; de plus cette diversité de circonstances est fort susceptible de changemens. Il n’est donc guere possible d’imaginer aucun plan général, pour établir une répartition proportionnelle des impositions.

Mais il s’agit moins pour la sûreté des fonds du cultivateur d’une répartition exacte, que d’établir un frein à l’estimation arbitraire de la fortune du laboureur. Il suffiroit d’assujettir les impositions à des regles invariables & judicieuses, qui assûreroient le payement de l’imposition, & qui garantiroient celui qui la supporte, des mauvaises intentions ou des fausses conjectures de ceux qui l’imposent. Il ne faudroit se régler que sur les effets visibles ; les estimations de la fortune secrete des particuliers sont trompeuses, & c’est toûjours le prétexte qui autorise les abus qu’on veut éviter.

Les effets visibles sont pour tous les laboureurs des moyens communs pour procurer les mêmes profits ; s’il y a des hommes plus laborieux, plus intelligens, plus économes, qui en tirent un plus grand avantage, ils méritent de joüir en paix des fruits de leurs épargnes & de leurs talens. Il suffiroit donc d’obliger le laboureur de donner tous les ans aux collecteurs une déclaration fidelle de la quantité & de la nature des biens dont il est propriétaire ou fermier, & un dénombrement de ses récoltes, de ses bestiaux, &c. sous les peines d’être imposé arbitrairement s’il est convaincu de fraude. Tous les habitans d’un village connoissent exactement les richesses visibles de chacun d’eux ; les déclarations frauduleuses seroient facilement apperçûes. On assujettiroit de même rigoureusement les collecteurs à régler la répartition des impositions, relativement & proportionnellement à ces déclarations. Quant aux simples manouvriers & artisans, leur état serviroit de regles pour les uns & pour les autres, ayant égard à leurs enfans en bas âge, & à ceux qui sont en état de travailler. Quoiqu’il y eût de la disproportion entre ces habitans, la modicité de la taxe imposée à ces sortes d’ouvriers dans les villages, rendroit les inconvéniens peu considérables.

Les impositions à répartir sur les commerçans établis dans les villages, sont les plus difficiles à régler ; mais leur déclaration sur l’étendue & les objets de leur commerce, pourroit être admise ou contestée par les collecteurs ; & dans le dernier cas elle seroit approuvée ou réformée dans une assemblée des habitans de la paroisse. La décision formée par la notoriété, reprimeroit la fraude du taillable, & les abus de l’imposition arbitraire des collecteurs. Les commerçans sont en petit nombre dans les villages : ainsi ces précautions pourroient suffire à leur égard.

Nous n’envisageons ici que les campagnes, & surtout relativement à la sûreté du laboureur. Quant aux villes des provinces qui payent la taille, ce seroit à elles-mêmes à former les arrangemens qui leur conviendroient pour éviter l’imposition arbitraire.

Si ces regles n’obvient pas à tous les inconvéniens, ceux qui resteroient, & ceux même qu’elles pourroient occasionner, ne seroient point comparables à celui d’être exposé tous les ans à la discrétion des collecteurs ; chacun se dévoueroit sans peine à une imposition reglée par la loi. Cet avantage si essentiel & si desiré, dissiperoit les inquiétudes excessives que causent dans les campagnes la répartition arbitraire de la taille.

On objectera peut-être que les déclarations exactes que l’on exigeroit, & qui régleroient la taxe de chaque laboureur, pourroient le déterminer à restreindre sa culture & ses bestiaux pour moins payer de taille ; ce qui seroit encore un obstacle à l’accroissement de l’agriculture. Mais soyez assûré que le laboureur ne s’y tromperoit pas ; car ses récoltes, ses bestiaux, & ses autres effets, ne pourroient plus servir de prétexte pour le surcharger d’impositions ; il se décideroit alors pour le profit.

On pourroit dire aussi que cette répartition proportionnelle seroit fort composée, & par conséquent difficile à exécuter par des collecteurs qui ne sont pas versés dans le calcul : ce seroit l’ouvrage de l’écrivain, que les collecteurs chargent de la confection du rôle. La communauté formeroit d’abord un tarif fondamental, conformément à l’estimation du produit des objets dans le pays : elle pourroit être aidée dans cette premiere opération par le curé, ou par le seigneur, ou par son régisseur, ou par d’autres personnes capables & bienfaisantes. Ce tarif étant décidé & admis par les habitans, il deviendroit bientôt familier à tous les particuliers ; parce que chacun auroit intérêt de connoître la cote qu’il doit payer : ainsi en peu de tems cette imposition proportionnelle leur deviendroit très-facile.

Si les habitans des campagnes étoient délivrés de l’imposition arbitraire de la taille, ils vivroient dans la même sécurité que les habitans des grandes villes : beaucoup de propriétaires iroient faire valoir eux-mêmes leurs biens ; on n’abandonneroit plus les campagnes ; les richesses & la population s’y retabliroient : ainsi en éloignant d’ailleurs toutes les autres causes préjudiciables aux progrès de l’agriculture, les forces du royaume se répareroient peu-à-peu par l’augmentation des hommes, & par l’accroissement des revenus de l’état. Art. de M. Quesnay, le fils.

Fermier, (Jurispr.) est celui qui tient quelque chose à ferme, soit un bien de campagne, ou quelque droit royal ou seigneurial.

Quand on dit le fermier simplement, on entend quelquefois par-là le fermier du roi, soit l’adjudicataire des fermes générales, ou l’adjudicataire de quelque ferme particuliere, telle que celle du tabac. Voyez ci-devant Ferme. (A)

Fermier conventionnel, est celui qui joüit en vertu d’un bail volontaire. Cette qualification est opposée à celle de fermier judiciaire. Voy. Bail conventionnel & Fermier judiciaire. (A)

Fermier général, est celui qui tient toutes les fermes du roi ou de quelqu’autre personne. On donne quelquefois ce titre à celui qui a toutes les fermes d’une certaine nature de droits, ou du moins dans l’étendue d’une province, en le distinguant par le titre de fermier général de telle chose ou de telle province.

Cette qualification de fermier général est opposée à celle de fermier particulier, par où l’on entend un fermier qui ne tient qu’une seule ferme.

Sous le nom de fermier général du roi, pris dans son étroite signification, on entend l’adjudicataire des fermes générales du roi ; mais dans l’usage commun on entend l’une des cautions de l’adjudicataire, que l’on regarde comme les vrais fermiers généraux, l’adjudicataire n’étant que leur prête-nom. Voyez ci-devant Fermes Générales. (A)

Le fermier général est celui qui tient à bail les revenus du souverain ou de l’état, quelle que soit la nature du gouvernement : c’est ce que l’on oppose à la régie, comme on l’a vû dans l’article précédent.

Dans la régie le propriétaire accorde une certaine rétribution pour faire valoir son fonds & lui en remettre le produit, quel qu’il soit, sans qu’il y ait de la part du régisseur aucune garantie des évenemens, sans aucun partage des frais de l’administration.

Dans le bail à ferme, au contraire, le fermier donne au propriétaire une somme fixe, aux conditions qu’il le laissera joüir du produit, sans que le propriétaire garantisse les évenemens, sans qu’il entre pour rien dans les dépenses de la manutention.

Le régisseur est donc obligé de tirer du fonds tout ce qu’il peut produire, d’en soûtenir la valeur, de l’augmenter même, s’il est possible ; d’en remettre exactement le produit, d’économiser sur la dépense, de tenir la recette en bon ordre, & d’agir, en un mot, comme pour lui-même.

Le fermier doit acquitter exactement le prix de son bail, & ne rien excéder dans la perception ; souvent même oublier ses propres intérêts, pour se rappeller qu’il n’est que le dépositaire d’un fonds qu’il ne peut équitablement ni laisser en friche ni détériorer.

Si dans cet état, autrefois exercé par les chevaliers romains, & susceptible, comme tous les autres, d’honneur & de considération, il s’est trouvé des citoyens fort éloignés d’en mériter, doit-on regarder avec une sorte d’indignation, & avilir en quelque maniere tous ceux qui exercent la même profession ? Rien n’est plus contraire à la justice, autant qu’à la véritable Philosophie, quand il est question de prononcer sur les mœurs, que de condamner l’universalité d’après les fautes des particuliers. Voyez au mot. Financier ce que l’on dit sur ce sujet, à l’occasion d’un passage de l’esprit des lois. Voyez aussi Fermes (Bail des). Article de M. Pesselier.

Fermier Judiciaire, est celui auquel le bail d’une maison ou autre héritage saisi réellement, a été adjugé par autorité de justice.

Il est défendu à certaines personnes d’être fermiers judiciaires ; savoir aux mineurs & aux septuagénaires, suivant l’arrêt de réglement du 3 Septembre 1690.

L’ordonnance de Blois, article 132, défend à tous avocats, procureurs, solliciteurs, greffiers, de se rendre fermiers judiciaires, ni cautions d’iceux. Le réglement du 27 Avril 1722, article 35, défend la même chose aux commissaires aux saisies réelles, & à leurs commis.

Les femmes ne peuvent aussi prendre un bail judiciaire, ni en être cautions.

Le poursuivant criées ne peut pas non plus être fermier judiciaire ni caution du bail, parce que l’ayant à bas prix, il ne poursuivroit pas l’adjudication par decret : d’ailleurs c’est à lui à veiller aux dégradations, & à empêcher que l’on ne consume tout le prix du bail judiciaire en réparations ; car le fermier judiciaire ne peut régulierement y employer annuellement que le tiers du prix du bail, à moins qu’il n’y ait une nécessité urgente d’en employer davantage, & que cela ne soit ordonné par justice.

Avant d’entrer en joüissance des lieux, le fermier judiciaire doit donner caution du prix du bail, si ce n’est lorsque le bail conventionnel est converti en judiciaire.

Le fermier judiciaire & sa caution sont contraignables par corps, excepté dans le cas dont on vient de parler, c’est-à-dire lorsque le bail conventionnel a été converti en judiciaire.

Il peut percevoir tous les droits utiles, mais il ne peut prétendre les droits honorifiques attachés à la personne du patron ou à celle du haut-justicier, ou à celle du seigneur féodal ; ainsi il ne peut nommer aux bénéfices ni aux offices, recevoir la foi & hommage, ni chasser ou faire chasser sur les terres comprises dans son bail : il peut seulement, s’il y a une garenne, y fureter.

A l’égard des charges réelles, il n’est tenu que de celles qui sont exprimées dans son bail ; s’il se trouve contraint d’en acquitter quelqu’autre, il doit en être indemnisé sur le prix de son bail.

En cas de main-levée de la saisie réelle ou d’adjudication par decret, le fermier judiciaire doit joüir des loyers de la maison saisie, & des revenus des terres qu’il a labourées ou ensemencées, en payant le prix du bail au propriétaire, suivant un arrêt de réglement du parlement de Paris, du 12 Août 1664. Voyez le réglement du 22 Juillet 1690 ; le Maistre, traité des criées, chap. viij. & aux mots Adjudication par Decret, Bail judiciare, Decret, Saisie réelle. (A)

Fermier partiaire, est un métayer qui prend des terres à exploiter, à condition d’en rendre au propriétaire une portion des fruits, telle qu’il en est convenu avec le bailleur, comme la moitié, ou autre portion plus ou moins forte. Voyez Admodiateur, Métayer. (A)

Fermier particulier, est celui qui ne tient qu’une seule ferme ou le bail d’un seul objet, à la différence d’un fermier général, qui tient toutes les fermes du roi ou de quelqu’autre personne. Voyez ci-devant Fermier général & Fermes Générales. (A)

Fermier, au jeu de la Ferme, est celui des joüeurs qui a pris la ferme au plus haut prix, soit à 10, 15 ou 20 sols, écus, &c. plus ou moins, selon que l’on évalue les jettons.

Fermiere, s. f. en terme de Marchand de bois, est un outil fait d’un gros chantier, garni par chacune de ses extrémités d’une grosse houpliere : on s’en sert à fermer les trains en route. Voyez Train.


  1. Selon la carte de M. de Cassini, il y a en tout environ cent vingt-cinq millions d’arpens ; la moitié pourroit être cultivée en blé.
  2. La petite quantité d’enfans de fermiers que la milice enleve, est un fort petit objet ; mais ceux qu’elle détermine à abandonner la profession de leurs peres, méritent une plus grande attention par rapport à l’Agriculture qui fait la vraie force de l’état. Il y a actuellement, selon M. Dupré de Saint-Maur, environ les du royaume cultivés avec des bœufs : ainsi il n’y a qu’un huitieme des terres cultivées par des fermiers, dont le nombre ne va pas à 30000, ce qui ne peut pas fournir 1000 miliciens fils de fermiers. Cette petite quantité est zéro dans nos armées : mais 4000 qui sont effrayés & qui abandonnent les campagnes chaque fois qu’on tire la milice, sont un grand objet pour la culture des terres. Nous ne parlerons ici que des laboureurs qui cultivent avec des chevaux ; car (selon l’auteur de cet article) les autres n’en méritent pas le nom. Or il y a environ six ou sept millions d’arpens de terre cultivée par des chevaux, ce qui peut être l’emploi de 30000 charrues, à 120 arpens par chacune. Une grande partie des fermiers ont deux charrues : beaucoup en ont trois. Ainsi le nombre des fermiers qui cultivent par des chevaux, ne va guere qu’à 30000 : surtout si on ne les confond pas avec les propriétaires nobles & privilégiés qui exercent la même culture. La moitié de ces fermiers n’ont pas des enfans en âge de tirer à la milice ; car ce ne peut être qu’après dix-huit ou vingt ans de leur mariage qu’ils peuvent avoir un enfant à cet age, & il y a autant de femelles que de mâles. Ainsi il ne peut pas y avoir 10000 fils de fermiers en état de tirer à la milice : une partie s’enfuit dans les villes : ceux qui restent exposés au sort, tirent avec les autres paysans ; il n’y en a donc pas mille, peut-être pas cinq cents, qui échoient à la milice. Quand le nombre des fermiers augmenteroit autant qu’il est possible, l’état devroit encore les protéger pour le soûtien de l’Agriculture, & en faveur des contributions considérables qu’il en retireroit. Note des Editeurs.