L’Encyclopédie/1re édition/PARIS

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PARIS, (Géog. mod.) ville capitale du royaume de France, située sur la Seine, à environ 90 lieues sud-est de Londres, 95 sud d’Amsterdam, 260 nord-ouest de Vienne, 240 nord-est de Madrid, 270 nord-ouest de Rome, 490 nord-ouest de Constantinople, 340 de Lisbonne, 590 sud-est de Moscou, 300 sud-ouest de Cracovie, 230 sud-ouest de Coppenhague, 350 sud-ouest de Strockolm, Long. orient. de Paris à Notre-Dame, 20d. 21′. 30″. latit. 48d. 51′. 20″. long. de Paris à l’observatoire ; suivant Cassini, 19d. 51′. 30″. latit. 48d. 50′. 10″.

Paris est une ancienne ville, une des plus grandes, des plus magnifiques & des plus peuplées de l’univers. Elle a produit seule plus de grands personnages, plus de savans, plus de beaux esprits que toutes les autres villes de France réunies ensemble.

On y compte sept cent mille ames, environ 23 mille maisons, un grand nombre d’hôtels magnifiques. Il y a trois palais superbes distingués sur tous les autres ; savoir, celui des Tuileries, du Louvre & du Luxembourg ; celui du Louvre n’est point fini. Chaque roi depuis François I. y a fait travailler plus ou moins. Louis XV. aura peut-être la gloire d’y avoir mis la derniere perfection.

La Seine qui traverse Paris, passe sous plusieurs, pont, entr’autres sous le pont-neuf, qui est le plus beau, soit par sa longueur, soit par sa largeur. Les plus belles places publiques sont la place royale, où l’on voit la statue de Louis XIII. la place Vendôme, où est la statue équestre de Louis XIV. & la place des Victoires, où est la statue pédestre du même roi ; mais on fait actuellement entre les Tuileries & le Cours, une nouvelle place, où l’on a déja placé la statue équestre de Louis XV. on ne peut rien encore prononcer sur la place ; mais quant à la statue, il est décidé que c’est le plus beau monument en ce genre qu’il y ait à Paris.

De toutes les fontaines de Paris, il n’y en a que deux belles, celle des Innocens, & celle de la rue de Grenelle.

On compte dans Paris trois maisons de théâtres qui semblent être des prisons ; 41 paroisses, 11 chapitres ou collégiales, 53 couvents d’hommes, 70 couvents de filles, 12 séminaires, 8 abbayes de filles, & 3 abbayes d’hommes ; sçavoir, S. Victor, S. Martin-des-Champs, & S. Germain-des-Prés.

L’évêché de Paris fut érigé en archevêché en 1622. Les archevêques sont ducs & pairs depuis 1674. La métropole, quoiqu’ancienne, a des grandes beautés, & un cœur richement orné. Les autres églises remarquables sont 1°. Celle de la maison professe des Jésuites, où se trouve les cœurs de Louis XIII. & de Louis XIV. ainsi que le mausolée en marbre du grand Condé. 2°. L’église de la paroisse de S. Roch, nouvellement bâtie. 3°. celle de la paroisse S. Sulpice, qui n’est pas encore finie. 4°. Celle du Val-de-Grace, décorée de peintures ; c’est une des huit abbayes de filles qui sont dans la ville. 5°. On a commencé brillamment l’église de sainte Génevieve.

L’université de Paris, célebre dans le monde chrétien, est composée de trente-six colléges, dont dix sont de plein exercice. Il y a deux écoles publiques de Théologie, la Sorbonne & Navarre. Le cardinal de Richelieu a été restaurateur de la Sorbonne, où il a dans la chapelle un superbe mausolée. Le college le plus beau, & qui est de plein exercice, est celui des Quatre-Nations, appellé aussi Mazarin, parce qu’il a pour fondateur le cardinal de ce nom. Les jésuites avoient un vieux college dans la rue S. Jacques, appellé autrefois le college de Clermont, parce qu’un évêque de Clermont l’avoit fondé.

Il y a à Paris six académies royales, l’académie françoise établie en 1635 ; celle des Inscriptions & Belles-lettres, en 1663 ; celle des Sciences, en 1666 ; celle de Peinture & de Sculpture, en 1648 ; celle d’Architecture, en 1671 ; & celle de Chirurgie, en 1748.

Il y a cinq bibliotheques publiques ; celle du roi tient le premier rang dans le monde littéraire par l’étendue des bâtimens, par le grand nombre de livres & de manuscrits, & par son assemblage de médailles, d’estampes, &c.

Il y a trois sortes de prisons, comme si le gouvernement n’étoit pas un ; la prison du roi, celle s du parlement, la conciergerie & le châtelet ; & celle de l’archevêché, l’officialité.

Les principaux hôpitaux sont l’hôtel-dieu, & l’hôpital-général qui en comprend d’autres.

Les célebres manufactures de Paris sont celles des glaces dans le fauxbourg S. Antoine, & celle des Gobelins pour les belles tapisseries, dans le fauxbourg S. Marceau.

Louis XIV. a fait bâtir près de la porte S. Jacques un observatoire consacré à l’Astronomie. Ce noble, utile, grand & simple édifice s’abîmera incessamment, si l’on n’en prévient la ruine prochaine.

Parmi les grands établissemens faits à Paris, on doit mettre celui des Invalides ; c’est un hôtel magnifique fondé par Louis XIV. pour servir de retraite aux officiers & soldats qui ont passé vingt ans au service, ou qui ont été estropiés, & hors d’état de servir davantage. Louis XV. a fait un nouvel établissement plus utile. C’est une école militaire consacrée à l’éducation de cinq cens jeunes gentilhommes, qui sont entretenus & instruits dans toutes les sciences convenables à leur état.

Personne n’ignore qu’il y a dans Paris un grand nombre de jurisdictions, parlement, le plus ancien & le plus étendu du royaume, chambre des comptes, cour des aides, grand-conseil, cour des monnoies, bureau des finances, chambre du domaine, jurisdiction des eaux & forêts, châtelet, consuls, bailliage du palais, connétablie, maréchaussée, élection, gremer à sel, &c.

On a tenu plusieurs conciles à Paris ; le premier, un des plus considérables, se tint contre les Ariens, en 362. Le roi Gontran assembla, en 575, le quatrieme concile de Paris, pour terminer le differend entre Chilperic & Sigebert ; mais cette assemblée fut sans aucun effet. Le cinquieme concile de Paris fut convoqué en 624 par les soins de Clotaire II. pour la réforme des abus ; 79 évêques y assisterent, & l’on ne reforma rien. Philippe-Auguste fit tenir en 1186 & 1187, deux conciles à Paris pour délibérer sur le moyen de sécourir la Terre-sainte. Dans le dernier, on lui accorda la dixme dite saladine, parce que les deniers en devoient être employés contre le sultan Saladin. Les légats du pape célebrerent, en 1196, un concile dans la même ville, pour contraindre Philippe à quitter Agnès de Méranie. En 1202, on en tint un dans lequel on défendit la lecture d’Aristote. Jean de Nanton, archevêque de Sens, présida au concile de Paris de l’an 1429 pour la réforme de l’office divin, des ministres de l’église, des abbés & des religieux.

La situation de Paris est très-heureuse. Quatre rivieres, l’Yone, la Seine, la Marne & l’Oise lui apportent les denrées des provinces les plus fertiles ; les greniers de la Beauce sont presque à ses portes. La Seine qui depuis qu’elle est sortie de Paris, va toujours en serpentant comme un méandre, & qui, par des contours de près de cent lieues, se rend à la mer qui n’en est pas éloignée de plus de quarantedeux, devient ainsi fort aisée à remonter, & apporte à Paris les commodités & les richesses de la Notmandie & de la mer. Cette abondance des choses nécessaires à la vie, a fait accourir à Paris une grande affluence de peuple. La résidence des rois, la proximité de Versailles, la dépendance où l’on est des ministres, le luxe, l’amour des plaisirs ont augmenté cette affluence, qui n’aura bientôt plus de bornes ; mais aussi Paris voit naître dans son sein plus de savans & de grands artistes que tout le reste du royaume.

Passons au détail de la description de cette grande ville.

Nous ignorons le tems de sa fondation, & de celui de ses premiers agrandissemens ; cependant Raoul de Presles nous fournira dans la suite quelques faits curieux. Grégoire de Tours nomme seulement les fondateurs des deux églises de S. Pierre & de S. Vincent : de sorte que si l’on peut tirer des écrits de cet auteur, quelques éclaircissemens sur l’état de la ville de Paris, ce n’est qu’en rapprochant des passages épars çà & là, en les comparant entr’eux, & avec ce que nous apprenons des écrivains qui ont vécu de son tems, ou qui sont venus après lui.

On lit dans les commentaires de César, l. VI. le premier des auteurs anciens qui a parlé de Paris, qu’il transféra l’assemblée générale de la Gaule dans la ville de Lutece des Pariens, Lutetia Parisiorum. César la nomme Oppidum, ce qui prouve qu’elle étoit déja la capitale d’un peuple, avant que ce grand capitaine en eût fait la conquête. Le transport de l’assemblée générale de la Gaule de Lutece marque que cette ville avoit pour lors une certaine considération, & des facilités de subsistance, par la fertilité du pays. Aussi les Lutéciens se conduisirent avec beaucoup de courage contre l’armée de Labienus ; ce général s’étant approché de Lutece, les habitans mirent le feu à la ville, c’est-à-dire, selon les apparences, aux maisons qui étoient près de la riviere, rompirent les ponts, & se camperent sur les bords de la Seine, ayant la riviere entr’eux & le camp de l’ennemi. Strabon & Ptolomée, qui ont écrit depuis César, honorent aussi Lutece du nom de ville ; il est vraissemblable que Lutetia est un pur nom gaulois, ou celtique.

On a découvert une inscription du tems de l’empereur Tibere sur une pierre qu’on trouva en 1710 sous l’église métropolitaine de Notre-Dame. On y lit ces mots, Nautæ Parisiaci, ce qui doit s’entendre des marchands ou notoniers de la province des Parisiens, qui formant un corps de communauté à Lutece, avoient consacré ce monument pour conserver à la postérité la mémoire de quelque evénement singulier arrivé sous Tibere, ou pour quelques actions de graces à Jupiter. Voici l’inscription. Tib. Cæsare. Aug. Jovi. Optimo. Maximo. Nautæ, Parisiaci Publicè Posuerunt.

Les Luteciens étoient les habitans de la capitale de la province des Parisiens ; mais on ignore le tems où le nom de la province est devenu celui de la capitale. Les auteurs qui dérivent le mot de Parisii de παρὰ, & d’Ἶσις, peuples sous la protection d’Isis, débitent une pure fiction, la déesse Isis n’avoit jamais été adorée dans la province des Parisiens ; & l’on n’a pas un seul ancien auteur qui le dise.

L’empereur Julien cherchant un asyle dans les Gaules, choisit Paris pour y faire sa demeure ordinaire : voici ce qu’il en raconte lui-même dans le Misopogon.

« J’étois, dit-il, en quartier d’hiver dans ma chere Lutece ; c’est ainsi qu’on appelle dans les Gaules la petite capitale des Parisiens. Elle occupe une île peu considérable, environnée de murailles, dont la riviere baigne le pié. On y entre des deux côtés par des ponts de bois. Il est rare que la riviere se ressente beaucoup des pluies de l’hiver ou de la secheresse de l’été. Ses eaux pures sont agréables à la vûe & excellentes à boire. Les habitans auroient de la peine à en avoir d’autres, étant situés dans une île. L’hiver y est assez doux… On y voit de bonnes vignes, & des figuiers même, depuis qu’on prend soin de les revétir de paille, & de tout ce qui peut garantir les arbres des injures de l’air. Pendant le séjour que j’y fis, un froid extraordinaire couvrit la riviere de glaçons… Je ne voulus point qu’on échauffât la chambre où je couchois, quoiqu’en ce pays-là on échauffe, par le moyen des fourneaux, la plûpart des appartemens, & que tout fût disposé dans le mien pour me procurer cette commodité… Le froid augmentoit tous les jours ; cependant ceux qui me servoient ne purent rien gagner sur moi… Je leur ordonnai seulement de porter dans ma chambre quelques charbons allumés. Le feu tout médiocre qu’il étoit fit exhaler des murailles une vapeur qui me donna à la tête, & m’endormit. Je pensai être étouffé. On m’emporta dehors, & les médecins m’ayant fait rendre le peu de nourriture que j’avois pris sur le soir, je me sentis soulagé. J’eus une nuit tranquille, & fus dès le lendemain en état d’agir » C’est ainsi que sa dureté pour lui-même pensa lui couter la vie.

Il est probable que ce fut du tems de Julien qu’on bâtit le palais des thermes ou des bains, dont on voit encore quelques vestiges à la Croix de fer, rue de la Harpe. Clovis après avoir tué Alaric, roi des Visigoths, y fit sa résidence en 508, selon l’abbé de Longuerue. Son palais étoit sur la montagne, aux environs du lieu où l’on a bâti depuis le college de Sorbonne. Saint Louis, dans ses lettres, témoigne que ce lieu étoit ante palatium thermarum, devant le palais des thermes, d’où l’on voit qu’il subsistoit dès ce tems-là, de maniere à mériter la dénomination de palais.

Raoul de Presles, après avoir parlé de ce palais des thermes, dit dans son vieux langage : « A donc, les gens commencerent à édifier maisons à l’environ de ce chastel, & à eulx logier, & commença celle partie lors premierement à estre habitée ; n’encores, ne despuis long-tems ne fut l’autre partie de Paris devers Saint-Denis, laquelle est à présent la plus grant habitée ; mais y avoit par-tout forests & grands bois, & y faisoit l’en moult d’omicides. Le marchié des bestes étoit par-deçà la rue aux Bourdonnois, ou lieu que l’en dit le siége aux Deschargeurs ; & encore l’appelle l’en la vieille place aux pourceaux ; & à la Croix du tirouoir se tiroient les bestes, & pour ce est appellé la Croix du tirouoir ». (Tirouoir, triouoir pour les bêtes que l’on y triooit.)

« Au carrefour Guillori estoit le pilori où l’on coupoit les oreilles, & pour ce à proprement parler il est appellé le carrefour Guiguoreille. Et la boucherie estoit là où elle est à présent, comme tout hors de la cité ; & c’estoit raison. Et emprez ou Perrin-Gasselin estoit une place où l’on gettoit les chiens. Et encores y a il une ruelle ainsi appellée.

» Despuis fut habitée & fermée Paris, jusques-au lieu que l’on dit à Barchet Saint-Merry, où il appert encore le côté d’une porte. Et là fut la maison Bernart des Fossez, où Guillaume d’Orange fut logié, quand il desconfit Ysore qui faisoit siége devant Paris. Cette porte alloit tout droit sans tourner à la riviere, ou lieu que l’en dist, les planches de Mibray. Et là avoit un pont de fust qui s’adressoit droit à Saint-Denis de la Chartre, & de-là tout droit parmi la cité, s’adressoit à l’autre pont que l’en dit Petit-pont.

» Et estoit ce lieu dit, à proprement parler, les planches de Mibras, car c’estoit la moitié du bras de Seine, & qui auroit une corde, & la menait de la porte Saint-Martin à la riviere, & de la riviere à la juierie, droit au petit pont de pierre abattu, & & de-là à la porte Saint-Jacques, elle iroit droit comme une ligne, sans tourner ne çà ne là.

» Après l’en fist le cimetiere ou lieu où est l’église des Innocens, qui étoit lors tout hors & loing de la ville, si comme l’en le faisoit anciennement ; car l’en faisoit & les boucheries & les cimetieres tout hors des cités, pour les punaisiers & pour les corruptions eschiever.

» Près de ce cimetiere, l’en commença à faire le marchié, & l’appelloit l’en Champeaux, pource que c’estoit tout champs. Et encores a ce lieu retenu le nom & raison du marchié, premierement y commencierent les gens à faire loges petites & bordes, comme feirent les Bourgueignons quant ils vindrent premierement en Bourgogne. Et puis petit-à-petit y édifierent maisons, & y fist l’en halles, pour vendre toutes manieres de denrées.

» Et ainsi crut la ville jusques-à la porte S. Denis, & là fut fermée & fut abattue la vieille muraille, & à présent s’estent la ville jusques-à la bastille S. Denis. Qu’il soit, il appert ; car quand l’église S. Magloire, laquelle fut premierement en la citée, fut transportée au lieu où elle est de présent, elle fut édifiée aux champs ; & se trouve encores qu’en la date des lettres royaux qui furent faites pour-lors, avoit escript : donné en notte église de lez Champiaux près de Paris ».

Après cette exposition des accroissemens & de l’état de Paris, Raoul de Presles parle du château de Begaux à Saint-Mor-des-Fossez, détruit par Maximien, puis il passe à la description du gouvernement de la nation d’après Julius Celsus, & dit qu’elle étoit composée de druides, de chevaliers, & du peuple, duquel l’on ne faisoit point de compte, car ils étoient aussi comme serfs. « Et quant ils se veoient grevez & oppressez par aucun, ils se rendoient au plus fort ».

Raoul de Presles parle ensuite des temples des Parisiens. « A la montagne de Mercure (aujourd’hui Monmartre), fut envoyé, dit-il, par Domitien-Maxence, & mené monseigneur saint Denis & ses compaignons, pour sacrifier à Mercure, à son temple qui là estoit, & dont appert encores la vieille muraille. Et pour ce qu’il ne le voult faire, fut ramené lui & ses compaignons, jusques-au lieu où est sa chapelle, & là furent tous décolez. Et pour celle, ce mont qui paravant avoit nom le mont de Mercure, perdit son nom & fut appellé le mont des Martirs, & encores est.

» Ce monseigneur saint Denis fonda à Paris trois églises ; la premiere de la Trinité où est aouré saint Benoist à présent, & y mit moines ; la seconde saint Etienne des Gres, & y fit une petite chapelle où il chantoit ; la tierce Notre-Dame-des-Champs, en laquelle église il demeuroit, & y fut prius ; & ces choses nous avons dit pour montrer l’ancienne création de Paris ».

Au reste, on ne devineroit pas l’ouvrage où se trouve tout le récit de Raoul de Presles, dont on vient de lire l’extrait ; c’est dans le chapitre xxv. du livre V. de ses Commentaires sur la Cité de Dieu de saint Augustin. Cet écrivain naquit vers l’an 1315 ; il fleurissoit sous Charles V. qui eut pour lui une estime particuliere, & estima beaucoup son ouvrage de la Cité de Dieu, dont un des plus anciens exemplaires est celui qui est noté à la bibliotheque royale, n°. 5824, 6835 ; il a appartenu à Louis XII. & les miniatures en sont belles.

Revenons à l’état où étoit la cité de Paris avant le ravage des Normands en 886. On y entroit par deux ponts de bois du tems de l’empereur Julien, comme il nous l’apprend lui-même. Quoique plusieurs passages de Grégoire de Tours donnent à entendre que nos rois avoient un palais dans la cité ; il faut cependant convenir qu’aucun auteur n’en a parlé d’une maniere positive avant le siége de Paris par les Normands. Le palais où demeuroit Julien n’étoit pas dans la cité, mais au midi de la Seine auprès du palais des Thermes : c’étoit dans le palais des Thermes que venoient se rendre les eaux d’Arcueil, par un aquéduc dont il reste encore des vestiges, depuis ce village jusqu’à l’hôtel de Clugny, rue des Mathurins ; & la rue des Mathurins qui fut percée au-travers de ce palais, fut nommée la rue des Bains de César, vicus Thermarum Cæsaris.

On a abattu auprès de l’hôtel de Clugny, en 1737, une salle fort exhaussée, sur la voûte de laquelle il y avoit un jardin qui faisoit partie de ce palais ; mais on peut voir encore à la Croix de fer dans la rue de la Harpe, une autre grande salle voûtée, & haute d’environ quarante piés, construite & liée des mêmes matériaux que les restes de l’ancien aquéduc d’Arcueil, dans laquelle il y a une rigole à deux banquettes, couverte d’un enduit de ciment, & d’une construction semblable à des restes de rigole, que M. Geoffroy de l’académie des Sciences a découverts en 1732.

Les bains du palais que Julien habitoit avec toute sa cour, étoient dans cet endroit-là, mais ils n’en formoient qu’une petite partie. Nos rois de la premiere race y firent aussi leur séjour. Childebert se plaisoit à cultiver les jardins qui l’accompagnoient, & qui devoient être situés du côté de l’abbaye de saint Germain, puisque Fortunat nous apprend que c’étoit en les traversant que ce prince se rendoit à cette église.

Charibert dont les mœurs ne se ressentoient en rien de la barbarie de nos premiers rois, céda à la reine Ultrogothe, femme de Childebert, & à ses deux filles, le palais des Thermes, & se retira dans celui de la cité. Les Normands qui brûlerent les maisons du quartier de l’Université, n’épargnerent pas le palais des Thermes ; & c’est au tems de leurs ravages qu’il faut attribuer la destruction de l’aquéduc d’Arcueil. Malgré cela il fut encore la demeure de quelques-uns de nos rois de la troisieme race, & sous Louis le jeune il s’appelloit le vieux palais. Jean de Hauteville, qui vivoit sous le regne de Philippe-Auguste, en fait une description magnifique, aussi-bien que de ses jardins ; il ajoute qu’il s’y commettoit des désordres où la pudeur n’étoit guère épargnée ; l’emplacement des jardins devoit occuper le terrein des rues de la Harpe, Pierre-Sarasin, Hautefeuille, du Jardinet, & autres.

Quoi qu’il en soit de l’étendue précise du palais des Thermes, il est certain qu’il subsistoit encore en 1218, puisque cette année-là Philippe-Augüste le donna à un de ses chambellans avec le pressoir qui y étoit, à condition qu’il le tiendroit du roi & de ses successeurs, moyennant douze deniers de cens. Depuis le regne de ce prince, ce palais éprouva les mêmes changemens qui sont arrivés dans la suite à d’autres palais de nos rois, comme aux palais de saint Paul & des Tournelles, dont les bâtimens furent vendus à différens particuliers, & sur l’emplacement desquels on perça de nouvelles rues.

Les rois de la race des Carlovingiens demeurerent rarement à Paris. Robert, frere du roi Eudes, étant comte ou gouverneur de Paris, s’en rendit le maître absolu, & laissa sa succession à Hugues-le-Grand. Ces princes avoient un palais dans cette ville, dans l’endroit où l’on rend la justice ; auprès étoit une chapelle dédiée à saint Barthelemi, où Hugues-Capet, avant que de parvenir à la couronne, établit pour y faire le service les moines de saint Magloire qui étoient errans, ruinés, & chassés de Bretagne par les Normands.

Hugues-Capet qui fut comte de Paris, ayant été élu roi en 987, & n’ayant presque d’autre domaine que celui dont il avoit hérité de son pere, continua de résider à Paris comme il avoit fait avant que de monter sur le trône, ce qui a été suivi par ses successeurs, qui tous ont été de sa race ; ainsi il y a plus de sept cens cinquante ans que Paris est continuellement la capitale du royaume & la résidence des rois, c’est ce qui l’a fait parvenir au point de grandeur où elle est aujourd’hui, par le moyen des grands fauxbourgs, qui furent bâtis au midi & au septentrion de la Seine, & qui demeurerent tout ouverts plus de deux cens ans après la mort de Hugues-Capet.

Ce fut Philippe-Auguste qui le premier fit fermer de murailles ces fauxbourgs, ce qui forma deux nouvelles villes, l’une du côté du midi, qui fut nommée l’Université, parce que les maîtres qui y enseignoient les sciences s’y étoient établis avec leurs écoliers, quoiqu’il n’y eût point alors de college fondé ; celui de Sorbonne est le plus ancien. Cette enceinte fut considérablement augmentée sous le regne de Charles V. dit le Sage, qui enferma les églises de S. Paul & de S. Germain l’Auxerrois, de S. Eustache, de S. Martin, de S. Nicolas des Champs, & quelques-autres, dans la nouvelle enceinte qu’il fit faire. Du tems de Louis XIII. on enferma les Tuileries & saint Roch dans la ville, & l’on fit bâtir les portes de la Conférence, de S. Honoré, de Richelieu & de Montmartre, lesquelles sont détruites depuis quelques années, celle de la Conférence en 1730, & celle de S. Honoré en 1732.

Parcourons maintenant tous les quartiers de Paris & commençons par le Louvre, le principal ornement de cette grande ville, mais qui demande à être achevé. Du Boulay prétend qu’il avoit été construit dès la premiere race de nos rois ; c’est un sentiment qu’il appuie principalement sur des lettres du roi Dagobert I. dont l’authenticité n’est pas trop reconnue : il est vrai qu’elles sont rappellées dans des lettres moins suspectes de Charles-le-Chauve ; ainsi en admettant ces dernieres on donnera toujours au Louvre une époque bien antérieure au regne de Philippe-Auguste. Il paroît enfin que le château est plus ancien que ce prince ; & Rigord que l’on cite pour prouver que cette maison lui doit son origine, ne dit autre chose, sinon qu’il y fit bâtir cette tour, si connue depuis sous le nom de grosse tour du Louvre. Comme nos rois ont toujours aimé la chasse, cette maison pouvoit bien d’abord avoir été destinée aux équipages de celle du loup, d’où lui seroit venu le nom de Lupara ; si cette étymologie n’est pas vraie, elle n’est pas au-moins contre toute vraissemblance.

Quoi qu’il en soit, si le Louvre ne fut pas commencé, il fut rétabli en 1214 par Philippe-Auguste, hors de la ville, à l’extrémité de la varenne du Louvre. La grosse tour bâtie près du château, sur la riviere, fut nommée la tour du Louvre, elle défendoit l’entrée de la riviere conjointement avec celle de Nesle, qui étoit vis-à-vis. Ce fut dans la tour du Louvre que Ferrand, comte de Flandre, fut mis en prison après la bataille de Bovines, que Philippe-Auguste gagna sur ce comte, son feudataire, qui s’étoit révolté contre lui : cette grosse tour servit depuis à garder les tresors de quelques rois, & fut renversée quand le roi François I. fit les fondemens des ouvrages qu’on appelle le vieux Louvre. Henri II. son fils employa les architectes les plus renommés de son tems, pour rendre ce bâtiment aussi régulier que magnifique.

Les premiers fondemens du palais des Tuileries furent jettés l’an 1564, par l’ordre de la reine Catherine de Médicis, en un lieu fort négligé, où pendant long-tems on avoit fait de la tuile. Elle prit, pour exécuter son dessein, Philibert de Lorme & Jean Bulan, tous deux françois & les plus habiles de ce tems. Il ne fut composé que du gros pavillon carré du milieu, de deux corps de logis qui ont une terrasse du côté du jardin, & de deux autres petits pavillons qui les suivent. Ces cinq pieces qui forment ce palais, avoient de la régularité & de la proportion. Les faces des deux côtés qui regardent la cour ou la principale entrée par la place du Carousel, sont décorées d’une architecture de très-bon goût. Le gros pavillon du milieu, couvert en dôme carré, est orné de trois ordres de colonnes de marbre ; savoir de l’ionique, du corinthien & du composite, avec un attique encore au-dessus. Les colonnes du premier ordre sont bandées & ornées sur les bandes de diverses sculptures, travaillées sur le marbre. Du côté du jardin, ces mêmes ordres ne sont que de pierre. Dans la restauration que Louis XIV. fit faire dans ce palais en 1664 sur les desseins de Louis le Vau, dont François d’Orbay a eu toute la conduite, on ajouta à ce pavillon le troisieme ordre avec un attique, afin que l’exhaussement répondît à tout le reste.

Aujourd’hui toute la face de cet édifice est composée de cinq pavillons & de quatre corps de logis de 168 toises 3 piés de longueur, dont l’architecture est traitée diversement, ce qui n’empêche pas que le tout ensemble n’ait une grande apparence qui embellit infiniment les vûes du jardin des Tuileries, dont l’étendue a été distribuée d’une maniere si ingénieuse, que dans un espace de 360 toises de longueur sur 168 de largeur, on trouve tout ce qu’on peut souhaiter dans les plus charmantes promenades.

Au-delà des Tuileries, sur le bord de la riviere, est le Cours, appellé communément le Cours de la reine. Marie de Médicis le fit planter, pour servir de promenade. Il étoit long de 1800 pas, & composé de trois allées, qui formoient quatre rangées d’ormes, faisant ensemble 20 toises de longueur.

Proche du Guichet, on trouvoit deux églises, dont l’une S. Nicolas du Louvre desservie par des chanoines, & l’autre S. Thomas du Louvre, avec un chapitre dans la rue de ce même nom, sont aujourd’hui réunies sous un même titre.

L’origine de l’église de S. Germain l’Auxerrois, paroisse du Louvre, est inconnue. Il est certain qu’on appelloit simplement du nom de S. Germain dès le vij. siecle l’église qui étoit bâtie à cette place. Il n’y a aucun indice avant le xiv. siecle qu’on y eût honoré S. Vincent. Le bâtiment de cette église, tel qu’on le voit à présent, est de différens siecles.

Le quartier S. Honoré a été ainsi nommé de la rue de ce nom, l’une des plus grandes de Paris, dont l’extrémité donne dans la rue de la Feronnerie. La premiere chose un peu remarquable qu’on distingue ensuite, est la croix du Terroir ; elle est au coin de la rue de l’Arbre-sec, appuyée sur l’angle d’un pavillon. Son nom a fort varié dans les anciens titres ; tantôt c’est la croix du Traihouer, Trayoir, tantôt la croix du Triouer, Tiroer, & enfin Tiroir. C’est-là que se fait la décharge des eaux d’Arcueil, qui passent sous le pavé du pont-neuf.

En avançant dans la même rue, on trouve l’église des peres de l’Oratoire. Ces peres furent établis à Paris par le cardinal de Berulle le 11 Novembre 1611. Ils logerent d’abord à l’hôtel de Valois, fauxbourg S. Jacques ; ensuite ils vinrent à l’hôtel du Bouchage ; quelque tems après, on jetta les fondemens de leur église. Un peu plus haut de l’autre côté de la rue, on voit l’église de S. Honoré, qui n’a rien de remarquable. Le palais-royal qu’on découvre ensuite, a été bâti de fonds en comble, pour servir de logement au cardinal de Richelieu, & fut nommé de son tems hôtel de Richelieu, & ensuite palais-cardinal.

A peu de distance de-là, vis-à-vis la rue de Richelieu, est l’hôpital des Quinze-Vingts, que S. Louis fit bâtir en 1254 pour trois cens gentilshommes aveugles qu’il ramena de la Terre-sainte, où ils avoient perdu la vûe en combattant contre les Sarrasins. Plus haut de l’autre côté est l’église paroissiale de S. Roch, qui a été extrèmement aggrandie. L’église des Jacobins qu’on rencontre ensuite n’est remarquable que par une chapelle, où est élevé en marbre blanc le tombeau du maréchal de Créqui, mort en 1687. Le couvent des Feuillans qu’on trouve dans la même rue, a toutes les commodités que peut desirer une nombreuse communauté : l’église fut commencée en 1601, & le roi Henri IV. y mit la premiere pierre : Louis XIII. en fit faire le portail l’an 1624. Le couvent des Capucins n’est éloigné de celui des Feuillans que d’un fort petit espace, tout y est très-simple : leur église fut bâtie par les ordres d’Henri III. & son favori, nommé le P. Ange de Joyeuse, qui mourut en 1608, y fut enterré vis-à-vis le grand autel.

Le monastere des filles de l’Assomption est un peu plus avant du même côté. Ces religieuses demeuroient autrefois dans la rue de la Mortellerie, proche de la Greve, où elles étoient hospitalieres ; on les nommoit Haudriettes, à cause d’Etienne Haudri, écuyer du roi saint Louis, qui les avoit fondées pour loger & pour servir les pauvres malades. Cette communauté s’étant accrue dans la suite, & se trouvant resserrée en ce lieu-là, vint s’établir en 1622 dans l’endroit où elle est présentement. C’étoit une place vuide qui s’étendoit jusqu’aux fossés de la ville. Le cardinal de la Rochefaucauld introduisit parmi ses religieuses la regle de S. Augustin qu’elles suivent aujourd’hui. Vis-à-vis du monastere de l’Assomption est celui des filles de la Conception ; ce sont des religieuses du tiers-ordre qui l’occupent.

L’hôtel de Vendôme étoit autrefois au lieu que l’on appelle aujourd’hui la place de Vendôme : cette place est de 78 toises de largeur, & 86 de profondeur. La statue équestre de Louis XIV. est posée au milieu sur un piédestal de marbre fort élevé, où sont autour du piédestal quatre inscriptions composées par l’académie des Belles-Lettres, pour-lors des médailles, mais elles ne sont pas modelées sur le bon goût de la Grèce & de Rome. Notre style lapidaire avec son enflure n’est bon qu’à soufler des nains, dit ingénieusement M. J. J. Rousseau.

L’une de ces inscriptions porte, Ludovico Magno, Victori Perpetuo, Religionis Vindici, Justo, Pio, Felici, Patri Patriæ..... Quo imperante securè vivimus, neminem timemus, &c. Ce neminem timemus ne respire pas le style lapidaire. D’ailleurs il ne falloit pas faire parler les représentans de la ville, comme parlent de petits bourgeois.

La seconde inscription roule sur la révocation de l’édit de Nantes, sujet de désastres & non de triomphes, de politique mal-entendue & non de gloire religieusement acquise.

La derniere inscription est l’éloge fastueux des conquêtes de Louis XIV. Cette inscription finit par dire : Asia, Africa, America, sensere, quid Marte posset. Bellum latè divisum atque dispersum, quod conjunxerant reges potentissimi, & susceperant integræ gentes, mirâ prudentiâ, & felicitate confecit. Regnum, non modò à belli calamitate, sed etiam à metu calamitatis, defendit. Europa, damnis fatigata, conditionibus ab eo latis, laudem acquievit, & cujus virtutem & consilium armata timuerat, ejus mansuetudinem & æquitatem, pacata miratur, & diligit.

Le quartier de la butte S. Roch peut suivre celui de S. Honoré : il a été appellé ainsi à cause d’une haute butte de terre voisine de l’église de S. Roch, qu’on a applanie depuis quelques années pour bâtir plusieurs maisons spacieuses qu’on y trouve en diverses rues. La bibliotheque du roi est dans ce quartier. Voyez le mot Bibliotheque, t. II. p. 236.

La rue neuve des Petits-Champs qui commence vers l’église des Capucines, aboutit vers la place des Victoires. La statue de Louis XIV. est au milieu de cette place sur un piédestal de marbre blanc, veiné, de 22 piés de haut, en y comprenant un sous-bassement de marbre bleuâtre. Ce prince a un cerbere à ses piés, & la Victoire derriere lui montée sur un globe. Ce monument a été doré, & on lit sous la figure du roi, Viro immortali. Le tout est accompagné de bas-reliefs, & d’inscriptions latines & françoises trop connues.

L’hôtel de Soissons qui étoit dans ce quartier-là, n’en présente aujourd’hui que l’emplacement. L’église paroissiale de S. Eustache, une des plus considérables de la ville, n’est qu’à quelques pas de l’hôtel. Ce n’étoit d’abord qu’une chapelle sous l’invocation de Ste Agnès, qui dépendoit du chapitre de S. Germain l’Auxerrois. Le bâtiment tel qu’on le voit aujourd’hui fut commencé vers l’an 1530.

La rue S. Denis, l’une des plus fréquentées de la ville, commence au grand châtelet, qui est à l’extrémité du pont-au-change ; c’est en ce lieu que dans un vieux bâtiment se rend la justice civile & criminelle de la prevôté de Paris. La boucherie qui est dans cet endroit étoit autrefois la seule de toute la ville. Elle appartenoit à une communauté de bouchers, dont le crédit étoit si grand sous le regne de Charles VI. qu’il arrivoit souvent de tristes désordres lorsqu’ils étoient mécontens. Ils avoient à leur tête un nommé Caboche, écorcheur de bêtes ; & les principaux d’entr’eux, au rapport de Juvenal des Ursins, étoient les Gois, les Tibert, les Luilliers & les Saintions. C’est apparemment de cette communauté de bouchers que l’église paroissiale de S. Jacques de la Boucherie a reçu son nom.

Le cimetiere des SS. Innocens qu’on trouve près delà est le lieu public de Paris où l’on enterre les morts depuis près de mille ans. Le tombeau le plus singulier que l’on y voit est celui de Flamel qui avoit amassé de grandes richesses, & de Pernelle sa femme ; cependant ils ne sont point enterrés dans ce cimetiere. La fontaine des Innocens, qui est au coin de la rue aux Fers, a été embellie d’une architecture corinthienne en pilastres, ouvrage de Jean Gougeon.

L’église de S. Sépulcre, bâtie en 1326 pour les pélerins du saint sépulcre de Jérusalem qu’on logeoit autrefois quelques jours, est un peu plus loin de l’autre côté de la rue ; c’est à présent une collégiale, dont les chanoines, au nombre de cinq, sont à la collation du chapitre de Notre-Dame.

L’hôpital de S. Jacques qui est vis-à-vis de la rue aux Ours, fut fondé en 1317 par quelques bourgeois de Paris. Le revenu de cet hôpital appliqué aujourd’hui aux Invalides, étoit autrefois employé à loger les voyageurs qui passoient pour aller à S. Jacques de Galice.

On trouve ensuite l’hôpital de la Trinité, fondé par deux freres allemands, pour héberger les pélerins. On y entretient aujourd’hui des enfans orphelins de pere ou de mere, dont le nombre est fixé à cent garçons & trente-six filles. Presque vis-à-vis de cet hôpital est l’église de S. Sauveur, qui doit sa fondation à S. Louis.

La maison des peres de la mission de S. Lazare est dans le fauxbourg. C’étoit autrefois un hôpital destiné à loger ceux qui étoient affligés de ladrerie ; mais cette maladie ayant cessé, la maison de S. Lazare tomba entre les mains du P. Vincent de Paul, instituteur de la mission, qui en a fait le chef-d’ordre de toute la congrégation, d’après des lettres-patentes enregistrées au parlement en 1632.

L’église de S. Méderic, nommée communément S. Merri, étoit anciennement l’église de S. Pierre ; mais depuis la mort de S. Merri, natif d’Autun en Bourgogne & de l’ordre de S. Benoît, elle en a pris le nom. C’est une collégiale desservie par six chanoines & un cheffecier qui en est aussi curé.

Du côté de S. Merri en descendant, on rencontre l’église de S. Julien des Menestriers ; c’étoit jadis un hôpital pour les joueurs de violon. Plus bas, on va à S. Nicolas des Champs, qui étoit anciennement une chapelle de S. Jean, & qui est à présent une paroisse considérable.

A côté de S. Nicolas des Champs, on trouve le prieuré de S. Martin de l’ordre de Clugni ; c’est à Henri I. qu’est dû en 1060 la restauration de ce prieuré, qui donne le nom à la rue ; la nef de l’église est décorée de quatre tableaux de Jouvenet. La maison claustrale, qui est très-grande, a été bâtie dans ces derniers tems.

La porte de S. Martin est un ouvrage de cinquante piés de hauteur & de largeur. L’architecture est en bossages rustiques, vermiculés, avec des sculptures au-dessus des cintres, & un grand entablement dorique, composé de mutules au lieu de triglifes, sur lequel est un attique. Les desseins de cette porte sont de Bulet.

Le fauxbourg a l’église de S. Laurent pour paroisse. Le lieu où se tient la foire appellée S. Laurent, en est voisin, & les loges que les marchands y occupent appartiennent aux peres de S. Lazare. Vis-à-vis est le couvent des Récolets, derriere lequel on voit l’hôpital de S. Louis, fondé par Henri IV. pour ceux qui étoient attaqués de la peste.

En remontant dans la ville par la même porte S. Martin, on vient à la rue neuve de S. Méderic, & de-là on entre dans la rue S. Avoye, qui prend son nom d’un couvent de religieuses que S. Louis fonda pour de vieilles femmes infirmes ; c’est aujourd’hui une maison de religieuses Ursulines.

Le Temple, ainsi nommé des chevaliers templiers, se trouve à l’extrémité de cette rue qui en porte le nom. Nos rois, après l’extinction des Templiers, donnerent ce bâtiment aux chevaliers de S. Jean de Jérusalem, qui en ont fait leur maison provinciale du grand-prieuré de France ; c’est un lieu de franchise, où se retirent les ouvriers qui ne sont pas maîtres.

L’hôpital des Enfans-rouges est dans ce même quartier, rue Portefoin. Il fut fondé l’an 1554 par Marguerite reine de Navarre, sœur de Francois I. pour des enfans orphelins, originaires de Paris, ou, comme d’autres auteurs prétendent, des lieux circonvoisins de Paris.

La rue des Billetes a pris son nom d’un couvent que l’on y trouve, & qui fut fondé par S. Louis en 1268. Il y mit des religieux de l’ordre de S. Augustin, qui vivent à présent de leurs revenus. L’hôtel de Guise, aujourd’hui hôtel de Soubise, est peu éloigné de-là ; il occupe un grand terrein. Le couvent des Blancs-manteaux est une maison de religieux de l’ordre de S. Benoît, dont l’église a été rebâtie depuis peu d’années.

De la vieille rue du Temple, on passe dans celle de S. Louis, à l’extrémité de laquelle on entre dans celle du Calvaire, où est le couvent des religieuses de ce nom, fondé en 1636 par le crédit du P. Joseph Leclerc capucin, favori du cardinal Richelieu.

Après la porte de S. Louis, en venant vers la rue des filles du Calvaire, on trouve le réservoir, dans lequel on garde l’eau pour rincer le grand égoût général, afin de garantir la ville de ce côté-là de la mauvaise odeur qui dominoit fortement jusqu’au bas de Chaillot, où les immondices se déchargent dans la riviere. Ce réservoir est un ouvrage utile, qui a été conduit par l’architecte Beausire, & achevé en 1740.

La rue de S. Louis est une des plus belles de Paris, par sa largeur & par sa longueur. On voit dans cette rue l’hôtel Boucherat, dont le jardin est d’une grande étendue. Toutes les maisons des environs sont du xvij. siecle. Ce quartier se termine à la rue S. Antoine, l’une des plus longues & des plus larges de Paris, & dans laquelle les rois faisoient autrefois leurs courses de bagues, leurs joutes & leurs tournois.

La place de Greve, par où l’on peut dire que commence la rue S. Antoine, étoit anciennement un grand terrein inutile, sur lequel la riviere jettoit quantité de gravier, d’où lui vient sans doute le nom qu’elle porte ; mais depuis que le pavé de Paris a été rehaussé, & que l’on a fait des quais pour renfermer la riviere dans son lit, ses inondations ont été moins incommodes. La place de Greve étoit la seule où l’on donnoit autrefois des spectacles publics de réjouissance ; c’est aujourd’hui dans cette place qu’on exécute la plûpart des criminels condamnés à mort. Sa face principale est occupée par l’édifice qu’on nomme hôtel de ville, grand bâtiment gothique, dont voici l’histoire peu connue.

Ce fut en 1387 que le prevôt des marchands & les échevins allerent pour la premiere fois y tenir leurs assemblées. Cette maison appellée originairement la maison des piliers, parce que des piliers soutenoient la partie qui donnoit sur la place, avoit appartenu à Gui & à Humbert, derniers dauphins du Viennois ; & c’est de-là qu’elle avoit pris son autre nom d’hôtel du dauphin.

Charles V. régent du royaume pendant la prison du roi Jean, jouissoit, en qualité de dauphin, de tous ses droits de Humbert. Il donna cet hôtel à Jean d’Auxerre, receveur des gabelles de la prevôté & vicomté de Paris ; & c’est de ce Jean d’Auxerre qu’Etienne Marcel, prevôt des marchands, & les échevins l’acquirent au mois de Juillet 1357, moyennant deux mille quatre cens florins d’or au mouton, valant deux mille huit cens quatre-vingt livres parisis, forte monnoie : ainsi le florin d’or valoit vingt-quatre sols ; & comme il y en avoit cinquante-deux au marc, & que le marc d’or fin vaut à présent sept cens quarante livres neuf sols un denier un onzieme, la premiere acquisition de l’hôtel-de-ville a coûté trente-deux mille cinq cens soixante-trois livres six sols huit deniers cinq treiziemes de notre monnoie. Cette somme étoit alors considérable ; aussi s’empressa-t-on dans le même mois de Juillet, à faire confirmer l’acquisition par le dauphin régent, afin, disent les lettres de confirmation de ce prince, que lesdits prevôt des marchands & échevins, au nom d’icelle, ne puissent être fraudés de si grande somme de florins.

Au reste, il s’en falloit bien que cet édifice contînt tout l’emplacement que l’hôtel-de-ville occupe aujourd’hui. Il est dit dans le contrat de vente qu’il étoit à deux pignons par-devant, & qu’il tenoit d’une part à la maison d’honorable homme & sage sire Dimenche de Chasteillon ; & d’autre part, à la maison de Gilles Marcel, aboutant par-derriere à la ruelle du martrai S. Jean en greve, & par-devant à la place de greve, en la censive du roi. Cette ruelle du martrai étoit la continuation de la rue des vieilles garnisons, qui a long-tems séparé l’hôtel-de-ville de l’église de S. Jean en greve.

L’hôtel-de-ville, qui avoit été l’habitation des dauphins, fut aussi celle de quelques prevôts des marchands. Jean Juvenal des Ursins y demeuroit, lorsque des scélérats, qui avoient voulu l’assassiner, vinrent dans la place de greve nuds en chemise & la corde au cou, lui demander pardon.

On ne songea qu’en 1532 à agrandir ce bâtiment sous le regne de François I. Les maisons voisines furent achetées dans cette vue ; & le 15 de Juillet de l’année suivante, on jetta les fondemens du nouvel édifice ; ce fut le corps-de-ville en cérémonie qui posa la premierc pierre. Le premier & le second étage ne furent élevés que vers l’an 1549 ; mais l’ordonnance en ayant paru gothique, on en réforma le dessein, qui fut présenté à Henri II. au château de S. Germain en Laye, & que 50 ans après on suivit, sous le regne d’Henri IV. toute la face du côté de la greve, & le pavillon de l’arcade n’ont été finis qu’en 1606, sous la prevôté de François Miron, qui étoit en même tems lieutenant civil. La tour de l’horloge & la grande salle neuve le furent en 1608, & le pavillon du côté du S. Esprit, en 1612. Sur la porte de l’hôtel-de-ville on a placé la statue équestre d’Henri IV. à demi-bosse en couleur de bronze sur un fond de marbre noir ; cet ouvrage est fort médiocre.

De la greve, après avoir passé sous une arcade, on vient à l’église de S. Jean, & ensuite à celle de S. Gervais, qui est une des anciennes paroisses de Paris. Le portail de S. Gervais passe pour être un des beaux morceaux d’Architecture ; il est composé des trois ordres grecs l’un sur l’autre, le dorique, l’ionique & le corinthien, dont les proportions sont si régulieres, qu’il n’y a rien au-dessus dans les ouvrages modernes les plus somptueux. Les colonnes doriques sont engagées d’un tiers dans le vif du bâtiment, & unies jusqu’à la troisieme partie de leur hauteur ; le reste est cannelé de cannelures à côtes. Celles des autres ordres sont détachées & hors d’œuvre, & ne sont chargées que des ornemens qui leur sont propres. Ces trois ordres ensemble font une fabrique de 26 toises de hauteur, qui offre à la vue un grand objet ; ce portail fut achevé en 1617, Louis XIII. y mit la premiere pierre.

En poursuivant son chemin dans la rue S. Antoine, on voit l’église qu’on appelloit les grands Jésuites, avant l’extinction de cet ordre en France, dédiée à S. Louis, & fort décorée ; elle a été finie en 1641 ; toute l’architecture est de l’ordre corinthien, & son dôme est le premier qu’on a fait à Paris.

Vis-à-vis de cette église est la rue de la couture ou de la culture sainte Catherine, appellée ainsi d’une église de ce nom, qui fut bâtie du tems de S. Louis, aux dépens de quelques officiers de sa maison, qui faisoient entre eux une espece de confrerie. On voit dans cette église entre autres tombeaux, celui de René de Birague, cardinal, aux funérailles duquel assista Henri III. en habit de pénitent, avec tous les seigneurs de sa cour, vêtus de blanc comme lui.

La place royale doit son commencement à plusieurs particuliers qui la firent construire en 1604. Les maisons qui la forment, sont d’une même symétrie, & elles ne furent achevées qu’en 1660. Cette place occupe le même lieu qui avoit servi de jardin au palais des tournelles, situé du côté du rempart, où François I. & quelques rois ses prédécesseurs, avoient tenu leur cour. Catherine de Médicis le vendit à plusieurs particuliers qui éleverent les maisons que l’on y voit à présent ; & la rue des tournelles, située près du rempart, en a retenu le nom. La place royale est parfaitement quarrée & coupée de trente-six pavillons élevés d’une même ordonnance. L’espace du milieu offre un grand préau enfermé dans une palissade de fer ; c’est là qu’on a placé la statue équestre de Louis XIII. La figure du cheval est un bel ouvrage fait pour Henri II. par Daniel Ricciarelli né à Volterre en Toscane, & disciple de Michel Ange. La figure du roi, faite par Biard, est bien éloignée de répondre à la beauté du cheval. On a dit à ce sujet, que le cheval sur lequel est monté Henri IV. au milieu du pont-neuf, conviendroit à Louis XIII. & que celui de Louis XIII. conviendroit à Henri IV.

La Bastille étoit autrefois une porte de la ville ; cette forteresse bâtie en 1360, sous le regne de Charles VI. est composée de huit grosses tours rondes, jointes l’une à l’autre par des massifs de même hauteur & de même épaisseur, dont le dessus est en terrasse. Entre ces tours on trouve une cour qui sert de promenade aux personnes qui sont les moins resserrées dans cette prison. La porte S. Antoine, qui est à côté de la Bastille, & qui conduit au fauxbourg nommé S. Antoine, fut bâtie sous Henri II. pour servir d’arc de triomphe à ce monarque ; on l’a rouverte & élargie depuis peu d’années. Entre cette porte & le bastion on a fait une rampe, pour rendre l’accès du rempart plus facile aux carosses qui vont au cours.

Dans le fauxbourg S. Antoine est l’abbaye de ce nom : on commença de lever cette maison l’an 1193, & elle fut achevée sous le regne de S. Louis, qui assista à la dédicace de l’église, avec la reine Blanche de Castille sa mere. On voit dans la même rue la manufacture où l’on polit & où l’on étame les glaces de miroir ; on les fond à Cherbourg & à S. Gobin.

Un peu au-delà, est le couvent des Picpus, qui fut commencé en 1594. Vincent Massart ou Mussart, parisien, en a été le fondateur, & réforma le tiers-ordre de S. François, que l’on nomme ordinairement les Pénitens, & qui n’étoient auparavant que pour les séculiers. Massart en fit une regle particuliere, & s’établit dans le village de Picpus, dont ces religieux ont reçu le nom que le peuple leur a donné, malgré tous leurs soins à garder celui de pénitens.

En prenant le chemin de la ville, on passe devant une maison nommée Reuilli. Dom Mabillon rapporte dans sa Diplomatique, que les rois de la premiere race avoient un palais en cet endroit-là, & que ce fut dans ce palais que Dagobert répudia Gomatrude sa premiere femme, à cause de sa stérilité, & qu’il prit en sa place Nantilde, une des suivantes de cette reine ; il n’est resté aucuns vestiges de ce palais.

La premiere chose remarquable que l’on trouve en rentrant dans la ville, est l’arsenal : il fut bâti par Charles V. en même tems que la bastille. C’est dans ce lieu que l’on fondoit autrefois l’artillerie pour la défense du royaume, & l’on y garde encore les poudres & les canons. Au milieu de ce château étoit une tour, qu’on appelloit la tour de Billi. Le tonnerre étant tombé dessus le 19 de Juillet 1538, mit le feu à plus de 200 caques de poudre qu’on y conservoit. Outre que cette tour fut ruinée jusqu’aux fondemens, la violence du feu fut telle que les pierres furent emportées jusqu’à l’église de S. Antoine des champs, & jusqu’à des endroits de la ville fort éloignés. Les fonderies furent bâties en 1549, par ordre d’Henri II. Conservons ici cette belle inscription qu’on lit à la porte d’entrée d’un bâtiment qui bientôt ne subsistera plus :

Ætna hîc Henrico vulcania tela ministrat,
Tela gyganteos debellatura furores.

Les Célestins ont leur couvent tout proche de l’arsenal. Quelques auteurs disent que ce lieu avoit été occupé auparavant par les carmes de la place Maubert, qui l’abandonnerent afin d’être plus près de l’université, où ils alloient étudier pour obtenir des degrés. Le nommé Jacques Marcel ayant acheté cette place en 1318, y établit les célestins nouvellement venus d’Italie, dans une haute réputation de sainteté de vie. Le roi Charles V. leur donna de très-grands biens, fit construire l’église, & y mit la premiere pierre : cette église est d’une structure tout-à-fait grossiere.

La paroisse de S. Paul, qui est celle de tout le quartier, étoit la paroisse royale du tems que les rois occupoient l’hôtel de S. Paul, ou le palais des Tournelles. Le bâtiment de l’église, qui est d’une maçonnerie épaisse & gothique, fut élevé sous le regne de Charles VII.

Assez près de-là est le couvent des filles de l’Avé-Maria, dans une rue nommée des Barrées. Ces religieuses sont de l’ordre de sainte Claire, & vivent dans une très-grande austérité, ne mangeant jamais de viande, & ne portant point de linge. Outre qu’elles vont nus piés, sans sandales & sans aucune chaussure, elles ont l’étroite observance d’un silence perpétuel pour lequel le beau sexe n’est point né.

On va de ce couvent là au bord de la riviere, traverser le Pont-Marie, appellé ainsi de Christophe Marie, qui en jetta les fondations en 1613. Le pont est de pierres de taille, & composé de 5 arches, soutenues sur 4 piles & sur 2 culées. Il est couvert de maisons occupées par différens ouvriers ; & il ne fut achevé qu’en 1635 ; mais soit par la faute de l’architecte qui avoit mal construit la pile du côté de l’île Notre-Dame, soit par l’ébranlement que lui donna un trop fort débordement de la riviere, une partie de ce pont fut emportée la nuit, au mois de Mars 1658, & quantité de personnes y périrent ; on a rétabli les deux arches, mais on n’y a pas élevé de maisons.

L’île Notre-Dame où ce pont conduit, a pris son nom de l’église cathédrale, dédiée à la sainte Vierge, à laquelle cette île appartient en propre. Toutes les maisons qu’on y voit ont été bâties dans le dernier siecle ; ce n’étoit auparavant qu’une prairie assez basse, qui servoit de promenade au menu peuple ; toute l’île est revétue dans son enceinte d’un quai solide de pierre de taille ; les rues qui partagent l’île sont droites & aboutissent à la riviere.

On sort de cette île par le pont de la Tournelle, l’un des trois qu’on a construit pour y arriver ; il est de pierre de taille avec un trotoir de chaque côté pour les gens de pié ; on lui a donné le nom de Tournelle, à cause d’une tour carrée, qui se trouve sur le bord de l’autre côté de l’île Notre-Dame, & dans laquelle on enferme ceux qui sont condamnés aux galeres, en attendant que la chaîne parte pour Marseille, où ils sont distribués pour le service des galeres de S. M.

La porte de saint Bernard qui se trouve à peu de distance du pont de la Tournelle, a pris son nom du college des Bernardins qui est dans le voisinage ; cette porte toute moderne n’a que huit toises de large.

La rue de Seine, l’une de ce fauxbourg, conduit à celle de saint Victor, où l’on trouve l’abbaye de ce nom. Cette maison est fort ancienne ; Louis-le-Gros, roi de France, y fit élever de grands bâtimens, & lui donna des biens très-considérables : il fit construire une église en 1113 dans le même endroit où il reste encore une chapelle ancienne derriere le chœur. Guillaume de Champeaux, archidiacre de l’église de Paris, & depuis évêque de Châlons, fut le premier qui institua la congrégation de saint Victor, sous la regle de saint Augustin. Les jardins de cette maison sont fort spacieux, & ce qu’elle a de meilleur, c’est une bibliotheque, l’une des plus nombreuses de Paris. L’église de saint Victor fut relevée en 1517, sous François I. & elle n’est pas encore achevée ; au-delà de saint Victor est l’hôpital de la Pitié & celui de la Miséricorde : après ces deux hôpitaux on trouve le Jardin-Royal des plantes.

Louis XIII. a établi ce jardin en 1326. Il est embelli de grandes serres chaudes & froides, & d’un très-beau cabinet d’Histoire naturelle ; on fait chaque année dans ce jardin des cours de Botanique, de Chimie, & d’Anatomie.

On descend de-là vers l’Hôpital-général, appellé la Salpêtriere, vaste maison qui peut renfermer quatre à cinq mille personnes ; son église est dédiée à saint Denis : en montant un peu plus haut, au sortir de la Salpêtriere, on trouve une grande place où l’on tient le marché aux chevaux.

La maison des Gobelins est presque la derniere du fauxbourg saint Marceau, lequel étoit un quartier entierement séparé de la ville, dans le tems que Paris étoit moins étendu qu’il ne l’est aujourd’hui.

L’église de saint Marcel, qu’on voit dans ce fauxbourg, a été fondée par Rolland, comte de Blaye, neveu de Charlemagne, qui fit beaucoup de bien aux chanoines qu’il y mit. Cette église étoit autrefois sous le titre de saint Clément ; mais le corps de saint Marcel, évêque de Paris, y ayant été trouvé, elle en prit le nom qu’elle a toujours conservé depuis ; c’est une des quatre collégiales dépendantes de l’archevêché. Pierre Lombard, surnommé le Maître des sentences, est enterré dans le chœur de cette église ; les bacheliers en licence sont obligés d’assister au service solemnel qu’on dit pour lui tous les ans, & ceux qui y manquent sont condamnés à une amende ; il est bon de connoître la durée des folies humaines.

Le couvent des Cordelieres est dans ce quartier. Thibaut VII. comte de Champagne & de Brie le fonda premierement à Troyes, d’où il fut transféré à Paris peu de tems après. Marguerite de Provence, femme de saint Louis, fit commencer l’église, & Blanche sa fille, veuve du roi de Castille, qui y prit le voile, donna de grands biens pour l’augmenter ; ces religieuses sont hospitalieres & suivent l’ordre de saint François : saint Médard est la paroisse de tout ce quartier.

On trouve ensuite l’église de S. André des Ecossois, dans laquelle on a élevé un monument pour y mettre la cervelle de Jacques II. roi d’Angleterre ; c’est une idée bien bisarre.

Le quartier de l’Université, l’un des plus anciens de Paris, occupe un très-grand espace, qui fait presque la quatrieme partie de la cité, il en étoit même séparé autrefois comme un lieu particulier, avec lequel la communication n’étoit pas tout-à-fait libre, parce que les écoliers faisoient souvent des tumultes qu’il n’étoit pas aisé d’appaiser. Philippe-Auguste, avant son départ pour la Palestine, où il alla avec Richard, cœur de lion, roi d’Angleterre, pour faire la guerre aux Sarrasins, ordonna qu’on enfermât ce quartier de murailles, ce qui fut exécuté en 1190. Il fut entouré de fossés profonds, & de murs très-solides, soutenus de tours d’espace en espace avec des portes, qui étant autant de petites forteresses, à la faveur desquelles on pouvoit se défendre vigoureusement, avant qu’on eût inventé l’artillerie. Il ne reste plus rien de ces murailles, & l’on a comblé les fossés sur lesquels on a élevé des maisons.

Le college des Bernardins qui a donné son nom à la rue, est d’ancienne fondation, appartient à l’ordre de Cîteaux. L’édifice de l’église est un des beaux gothiques qu’il y ait en France. En sortant des Bernardins, on trouve à main gauche l’église de S. Nicolas du Chardonnet, ainsi nommée à cause que le premier bâtiment fut posé dans un lieu inculte & tout rempli de chardons. Les chanoines de saint Victor à qui ce terrein appartenoit, le donnerent vers l’année 1243, pour y bâtir une paroisse : le séminaire qui est à côté de cette église est le plus ancien de tout Paris. A une petite distance est un autre séminaire dit des Bons-enfans, dirigé par les peres de la Miséricorde de saint Lazare.

La place Maubert, que l’on trouve au bas de la rue saint Victor, a tiré son nom, suivant quelques historiens, d’Albert le grand, qui fut en son tems la gloire de l’Université de Paris. On dit que ce docteur, après avoir enseigné à Cologne, vint ici continuer les mêmes exercices, & que la classe n’étant pas assez spacieuse pour contenir tous les écoliers qui le venoient écouter, il fut obligé de faire ses leçons au milieu de cette place, qui en a été appellé place Maubert, comme qui diroit place de maître Aubert ; c’est aujourd’hui un des marchés de la ville.

Les Carmes qui ont leur couvent dans ce lieu-là, ont été originairement fondés par saint Louis qui les avoit amenés de la Palestine. La reine Jeanne, femme de Philippe-le-Long, leur laissa de très-grands biens par son testament de l’année 1349.

En montant plus haut on va au college de Navarre, fondé l’an 1304, par la reine Jeanne de Navarre, femme de Philippe-le-Bel : la fondation de l’église de saint Etienne du Mont, située au-dessus de ce college, est si ancienne qu’on n’en connoît pas le tems.

De cette église il y a un passage de communication dans celle de sainte Génevieve. Clovis, dit-on, son premier fondateur, la dédia à saint Pierre & à saint Paul, dont elle a long-tems porté le titre : il y mit des chanoines séculiers qui y demeurerent jusqu’à l’onzieme siecle ; comme leur conduite étoit très-irréguliere, Louis-le-Jeune les obligea de vivre en communauté, & de prendre la regle de S. Augustin. On fit venir douze chanoines réguliers de S. Victor pour établir cette réforme, dont l’abbé Suger eut le soin, & la regle de saint Augustin s’y est toujours conservée depuis dans toute sa pureté, ensorte que cette maison est devenue la premiere de cette congrégation en France.

L’abbaye de sainte Génevieve a été souvent ruinée par les Normands & les Danois, dans le tems qu’elle étoit hors de la ville ; mais les Parisiens, dont le zele a toujours été fort grand pour leur patrone, réparoient presque aussi-tôt les dommages que ces barbares y avoient causés. L’an 1483, le vendredi 7 Juin, à neuf heures du soir, le tonnere tomba sur le clocher, bâti depuis plus de neuf cens ans ; les cloches furent fondues, & ce clocher, qui étoit couvert de plomb, demeura consumé. Le corps de sainte Génevieve est derriere le grand autel, dans une châsse soutenue par quatre colonnes ioniques ; le tombeau de Clovis est dans le milieu du chœur.

L’église de saint Hilaire, paroisse d’une partie de ce quartier, est d’une ancienne fondation. On va de-là dans la rue saint Jacques, qui commence au petit Châtelet, à l’extrémité du petit Pont. Le petit Châtelet est une maniere de forteresse antique, composée d’une grosse masse de bâtiment, ouverte dans le milieu, qui servoit autrefois de porte à la ville, aussi bien que le grand Châtelet, dans le tems qu’elle n’avoit point d’autre étendue que l’île du Palais ; ce bâtiment fut réparé par le roi Robert.

En montant vers la porte où finit la rue S. Jacques est l’église saint Séverin, fort ancienne, puisque le fondateur dont elle porte le nom vivoit du tems de Clovis, qui le fit venir de Savoye pour le guérir d’une fiévre dangereuse, dont il le traita par des prieres, & il se rétablit. L’église de saint Yves est un peu plus haut ; elle fut bâtie l’an 1347, par une confrairie de Bretons qui étoit alors à Paris.

En avançant dans la même rue, on trouve le couvent & l’église des Mathurins, ou Trinitaires. Le couvent fut fondé par saint Louis ; & Robert Gaguin, général de l’ordre, fit bâtir l’église, qu’on a embellie depuis quelque tems. On passe ensuite devant l’église de saint Benoît, dont on dit que saint Denis, évêque de Paris, a été le fondateur. Le bâtiment est fort simple & fort grossier.

De l’autre côté de la rue, se trouve le college royal, qui doit sa fondation à François I. Les professeurs, au nombre de dix-neuf, sont gagés du Roi, & font une espece de corps séparé de l’université, à laquelle ils ne laissent pas d’être soumis.

A quelque distance de là, est la place du puits certain, au haut de la rue Saint-Jean-de-Beauvais. Ce puits fut fait vers l’an 1556 par Robert Certain, pour lors curé de l’église de saint Hilaire, & nommé premier principal du college de sainte Barbe. Cette église a été bâtie dans la censive du chapitre de saint Marcel ; & comme ce chapitre avoit autrefois droit de justice haute, moyenne & basse dans tout ce quartier là, c’étoit au puits certain que se faisoient ordinairement les punitions corporelles, en exécution des sentences de la même jurisdiction, & principalement lorsque quelque criminel avoit été condamné à mort.

En rentrant dans la rue Saint-Jacques, & montant un peu plus haut, on voit le college du Plessis, qui est un des plus beaux de l’université ; le cardinal de Richelieu ayant laissé une somme considérable pour le faire rebâtir. A cinquante pas de ce college, est celui qu’on appelloit encore il y a deux ans, des Jésuites, & qu’on avoit nommé fort longtems, le college de Clermont. Vis-à-vis est le grand couvent des Jacobins, nommés originairement les Freres Prêcheurs, de l’ordre de saint Dominique.

Au sortir des Jacobins, on vient à saint Jacques de Haut-Pas, paroisse de tout ce quartier. Le séminaire de saint Magloire, aujourd’hui gouverné par les peres de l’Oratoire, est presque contigu à cette église. On trouve ensuite le couvent des Ursulines, celui des Feuillantines, & des Carmelites. L’église de ces dernieres est décorée de tableaux des plus grands maîtres ; de la Magdeleine de le Brun, de la Salutation Angélique du Guide ; & toute la voûte de l’église est de Champagne.

Le Val-de-Grace, l’un des plus superbes édifices qu’on ait élevé en France dans le dernier siecle, est situé de l’autre côté des Carmelites, & occupe par des religieuses de l’ordre de saint Benoît, qui avoient été fondées autrefois près du village de Biévre, en un lieu appellé le val profond, & fort incommode à cause des marécages. Elles se logerent en 1621 au faubourg Saint-Jacques ; & la reine Anne d’Autriche, pour rendre graces à Dieu de son accouchement de Louis XIV. après 22 ans de stérilité, fit jetter les fondemens du bel édifice, qui porte le nom de Val-de-Grace ; la coupole de cette église peinte à fresque par Mignard, est d’une grande beauté.

En entrant dans la ville par la rue d’enfer, on trouve la maison des peres de l’Oratoire, appellée l’institution, & fondée en 1650 par M. Pinette, secrétaire de Gaston de France, duc d’Orléans.

A peu de distance de-là, en descendant, est le couvent des Chartreux, de la fondation de saint Louis, qui leur donna le vieux château de Vauvert, habité selon les historiens de ce tems-là, par les diables, en sorte que la rue en fut nommée la rue d’enfer ; mais suivant la vérité, & les vieux titres dans lesquels on lit via inferior, ces mots ne signifient autre chose que la rue basse, parce que cette rue étoit plus basse que la rue Saint-Jacques, qu’on appelloit la rue haute, via superior ; c’est aussi pour cette raison que l’église paroissiale de saint Jacques est nommée du Haut-pas, ab alto passu. Les Chartreux occupent un terrein qui est plus grand qu’aucune autre des maisons religieuses de la ville & des faubourgs de Paris. Ce fut de cette maison que Henri III. partit le 15 Mars 1686 avec soixante des nouveaux pénitens dont il étoit l’instituteur, pour aller à pié processionnellement à l’église Notre-Dame de Chartres, d’où ils revinrent deux jours après.

Après avoir passé par l’endroit où étoit la porte de Saint-Michel, qui a été abattue, on entre dans la rue de la Harpe, où se présenfe la Sorbonne, vieux college rétabli magnifiquement de fond en comble par le cardinal de Richelieu, & en conséquence ce cardinal y a un tombeau magnifique, un des chefs-d’œuvre de Girardon. La bibliotheque de cette maison est une des plus belles de Paris. On y montre une traduction françoise de Tite-Live, manuscrite, dédiée au roi Jean, & enrichie de mignatures où regne l’or-couleur très-brillant, & dont on ignore la composition.

Après que l’on est entré dans la rue de la Harpe, en traversant la place de Sorbonne, on trouve le college d’Harcourt fondé en 1280 par Raoul d’Harcourt, chanoine de l’église de Paris. Plus bas est l’église paroissiale de Saint-Côme, bâtie en 1212 par Jean, abbé de Saint-Germain-des-Prez. Proche cette église, est la maison de Saint-Côme, destinée à l’étude de l’anatomie chirurgicale. Dans la même rue de la Harpe, sont les ruines du palais des Thermes, dont j’ai déja parlé.

A l’extrémité de la rue de la Harpe, en tournant à gauche, on entre dans celle de Saint-André-des-Arcs, où est l’église paroissiale de ce nom. Ce n’étoit autrefois qu’une petite chapelle au milieu d’un champ planté de vignes & d’arbres fruitiers. Quelques antiquaires croient que cette église a été appellée Saint-André-des-Arcs à cause d’un grand jardin qui étoit proche de-là, où les écoliers alloient souvent s’exercer à tirer de l’arc.

Les quatre portes par lesquelles on entroit de la ville dans le faubourg Saint-Germain, savoir la porte à laquelle on donnoit le nom du faubourg, la porte Dauphine, celles de Bussy & de Nesle ayant été abattues, tout ce quartier est devenu un des plus grands de Paris, & au-dessus des plus belles villes de France, tant pour la quantité d’hôtels magnifiques qui le composent, que pour la multitude du peuple qui s’y rencontre.

Ce quartier a pris son nom de l’abbaye royale de Saint-Germain-des-Prez, fondée par le roi Childebert, fils de Clovis. La réforme a été établie dans cette abbaye en 1631. La bibliotheque est une des plus belles du royaume. Cette abbaye étoit autrefois hors de la ville, exposée aux incursions des Normands, entourée de murailles qu’on a abattues pour y bâtir les maisons qu’on voit à présent tout à-l’entour.

Le palais d’Orléans, autrement nommé le palais de Luxembourg, parce qu’il est dans un lieu où étoit un ancien hôtel de ce nom, fait un des grands ornemens du quartier de Saint-Germain. La reine Marie de Médicis, veuve d’Henri IV. a fait bâtir ce palais de fonds en comble. La grande galerie a été peinte par Rubens, qui s’occupa pendant 2 ans à ce travail.

Le petit hôtel de Bourbon est dans la rue de Vaugirard, qui passe devant le palais de Luxembourg ; c’étoit autrefois l’hôtel d’Aiguillon, que le cardinal de Richelieu fit embellir pour la duchesse d’Aiguillon sa niece. Tout proche est le couvent des religieuses du calvaire, de l’ordre de S. Benoît, fondé en 1620 par la reine Marie de Médicis. Dans la même rue on trouve le couvent des carmes déchaussés, vis-à-vis des murs des jardins du Luxembourg. Il fut fondé en 1611 par les libéralités de quelques bourgeois qui donnerent une petite maison située en ce lieu-là à des religieux carmes venus d’Italie, pour apporter en France la réforme que sainte Thérese avoit faite en Espagne de l’ordre du Mont-carmel. Ces bons moines n’ont pas mal prospéré.

Le monastere des filles du saint Sacrement, qui est dans la rue Cassette, a été fondé par Marguerite de Lorraine, seconde femme de Gaston de France, duc d’Orléans. Dans la rue parallele qu’on nomme la rue Pot de fer, & qui aboutit dans celle de Vaugirard, se trouve le noviciat des jésuites. Le grand autel de leur église est embelli d’un tableau de Poussin.

L’église de saint Sulpice, paroisse de tout ce vaste quartier, étoit autrefois un bâtiment très-serré, dont on a fait une des magnifiques églises du royaume, mais avec de très-grands défauts. Cette église, qui n’est pas encore finie, a été commencée en 1646, & Gaston d’Orléans y mit la premiere pierre. La maison du séminaire de saint Sulpice est tout proche de l’église ; le platfond de la chapelle a été peint par le Brun.

L’endroit où se tenoit la foire de saint Germain, autrefois fameuse, étoit à l’extrémité de la rue de Tournon. Ce lieu consistoit en plusieurs allées couvertes, disposées dans un quarré de pure & vieille charpenterie, tout rempli de boutiques pendant le carême, de jeux, & de spectacles ; les rues de cet emplacement, au nombre de sept, très-pressées, & très-étroites, se coupoient les unes les autres ; mais charpente, boutiques, marchandises, effets, tout a été consumé dans les flammes par un incendie fortuit, arrivé le 17 Mars 1762, & c’est un grand reproche que peut se faire la police supérieure de cette ville.

Le couvent moderne des Prémontrés est à l’entrée de la grande rue de Seve. Proche de-là, est l’hôpital des petites-Maisons, qui étoit autrefois une maladrerie, & qui fut rebâti vers l’an 1557, par ordre de messieurs de Ville. L’hôpital des Incurables est situé dans la même rue : cet hôpital contient dix arpens de terre, & fut fondé l’an 1634, par le cardinal de la Rochefoucault.

Le couvent des Cordelieres, est dans la rue de Grenelle : ces religieuses qui étoient auparavant dans la rue des francs-Bourgeois, ont acheté l’hôtel de Beauvais qu’elles ont accommodé à leur maniere. En continuant de marcher dans la rue de Grenelle, proche la rue du Bac, on voit une nouvelle & belle fontaine, que la Ville a fait construire en 1739, sous les auspices de M. de Maurepas, & sur les desseins d’Edme Bouchardon, fameux sculpteur.

L’hôtel royal des Invalides, décrit par tant d’auteurs, se trouve au bout de cette rue. Au haut de la rue du Bac, est le séminaire des Missions étrangeres ; du même côté de la mission, est un monastere des filles de la Visitation, qui sont venues s’établir en ce lieu-là en 1673, en quittant la rue Montorgueil, où elles avoient une chapelle, lorsqu’elles furent admises en 1660.

L’hôpital des Convalescens est de ce même côté. Il fut fondé l’an 1652, par Angélique Fraure, épouse de Claude de Bullion, sur-intendant des finances, pour huit pauvres convalescens sortis de la Charité, qui peuvent y demeurer une semaine, afin d’y rétablir leurs forces. On trouve ensuite le noviciat des Dominicains réformés, qui ont fait bâtir dans leur terrein une nouvelle église.

A l’extrémité de la rue S. Dominique, on voit l’hôpital de la Charité : les religieux qui le gouvernent, furent établis à Paris l’an 1602, & Marie de Médicis fut leur fondatrice. Près de l’hôpital, est bâtie l’église & les infirmeries pour les malades, où chacun a un lit séparé, établissement sage, & sans lequel toute infirmerie est honteuse.

La rue de l’Université est fort longue, & n’est appellée ainsi qu’à son extrémité du côté du pré aux Clercs ; le long des hautes murailles de l’abbaye de saint Germain, on la nomme la rue du Colombier, à cause qu’il y avoit autrefois dans cet endroit un grand colombier, appartenant aux religieux de cette abbaye. Plus avant au milieu, elle est appellée la rue Jacob, nom dont j’ignore la raison.

La rue Mazarine est parallele à celle de Seine : on la nommoit auparavant la rue des fossés de Nesle. Au sortir de la rue des fossés saint Germain, où est le théatre si médiocre de la comédie françoise, on entre dans la rue Dauphine, pour se rendre sur le quai des Augustins, qui commence au pont saint Michel, & qui finit au pont-neuf. Cette rue qui n’étoit auparavant qu’un grand espace rempli de jardins & de vieilles matieres, au-travers desquelles on la perça, fut appellée rue Dauphine, à cause qu’on la bâtissoit dans le tems de la naissance de Louis XIII. A l’extrémité il y avoit une porte de la ville, qui fut abbattue en 1673.

Les grands Augustins ont leur couvent sur le quai ; ils vinrent à Paris vers l’année 1270, sous le nom d’hermites de saint Augustin, & furent logés d’abord près de la rue Montmartre, dans une rue qui en a été appellée la rue des vieux-Augustins. Ces religieux s’établirent ensuite dans la rue des Bernardins, au lieu où est à présent l’église paroissiale de saint Nicolas du Chardonnet ; & enfin, ils s’associerent avec les Pénitens, qu’on nommoit Sachets, à cause qu’ils étoient vétus d’une maniere de sac : saint Louis les avoit mis en ce lieu-là sur le bord de la riviere. Les Augustins à qui ces pénitens céderent la place, pour se disperser en diverses maisons religieuses, commencerent à faire bâtir leur église, & elle ne fut en l’état où elle est présentement, que sous le regne de Charles V. dit le Sage. Les assemblées extraordinaires du clergé, se tiennent ordinairement dans les salles du monastere.

Le collége Mazarin est dans l’endroit où étoit autrefois la porte de Nesle ; c’est un collége très-spacieux, dont la bibliotheque est publique. Le tableau du grand autel est de Paul Véronnese, & les petits tableaux dans des ronds, sont de Jouvenet.

On voit ensuite l’église des Théatins : ces religieux vinrent en France en 1644, & le cardinal Mazarin leur fondateur, leur laissa en mourant cent mille écus pour commencer leur église. Leur principal institut est de vivre des charités qu’on leur fait ; ils ont été nommés Théatins, de Jean Caraffe, évêque de Théate, qui institua leur ordre en 1524, sous le titre de Clercs réguliers.

Le pont-Royal qui est voisin des Théatins, a été bâti en la place du pont-Rouge, qui n’étoit fait que de bois. Comme les débordemens de la Seine l’avoient souvent emporté, Louis XIV. ordonna que l’on en fit un de pierres, & les fondemens en furent jettés en 1685. Ce pont est soutenu de quatre piles & de deux culées, qui forment cinq arches entre elles ; les deux extrémités du même pont sont en trompe pour en faciliter l’entrée aux carrosses & aux grosses voitures. Il y a des trottoirs des deux côtés pour la commodité des gens de pié : sa longueur est à-peu-près de soixante & douze toises ; sa largeur est de huit toises quatre piés, desquelles on a pris neuf piés pour chaque trottoir, sans compter deux autres piés pour l’épaisseur des parapets.

Le pont-Neuf situé vis-à-vis du pont-Royal, offre au milieu une entrée dans l’île du Palais. Henri III. fit jetter les fondemens de ce pont l’an 1578. Henri IV. le fit achever en 1604 ; sa statue équestre y fut érigée en 1614 ; mais le tout ne fut terminé qu’en 1635. La figure du cheval est de Jean Boulogne ; mais elle est trop massive & trop épaisse : la figure du roi est de Dupré.

Après la statue equestre de ce grand prince, on trouve la Samaritaine au bout de ce pont, du côté de saint Germain-l’Auxerrois. Ce bâtiment construit sous le regne d’Henri IV. en 1604, fut détruit en 1712, & reconstruit sans ornemens en 1715. Il contient une pompe foulante & aspirante pour élever les eaux, & en fournir tant au jardin des Tuileries, qu’ailleurs.

La place Dauphine qui est située à la pointe de l’île du palais, vis-à-vis le cheval de bronze, est de figure pyramidale. Les maisons qui la forment furent élevées en 1606, peu d’années après la naissance de Louis XIII. & on la nomma place Dauphine, à cause du titre de dauphin que ce prince avoit alors. On a ouvert de ce côté-là une entrée pour le palais. Cette place & les quais qu’elle a de chaque côté, savoir, le quai des Orfevres, & celui des Morfondus, ont été pris dans un grand terrein, qui faisoit autrefois une partie des jardins du palais, lorsque les rois y tenoient leur cour.

L’église de Notre-Dame, métropolitaine de Paris, est très-ancienne ; mais nous ignorons si la cathédrale de cette ville dans les premiers tems, étoit saint Etienne-des-Grès ou saint Marcel : nous savons seulement que sous les enfans de Clovis, elle étoit à-peu-près où elle est encore aujourd’hui, & que sous le regne de Louis le Débonnaire, il y avoit dans le parvis de Notre-Dame, du côté de l’Hôtel-Dieu, une église de saint Etienne, où se tint un concile en 829. Il en restoit encore des murs du tems de Louis le Gros, que ce prince, dans ses lettres au sujet des limites de la voirie des évêques de Paris, appelle muros veteris ecclesiæ sancti Stephani ; c’étoit probablement l’ancienne cathédrale, appellée du nom de saint Etienne dans plusieurs auteurs.

Cette partie de la cité, ne s’étendoit pas plus loin que saint Denis-du-Pas & l’archevêché ; car ce qu’on nomme le terrein, connu du tems de saint Louis sous le nom de la motte-aux papelards, paroît s’être formé des décombres & des immondices, qu’occasionna la construction du vaste bâtiment de l’église de Notre-Dame. Quant à l’autre partie opposée, elle ne s’étendoit que jusqu’à la rue de Harlai. Au-delà étoient deux îles, l’une plus grande vis-à-vis des Augustins, & l’autre plus petite au bout du quai de l’Horloge. La position de ces deux îles est marquée dans un ancien plan de Paris en tapisserie, dont M. Turgot, prevôt des Marchands, a fait l’acquisition pour la ville.

Je reviens à l’église de Notre-Dame : le roi Robert ne la trouvant pas assez belle, entreprit de la rebâtir, mais elle ne fut achevée que sous le regne de Philippe Auguste ; l’architecture en est toute gothique. Les dedans en sont fort obscurs ; le chœur est orné de tableaux de la main de Jouvenet, représentant la vie de la Vierge à qui l’église est dédiée. Le grand autel a été exécuté par les ordres de Louis XIV. pour accomplir le vœu de son pere. Les anges de métal, de grandeur naturelle, ont été jettés en fonte en 1715 par Roger Schabot ; la croix d’argent & les six chandeliers sont de Claude Balin, fameux orfevre.

L’Hôtel-Dieu situé auprès de Notre-Dame, & qui devroit être hors de la ville, est le plus grand hôpital de Paris ; on y a vû trois à quatre mille malades, qu’on met alors trois & quatre ensemble dans un même lit, pratique d’autant plus funeste, qu’elle multiplie les causes de mort pour ceux qui réchapperoient s’ils étoient seuls dans un lit. On attribue la fondation de cet hôpital à saint Landry, évêque de Paris, qui vivoit sous Clovis II. en 660. De l’autre côté de l’Hôtel-Dieu, est un hôpital des Enfans-Trouvés, rebâti dans ce siecle. Tout ce quartier qu’on appelle la cité, est rempli de rues étroites, & de plusieurs petites églises fort anciennes.

Le palais qui a été autrefois la demeure de nos rois, fut abandonné aux officiers de justice par Philippe le Bel, qui vouloit rendre le parlement sédentaire. Ce prince, pour donner plus d’espace à l’édifice, fit bâtir la plûpart des chambres, & tout l’ouvrage fut achevé en 1313. Cependant il est certain qu’il y avoit de grands bâtimens avant ce tems-là. Clovis y avoit tenu sa cour ; & saint Louis, qui y fit un plus long séjour que les autres rois, y avoit fait faire plusieurs ouvrages. La grande salle a été bâtie sur le plan d’une autre très-ancienne, dans laquelle les statues des rois de France étoient placées tout à l’entour. C’étoit le lieu où ils recevoient les ambassadeurs. Ils y donnoient des festins publics à certains jours de l’année, & même on y faisoit les noces des enfans de France. Cette salle qui fut réduite en cendres an commencement du dernier siecle, est présentement voutée de pierres de taille, avec une suite d’arcades au milieu, soutenue de piliers, autour desquels il y a de petites boutiques occupées par des marchands. La grand’chambre est à côté de la grande salle, & fut bâtie sous saint Louis, qui y donnoit les audiences publiques. Louis XII. la fit réparer comme elle est. La Tournelle, qui est la chambre où l’on juge les criminels, est celle où couchoit saint Louis.

La sainte Chapelle est une église bâtie par le même roi, & dont l’ouvrage fut achevé en 1247. Saint Louis y établit un maître chapelain, qu’on nomme aujourd’hui trésorier, lequel a comme les évêques la qualité de conseiller du roi en tous ses conseils, & le privilege d’officier pontificalement, à l’exception de porter la crosse. Cette église ne dépend que du saint-siege, & assurément elle devroit ne dépendre que du roi.

A quelque distance du palais, est le pont Notre-Dame, le plus ancien & le premier qu’on ait bâti de pierres. Il fut achevé tel qu’on le voit à-présent en 1507, sur les desseins d’un cordelier de Vérone, nommé Joannes Jucundus, qui entreprit l’ouvrage aux frais de l’hôtel-de-ville. Il est chargé de chaque côté, de maisons ornées sur le devant de grands thermes d’hommes & de femmes, qui portent des corbeilles pleines de fruit sur leurs têtes.

Au milieu de ce pont, on a dressé deux machines qui élevent de l’eau de la riviere pour la commodité des quartiers de la ville qui en sont éloignés. Les vers suivans de Santeuil y sont gravés en lettres d’or sur un marbre noir :

Sequana, cum primùm reginæ allabitur urbi,
Tardat præcipites ambitiosus aquas.
Captus amore loci, cursum obliviscitur, anceps,
Quò fluat, & dulces nectit in urbe moras.
Hinc varios implens, fluctu subeunte, canales,
Fons fieri gaudet, qui modò flumen erat.
Anno M. DC. LXXVI.

Le petit-Pont ainsi nommé, a été plusieurs fois détruit & refait ; les maisons qu’on avoit bâties dessus en 1603, furent détruites en 1718, desorte qu’on a rétabli ce pont sans y reconstruire de maisons.

A côte du pont Notre-Dame, & sur le même canal, on trouve le pont au Change, appellé de ce nom, à cause qu’il y avoit autrefois un grand nombre de changes, ou de changeurs, dans les maisons qui étoient dessus ; ces changeurs faisoient une maniere de bourse dans cet endroit. Ce pont qui étoit de bois, ayant été consumé en 1639 par un furieux embrasement, on le rebâtit solidement de pierres de taille, & on éleva dessus deux rangs de maisons, dont les faces sont aussi de pierres de taille.

A l’autre bout du pont au Change, au coin du quai des Morfondus, est l’horloge du palais, sur laquelle on regle les séances du parlement.

Le pont saint Michel est aussi proche du palais, à l’opposite du pont au Change. Il y a grande apparence qu’il a pris son nom de la petite église de saint Michel, qui est dans l’enclos de la cour du palais, vis-à-vis de la rue de la Calandre. Il a été construit sous le regne de Louis XIII. tel qu’on le voit aujourd’hui, & chargé de maisons de briques & de pierres de taille.

Voilà tout Paris parcouru. J’ai néanmoins oublié de dire dès le commencement, que cette ville souffrit beaucoup en 845 & 856 par les courses des Normands, & qu’ils l’assiégerent en 886 & 890. Elle fut encore ravagée sous le regne de Louis d’Outremer ; & sous celui de Charles VII. les Anglois s’en rendirent les maîtres. Non-seulement elle avoit été presque toute brûlée en 585, mais elle éprouva un nouvel incendie en 1034, & une grande inondation de la Seine en 1206.

Si maintenant quelque parisien desiroit encore d’avoir de plus amples détails sur le lieu de sa naissance, il peut consulter un grand nombre d’écrivains, qui depuis long-tems se sont empressés de donner des descriptions prolixes de Paris, & d’éclaircir toute son histoire.

Jean de Hauteville a, je crois, rompu la glace dans un ouvrage intitulé Archithrenius, & publié en 1517, in-4°. Gilles Corroset, imprimeur, & le président Claude Fauchet, suivirent l’exemple d’Hauteville. Nicolas Bonfous augmenta l’ouvrage de Corroset son collegue, & le remit au jour en 1588. Le succès des fastes de Paris, anima Jacques du Breuil, religieux bénédictin de saint Germain-des-Prés, & lui fit entreprendre le théâtre des antiquités de cette ville, qui parut en 1612, in-4°. & c’est la seule bonne édition.

Depuis du Breuil, trois autres grands ouvrages ont été composés pour éclaircir l’histoire de Paris. Le premier, de Claude Malingre, parut en 1640, in-fol. sous le titre d’antiquités de la ville de Paris. Le second, intitulé Paris ancien & moderne, est de Henri Sauval, avocat au parlement. Son ouvrage dans lequel il traite, article par article, de tout ce qui concerne la ville de Paris, a paru long-tems après la mort de l’auteur, savoir, en 1724, en trois volumes in-folio. Le troisieme, commencé par dom Félibien, religieux bénédictin de la congrégation de saint Maur, est une histoire suivie de Paris. Cette histoire a été continuée par dom Lobineau, religieux de la même congrégation, & imprimé, en 1725, en cinq volumes in-folio. Le sieur Grandcolas en a fait un abrégé en deux volumes in-12. qui ont été imprimés en 1728, & supprimés aussi-tôt.

Il y a plusieurs autres descriptions particulieres de Paris, comme celle de François Colletet, qui a aussi donné en 1664, en deux volumes in-12. un abrégé des annales & antiquités de Paris. On estime en particulier la description de cette ville, que M. de la Mare, commissaire au châtelet, a mise à la tête de son excellent traité de la police.

La description de Paris par Germain Brice, dont on publie fréquemment de nouvelles éditions, a fait tomber toutes les précédentes ; celles de Jean Boisseau, de Georges de Chuyes, d’Abraham de Pradel, de Claude le Maire, &c. On peut joindre à la description de Brice les vingt-quatre Planches gravées en 1714 par ordre de M. d’Argenson, lieutenant de police, ou mieux encore celles de l’abbé de la Grive à cause de la nouveauté.

Le pere Montfaucon a parlé plusieurs fois de Paris dans son antiquité expliquée. Il y a aussi divers morceaux à ce sujet dans les mémoires des Inscriptions. Ceux même de l’académie des Sciences, contiennent des discussions sur la grandeur de Paris & de Londres ; mais ce que j’aime beaucoup mieux, ce sont les essais sur Paris, par M. de Sainte-Foix.

Ajouterai-je qu’on a aussi une histoire de l’église de Paris, composée par Gerard Dubois, qui parut en deux volumes in-fol. en 1690 & 1710, quoiqu’elle ne finisse qu’à l’an 1283. Enfin, on a publié en six volumes in-fol. l’histoire de l’université de Paris jusqu’en 1600, par César-Egaste du Boulay ; & quoique cette histoire ait été censurée l’an 1667 par la faculté de Paris, cette censure ne lui a fait aucun tort dans l’esprit du public.

Mais j’avoue que les étrangers sont moins curieux des prétendues antiquités de Paris, de sa police, de sa topographie, de l’appréciation de sa grandeur, de l’histoire de son église & de son université, que d’être instruits du caractere & des mœurs actuelles des habitans de cette ville, à cause de la grande influence qu’ils ont sur le reste du royaume, & même sur quelques pays voisins. Je sai que c’est-là ce qui intéresse davantage les gens de goût, & c’est précisément ce qu’aucun écrivain n’a traité. Plusieurs personnes de beaucoup d’esprit, qui pouvoient nous instruire à merveille sur ce sujet, se sont contentées, pour donner une idée du caractere des Parisiens, d’observer en passant que leur portrait étoit calqué sur celui des Athéniens ; mais ils ne sont entrés dans aucun détail pour justifier cette prétendue ressemblance.

Comme je vis, pour ainsi dire, au milieu d’Athènes, ayant fait beaucoup de recueils sur cette ville, je puis tracer le portrait de ses habitans, & mettre le lecteur en état de juger si mes compatriotes ont avec eux de si grands rapports qu’on l’assure, & que je n’ai pas l’esprit d’appercevoir à tort ou avec raison. Quoi qu’il en soit, le tableau que je vais esquisser des mœurs d’Athènes, & qui manque sous ce mot géographique, devient nécessaire, mais d’une absolue nécessité dans cet ouvrage, parce qu’il est indispensable aux gens de Lettres de l’avoir devant les yeux, pour entendre les Orateurs, les Historiens, les Philosophes & les Poëtes, qui y font perpétuellement allusion.

Les Athéniens étoient d’un esprit vif : ils aimoient mieux, dit Plutarque, deviner une affaire, que de prendre la peine de s’en laisser instruire.

Ils étoient extrèmement polis & pleins de respect pour les dames ; on ne fouilloit point les logis des mariés pendant que leurs épouses y étoient ; & dans un tems de guerre on renvoyoit les lettres que les ennemis écrivoient aux dames d’Athenes, sans les décacheter.

Ils ne portoient que des habits de pourpre & des tuniques de différentes couleurs, brodées à la phrygienne. Les dames sur-tout étoient folles de la parure ; elles mettoient dans leurs cheveux des cigales d’or, à leurs oreilles des figues d’or, & sur leurs robes tous les ornemens qui pouvoient jetter de l’éclat. Elles inventoient tous les jours des modes nouvelles, & alloient se promener à la porte de dipylon, pour les étaler aux yeux de tout le monde.

Elles apprirent aux dames romaines à mettre du rouge & du blanc. Les lacédémoniennes ne se doutoient pas qu’elles fussent belles ; les athéniennes croyoient l’être, parce qu’elles se mettoient d’une maniere qui cachoit habilement leurs défauts. Elles étoient extrèmement blessées, quand des étrangers vantoient en leur présence l’adresse des lacédémoniennes à monter à cheval, leur habit court, leurs étoffes moirées, leurs gazes de cor, leurs chapeaux de joncs de l’Eurotas, la beauté de leur teint, & la finesse de leur taille. Pour lors desespérées, elles demandoient avec dédain à ces étrangers si c’étoit le brouet noir dont vivoient les lacédémoniennes, qui leur procuroit ces deux derniers avantages.

Elles admettoient les baptes aux mysteres de leur toilette ; c’étoient des prêtres efféminés qui se noircissoient le sourcil, portoient une robe bleue, & vouloient qu’on ne jurât devant eux que par la divinité de Junon. Elles parfumoient leur linge de la plante parthénon, dont les murs du château de leur ville étoient couvertes, & elles en avoient toujours des sachets dans leurs poches.

Elles ne manquoient point les fêtes des bachanales, qui se célébroient en hiver tous les ans par les prêtresses appellées gérares ; & l’été elles alloient se promener tantôt au pyrée, tantôt dans la prairie nommée l’énæon, entourée de bosquets de peupliers, & tantôt à œgyron : c’étoit le lieu où les paysans d’Icaria représentoient leurs farces à la lumiere ; & le peuple y avoit fait des échaffauds pour y jouir de ce spectacle.

Elles lisoient, pour se former le style, les brochures nouvelles, & toutes avoient dans leurs petites bibliotheques le recueil des pieces de théâtre de Cratinus, d’Eupolis, de Ménandre, d’Aristophane, d’Eschyle, de Sophocle, d’Euripide, & sur-tout les poésies de Damophyle, de Sapho, & d’Anacréon. Les copistes imaginerent de transcrire pour Athènes tous ces ouvrages en petit format égal, & le débit en fut incroyable.

On recevoit au cynotarge tous les enfans illégitimes, & les meres qui voudroient y venir faire leurs couches ; mais cet établissement utile n’eut pas de succès, parce que peu de tems après sa fondation, l’athénien, naturellement babillard, ne put retenir sa langue ; & la révélation d’un pareil mystere éloigna toutes les filles d’un certain rang, qui se trouvoient malheureusement enceintes, de profiter d’un asyle où le secret étoit hautement violé. Elles prirent des robes lâches pour cacher leurs grossesse, ou des breuvages pour faire périr leur fruit, au hasard d’en être elles-mêmes la triste victime ; ce qui n’arriva que trop souvent.

Les Athéniens n’étoient pas seulement babillards, mais pleins de vanité. Ils entretenoient par ce seul mobile un très-grand nombre de domestiques. Les vingt mille citoyens d’Athènes avoient cent vingt mille valets ; quand ils sortoient, ils se faisoient suivre par des esclaves qui portoient des siéges plians, pour que leurs maîtres ne fussent pas obligés de rester trop long-tems debout, & de se fatiguer à marcher dans les rues. Ils s’habilloient comme les femmes, d’habits brodés, composoient leur teint comme elles, se frisoient, se parfumoient, mettoient des mouches, se plaignoient de migraine, avoient un miroir de poche, une toilette, un nécessaire.

L’exemple gagnant tous les ordres de l’état, le fils d’un Proëdre, d’un Lexiarque, d’un Telone, se modeloit sur le fils du Polémarque, du Thailassiarque & du Chiliarque. Ils affectoient des manieres enfantines, un langage traînant ; & quand ils arrivoient dans les compagnies, ils se jettoient sur des siéges renversés, qu’ils ne quittoient qu’avec peine pour aller languir & s’ennuyer ailleurs. Ils nommoient ces sortes de visites des usages, des devoirs ; & après les avoir remplis, ils terminoient la journée par se rendre à quelque farce nouvelle, ou chez quelque courtisanne qui leur donnoit à souper.

Ils avoient perdu la mémoire d’Amphiction, de Thésée, des Archontes qui les avoient gouvernés avec sagesse, & ne songeoient qu’aux bouffons, aux danseuses, aux baladines qui pouvoient les divertir. Ils encensoient l’idole du jour, & la fouloient aux piés le lendemain. Sans retenue, sans principes, sans amour du bien public, ils étoient nés pour murmurer, pour obéir, pour porter le joug, pour devenir les esclaves du premier maître ; &, ce qu’il y a de très-plaisant, des esclaves orgueilleux. Ce fut Philippe qui daigna les asservir après la bataille de Chéronée. On ne le craignoit pas à Athènes comme l’ennemi de la liberté, mais des plaisirs. Frequentiùs scenam quam castra visentes, dit Justin. Ils avoient fait une loi pour punir de mort celui qui proposeroit de convertir aux besoins de l’état l’argent destiné pour les théâtres. Philippe renvoya tous les prisonniers, mais il ne renvoya pas des hommes qui lui fussent redoutables.

L’amour excessif de la volupté, du repos & de l’oisiveté, étouffoit chez les Athéniens celui de la gloire, de l’indépendance & de la vertu : de-là venoit non-seulement leur avilissement en général, mais en particulier la négligence de leurs affaires, le dépérissement de leurs terres, de leurs palais, & de leurs meubles. Les valets vivoient comme les maîtres, & n’avoient soin de rien. Les édifices, les statues & les beaux ouvrages de Périclès, tomboient en ruine. Ils bâtissoient, laissoient périr, & ne réparoient jamais. Ils étoient par leur malpropreté mangés de vers & d’insectes ; le seul appartement de compagnie brilloit de colifichets étalés à la vûe par ostentation, mais tous les autres infectoient : leurs esprits abâtardis par le luxe, ne s’occupoient qu’à avoir autant de connoissances qu’il en falloit pour en faire parade, & disserter légérement sur les modes, les objets de goût, les attributs de la Vénus de Praxitele, ou de la Minerve de Phidias.

Chez eux la plus grande sagesse consistoit à ne point attaquer les lois d’Athènes, à se rendre aux sacrifices, aux fêtes des dieux, à l’assemblée du peuple, au prytanée à l’heure fixe, & avec des habits d’usage. D’ailleurs aisés dans leurs manieres, & libres dans leurs propos, ils donnoient un plus grand prix à ce qu’on disoit qu’à ce qu’on faisoit. Leur foible pour être flatté étoit extrème ; c’est pourquoi les orateurs, avant que d’entamer leur discours, demandoient toujours : Quel avis, Messieurs, peut vous faire plaisir ? Et les prêtres, quels sacrifices vous seroient les plus agréables ?

Ils vouloient être amusés jusque dans les affaires les plus serieuses. Un de leurs citoyens rendant les comptes de sa gestion, ajoûta : « J’oubliois, Messieurs, de vous dire qu’en me conduisant ainsi, lorsque des amis m’invitoient à un repas, jamais je ne me suis trouvé le dernier à table ». Cette naïveté singuliere fut très-bien reçue, & tous ses comptes lui furent alloués. Cléon, un de leurs magistrats, ayant passé toute la nuit à l’odéum, & n’étant point prêt sur un sujet important qu’il devoit traiter, les pria de remettre l’assemblée à un autre jour, « parce qu’il avoit, dit-il, chez lui grande compagnie qui s’aviseroit de manger son excellent dîner sans l’attendre ». Chacun se mit à rire, & s’en alla gayement, en lui disant qu’il étoit homme de trop bonne compagnie pour en priver ses amis.

L’orateur Stratocle leur ayant annoncé une victoire sur mer, on fit pendant trois jours des feux de joie, & on les continuoit encore quand la nouvelle de la défaite de l’armée navale d’Athènes arriva. Quelques-uns lui en firent de grands reproches sur la place. « Il est vrai, dit-il, que je me suis trompé, mais vous avez passé trois jours plus agréablement que vous n’auriez fait sans moi ». Cette répartie calma le chagrin du peuple ; il la trouva plaisante, & quelqu’un fit là-dessus la scolie ou chanson de Stratocle, qu’on mit au rang des chansons joyeuses, & qu’on chanta bien-tôt après dans les carrefours.

Ils ridiculisoient également le bien & le mal ; mais comme le mal étoit ordinaire chez eux, ils y portoient moins d’attention. De plus, ils aimoient à rire, & le mal ne donne point à rire. Aucun autre peuple n’étoit né comme lui pour la plaisanterie & les bons mots. Il y avoit dans Athènes une académie de plaisans, ainsi que des académies de philosophes ; ces sages, comme les appelle Athénée, étoient au nombre de soixante, & s’assembloient dans le temple d’Hercule ; leur institut étoit de raffiner sur les plaisanteries, & leur décision étoit d’un si grand poids, qu’on disoit, les soixante pensent ainsi ; & d’un railleur spirituel, il est de l’académie des soixante. Leur réputation s’étendit si loin en ce genre, qu’ils comptoient parmi les membres de leur corps des têtes couronnées. Philippe de Macédoine leur envoya un talent pour y être aggrégé, & recevoir d’eux les premieres nouvelles des ridicules qu’ils inventeroient contre leurs archontes, leurs prêtres & leurs philosophes.

Ce prince connoissoit parfaitement les Athéniens : il savoit qu’ils étoient malins par contagion, & que rien ne les délectoit autant que la satyre. Ils vouloient voir sans cesse les parodies d’Eschyle, de Sophocle & d’Euripide. Dans le tems que la guerre du Péloponnèse mettoit la république à deux doigts de sa perte, on jouoit au théâtre les nuées d’Aristophane ; & quelque courier ayant apporté la nouvelle que l’armée venoit d’être encore battue, ils demanderent pour se distraire la dixieme représentation des nuées. C’est ainsi qu’ils se consoloient, en s’amusant à prendre le premier homme de la Grece, le vertueux Socrate, pour objet de leurs railleries ; ils allerent même jusqu’à jouer sur leur théâtre la femme de Minos. Mais ceux qui gouvernoient étoient fort aises que le peuple athénien s’occupât de frivolités odieuses, plûtôt que des affaires de l’état. Aussi les archontes permirent dans ces conjonctures qu’on barbouillât les sages à la maniere de Cratinus & d’Eupolis, ce qui fut très-applaudi.

Quelques semaines avant les fêtes sacrées, ils se rendoient en foule au pœcilé, pour voir les sauteurs, les baladins, & les gens qui faisoient des tours d’adresse. Ce qu’il y a de singulier, c’est qu’ils alloient à quelques-uns de leurs spectacles pour le seul plaisir d’être vûs ou de s’en mocquer. Le bizarre mélange des farces de l’un de ces spectacles où on parloit consécutivement la langue athénienne & la langue des barbares, les amusoit beaucoup, parce que les acteurs leur laissoient en sortant l’agrément de les critiquer, pourvû qu’ils revinssent le lendemain à leurs mascarades.

Ils étoient admirateurs enthousiastes de l’odéum ; c’étoit un théâtre de mauvaise musique, entouré des logemens de toutes les courtisannes, d’une place publique où l’on vendoit de la farine, & d’un grand portique qu’Ariobarzane, roi de Cappadoce, avoit enjolivé. Mais il y avoit à ce théâtre des mimes qui représentoient des gestes indécens, des danses lascives, & des amours criminelles. On y célébroit aussi la fête d’Adonis, & tout ce qui s’y passoit étoit le sujet le plus intéressant des conversations.

Outre les fêtes publiques de plaisir, les Athéniens en avoient de particulieres, dont la danse à la suite des repas faisoit le principal objet. Il n’y avoit qu’une seule de leurs danses que Platon approuva ; c’étoit une danse grave & majestueuse, mais les Athéniens n’en faisoient usage que pour la forme. Ils lui préféroient les ménades où les danseurs étoient travestis, toutes les danses folâtres, sur-tout la danse nommée lamprotere, & celle dont parle Homere dans le XVIII. liv. de l’odyssée.

Ils mirent à la mode la danse pyrrhique, non pas la pyrrhique guerriere des Lacédémoniens, mais cette pyrrhique pacifique où les danseurs ne portoient que des thyrses, des bouquets de fleurs, & des flambeaux. Apulée nous en a donné la description, qu’on sera bien-aise de lire ici. Puelli, puellæquæ, virenti florentes ætatulâ, formâ conspicui, veste nitidi, incessu gestuosi, græcanicam saltabant pyrrhicam, thyrsum quatientes, dispositis ordinationibus, indecoros ambitus inerrabant ; nunc in orbem rotarum flexuosi, nunc in obliquam seriem connexi, & in quadratam patorem cuneati, & in catervæ dissidium separati.

On sait au sujet de la danse, l’histoire d’Hyppoclide, qui passoit pour le plus riche, le plus agréable & le plus beau des Athéniens. Clisthène, roi de Sycione, avoit envie de lui donner sa fille en mariage. Il lui fit une fête magnifique avant que de dresser le contrat. Hippoclide fort content de sa figure, dansa d’un air dégagé, libre & indécent, la danse appellée emmélée, qui étoit une danse grave & noble : « Fils de Tisandre, lui dit Clysthène, tu as dansé ton mariage hors de cadence ». A quoi le jeune homme répondit : « Hippoclide ne s’en soucie guère » ; réponse qui devint proverbe à Athènes.

L’oisiveté, les promenades, les spectacles, les danses, formerent dans toute la ville des parties de souper où régnoit la chere la plus délicate. La dépense en ce genre devint si grande, que les Athéniens pour pouvoir la soutenir vendirent leur vaisselle d’argent, & se servirent de la poterie de Samos. Démétrius ayant abandonné à son maître-d’hôtel les restes de sa table, ce maître d’hôtel en deux ans de tems acheta trois terres. Un habile cuisinier se payoit aussi cher qu’à Rome ; on n’estimoit que les repas apprêtés de la main de Moschion. On accordoit le droit de bourgeoisie aux enfans de Chérips, parce que leur pere avoit inventé une nouvelle sorte de ragoût aux truffes de la Grece. Le nom de ce ragoût nous a été consérvé par. Athénée ; on l’appelloit truffes à l’Alcibiade, ou truffes en surprise.

Quoiqu’on servît à leurs tables les meilleurs vins du monde, ils en buvoient néanmoins très-sobrement, parce qu’ils vouloient que leurs repas fussent assaisonnés de conversations légeres & plaisantes ; ces conversations rouloient sur les nouvelles du jour, les brochures, les spectacles, les amourettes de Thaïs avec Ménandre, & les nouveaux logogryphes formés de vers d’anciens poëtes parodiés. On ne parloit jamais à table de Mégabise, de Rhodes, de Sparte, ni de Philippe que pour un moment, & pour s’en moquer.

Ce que dit Horace de l’envie toujours attachée à la vertu, étoit encore plus vraie à Athènes qu’ailleurs, virtutem incolumen oderunt invidi. Une grande supériorité de mérite en quelque genre que ce fût, affligeoit vivement les Athéniens. Thémistocle, Miltiade, Aristide, Périclès, Socrate, Démosthènes, Démétrius de Phalere, & Phidias, en sont de belles preuves. L’éclat de leur gloire leur suscita mille envieux, sortes d’ennemis également couverts & dangereux. Athénée nous apprend qu’on vit même, à la honte des mysteres sacrés, des prêtres de Minerve supplantés par des prêtres de Vénus.

La religion des Athéniens étoit la même pour le fonds que celle des autres grecs, excepté dans quelques points, dont l’intérêt des pontifes avoit sur-tout établi la sainteté. Les Athéniens ne furent point choqués des impiétés qu’Eschyle dans sa tragédie faisoit tenir à Prométhée contre Jupiter, mais ils étoient faciles à effaroucher sur Cérès & ses mysteres. C’est que Jupiter n’appartenoit qu’en général à la religion, au lieu que Cérès & ses mysteres avoient rapport aux intérêts particuliers de la capitale de l’Attique, & des pontifes puissans qui desservoient les autels de la déesse.

Leur ville étoit remplie de temples, de monumens de piété, de lieux d’amusement & de libertinage. Les Athéniens étoient tout ensemble impies & superstitieux ; ils réputoient le jeudi comme un jour malheureux ; on renvoyoit toute assemblée qui tomboit ce jour-là. On s’enivroit de plaisir pendant la célébration des thesmophories ; & le troisieme jour qu’elles finissoient, on se rendoit de l’odéum & du théâtre de Bacchus, dans le temple de Minerve, où chacun suivoit des observances religieuses de la journée ; ce qui fait que Plutarque appelle le troisieme jour des thesmophories, le plus triste jour de l’année.

Aux fêtes sacrées d’Eleusis, les femmes passoient douze heures consécutives dans le temple, assises sur des bancs, sans prendre aucune nourriture, & tenant dans leurs mains un livre écrit en langue égyptienne, avec des hiéroplyphes. Chacun conservoit ce livre dans des peaux teintes en pourpre ; mais comme il n’y avoit que les prêtres qui pussent lire l’écriture hiérogrammatique, le peuple d’Athènes se reposoit superstitieusement sur eux du soin de la déchiffrer.

Les Athéniens établirent aussi par superstition des expiations publiques pour leurs théâtres, & des expiations particulieres pour les crimes & les fautes qu’on avoit commises ; ces dernieres expiations consistoient à se rendre dans le temple du dieu que l’on avoit particulierement offensé, à se laver d’eau lustrale, & en d’autres actes semblables.

L’artisan mettoit une petite piece de monnoie sur la langue de ceux qui venoient de mourir ; mais les gens riches s’imaginoient que pour passer plus commodément la barque fatale, il falloit porter à Caron trois pieces d’argent. La dépense étoit excessive à la mort des grands ; ils vouloient avoir des tombeaux magnifiques avec tous les ornemens que dicte la vanité.

Ce peuple réunissoit en lui tous les contraires ; il étoit dur & poli, civil & médisant ; détracteur des étrangers, & les accueillant avec enthousiasme. Protagoras d’Abdère, Evenus de Paros, Poléen d’Agrigente, Théodore de Bysance, ne sachant plus où se réfugier, firent fortune à Athènes, par la seule raison qu’ils étoient des étrangers.

Les Athéniens devenus sophistes par caractere & pas corruption, inventerent la plaidoirie, & en firent un art rusé & lucratif. Périclès se les attacha par le profit du barreau, & Alcibiade les punit rudement par le même endroit, en engageant les Spartiates à fortifier Décélie, parce que ce fort coupoit les revenus de la justice, qui étoient un de leurs grands trafics.

Ciceron se mocque plaisamment de la maniere dont ils opinoient. « Aussi-tôt, dit-il, qu’un de leurs orateurs a fini de parler, ils ne font que lever la main en tumulte, & voilà un decret éclos ». C’est ainsi que se fit le fameux decret (mentionné dans les marbres d’Oxford) qui ordonna la suppression des portefeuilles de Périclès sur les beaux-arts, conjointement avec ceux de toutes les œuvres de Solon, d’Anaximandre, d’Anaxagore, de Phérécyde, d’Archytas, de Calippe & de Socrate ; recueil que quelques savans disciples de ces grands hommes avoient enfin rassemblés en un corps, & qu’ils avoient transcrits pendant vingt ans sur du beau papyrus d’Egypte avec un soin scrupuleux, une critique éclairée, & une dépense vraiment royale, pour transmettre à la postérité, par des copies fideles & par d’admirables desseins, le dépôt des Sciences & des Arts aussi loin qu’ils avoient été poussés. Le decret qui proscrivoit ce magnifique recueil, avança dans toute l’Attique le regne de la barbarie, qu’une petite poignée de sages avoit tâché jusqu’alors de reculer par leurs écrits.

Quoique les Athéniens marchassent à grands pas vers leur chûte, ils étoient toujours enorgueillis de la supériorité qu’ils avoient eu dans les beaux-Arts, & de celle qu’ils prétendoient avoir encore dans les Sciences. Cependant avec cette prétention singuliere on n’apprenoit aux jeunes gens dans les principales écoles d’Athènes, qu’à chausser le soc & le cothurne, comme s’ils ne devoient être un jour que des comédiens, & que l’étude des Lettres, de la Morale & de la Philosophie fût une chose méprisable. On ne leur expliquoit que des ridicules impertinences, qu’on autorisoit du nom d’un poëte inconnu, & on leur donnoit pour sujets de composition le mont Athos percé par Xerxès, les noces de Deucalion & de Pyrrha, les irruptions des Scythes en Asie, les batailles de Salamine, d’Artémise & de Platée.

Leurs rhéteurs ne s’occupoient qu’à éplucher des syllabes, à couper des phrases, à changer l’orthographe, à appauvrir, à efféminer la langue grecque qui étoit si belle du tems de Démosthène, & à lui donner le ton affété & langoureux d’une courtisanne qui cherche à plaire. Les Athéniens n’en conserverent que la douceur de la prononciation, qu’ils tenoient de la bonté de leur climat, & c’étoit la seule chose qui les distinguoit des Asiatiques.

Leurs philosophes examinoient dans leurs écrits, si le vaisseau qu’on gardoit au port de Phalere, & dont on ôtoit les pieces qui se pourrissoient en en mettant de nouvelles, étoit toujours le même vaisseau, que celui sur lequel Thésée avoit été en Créte, & cette question devint très-sérieuse.

Leurs médecins regardant l’étude de l’art & des observations d’Hippocrate, comme un tems perdu dans la pratique, l’exerçoient empiriquement par deux seuls remedes qui marchoient toujours de compagnie, la saignée & la purgation avec l’hellebore noir, l’une & l’autre jusqu’à l’extinction des forces. Peut-être trouverent-ils que la folie ou la phrénésie dominoit dans toutes les maladies des Athéniens, & qu’on risquoit trop à écouter la nature si étrangement viciée chez ce peuple, & à attendre d’elle quelque crise salutaire.

Dans les portiques & les académies d’Athènes, ce n’étoit que querelles & que divisions, les uns tenant pour les Apollodoréens, les autres pour les Théodoréens ; & l’on ne sauroit croire la haine & l’animosité qui régnoient dans ces deux partis.

Uniquement occupés de questions futiles, ou entierement dissipés par les plaisirs, les Athéniens méprisoient les Sciences d’érudition, joignant une ignorance volontaire à la présomption qui leur étoit naturelle. Ils ne connoissoient rien du reste du monde, & traitoient de fables les négociations Phéniciennes. Josephe ne cite que des traits de leur ignorance & de leur vanité. Un de leurs compatriotes plein d’un juste mépris pour tant de suffisance, leur disoit : « ô Athéniens ; vous n’êtes que des enfans ; vous vivez comme des enfans ; vous parlez comme des enfans. »

Superficiels, & hors d’état de raisonner sur de grands sujets ; ils décidoient de la guerre, de la paix, & des intérêts des Grecs, comme leurs nautodices des litiges de leurs matelots avec les étrangers. Ils jugeoient des alliances qu’ils devoient former, comme de l’accouplement de leurs chiens.

Tournant tout leur esprit vers les objets frivoles & de pur agrément, Il n’est pas étonnant qu’ils entendissent moins la navigation, le pilotage, & l’agriculture, que les Tyriens & les Phéniciens. Cette derniere science étoit d’autant plus en vogue chez les fondateurs de Carthage, qu’ils habitoient un pays dont le peu de fertilité naturelle encourageoit leur industrie, pour faire circuler l’abondance dans tous les ordres de l’état, par des moissons qui payoient le laboureur avec usure, & fournissoient au trafiquant un fonds inépuisable d’échanges avec l’étranger. Ils en faisoient encore un exercice volontaire, un amusement utile, & même un objet d’étude. Ils étoient cultivateurs, comme hommes d’état & négocians. Leurs progrès dans la navigation furent grands & rapides, parce qu’ils avoient pour but d’augmenter à la fois leurs richesses personnelles, & les forces de leur état, dont le pouvoir se fondoit en partie sur l’opulence générale, & en partie sur celle de tous les sujets en particulier.

Magon, un de leurs illustres citoyens, avoit composé sur la culture des terres, un traité profond, dont la réputation s’étendit jusqu’à Rome, & Décius Silanus réussit à le traduire. Voilà cependant les hommes que les poëtes & les orateurs d’Athènes, traitoient dans leurs comédies & dans leurs harangues, de barbares, qui écorchoient la langue grecque.

Les vaisseaux de Carthage & de Phénicie parcouroient toutes les mers, dans un tems où les Athéniens ne navigeoient pas au-delà des colonnes d’Hercule ou du Pont-Euxin. Les Carthaginois & les Phéniciens, introduits par la navigation en Egypte, à la cour de Perse, dans toutes les contrées de l’Asie, & jusques dans les Indes, avoient par ces vastes régions des lumieres curieuses & certaines, bien différentes des idées vagues & confuses, que les Athéniens s’en formoient sur les fictions de leurs poëtes, & les romans de leurs gens de lettres oisifs.

Concentrés dans leur capitale, ils ne connoissoient rien au-delà de l’Attique, & se glorifioient néanmoins de l’affluence des étrangers, qui venoient prendre chez eux une teinture d’Atticisme, avant que de passer à Rome.

Non-seulement ils étoient fous en général des délices de leur ville ; mais en particulier, ils auroient tous voulu habiter le quartier nommé Colytos, parce qu’on disoit, que les enfans y commençoient à parler, plutôt que dans les autres quartiers de la ville, & l’on assuroit qu’on n’y avoit jamais vû d’exemple de mutisme. Les Athéniens entierement opposés aux Lacédémoniens, estimoient infiniment le babil. Loquacité, loquence & éloquence, étoient déja dans leur ancien langage des termes synonymes. Un parlier (on conçoit bien que je traduis ici les mots grecs attiques) désignoit chez eux un orateur éminent, un orateur admirable.

D’ailleurs, ce quartier Colytos avoit été fort embelli par Périclès ; on y voyoit le temple de Minerve & le théâtre de Régille, où se rendoient les poëtes de profession. Epicure, Nicias, Themistocle, Harpalus, Alcibiade & autres grands avoient aussi bâti dans ce quartier de magnifiques palais.

Enfin, les Athéniens après avoir vanté le Colytos avec emphase, louoient ensuite avec autant d’exagération, tous les autres agrémens merveilleux de leur Athènes : connoissez-vous, dirent-ils un jour à Isocrate, une ville au monde, dont le sejour soit plus délicieux & dont les plaisirs soient plus brillans, on sait quelle fut sa réponse : je compare, répliqua-t-il, votre ville à une courtisanne, qui par sa beauté attire bien des galans, quoi qu’aucun ne voulût l’avoir pour épouse ; mais le latin dit bien mieux, & le dit en quatre mots : melior meretrix quàm uxor. Le Chevalier de Jaucourt.

Paris, comte de (Hist. de France.) c’étoit la plus éminente dignité du royaume avant Hugues Capet. En 888, Eudes, comte de Paris, fut proclamé roi, & couronné par l’archevêque de Sens, au préjudice de Charles le Simple. Il mourut à la Fère en 898, âgé de quarante ans, & est enterré à Saint-Denis.

Paris, police de (Hist. de France.) elle a été établie sous S. Louis vers l’an 1260, par Etienne Boileau, prevôt de cette ville, magistrat digne des plus grands éloges ; il s’appliqua d’abord à punir les crimes : les prevôts fermiers avoient tout vendu, jusqu’à la liberté du commerce, & les impôts sur les denrées étoient excessifs : il remédia à l’un & à l’autre ; il rangea tous les Marchands & Artisans en différens corps de communautés, sous le titre de confréries ; il dressa les premiers statuts, & forma plusieurs réglemens ; ce qui fut fait avec tant de justice & une si sage prévoyance, que ces mêmes statuts n’ont presque été que copiés ou imités dans tout ce qui a été fait depuis pour la discipline des mêmes communautés, ou pour l’établissement des nouvelles qui se sont formées dans la suite des tems. La famille d’Etienne Boileau, dont le véritable nom est Boylesve, a continué de se distinguer depuis dans la province d’Anjou, où elle subsiste encore aujourd’hui. Henault, Hist. de France.