L’Encyclopédie/1re édition/ROUGE

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ROUGE, adj. (Physiq.) est une des couleurs simples dont la lumiere est composée, & la moins réfrangible de toutes. Voyez Réfrangibilité & Couleur.

Les acides changent le noir, le bleu & le violet en rouge, le rouge en jaune, & le jaune en jaune-pâle. Les alkalis changent le rouge en violet ou pourpre, & le jaune en couleur de feuille-morte. Voyez Acide & Alkali.

Les matieres terrestres & sulphureuses deviennent rouges par l’action du feu, & même à la longue noires, comme la brique, la pierre ponce, la chaux, l’ardoise, qui deviennent noires quand elles sont fondues par le verre ardent.

Les écrevisses deviennent rouges, étant exposées à un feu modéré ; mais si le feu est violent, elles deviennent noires. Le mercure & le soufre mêlés & mis sur un feu modéré, deviennent d’un beau rouge, que l’on appelle cinabre artificiel. Voyez Cinabre. Un esprit acide étant versé sur une solution bleue de tournesol, le change en beau rouge ; un alkali lui restitue sa couleur bleue.

M. de la Hire a observé qu’un corps lumineux vu à-travers un corps noir paroît toujours rouge, comme quand on regarde le soleil à-travers un nuage sombre. Il ajoute que bien des gens qui voient parfaitement les autres couleurs, n’ont, pour ainsi dire, qu’une fausse sensation du rouge, & ne l’apperçoivent que comme noir. Voyez Bleu. Chambers. (O)

Rouge, s. m. (Cosmétiq.) espece de fard fort en usage, que les femmes du monde mettent sur leurs joues, par mode ou par nécessité. En d’autres termes, c’est

Cette artificieuse rougeur
Qui supplée au défaut de celle
Que jadis causoit la pudeur.

Le rouge dont on faisoit usage anciennement se nommoit purpurissus, sorte de vermillon préparé ; c’étoit un fard d’un très-beau rouge purpurin, dont les dames greques & romaines se coloroient le visage. Il paroît par sa composition qu’il avoit quelque chose d’approchant de ce que nos peintres appellent rose d’œillet, carnation d’œillet, en anglois rose-pink. Il étoit fait de la plus fine espece de craie-blanche, creta argentaria, dissoute dans un forte teinture pourpre, tirée de l’écume chaude du poisson purpura, du murex, ou à leur défaut des racines & des bois qui teignent en rouge ; quand la partie la plus crasse étoit tombée au fond du vaisseau, la liqueur, quoiqu’encore épaisse, se versoit dans un autre vaisseau, & ce qui alloit au fond de cette derniere liqueur étoit d’un beau pourpre pâle qu’on mettoit dans des vases précieux & qu’on gardoit pour l’usage.

L’usage du rouge a passé en France avec les Italiens sous le regne de Catherine de Médicis. On employoit le rouge d’Espagne, dont voici la préparation. On lave plusieurs fois dans l’eau claire les étamines jaunes du carthame ou safran bâtard, jusqu’à ce qu’elles ne donnent plus la couleur jaune ; alors on y mêle des cendres gravelées, & on y verse de l’eau chaude. On remue bien le tout, ensuite on laisse reposer pendant très-peu de tems la ligueur rouge ; les parties les plus grossieres étant déposées au fond du vaisseau, on la verse peu-à-peu dans un autre vaisseau sans verser la lie, & on la met pendant quelques jours à l’écart. La lie plus fine d’un rouge foncé & fort brillante se sépare peu-à-peu de la liqueur, & va au fond du vaisseau : on verse la liqueur dans d’autres vaisseaux ; & lorsque la lie qui reste dans ces vaisseaux, après en avoir versé l’eau, est parfaitement seche, on la frotte avec une dent d’or. De cette maniere on la rend plus compacte, afin que le vent ne la dissipe point lorsqu’elle est en fine poussiere. Le gros rouge se fait de cinabre minéral bien broyé avec l’eau-de-vie & l’urine, & ensuite séché.

Il n’y a pas long-tems que le beau sexe de ce pays a mis en vogue l’art barbare de se peindre les joues de ce rouge éclatant. Une nation voisine chez qui les regles de cet art ne sont pas de son institution, ne se sert encore de rouge que pour tromper agréablement, & pour pouvoir se flatter de n’en être pas soupçonné ; mais qui peut répondre que le beau sexe de ce peuple ne mette du rouge dans la suite par mode & par usage jusqu’à réjouir ou à effrayer, quoiqu’actuellement le peu de rouge dont quelques-unes des dames du pays se parent en secret, ne soit parvenu au degré de pouvoir supprimer l’apparence de ce rouge charmant qui décele les premieres foiblesses du cœur ?

Est-ce pour réparer les injures du tems, rétablir sur le visage une beauté chancelante, & se flatter de redescendre jusqu’à la jeunesse, que nos dames mettent du rouge flamboyant ? Est-ce dans l’espoir de mieux séduire qu’elles emploient cet artifice que la nature desavoue ? Il me semble que ce n’est pas un moyen propre à flatter les yeux que d’arborer un vermillon terrible, parce qu’on ne flatte point un organe en le déchirant. Mais qu’il est difficile de s’affranchir de la tyrannie de la mode ! La présence du gros rouge jaunit tout ce qui l’environne. On se résout donc à être jaune, & assûrément ce n’est pas la couleur d’une belle peau. Mais d’un autre côté, si l’on renonce à ce rouge éclatant, il faudra donc paroître pâle. C’est une cruelle alternative, car on veut mettre absolument du rouge de quelque espece qu’il soit, pâle ou flamboyant. On ne se contente pas d’en user lorsque les roses du visage sont flétries, on le prend même au sortir de l’enfance. Cependant, malgré l’empire de la coutume, je pense comme Plaute, & je répondrois comme lui à une jeune & jolie femme qui voudroit mettre du rouge : « Je ne vous en donnerai point, vous êtes à merveille, & vous iriez barbouiller d’une peinture grossiere l’ouvrage le plus beau & le plus délicat du monde : ne faites point cette folie, vous ne pouvez employer aucun fard qui ne gâte & n’altere promptement la beauté de votre teint ». Non dabo purpurissum, scita tu quidem es ; vis novâ picturâ interpolare opus lepidissimum. Nullum pigmentum debet attingere faciem, ne deturpetur.

Après tout, je ne serois pas fâché que quelqu’un plus éclairé que je ne le suis, nous fît une histoire du rouge, nous apprît comment il s’introduisit chez les Grecs & les Romains, par quelle raison il fut l’indice d’une mauvaise conduite, par quelle transition il vint à passer au théatre, & à dominer tellement que chacun jusqu’à Polyphème en mit pour s’embellir ; enfin comment il est depuis assez long-tems parmi nous une des marques du rang ou de la fortune. (D. J.)

Rouge de carmin ou Carmin, (Chimie & Peint.) c’est ainsi que l’on nomme une couleur ou fécule d’un beau rouge très-vif tirant sur le cramoisi. On a déja parlé de cette couleur à l’art. Carmin ; mais comme elle n’y a été décrite que très-imparfaitement, on a cru devoir y suppléer ici.

Voici le procédé suivant lequel on peut faire le carmin avec succès. On prend 5 gros de cochenille, un demi gros de graine de chouan, 18 grains d’écorce d’autour, 18 grains d’alun, & 5 livres d’eau de pluie ; on commencera par faire bouillir l’eau, alors on y jettera la graine de chouan, on lui laissera faire cinq ou six bouillons, après quoi on filtrera la liqueur. On la remettra sur le feu ; lorsqu’elle aura bouilli de nouveau, on y mettra la cochenille ; après qu’elle aura fait environ quatre ou cinq bouillons, on y joindra l’écorce d’autour & l’alun. On filtrera de nouveau la liqueur ; au bout de quelque tems, le carmin sous la forme d’une fécule rouge se précipitera au fond du vaisseau où l’on aura mis la liqueur filtrée ; les doses indiquées en donneront environ deux scrupules. On décantera la liqueur qui surnagera, & on fera sécher la couleur rouge au soleil.

Lorsqu’on voudra faire le rouge que les femmes emploient pour se farder, on pulvérisera l’espece de talc, connu en France sous le nom de craie de Briançon. Lorsqu’elle aura été réduite en une poudre très fine, on y joindra du rouge de carmin à proportion de la vivacité que l’on voudra donner à la couleur du rouge, & l’on triturera soigneusement ce mélange qui peut être appliqué sur la peau sans aucun danger.

La cherté du carmin fait que souvent on lui substitue du cinabre que l’on mêle avec le talc.

Rouge de Corroyeur, (Teint.) il se fait avec du bois de Brésil, dont il faut deux livres sur deux sceaux d’eau, à quoi l’on ajoute de la chaux, quand il est raisonnablement éboulli. (D. J.)

Rouge ou Rosette, encre d’Imprimerie, pour imprimer en rouge. Voyez Encre.

Rouge, (Maréchal.) un cheval rouge, est un cheval bai très-vif. Ce terme n’est plus en usage. Grisrouge. Voyez Gris.

Rouge, (Peinture.) très-beau pour le lavis. Réduisez en poudre subtile ce que vous voudrez de cochenille, versez-la dans un vaisseau où vous ayez mis de l’eau-rose assez pour surpasser de deux doigts cette poudre ; jettez ensuite de l’alun brûlé, & pulvérisé encore tout chaud dans de l’eau de plantin, dans laquelle vous mêlerez la liqueur qui aura servi à dissoudre la cochenille, & vous aurez un très-beau rouge, qui vaut mieux que le vermillon pour le lavis ; parce que le vermillon a trop de corps, & qu’il se ternit à cause du mercure dont il est composé.

Rouge d’Inde, (Teint.) ou terre de Perse, qu’on appelle aussi, quoique très-improprement, rouge d’Angleterre. C’est une ochre rouge, assez friable & très-haute en couleur, qui, bien broyée & réduite en poudre impalpable, fait un assez beau rouge. On tire cette ochre de l’île d’Ormus, dans le golfe persique. Le rouge d’inde ne s’emploie guere que par les Cordonniers, qui s’en servent pour rougir les talons des souliers qu’ils font, en le détrempant avec du blanc-d’œuf. (D. J.)

Rouge, (Teint) c’est une des cinq couleurs simples & matrices des Teinturiers.

Il y a deux especes de rouge ; l’une dont le jaune est le premier degre, & qui par le rapprochement de ses parties augmentant peu-à-peu de teinte, & passant par l’orangé devient couleur de feu, qui est l’extrème de la concentration du jaune. Le minium, le précipité rouge, le cinabre en sont des exemples que la Chimie nous fournit. L’autre rouge part de l’incarnat ou couleur de chair, & passe au cramoisi qui est le premier terme de sa concentration ; car en rapprochant davantage ses particules colorantes, on le conduit par degrés jusqu’au pourpre. L’encre symphatique bien dépurée prend sur le feu toutes ces nuances. Le rouge qui a une origine jaune ne prendra jamais le cramoisi, si l’on n’a pas ôté ce jaune qui le fait de la classe des couleurs de feu ; de même le rouge dont la premiere teinte est incarnate, ne deviendra jamais couleur de feu, si on n’y ajoute pas le jaune.

Cependant les Teinturiers distinguent sept sortes de rouge dans le grand teint ; savoir, 1°. l’écarlate des Gobelins ; 2°. le rouge cramoisi ; 3°. le rouge de garance ; 4°. le rouge de demi-graine ; 5°. le rouge demi-cramoisi ; 6°. le nacarat de bourre ; 7°. l’écarlate façon de Hollande. Le vermillon, la cochenille & la garance sont les drogues principales qui produisent ces diverses especes de rouge.

L’écarlate des Gobelins se fait avec de l’agaric, des eaux sûres, du pastel & de la graine d’écarlate ou de vermillon. Quelques Teinturiers y ajoutent de la cochenille. Le rouge cramoisi se fait avec les eaux sûres, le tartre & la fine cochenille. Le rouge de garance se fait avec la garance de Flandre. Le rouge de mi-graine se fait avec les eaux sûres, l’agaric, moitié graine d’écarlate & moitié garance. Le demi-cramoisi se fait avec moitié garance & moitié cochenille. Le nacarat de bourre exige que l’étoffe soit auparavant mise en jaune ; ensuite le nacarat se fait avec le bain de la bourre qui a été ébrouée sur un bouillon avec des cendres gravelées. L’écarlate façon d’Hollande se fait avec la cochenille, le tartre & l’amidon, après avoir bouilli avec de l’alun, du tartre, du sel gemme & de l’eau-forte où l’étain a été dissous ; mais cette couleur, quoique des plus éclatantes, se rose & se tache aisément.

Entre ces sortes de rouges, il n’y en a que trois qui ayent des nuances ; savoir le rouge cramoisi, le nacarat de bourre, & l’écarlate de Hollande.

Les nuances du rouge de garance sont couleur de chair, peau d’oignon, fiamette, ginjolin. Celles du cramoisi sont fleur de pommier, couleur de chair, fleur de pêcher, couleur de rose incarnadin, incarnat-rose, incarnat & rouge cramoisi. Les nuances de la bourre sont les mêmes que celles du rouge cramoisi. L’écarlate, outre celles du cramoisi & de la bourre, a encore pour nuances particulieres la couleur de cerise, le nacarat, le ponceau, & la couleur de feu.

Quant au rouge de Brésil, c’est une fausse teinture que n’employent point les Teinturiers du bon teint. Savary. Hellot. (D. J.)

Rouge d’Angleterre, chez les Vergettiers, est une espece de peau de couleur rouge qu’on tire d’Angleterre, & dont ils se servent pour couvrir le dos ou la poignée des brosses. On n’en emploie presque plus, parce qu’on en fait à Paris de meilleur.

Rouge, (Art de la Verrerie.) Néri a décrit la maniere de donner au verre un rouge transparent ; & comme son procédé réussit, je vais le transcrire. Prenez, dit-il, de la magnésie de Piémont réduite en une poudre impalpable ; mêlez-la à quantité égale de nitre purifié ; mettez ce mélange à calciner au feu de reverbere pendant vingt-quatre heures ; ôtez-le ensuite ; édulcorez-le dans de l’eau chaude, & faites-le secher, après en avoir séparé le sel par les lotions : cette matiere sera d’une couleur rouge : ajoutez-y une quantité égale de sel ammoniac ; humectez le tout avec du vinaigre distillé ; broyez-le sur le porphyre, & le faites sécher. Mettez ensuite ce mélange dans une cornue qui ait un gros ventre & un long col, & donnez pendant douze heures un feu de sable & de sublimation ; rompez alors la cornue ; mêlez ce qui sera sublimé, & ce qui sera resté au fond de la cornue ; pesez la matiere & ajoutez-y, de sel ammoniac, le poids qui en est parti par la sublimation ; broyez le tout comme auparavant : après l’avoir imbibé de vinaigre distillé, remettez-le à sublimer dans une cornue de la même espece ; réiterez la même chose, jusqu’à ce que la magnésie demeure fondue au fond de la cornue. Cette composition donne au crystal & aux pâtes un rouge transparent semblable à celui du rubis ; on en met vingt onces sur une de crystal ou de verre ; on peut cependant augmenter ou diminuer la dose selon que la couleur semblera l’exiger.

Le même Neri indique les procédés pour donner au verre la couleur d’un rouge-sanguin, & celle de rubis-balais ; mais il seroit trop long d’entrer dans ces détails. (D. J.)

Rouge, (Gloss. franç.) L’usage de l’écarlate affecté aux plus éminens personnages, tant dans la guerre que dans les lettres ; le privilege de porter la couleur rouge, reservé aux chevaliers & aux docteurs, introduisit probablement dans notre langue, le mot rouge, pour fier, hautain, arrogane ; surtout lorsqu’on vit Artérella, chef des Gaulois révoltés & victorieux, se revêtir de sanguines-robes & d’écarlate. Dans l’ouvrage en vers intitulé, l’Amant rendu cordelier, on lit, les plus rouges y sont pris, pour dire les plus glorieux ; Brantome s’est encore servi de ce mot dans le même sens, en parlant de l’affaire des Suisses à Novarre contre M. de la Freinville, qui fut un grand exploit & un grand heur de guerre, dont ils vinrent si rouges & si insolens, qu’ils méprisoient toutes nations, & pensoient battre tout le monde. Cette acception du mot rouge en a formé une autre par une legere transposition de lettres ; rogue au-lieu de rouge, est mis pour arrogance, vanité, insolence. Sainte-Palaye. (D. J.)

Rouge mer, grand golfe de l’Océan qui sépare l’Egypte & une partie de l’Afrique de l’Arabie.

« A l’extrémité de la mer Rouge, est cette fameuse langue de terre qu’on appelle l’isthme de Suez, qui fait une barriere aux eaux de la mer Rouge, & empêche la communication de la Méditerranée avec l’Océan. On peut croire que la mer Rouge est plus élevée que la Méditerranée ; & que si on coupoit l’isthme de Suez, il pourroit s’en suivre une inondation & une augmentation de la Méditerranée. Quand même on ne voudroit pas convenir que la mer Rouge fût plus élevée que la Méditerranée, on ne pourra pas nier qu’il n’y ait aucun flux & reflux dans cette partie de la Méditerranée voisine des bouches du Nil ; & qu’au contraire il y a dans la mer Rouge un flux & reflux très-considérable, & qui éleve les eaux de plusieurs piés, ce qui seul suffiroit pour faire passer une grande quantité d’eau dans la Méditerranée, si l’isthme étoit rompu. D’ailleurs, nous avons un exemple cité à ce sujet par Varenius, qui prouve que les mers ne sont pas également élevées dans toutes leurs parties. Voici ce qu’il en dit, p. 100 de sa géographie. Oceanus germanicus, qui est Atlantici pars, inter Frisiam & Hollandiam se effundens, efficit sinum qui, etsi respectu celebrium sinuum maris, tamen & ipse dicitur mare, alluitque Hollandiæ emporium celeberrimum, Amstelodamum. Non procul indè abest lacus harlemensis, qui etiam mare harlemense dicitur. Hujus altitudo non est minor altitudine sinûs illius belgici, quem diximus, & mittit ramum ad urbem Leidam, ubi in varias fossas divaricatur. Quoniam itaque nec lacus hic, neque sinus ille hollandici maris inundant adjacentes agros (de naturali constitutione loquor, non ubi tempestatibus urgentur, propter quas aggeres facti sunt) patet indè quòd non sint altiores quàm agri Hollandiæ. At verò Oceanum germanicum esse altiorem quàm terras hasce experti sunt Leidenses, cùm suscepissent fossam seu alveum ex urbe sua ad Oceani germanici littora prope Cattorum vicum perducere (distantia est duorum milliarium) ut, recepto per alveum hunc mari, possent navigationem instituere in Oceanum germanicum, & hinc in varias terræ regiones. Verùm enim verò cùm magnam jam alvei partem perfecissent, desistere coacti sunt, quoniam tùm demum per observationem cognitum est Oceani germanici aquam esse altiorem quàm agrum inter Leidam & littus Oceani illius ; undè locus ille, ubi fodere desierunt, dicitur Het malle Gat. Oceanus itaque germanicus est aliquanoùm altior quàm sinus ille hollandicus, &c. Ainsi on peut croire que la mer Rouge est plus haute que la Méditerranée, comme la mer d’Allemagne est plus haute que la mer de Hollande.

» Quelques anciens auteurs, comme Hérodote & Diodore de Sicile, parlent d’un canal de communication du Nil & de la Méditerranée avec la mer-rouge : & en dernier lieu M. de Lisse a donné une carte en 1704, dans laquelle il a marqué un bout de canal qui sort du bras le plus oriental du Nil, & qu’il juge devoir être une partie de celui qui faisoit autrefois cette communication du Nil avec la mer Rouge. Voyez les mém. de l’acad. des Sc. ann. 1704. Dans la troisieme partie du livre qui a pour titre, Connoissance de l’ancien monde, imprimé en 1707, on trouve le même sentiment ; & il y est dit d’après Diodore de Sicile, que ce fut Nécas roi d’Egypte, qui commença ce canal ; que Darius roi de Perse le continua, & que Ptolémée II. l’acheva & le conduisit jusqu’à la ville d’Arsioné ; qu’il le faisoit ouvrir & fermer selon qu’il en avoit besoin. Sans que je prétende vouloir nier ces faits, je suis obligé, dit M. de Buffon, d’avouer qu’ils me paroissent douteux ; & je ne sai pas si la violence & la hauteur des marées dans la mer Rouge ne se seroient pas nécessairement communiquées aux eaux de ce canal, il me semble qu’au-moins il auroit fallu de grandes précautions pour contenir les eaux, éviter les inondations, & beaucoup de soins pour entretenir ce canal en bon état ; aussi les historiens qui nous disent que ce canal a été entrepris & achevé, ne nous disent pas s’il a duré ; & les vestiges qu’on prétend en reconnoître aujourd’hui, sont peut-être tout ce qui en a jamais été fait.

» On a donné à ce bras de l’Océan le nom de mer Rouge, parce qu’elle a en effet cette couleur dans tous les endroits où il se trouve des madrépores sur son fond ». Voici ce qui est rapporté dans l’histoire générale des voyages, tome I. pag. 198 & 199. « Avant que de quitter la mer Rouge, D. Jean examina quelles peuvent avoir été les raisons qui ont fait donner ce nom au fleuve arabique par les anciens, & si cette mer est en effet différente des autres par la couleur ; il observa que Pline rapporte plusieurs sentimens sur l’origine de ce nom. Les uns le font venir d’un roi nommé Erythros qui régna dans ces cantons, & dont le nom en grec signifie rouge ; d’autres se sont imaginé que la réflexion du soleil produit une couleur rougeâtre sur la surface de l’eau ; & d’autres, que l’eau du golfe a naturellement cette couleur. Les Portugais qui avoient déja fait plusieurs voyages à l’entrée des détroits, assuroient que toute la côte d’Arabie étant fort rouge, le sable & la poussiere qui s’en détachoient & que le vent poussoit dans la mer, teignoient les eaux de la même couleur.

» Don Jean, qui pour vérifier cette opinion, ne cessa point jour & nuit depuis son départ de Socotora, d’observer la nature de l’eau & les qualités des côtes jusqu’à Suez, assure que loin d’être naturellement rouge, l’eau est de la couleur des autres mers, & que le sable ou la poussiere n’ayant rien de rouge non plus, ne donnent point cette teinte à l’eau du golfe ; la terre sur les deux côtes est généralement brune, & noire même à quelques endroits ; dans d’autres lieux elle est blanche : ce n’est qu’au delà de Suaquen, c’est-à-dire sur des côtes où les Portugais n’avoient point encore pénétré, qu’il vit en effet trois montagnes rayées de rouge, encore étoient-elles d’un roc fort dur, & le pays voisin étoit de la couleur ordinaire.

» La vérité donc est que cette mer, depuis l’entrée jusqu’au fond du golfe, est par-tout de la même couleur, ce qu’il est facile de se démontrer à soi-même, en puisant de l’eau à chaque lieu ; mais il faut-avouer aussi que dans quelques endroits elle paroît rouge par accident, & dans d’autres verte & blanche ; voici l’explication de ce phénomene. Depuis Suaquen jusqu’à Kossir, c’est-à-dire pendant l’espace de 136 lieues, la mer est remplie de bancs & de rochers de corail ; on leur donne ce nom, parce que leur forme & leur couleur les rendent si semblables au corail, qu’il faut une certaine habileté pour ne pas s’y tromper ; ils croissent comme des arbres, & leurs branches prennent la forme de celles du corail ; on en distingue deux sortes, l’une blanche & l’autre fort rouge ; ils sont couverts en plusieurs endroits d’une espece de gomme ou de glue verte, & dans d’autres lieux orange foncé. Or l’eau de cette mer étant plus claire & plus transparente qu’aucune autre eau du monde, de sorte qu’à 20 brasses de profondeur l’œil pénetre jusqu’au fond, sur-tout depuis Suaquen jusqu’à l’extrémité du golfe, il arrive qu’elle paroît prendre la couleur des choses qu’elle couvre ; par exemple, lorsque les rocs sont comme enduits de glue verte, l’eau qui passe par-dessus, paroit d’un verd plus foncé que les rocs mêmes, & lorsque le fond est uniquement de sable, l’eau paroît blanche ; de même lorsque les rocs sont de corail, dans le sens qu’on a donné à ce terme, & que la glue qui les environne est rouge ou rougeâtre, l’eau se teint, ou plutôt semble se teindre en rouge ; ainsi comme les rocs de cette couleur sont plus fréquens que les blancs & les verds, dom Jean conclut qu’on a du donner au golfe Arabique le nom de mer Rouge, plutôt que celui de mer verte ou blanche ; il s’applaudit de cette découverte, avec d’autant plus de raison, que la méthode par laquelle il s’en étoit assuré, ne pouvoit lui laisser aucun doute ; il faisoit amarrer une flûte contre les rocs dans les lieux qui n’avoient pas assez de profondeur pour permettre aux vaisseaux d’approcher, & souvent les matelots pouvoient exécuter ses ordres à leur aise, sans avoir la mer plus haut que l’estomac, à plus d’une demie lieue des rocs ; la plus grande partie des pierres ou des cailloux qu’ils en tiroient dans les lieux où l’eau paroissoit rouge, avoient cette couleur ; dans l’eau qui paroissoit verte, les pierres étoient vertes, & si l’eau paroissoit blanche, le fond étoit d’un sable blanc, où l’on n’appercevoit point d’autre mélange ». Hist. nat. gen. & partic. tom. I.

Rouge-bourse, Voyez Gorge rouge.

Rouge-gorge. Voyez Gorge rouge.