L’Heptaméron des nouvelles/11 bis

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ONZIESME NOUVELLE

(D’après l’édition de Gruget.)


Propos facétieux d’un Cordelier en ses sermons.


rès la ville de Bléré en Touraine y a un village, nommé Sainct-Martin-le-Beau, où fut appellé un Cordelier, du Convent de Tours, pour prescher les Avents & le Caresme ensuyvant. Ce Cordelier, plus enlangagé que docte, n’ayant quelquesfois de quoy parler pour achever son heure, s’amusoit à faire des comptes, qui satisfaisoient aucunement à ces bonnes gens de village.

Un jour de jeudy absolut, preschant de l’aigneau pascal, quand ce vint à parler de le manger de nuict & qu’il veit à sa prédication de belles jeunes Dames d’Amboise, qui estoient là freschement arrivées pour y faire leurs Pasques & y séjourner quelques jours après, il se voulut mettre sur le beau bout & demanda à toute l’assistence des femmes si elles ne sçavoient que c’estoit de manger de la chair crue de nuict : « Je le vous veux apprendre, mes dames », ce dist il. Les jeunes hommes d’Amboise là présens, qui ne faisoient que d’y arriver avec leurs femmes, soeurs & niepces, & qui ne cognoissoient l’humeur du pèlerin, commencèrent à s’en scandaliser ; mais, après qu’ils l’eurent escouté davantage, ils convertirent le scandale en risée, mesmement quand il dist que, pour manger l’aigneau, il falloit avoir les reins ceints, des pieds en ses souliers, & une main à son baston.

Le Cordelier, les voyant rire & se doutant pourquoy, se reprint incontinent : « Eh bien, » dist-il, « des souliers en ses pieds & un baston en sa main. Blanc chapeau, & chapeau blanc, est ce pas tout un ? » Si ce fut lors à rire, je croy que vous n’en doutez point. Les Dames mesmes ne s’en peurent garder, ausquelles il s’attacha d’autres propos récréatifs. Et, se sentant près de son heure, ne voulant pas que ces Dames s’en allassent mal contentes de luy, il leur dist :

« Or çà, mes belles Dames, mais que vous soyez tantost à cacqueter parmi les commères, vous demanderez : Mais qui est ce maistre Frère, qui parle si hardiment ? C’est quelque bon compagnon. Je vous diray, mes Dames, je vous diray, ne vous en estonnez pas, non, si je parle hardiment, car je suis d’Anjou, à vostre commandement. » Et, en disant ces mots, mit fin à sa prédication, par laquelle il laissa ses auditeurs plus prompts à rire de ses sots propos qu’à pleurer en la mémoire de la passion de Nostre Seigneur, dont la commémoration se faisoit en ces jours là.

Ses autres sermons, durant les Festes, furent quasi de pareille efficace, &, comme vous sçavez que tels Frères n’oublient pas à se faire quester pour avoir leurs œufs de Pasques, en quoy faisant on leur donne, non seulement des œufs, mais plusieurs autres choses, comme du linge, de la filace, des andouïlles, des jambons, des eschinées, & autres menues chosettes. Quand ce vint le mardy d’après Pasques, en faisant ses recommendations, dont telles gens ne sont point chiches, il dist :

« Mes Dames, je suis tenu à vous rendre graces de la libéralité dont vous avez usé envers nostre pauvre Convent ; mais si fault il que je vous die que vous n’avez pas considéré les nécessitez que nous avons, car la plus part de ce que nous avez donné, ce sont andouïlles, & nous n’en avons point de faulte ; Dieu mercy, nostre Convent en est tout farcy. Qu’en ferons-nous donc de tant ? Sçavez-vous quoy ? Mes Dames, je suis d’avis que vous mesliez vos jambons parmy nos andouïlles ; vous ferez belle aumosne. »

Puis, en continuant son sermon, il feit venir le scandale à propos &, en discourant assez brusquement par dessus, avec quelques exemples, il se meit en grande admiration, disant :

« Eh dea, Messieurs & Mes Dames de Sainct-Martin, je m’estonne fort de vous, qui vous scandalisez pour moins que rien & sans propos, & tenez vos comptes de moy par tout, en disant : C’est un grand cas ; mais qui l’eust cuidé que le beau Père eust engrossy la fille de son Hostesse ? Vrayement, » dist il, « voilà bien de quoy s’esbahir qu’un Moyne ait engrossy une fille ; mais venez çà, belles Dames, ne devriez vous pas bien vous estonner davantage si la fille avoit engrossy le Moyne ? »


« Voilà, mes Dames, les belles viandes de quoy ce gentil Pasteur nourrissoit le troupeau de Dieu. Encores estoit il si effronté que, après son péché, il en tenoit ses comptes en pleine chaire, où ne se doit tenir propos qui ne soit totalement à l’érudition de son prochain & l’honneur de Dieu premièrement.

— Vrayement, » dist Saffredent, « voilà un maistre Moyne. J’aymerois quasi autant Frère Anjibaut, sur le dos duquel on mettoit tous les propos facétieux qui se peuvent rencontrer en bonne compagnie.

— Si ne trouvai je point de risée en telles dérisions, » dist Oisille, « principalement en tel endroict.

— Vous ne dictes pas, ma Dame, » dist Nomerfide, « qu’en ce temps là, encores qu’il n’y ait pas fort longtemps, les bonnes gens de village, voire la plus part de ceux des bonnes villes, qui se pensent bien plus habiles que les autres, avoient tels Prédicateurs en plus grande révérence que ceux qui les preschoient purement & simplement le sainct Evangile.

— En quelque sorte que ce fust, » dist lors Hircan, « si n’avoit il pas tort de demander des jambons pour des andouïlles, car il y a plus à manger. Voire, &, si quelque dévotieuse créature l’eust entendu par amphibologie, comme je croirois bien que luy mesme l’entendit, luy ny ses compagnons ne s’en feussent point mal trouvez, non plus que la jeune garse qui en eut plein son sac.

— Mais voyez vous quel effronté c’estoit », dist Oisille, « qui renversoit le sens du Texte à son plaisir, pensant avoir affaire à beste comme luy, & en se faisant chercher impudemment à suborner les pauvres femmelettes, à fin de leur apprendre à manger de la chair cruë de nuict.

— Voire, mais vous ne dictes pas », dist Simontault, « qu’il voyoit devant luy ces jeunes Tripières d’Amboise, dans le baquet desquelles il eust volontiers lavé son, nommeray je ? Non, mais vous m’entendez bien, & leur en faire gouster, non pas roty, ains tout groulant & frétillant, pour leur donner plus de plaisir.

— Tout beau, tout beau, Seigneur Simontault », dist Parlamente ; « vous vous oubliez. Avez vous mis en réserve votre accoustumée modestie, pour ne vous en plus servir qu’au besoing ?

— Non, ma Dame, non, » dist il, « mais le Moyne peu honneste m’a ainsi faict esgarer. Parquoy, à fin que nous rentrions en noz premières erres, je prie Nomerfide, qui est cause de mon esgarement, donner sa voix à quelqu’un qui face oublier à la compagnie nostre commune faulte.

— Puis que me faictes participer à vostre coulpe, » dist Nomerfide, « je m’adresseray à tel qui réparera nostre imperfection présente. Ce sera Dagoucin, qui est si sage que, pour mourir, ne vouldroit dire une follie. »