L’Homme à la longue barbe/5. Traits divers

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CHAPITRE V.

Traits divers.


Le trait suivant peut faire apprécier ses forces colossales à leur juste valeur.

Appuyé sur une fenêtre de la maison qu’il habitait avec sa maîtresse, il regardait un jour avec complaisance sa servante et un marchand de vin, cherchant à rouler contre la porte de la cave une de ces énormes barriques de Bordeaux, et s’amusait beaucoup de leurs vains efforts.

Où voulez-vous donc la mettre, leur dit-il en riant ? — Ici contre. — Vous n’y parviendrez jamais ; — attendez-moi. »

Il descend, prend la barrique, la soulève et la fixe contre la place indiquée.

Doit-on s’étonner après cela de l’immense avantage qu’il eut sur ses adversaires dans ses duels fameux, surtout lorsque personne n’ignore qu’à cette force prodigieuse se joignait l’adresse la plus souple et une érudition consommée dans l’art de l’escrime.

Nous devons pourtant à la vérité de déclarer ici que Duclos n’eut jamais aucun maître, et lorsque Salmon, Mamesson et autres professeurs d’armes distingués lui proposèrent de lui communiquer leurs principes, toujours il refusa leurs offres, toujours il dédaigna leur secours, et il disait : « Si j’ai le malheur de tuer jamais mon semblable, je ne veux pas du moins qu’il soit dit que je l’ai appris. »

Paris et Bordeaux n’en admirèrent pas moins ses ressources presque magiques dans le maniement de quelque arme que ce fût.

Il posait un chapeau par terre, y appliquait un fragment de papier, perceptible à peine à quarante pas, tirait le pistolet à cette distance, et le papier ne se retrouvait jamais.

Lui survenait-il un duel, il priait sa maîtresse avec cet admirable sang-froid qui l’abandonnait rarement, de le faire suivre par sa voiture, afin que les secours les plus prompts pussent être prodigués à celui des deux qui serait blessé.

Mais un des traits les plus caractéristiques de cet homme mystérieux est celui qu’on va lire.

Un jour il s’était battu, avait été blessé, et sortait de se faire saigner chez son médecin Raynal. Il entre chez sa maîtresse, le bras en écharpe, et s’écrie, rayonnant de joie et de triomphe : « Je ne donnerais pas cette blessure pour vingt-cinq louis ! — Comment cela ? lui dit sa maîtresse effrayée. — Parce que Raynal m’a dit qu’il n’avait jamais vu de plus beau sang. »

Jamais autrement le Superbe ne parlait de sa bravoure ni de ses hauts faits ; il pensait avec raison qu’ils parlaient assez pour lui.