Aller au contenu

L’Indépendance de la Corée et la Paix/Les Mouvements d’Indépendance du Peuple Coréen

La bibliothèque libre.

Le Mouvement d’Indépendance du Peuple Coréen




La Corée, comme nation, cessa d’exister en 1910, et, depuis neuf ans, elle a été sous le joug de l’oppression militaire du Japon. Mais elle renaquit avec une nouvelle force et un nouvel esprit, quand la nation entière proclama l’Indépendance de la Corée, le 1er mars 1919, par la voix unanime de 20 millions d’habitants. La Déclaration d’Indépendance, dont le texte entier est donné plus loin, fut signée par trente-trois chefs représentant toutes les différentes organisations et associations répandues dans les treize provinces de la péninsule entière.

Cette démonstration, quand elle éclata en général, fut un véritable coup de surprise pour tout le monde civilisé, et particulièrement pour le gouvernement Japonais. Quoique le mouvement ait été résolu depuis bien des jours et des mois, les autorités Japonaises furent tenues dans une ignorance absolue, et par conséquent n’étaient pas préparées à tenir tête à cette soudaine éruption volcanique.

L’HISTOIRE DU MOUVEMENT

On ne peut pas dire que le mouvement actuel soit le résultat direct des efforts antérieurs dirigés contre la réforme politique par le Parti progressif depuis 1884. Néanmoins on peut faire remonter à cette origine, le réveil de la conscience de l’indépendance nationale en accord avec les idées modernes.

En 1884, les jeunes nobles et étudiants Coréens qui étaient rentrés de l’étranger se formèrent en ce qui fut alors connu sous le nom de Parti progressif. Ils avaient conçu le plan de renverser le Gouvernement conservateur, vieux et corrompu, et d’inaugurer des réformes politiques, éducationnelles et économiques et de mettre la Corée au rang des nations modernes. Ils sentirent qu’il était nécessaire d’assurer l’indépendance permanente de la Corée qui avait déjà été reconnue par les différentes puissances du monde, et de prémunir la nation contre toute future agression du dehors.

Quoique ce premier mouvement n’ait pas réussi, il sema néanmoins les germes du second et prépara le :

Coup d’État de 1894. — Quand le Parti progressif temporaire atteignit son but et entreprit son travail de réformes nécessaires.

Le Club de l’Indépendance. — En 1895, le Club de l’Indépendance Coréenne fut organisé et des organes variés furent créés. Le docteur Philip Jaisohn, une des principales figures du mouvement en 1884 fut l’organisateur de ce Club, ainsi que le fondateur du premier journal anglais appelé The Independent. (L’Indépendant.)

Ce nouveau Club de l’Indépendance grandit rapidement, et le travail des jeunes Coréens progressifs devint une menace pour la vie du vieux Gouvernement conservateur, aussi bien qu’un obstacle aux projets ambitieux d’agrandissement de la Russie tsariste, aux intrigues incessantes et aux rêves chers du Japon impérial. Ainsi, après des années de lutte opiniâtre et de bataille ouverte, le gouvernement conservateur prit le dessus et réussit à fermer les portes de la Vieille Indépendance. Quelques-uns des Membres éminents du Club sont maintenant parmi les chefs du mouvement actuel, notamment le docteur Syngman Rhee qui fut élu le premier et chef exécutif de la République de Corée par l’Assemblée nationale Coréenne.

Révolte continue. — Depuis que le Japon contraignit la Corée au protectorat en 1905 et à l’annexion en 1910, le peuple Coréen a été en révolte continuelle. Les soldats débandés et les chefs patriotes se formèrent en ce qui fut connu sous le nom de « juste armée ». Ils soutinrent la lutte jusqu’à ce jour en dépit de la formidable armée Japonaise qui a tendu un véritable filet d’un bout à l’autre de la péninsule.

LE MOUVEMENT ACTUEL EN CORÉE

Les Coréens surveillèrent toujours les événements mondiaux, sachant l’influence qu’ils auraient sur l’avenir de la Corée. En dépit de tous les efforts faits par les Japonais pour bâtir une véritable « muraille de Chine » autour du pays, pour empêcher que la situation de la Corée soit connue du monde extérieur et qu’aucune nouvelle n’y pénétra du dehors, ils savaient néanmoins que la Grande Guerre européenne se livrait pour l’amour de la justice et de l’humanité. Ils entendirent le principe wilsonien de la « libre disposition » pour tous les peuples, aussi bien pour les faibles que pour les forts.

Les délégués à Paris. — Ainsi, aussitôt que l’armistice fut déclaré, un mouvement spontané se produisit en Corée, en vue de faire savoir au monde la volonté formelle du peuple Coréen de se libérer de l’oppression étrangère.

Dès la fin de novembre, un effort fut fait pour envoyer des représentants à la Conférence de la Paix à Paris. Ce premier mouvement fut connu des autorités Japonaises en Corée et provoqua l’arrestation d’environ 200 Coréens en décembre dernier. Ce qui n’empêcha pas les initiateurs de poursuivre leur organisation en communiquant avec toutes les associations à l’étranger ; des délégués furent choisis pour représenter le peuple et la nation de la Corée entière à la Conférence de la Paix. Et ce choix fut dûment ratifié par le Gouvernement provisoire de la République Coréenne.

L’Union Nationale d’Indépendance Coréenne. — En même temps fut formée l’Union Nationale d’Indépendance Coréenne qui comprenait toutes les classes et organisations et, en outre, 2.000.000 de Chundo-kyoins (une secte politico-religieuse du pays), 1.000.000 de Bouddhistes, 500.000 membres de l’Église chrétienne et 1.500.000 Confucianistes. Tous s’unirent dans le même but, sans distinction de classe, de croyance, de secte ou de religion. L’Indépendance de la Corée fut déclarée le 1er mars 1919 par les cinq millions d’habitants de Séoul et de toutes les principales cités de la Corée. Il y a maintenant plus de 300 centres révolutionnaires, et chaque petite ville et village, même des régions les plus reculées, se sont joints au mouvement.

Démonstrations pacifiques. — Le premier jour de la démonstration à Séoul il y eut plus de 100.000 participants qui paradèrent dans les rues de la ville et couvrirent les collines des alentours. Le cri unanime de la nation « Taihan Toknip Man-Sei ! » (Vive l’Indépendance de la Corée !) se répercuta non seulement d’un bout à l’autre de la Corée, mais trouva aussi un écho en Mandchurie, en Sibérie et à l’étranger.

Les représentants qui signèrent la Déclaration de l’Indépendance (voyez l’appendice) ne firent pas mystère de leur participation au mouvement et se laissèrent froidement arrêter. Comme ils passaient à travers les rues dans les automobiles de la police, la foule les acclama criant : « Taihan Toknip Man-Sei ! ». Les prisonniers du fond des automobiles crièrent à leur tour « Taihan Toknip Man-Sei ! » avec un sourire aux lèvres.

Les étudiants des collèges, des hautes écoles et des écoles primaires, y compris les institutions dites du Gouvernement dont le nombre est de 10.000 (à Séoul seulement) prirent à la manifestation la part la plus active. La parade avait généralement à sa tête les jeunes filles des hautes écoles du Gouvernement.

Des démonstrations similaires eurent lieu simultanément dans toutes les principales cités du nord de la Corée, telles que Pyung-Yang, Sym-Chun, et Shin-Eui-Chu, etc. Le second et le troisième jour, la démonstration devint de plus en plus importante jusqu’à ce que le mouvement se répandit au sud de la Corée et atteignit presque chaque ville et village à travers le pays tout entier. Même les agents de police et les gendarmes du service Japonais rejetèrent leurs sabres et leurs carabines, déchirèrent leurs uniformes et se rallièrent au cri de « Taihan Toknip Man-Sei ! »

Une grève générale éclata dans toutes les manufactures et même dans le service de tramways appartenant aux Japonais. Les écoles et les boutiques furent fermées pendant plus d’un mois jusqu’à ce que les soldats Japonais forcèrent les enfants à aller en classe et les marchands à reprendre leurs affaires, sous peine de torture et de mort s’ils refusaient. (Voir Phot. III.)

Ainsi qu’il est mentionné dans la Déclaration de l’Indépendance, aucune violence ne fut faite par les Coréens et la manifestation d’un bout à l’autre de la péninsule eut un caractère absolument pacifique. (Voir Phot. II.)

LES ÉTUDIANTS CORÉENS AU JAPON

Aussitôt que l’armistice fut déclaré, les étudiants Coréens à Tokio (Japon), au moins 800, commencèrent à considérer le sort de la Corée comme dépendant de la Conférence de la Paix à Paris.

Une proclamation de l’Indépendance de la Corée, pour se libérer du gouvernement Japonais, fut rédigée au nom de la « Ligue des jeunes hommes Coréens pour l’Indépendance nationale » et des copies en furent envoyées aux ambassadeurs étrangers et aux ministres de Tokio.

Après l’arrestation de ces étudiants le mouvement continua avec une nouvelle énergie ; et maintenant presque tous les étudiants Coréens au Japon — environ un millier — l’ont quitté pour faire cause commune avec leurs compatriotes en Corée et en Chine. De ce nombre étaient environ 800 Coréens d’universités et de collèges, tandis que les 200 autres suivaient les classes moyennes.

EN CHINE ET EN SIBÉRIE

Les Coréens en Sibérie et en Mandchurie répondirent à l’appel de la mère Patrie, et les leaders se réunirent à Shanghaï en un conseil général des nationalistes Coréens, tandis que des démonstrations des colons Coréens se produisirent dans les diverses cités des provinces de Kirin et Fengtien.

La pression japonaise sur la Chine. — Cependant les consuls Japonais firent pression sur les autorités Chinoises de ces deux Provinces mandchuriennes, et dans quelques cas, les autorités Chinoises réprimèrent les mouvements à la façon des Japonais en Corée. Dans une ville du Fengtien les soldats Chinois firent feu sur des Coréens sans armes et huit Coréens furent tués et il y eut quantité de blessés. Comme suite à cela le journal de Pékin écrivit en avril : « À la requête de la Légation Japonaise à Pékin, le Gouvernement Chinois a donné l’ordre aux autorités de Luin, et, particulièrement à celles de Chien-tao, d’aider le Consul Général Japonais à supprimer toutes les activités des Coréens dans cette région ».

ACTIVITÉS EN AMÉRIQUE

Bientôt après la signature de l’armistice, les Coréens d’Amérique soumirent une pétition au Gouvernement des États-Unis pour que ce dernier prît en considération, et en assistance le Cas de la Corée à la Conférence de la Paix. Cette Pétition s’appuyait sur l’Article 1er, paragraphe 2, du premier traité entre les États-Unis et la Corée de 1882 ainsi conçu : « Si d’autres puissances agissent injustement ou oppressivement avec l’un des deux gouvernements, l’autre exercera ses bons offices, aussitôt informé du cas, pour amener un arrangement, montrant ainsi ses sentiments amicaux. »

Dans l’intervalle, l’Association Coréenne Nationale d’Amérique élut trois délégués. Drs. Syngman Rhee et Henry Chung et le Révérend C. H. Min pour joindre les délégués de l’Extrême-Orient à Paris pour soutenir l’appel devant la Conférence de la Paix. Cependant ces trois personnes ne parvinrent pas en France à cause des difficultés de passeport.

Sans être découragé par tant d’obstacles ou par ce semblant d’insuccès, il fut décidé de faire tout ce qui serait possible pour soumettre le cas de la Corée au sens de justice du monde. Des lettres et des Pétitions furent envoyées directement à la Conférence de la Paix et au président Wilson.

Le congrès coréen. — Un congrès fut réuni à Philadelphie du 14 au 16 avril inclus, plus de 150 représentants (de 8.500 Coréens aux États-Unis, à Hawaï et Mexico et d’un million et demi en Sibérie et en Mandchurie) furent assistés par des centaines d’Américains et d’autres amis étrangers.

La Ligue des Amis de la Corée. — En même temps une Ligue des Amis de la Corée fut formée dans le but de tenir le public Américain au courant des véritables conditions de l’Extrême-Orient, de développer les sympathies pour le peuple opprimé de Corée et l’encourager dans sa lutte pour la liberté ; d’employer son influence morale pour préserver les Coréens du traitement cruel auquel ils ont été et sont encore soumis ; d’assurer la liberté religieuse aux Coréens Chrétiens.

Le Congrès de Philadelphie en vue de l’Indépendance Coréenne adopta aussi les « Buts et Aspirations des Coréens » (Voyez appendice 2).

UN MOUVEMENT UNIVERSEL

Ainsi une vue générale sur le mouvement montre que c’est un des plus étendus et des plus profondément enracinés, universel en un mot, non seulement en Corée, mais parmi tous les Coréens résidant à l’étranger, en Amérique, en Chine et en Sibérie ; qu’il intéresse chaque classe et chaque secte ; les vieux comme les jeunes, les hommes comme les femmes. Les petits garçons et petites filles des écoles du gouvernement, que les Japonais essayèrent de « japoniser » pendant les neuf dernières années, furent en général les participants les plus actifs aux manifestations, et en conséquence soumis aux traitements les plus inhumains de la part des Japonais.

Pendant ce temps, les représentants des treize provinces se réunirent à Séoul et formèrent la première Assemblée Nationale de la République et de la Corée Indépendante.

Gouvernement provisoire. — Un Gouvernement Provisoire fut formé, une constitution d’essai adoptée, et les fonctionnaires du nouveau gouvernement furent élus. Le docteur Syngman Rhee fut choisi pour chef du pouvoir exécutif. Lui et les autres membres du Gouvernement provisoire sont des hommes d’éducation et de préparation modernes Occidentales. Cinq des sept membres du présent Cabinet appartiennent à l’aristocratie chrétienne, sans parler de la prédominance marquée des leaders Chrétiens dans l’ensemble du mouvement, soit en Corée, soit à l’étranger.

La Constitution. — La Constitution fut établie sur la base des dix principes suivants :

1o La République Coréenne suivra les principes démocratiques.

2o Tous les pouvoirs d’État s’appuieront sur l’Assemblée provisoire de la République.

3o Tous les citoyens de la République Coréen seront égaux, sans distinction de sexe, de rang ou de condition.

4o Les citoyens de la République Coréenne auront la liberté religieuse, la liberté de parole, de presse et de réunion et le plein droit de résidence et de déplacement.

5o Les citoyens de la République Coréenne jouiront du droit de voter pour et d’être élus à toute fonction publique.

6o Les citoyens de la République Coréenne considéreront comme étant de leur devoir d’entreprendre l’éducation universelle, de payer les taxes, et de s’offrir pour le service militaire.

7o La République Coréenne, ayant été fondée par la Volonté de Dieu, s’offrira elle-même comme tribut à la paix et à la civilisation du monde et s’adressera à la Ligue des Nations pour en faire partie.

8o La République Coréenne traitera avec bienveillance la précédente famille impériale.

9o Les peines capitales et corporelles et la prostitution publique seront abolies.

10o Dans le courant de l’année qui suivra la libération de la Corée, le Congrès national sera convoqué.

Ont signé :

Le Président de l’Assemblée nationale provisoire.

Le Chef du pouvoir exécutif du Gouvernement provisoire.

Les Secrétaires des Affaires étrangères,
» » de l’Intérieur,
» » de la Justice,
» » des Finances.
» » de la Guerre,
» » des Communications,

la première année et le quatrième mois de la République Tai-Han.

Politique définie. — La méthode d’administration suivante fut également adoptée :

1o L’égalité de tous les peuples et nations sera respectée.

2o La vie et la propriété des étrangers seront respectées.

3o Pleine et entière amnistie sera garantie à tous les délinquants politiques.

4o Les droits et devoirs envers les puissances étrangères seront observés en accord avec tous les traités qui seront conclus par le Gouvernement de la République.

5o Sous serment solennel, il est convenu de favoriser et de maintenir l’Indépendance absolue de la Corée.

6o Ceux qui passent outre les ordonnances du Gouvernement provisoire seront regardés comme ennemis de l’État.

Quartiers généraux et commissions. — Pour faciliter le travail du Gouvernement Provisoire dans les difficiles circonstances présentes, les quartiers généraux et commissions suivants ont été institués :

Quartiers généraux américains de la République Coréenne à Washington. D. C., U. S. A.

Affaires étrangères, Communications et Commissions financières à Shanghaï, Chine.

Commissions agissantes en Mandchurie et Sibérie.

PAIX RÉELLE

Pour finir il est intéressant de noter cette remarque que fait un écrivain Américain dans son article dans un journal d’Albanie :

« La question d’Irlande ne concerne que le gouvernement de Grande-Bretagne seul, et la question de Corée, que le seul Japon ; il se peut que la Conférence de la Paix en décide ainsi ; mais la Conférence doit assurer la paix future du monde, et cette paix ne peut être réalisée tant qu’il y aura des peuples opprimés par des gouvernements puissants. »