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Méditations métaphysiques/Préface

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Œuvres de Descartes, Texte établi par Victor CousinLevraulttome I (p. 223-228).



PRÉFACE.



J’ai déjà touché ces deux questions de Dieu et de l’âme humaine dans le Discours français que je mis en lumière en l’année 1637, touchant la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences, non pas à dessein d’en traiter alors à fond, mais seulement comme en passant, afin d’apprendre par le jugement qu’on en feroit de quelle sorte j’en devrois traiter par après ; car elles m’ont toujours semblé être d’une telle importance, que je jugeois qu’il étoit à propos d’en parler plus d’une fois ; et le chemin que je tiens pour les expliquer est si peu battu, et si éloigné de la route ordinaire, que je n’ai pas cru qu’il fût utile de le montrer en français, et dans un discours qui pût être lu de tout le monde, de peur que les foibles esprits ne crussent qu’il leur fût permis de tenter cette voie.

Or, ayant prié dans ce Discours de la Méthode tous ceux qui auroient trouvé dans mes écrits quelque chose digne de censure de me faire la faveur de m’en avertir, on ne m’a rien objecté de remarquable que deux choses sur ce que j’avois dit touchant ces deux questions, auxquelles je veux répondre ici en peu de mots avant que d’entreprendre leur explication plus exacte.

La première est qu’il ne s’ensuit pas de ce que l’esprit humain, faisant réflexion sur soi-même, ne se connoît être autre chose qu’une chose qui pense, que sa nature ou son essence ne soit seulement que de penser ; en telle sorte que ce mot seulement exclue toutes les autres choses qu’on pourroit peut-être aussi dire appartenir à la nature de l’âme.

À laquelle objection je réponds que ce n’a point aussi été en ce lieu-là mon intention de les exclure selon l’ordre de la vérité de la chose (de laquelle je ne traitois pas alors), mais seulement selon l’ordre de ma pensée ; si bien que mon sens étoit que je ne connoissois rien que je susse appartenir à mon essence, sinon que j’étois une chose qui pense, ou une chose qui a en soi la faculté de penser. Or je ferai voir ci-après comment, de ce que je ne connois rien autre chose qui appartienne à mon essence, il s’ensuit qu’il n’y a aussi rien autre chose qui en effet lui appartienne.

La seconde est qu’il ne s’ensuit pas, de ce que j’ai en moi l’idée d’une chose plus parfaite que je ne suis, que cette idée soit plus parfaite que moi, et beaucoup moins que ce qui est représenté par cette idée existe.

Mais je réponds que dans ce mot d’idée il y a ici de l’équivoque ; car, ou il peut être pris matériellement pour une opération de mon entendement, et en ce sens on ne peut pas dire qu’elle soit plus parfaite que moi ; ou il peut être pris objectivement pour la chose qui est représentée par cette opération, laquelle, quoiqu’on ne suppose point qu’elle existe hors de mon entendement, peut néanmoins être plus parfaite que moi, à raison de son essence. Or dans la suite de ce traité je ferai voir plus amplement comment de cela seulement que j’ai en moi l’idée d’une chose plus parfaite que moi, il s’ensuit que cette chose existe véritablement.

De plus, j’ai vu aussi deux autres écrits assez amples sur cette matière, mais qui ne combattoient pas tant mes raisons que mes conclusions, et ce par des arguments tirés des lieux communs des athées. Mais, parceque ces sortes d’arguments ne peuvent faire aucune impression dans l’esprit de ceux qui entendront bien mes raisons, et que les jugements de plusieurs sont si foibles et si peu raisonnables qu’ils se laissent bien plus souvent persuader par les premières opinions qu’ils auront eues d’une chose, pour fausses et éloignées de la raison qu’elles puissent être, que par une solide et véritable, mais postérieurement entendue, réfutation de leurs opinions, je ne veux point ici y répondre, de peur d’être premièrement obligé de les rapporter.

Je dirai seulement en général que tout ce que disent les athées, pour combattre l’existence de Dieu, dépend toujours, ou de ce que l’on feint dans Dieu des affections humaines, ou de ce qu’on attribue à nos esprits tant de force et de sagesse, que nous avons bien la présomption de vouloir déterminer et comprendre ce que Dieu peut et doit faire ; de sorte que tout ce qu’ils disent ne nous donnera aucune difficulté, pourvu seulement que nous nous ressouvenions que nous devons considérer nos esprits comme des choses finies et limitées, et Dieu comme un être infini et incompréhensible.

Maintenant, après avoir suffisamment reconnu les sentiments des hommes, j’entreprends derechef de traiter de Dieu et de l’âme humaine, et ensemble de jeter les fondements de la philosophie première, mais sans en attendre aucune louange du vulgaire, ni espérer que mon livre soit vu de plusieurs. Au contraire, je ne conseillerai jamais à personne de le lire, sinon à ceux qui voudront avec moi méditer sérieusement, et qui pourront détacher leur esprit du commerce des sens, et le délivrer entièrement de toutes sortes de préjugés, lesquels je ne sais que trop être en fort petit nombre. Mais pour ceux qui, sans se soucier beaucoup de l’ordre et de la liaison de mes raisons, s’amuseront à épiloguer sur chacune des parties, comme font plusieurs, ceux-là, dis-je, ne feront pas grand profit de la lecture de ce traité ; et bien que peut-être ils trouvent occasion de pointiller en plusieurs lieux, à grand’peine pourront-ils objecter rien de pressant, ou qui soit digne de réponse.

Et, d’autant que je ne promets pas aux autres de les satisfaire de prime abord, et que je ne présume pas tant de moi que de croire pouvoir prévoir tout ce qui pourra faire de la difficulté à chacun, j’exposerai premièrement dans ces Méditations les mêmes pensées par lesquelles je me persuade être parvenu à une certaine et évidente connoissance de la vérité, afin de voir si, par les mêmes raisons qui m’ont persuadé, je pourrai aussi en persuader d’autres ; et, après cela, je répondrai aux objections qui m’ont été faites par des personnes d’esprit et de doctrine, à qui j’avois envoyé mes Méditations pour être examinées avant que de les mettre sous la presse ; car ils m’en ont fait un si grand nombre et de si différentes, que j’ose bien me promettre qu’il sera difficile à un autre d’en proposer aucunes qui soient de conséquence qui n’aient point été touchées.

C’est pourquoi je supplie ceux qui désireront lire ces Méditations, de n’en former aucun jugement que premièrement ils ne se soient donné la peine de lire toutes ces objections et les réponses que j’y ai faites.