Mélanges/Tome I/116

La bibliothèque libre.
imprimerie de la Vérité (Ip. 380-385).

LE GÉNÉRAL DE CHARETTE AU CANADA


1er juillet 1882


M. le marquis de Charette, accompagné de madame la marquise de Charette et de M. le marquis de la Rochefoucault, est arrivé à Montréal, mardi le 20 juin. La réception faite à l’ancien colonel des zouaves pontificaux par les citoyens de Montréal a été vraiment magnifique. Une foule immense s’était portée à la gare Bonaventure pour acclamer le général à son arrivée. Cette foule était tellement compacte que le plancher de la gare céda sous le poids. Le train ne put entrer en gare, il fallut arrêter le convoi à quelque distance de la station pour permettre aux voyageurs de descendre de voiture. Le président de l’Union Allet, M. Piché, lut, au nom des zouaves, une belle adresse à laquelle M. de Charette répondit par quelques paroles émues. Puis une procession, comme on n’en avait jamais vu à Montréal, se forma et conduit les voyageurs à leurs appartements, à l’hôtel Richelieu, au milieu de vivats indescriptibles.

À l’hôtel, le général causa longuement avec les chers zouaves. La nuit était bien avancée lorsque la foule, qui s’était massée sur la place Jacques-Cartier, se dispersa.

Le lendemain, le général, accompagné de plusieurs personnes de Montréal, entre autres de M. le sénateur Trudel, M. le recorder de Montigny, M. N. Renaud et M. Alfred Laroque, se rendit à St-Barthélémy, pour passer quelques heures avec M. le curé Moreau, ancien aumônier des croisés canadiens. Les visiteurs sont allés aussi à Saint-Justin, dont le curé, M. Gérin, est un ancien zouave, si nous ne nous trompons pas. Dans ces deux paroisses la réception faite au général a été enthousiaste au suprême degré.

À Saint-Barthélemy il s’est produit un petit incident qui mérite d’être raconté. Les élèves du couvent avaient présenté une adresse à leur distingué visiteur, et cette adresse était si touchante que le vieux héros, ainsi que tous ceux qui l’entouraient, ne put retenir ses larmes. Quelqu’un fit remarquer à la supérieure que ce n’était pas bien de faire pleurer ainsi d’anciens militaires. La religieuse répondit : « Monsieur, les braves ne pleurent que devant les enfants. » Ce mot n’était certes pas de nature à calmer l’émotion des spectateurs.

Jeudi, eut lieu à Saint-Hyacinthe, la réunion générale des zouaves canadiens. La réception faite au général par les citoyens de Saint-Hyacinthe fut cordiale et spontanée.

L’arrivée de M. le marquis de Charette coïncidant avec la célébration de la Saint-Jean-Baptiste et la distribution des prix au collège, la ville et les alentours étaient magnifiquement décorés.

Après avoir reçu à la gare l’adresse de la société Saint-Jean, présentée par le président, M. J. Roy, et celle des citoyens, présentée par M. le maire Ls Côté, le général se rendit à la cathédrale où fut chantée une messe solennelle. Le sermon de circonstance fut donné par M. Angers, vicaire de Sorel.

Après la messe, il y eut réunion sur la place du marché où plusieurs discours furent prononcés.

L’après-midi, distribution de prix au collège. M. de Charette occupait la place d’honneur à côté de Mgr Raymond, supérieur de la maison. Le R. Père Jutteau, dominicain, prononça une allocution vraiment remarquable.

L’orateur a développé cette pensée que l’œuvre des zouaves, bien qu’elle n’ait pas été couronnée d’un succès matériel, est loin d’avoir été stérile. Le Père Jutteau a eu des accents qui ont profondément ému ses auditeurs.

Eut lieu ensuite la réunion générale des zouaves dans la salle d’études du séminaire. Le général a parlé à ses anciens frères d’armes en soldat catholique ; c’est dire qu’il a été éloquent. Nous publierons dans notre prochain numéro quelques-unes de ses paroles fortes et chrétiennes qui vont droit au cœur.

Le soir, il y eut, dans la grande salle de recréation du collège, magnifiquement décoré, un banquet offert au général par les citoyens de la ville. À ce banquet, qui du reste était une superbe affaire, il y eut plusieurs discours, nous dirons volontiers trop de discours. Il est malheureux que nous ne puissions pas rompre avec la vieille coutume qui veut que tout banquet public soit, suivi d’un nombre presque illimité de harangues plus ou moins à propos. Il faut, sans doute, en pareille occurrence, proposer quelques santés et y répondre, mais les orateurs devraient se borner au strict nécessaire, ce qui n’arrive pas toujours. Celui qui aura assez d’influence et de courage pour réformer l’étiquette des banquets en diminuant le nombre et la longueur des discours, rendra une véritable service au genre humain.

Fermons cette parenthèse, et rapportons un agréable incident du banquet de Saint-Hyacinthe que raconte notre confrère du Courrier :


Pendant le banquet, Madame la marquise de Charette est entrée, avec quelques dames qui l’accompagnaient, pour servir elle-même les convives. Des applaudissements frénétiques ont accueilli son entrée dans la salle ; et les acclamations recommencèrent quand la marquise vint très gracieusement servir aux tables ;


Le soir, il y eut feu d’artifice, procession aux flambeaux, etc,.

Vers dix heures, les visiteurs retournèrent à Montréal.

Vendredi et samedi, M de Charette et sa suite visitèrent Montréal et ses environs.

Lundi, célébration grandiose de la Saint-Jean Baptiste et banquet le soir.

Mardi matin, M. le général et sa suite se rendirent par le chemin de fer du Nord aux Trois-Rivières pour saluer Mgr Laflèche dont le dévouement pour la belle œuvre des zouaves pontificaux est bien connu. La réception faite au général aux Trois-Rivières a été cordiale et chaleureuse.

Le soir à six heures et demie les visiteurs partirent pour Québec, où ils furent reçus avec enthousiasme par une foule immense.

Le lendemain matin, mercredi, les zouaves de la section de Québec présentèrent une adresse au général dans son appartement à l’hôtel Saint-Louis. L’ancien colonel de l’armée pontificale sut trouver, comme toujours, dans son cœur de soldat catholique, des paroles vraiment éloquentes.

Après le déjeuner, le général fit plusieurs visites, notamment chez les révérendes Dames Ursulines où il put contempler, non sans une motion évidente, le crâne de Montcalm. Puis, il se rendit chez M. L. G. Baillargé qui possède, comme tout Québec le sait, le fameux drapeau de Carillon. Le général salua ce glorieux étendard avec un profond respect.

L’après-midi, vers deux heures et demie, les illustres voyageurs se rendirent à la maison que le Cercle catholique vient d’acquérir, rue Saint-François. C’est là que le Cercle, dont M. du Charette était l’hôte à Québec, lui présenta une adresse par l’organe de son président, M. Vincelette. Cette adresse est une des plus belles qui aient été présentées au général depuis son arrivée au Canada.

Il y eut ensuite excursion aux chûtes de Montmorency, dîner, le soir, chez M. Landry à la Villa Mastaï, puis réception chez M. Vincelette et illumination. Le mauvais temps avait quelque peu dérangé cette dernière partie du programme.

Le lendemain, jour de la Saint-Pierre, le général, après avoir communié à sept heures à la Congrégation de la Haute-Ville, assista à la messe de huit heures à la Basilique.

Il y eut promenade ensuite au village des Huron de Lorette, visite à la citadelle, goûter chez le gouverneur-général, etc.

Puis à cinq heures de l’après-midi nos hôtes prenaient le bateau pour Montréal, au milieu des acclamations de la foule, emportant, nous osons l’espérer, un bon souvenir de Québec, et laissant chez nous une impression profonde et durable.

Ce que l’on remarque et admire surtout chez le général de Charette, c’est sa foi ardente qu’il ne peut contenir et qui s’échappe de son cœur, comme malgré lui, en paroles brûlantes qui électrisent ses auditeurs ; c’est aussi sa piété tendre, profonde, sincère, qui rappelle celle des premiers chrétiens. On raconte qu’à Montréal ceux qui l’accompagnaient l’ayant perdu de vue pour un instant, le retrouvèrent, par hasard, dans une église où il faisait le Chemin de la Croix.

Le général de Charette ne sait pas ce que c’est que le respect humain : il récite son chapelet à l’église comme la plus humble servante de Marie. Nous voudrions bien connaître le nombre de nos grands hommes canadiens qui en feraient autant.

Il parle du bon Dieu, du Sacré-Cœur, de Jésus-Christ, de la sainte Vierge comme on devrait en parler, carrément, si l’on veut nous permettre cette expression, sans avoir l’air de s’excuser.

C’est un fier catholique et il nous a donné un bel exemple à suivre. Puissions-nous en profiter.