Mélanges/Tome I/118

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imprimerie de la Vérité (Ip. 386-388).

POST-SCRIPTUM


3 novembre 1887.


Dans le programme de la Vérité, reproduit au commencement de ce volume, nous repoussons l’idée d’un parti catholique dans la province de Québec. L’étude, l’expérience et la réflexion nous ont amené à modifier quelque peu notre manière de voir sur cette question. Sans doute, notre idéal est toujours le même : « Nous voudrions que tout le monde fût catholique et que personne ne fût partisan. » De plus, nous soutenons encore, comme en 1881, que l’on ne doit pas chercher à renfermer l’Église dans un parti politique quelconque, comme on a trop souvent tenté de le faire au Canada et ailleurs. Mais aujourd’hui à côté de cette vérité, nous en apercevons plus distinctement une autre. C’est que, tout en ayant constamment l’idéal en vue, tout en combattant sans cesse l’esprit de coterie et de faction, tout en nous souvenant que la religion de Jésus-Christ est au-dessus et au delà, non seulement des partis politiques, mais des peuples et des nations, il nous faut travailler, sur le terrain politique, à faire pénétrer, jusqu’aux moelles de la société, les féconds enseignements de l’Église. Car c’est dans ces enseignements et là seulement que les peuples trouvent le salut.

Et pour faire ce travail salutaire, il faut le groupement des catholiques véritables qui mettent les intérêts surnaturels au-dessus des intérêts passagers du temps. Ce sera, si vous voulez, une sorte de parti catholique. Mais ce parti catholique ne devrait emprunter aux partis politiques que les formes extérieures : l’organisation, les moyens d’action et de propagande. Pour la vie intérieure, il ne pourrait guère leur ressembler. En effet, les partis politiques travaillent pour les hommes et les choses de la terre : le vrai parti catholique aurait pour unique mobile la charité, et pour objet l’extension et l’affermissement du règne de Dieu ici-bas. Comme ces chrétiens qui vivent dans le monde sans être du monde, le parti catholique devrait se servir de la politique sans se laisser contaminer par elle.

Nous ne pouvons mieux terminer ce post-scriptum qu’en transcrivant quelques lignes de don Sarda. Le chapitre XL de son magnifique travail : Le libéralisme est un péché, est consacré à discuter cette question : « Est-il plus convenable de défendre in abstracto les doctrines catholiques contre le libéralisme que de les défendre au moyen d’un groupe ou parti qui les personnifie ? » Le savant auteur dit :


À notre avis le meilleur moyen, le seul moyen, le seul pratique, viable et efficace, c’est d’attaquer le libéralisme et de lui opposer les idées anti-libérales, non in abstracto mais in concreto ; en d’autres termes, non de vive voix ou par écrit seulement, mais par le moyen d’un parti d’action parfaitement anti-libéral… Ce que l’on nomme un parti catholique, quelque soit d’ailleurs l’autre nom qu’on lui donne, s’impose aujourd’hui comme une nécessité. Ce qu’il représente est comme un faisceau de forces catholiques, un noyau de bons catholiques, un ensemble de travaux catholiques militant, en faveur de l’Église sur le terrain humain où l’Église hiérarchique ne peut en bien des occasions descendre. Qu’on travaille à se donner une politique catholique, une légalité catholique, un gouvernement catholique, par des moyens dignes et catholiques, qui pourra jamais le blâmer ? L’Église au moyen âge n’a-t-elle pas béni l’épée des croisés et de nos jours, la baïonnette des zouaves pontificaux ? Ne leur a-t-elle pas donné leur drapeau ? Ne leur a-t-elle pas attaché sur la poitrine ses propres insignes ? Saint Bernard ne se contenta pas d’écrire des pathétiques homélies sur la croisade, mais il recruta des soldats et les lança sur les côtes de la Palestine. Quel inconvénient y a-t-il à ce qu’un parti catholique se lance aujourd’hui dans la croisade permise par les circonstances ? Croisade du journalisme, croisade des cercles, croisade du scrutin, croisade des manifestations publiques, en attendant l’heure historique où Dieu enverra au secours de son peuple captif l’épée d’un nouveau Constantin ou d’un second Charlemagne.


On dira peut-être que le livre de don Sarda est écrit pour l’Europe dont la situation n’est pas celle de notre pays.

Sans aucun doute, le mal a atteint des développements plus redoutables en Europe qu’au Canada ; mais bien aveugle est celui qui ne voit qu’ici et là bas c’est essentiellement le même mal qui travaille la société. En Europe, les catholiques sont obligés de s’organiser pour reconquérir le terrain qu’ils n’auraient jamais dû perdre et qu’ils n’auraient pas perdu s’ils n’avaient dormi pendant que l’ennemi envahissait leur patrie. Le même ennemi — les erreurs modernes, erreurs maçonniques et libérales — nous menace. Que disons-nous ! Il nous attaque depuis longtemps. Convient-il d’attendre, pour songer à la résistance, que nous ayons succombé ? N’est-il pas plus facile de conserver son bien que de le reprendre ? Nous nous vantons sans cesse d’être le peuple le plus catholique du monde. Mais prenons-nous bien les moyens de conserver ce beau titre que déjà plusieurs nous contestent ?