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Mélanges/Tome I/26

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imprimerie de la Vérité (Ip. 78-80).

LORD RIPON ET L’ÉDUCATION


18 mars 1882


Lord Ripon, vice-roi des Indes, est un ancien franc-maçon converti au catholicisme. En Angleterre, même parmi les protestants, il jouit d’une haute réputation, tandis que les catholiques anglais le considèrent comme un de leurs chefs.

Il y a à Calcutta, où se trouve le vice-roi, un collège dirigé par des jésuites belges. Cette maison a acquis une grande renommée aux Indes. Les vice-rois se font un honneur d’assister aux distributions des prix de cette institution. Le prédécesseur du marquis de Ripon, lord Lytton, quoique protestant, n’hésitait pas à faire l’éloge du collège Saint François-Xavier dans les termes les plus flatteurs. À plus forte raison, lord Ripon, qui est un catholique fervent, ne craint pas de rendre un témoignage public et solennel en faveur des pères jésuites et de leur belle œuvre.

Nous extrayons du discours que le marquis de Ripon a prononcé à la dernière distribution de prix au collège Saint François-Xavier certains passages que feront bien de méditer plusieurs de nos écrivains canadiens. On verra que le noble lord n’a pas, sur la grave question de l’enseignement, les idées échevelées de nos réformateurs :

« Je le répète, messieurs et mesdames, je suis heureux de pouvoir, par ma présence, donner ici un témoignage public de l’intérêt que je porte à cet établissement, et cela parce que je suis intimement convaincu que le bien, le vrai bien moral et intellectuel, se fait ici. Oui, c’est à juste titre que le collège de Saint François-Xavier porte le nom de maison d’éducation. De nos jours, trop d’hommes semblent croire que l’éducation se restreint à la seule culture de l’intelligence. Je l’avoue, vu les circonstances, beaucoup d’établissements ne peuvent viser au delà du développement de l’esprit humain, soit dans toutes les branches de nos connaissances, soit au moins dans quelques-unes d’entre elles. Mais n’est-il pas vrai de le dire, une éducation entière et complète ne s’arrête pas à la formation de l’esprit ; elle exige, en outre, la formation de la volonté et du cœur. Et tel est le but que poursuit ce collège qui, ce soir, nous rassemble…

« J’aime en cette solennité à m’adresser aux élèves du collège pour leur dire que si nous interprétons le mot éducation dans le vrai sens, nous devons profondément graver dans nos esprits que la formation complète de l’homme ne finit point avec les études littéraires, ni même avec le cours de l’Université. L’éducation : telle que nous l’entendons, ne s’achève pour nous tous qu’avec la vie. Mais il y a une différence entre l’éducation que l’on reçoit ici et celle que vous devez avoir en vue dans la suite de vos jours. Ici vous trouvez de bons maîtres, d’habiles professeurs, une direction saine et sûre. Mais au sortir de ce collège, quand la période de vos études sera écoulée, sans que pour cela votre formation soit achevée, vous serez entourés dans le monde de maîtres de tous genres, enseignant le mal et le bien, l’erreur et la vérité ; et au sein de ces doctrines contraires, vous vous trouverez loin des guides que vous avez le bonheur de rencontrer ici, et c’est à vous à choisir l’école que vous suivrez.

« Oui, dans cette longue éducation de la vie, chaque événement, chaque compagnon, chaque ami est en quelque sorte un maître. Seul à seul avec vous-mêmes, mais avec l’aide du Très-Haut et sa divine assistance, vous serez appelés à faire un choix et à prendre une décision. Vous aurez à vous résoudre à suivre l’étroit sentier qui mène au développement complet de la partie intellectuelle et morale de votre être, je veux dire le sentier de la religion, de la vertu et de l’honneur ; ou bien à vous détourner de la voie droite pour prendre la route si large qui mène à la perte et à la destruction de ces grands résultats que déjà on réalise ici pour vous. Ici vous jetez les fondements, mais ce ne sont que les fondements. À vous de dire, au milieu des épreuves de la vie, si vous voulez sur ces fondements bâtir le magnifique édifice d’une carrière noble et chrétienne… »

Quel contraste entre ce noble langage et les nébuleuses dissertations de nos « philosophes » modernes sur l’enseignement pratique !