Mélanges (Voltaire)/Garnier (1879)/Avertissement pour la présente édition

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Mélanges - Avertissement pour la présente édition


C’est après mûres réflexions que nous nous sommes décidé à suivre Beuchot dans la classification par ordre chronologique de tous les ouvrages de Voltaire (les grands ouvrages exceptés), sous le titre de Mélanges. Cette classification, en effet, a été blâmée par quelques critiques, qui ont exprimé une préférence pour la classification plus compliquée des éditeurs de Kehl. Ceux-ci avaient établi entre ces nombreux ouvrages des divisions et des subdivisions fondées sur leur objet ou sur leur caractère. Ainsi il y a dans leur édition la philosophie, subdivisée en physique, histoire naturelle, philosophie générale ; il y a la politique, la législation, la critique religieuse, la littérature subdivisée selon les genres, romans, dialogues, facéties, etc. : ce qui ne les avait pas dispensés de former en outre des sections de Mélanges historiques et de Mélanges littéraires. L’inconvénient de cette classification, c’est que beaucoup des productions de Voltaire pourraient être indifféremment dans l’une ou l’autre de ces catégories, c’est qu’on ne sait presque jamais si tel morceau doit être cherché ici ou là, dans la philosophie générale, dans la critique religieuse, dans les dialogues, dans les facéties, ou dans les mélanges.

L’ordre chronologique, au contraire, permet d’aller droit à l’ouvrage que l’on cherche, pourvu que l’on en connaisse la date. Il a, de plus, le sérieux avantage de montrer la marche de l’esprit de Voltaire, comme dit Beuchot dans sa préface générale ; de nous faire suivre les progrès de son esprit dans certaines études, dans certaines idées, ce qui est très-important. Enfin, il nous laisse mieux apercevoir l’extraordinaire variété de ses occupations et de ses travaux.

Ces mérites, ces avantages, que nous signalons dans la classification chronologique, n’existent toutefois qu’à une condition, c’est qu’on y apporte une certaine rigueur. C’est ce qui nous a empêché de tenir compte des objections de Quérard, dans sa Bibliographie voltairienne : « Quelques ouvrages, dit-il en parlant de la classification de Beuchot, ont assez d’étendue pour qu’on en ait pu former des volumes avec des titres spéciaux, tels que la Bible enfin expliquée ; et certains écrits composés par Voltaire avant la publication d’ouvrages plus considérables sur les mêmes sujets eussent dû trouver tout naturellemont leur place comme appendice à ces derniers ; telles sont les Anecdotes sur Pierre le Grand, qui, placées à la fin de l’Histoire de Russie, auraient eu l’avantage de présenter réuni tout ce que Voltaire a écrit sur ce monarque ; les Anecdotes sur Louis XIV, et cinq ou six autres morceaux, qui, mis à la suite du Siècle de Louis XIV, eussent formé un ensemble complet des aperçus ou jugements de Voltaire sur le grand roi et son époque. Certains fragments, chapitres rejetés par Voltaire d’ouvrages qu’il a plus tard remaniés, devaient être mis à la fin des ouvrages sous leur nouvelle forme. Enfin, en admettant pour une grande partie la réunion des opuscules de Voltaire sous le titre de Mélanges, encore fallait-il éviter que le trop strict ordre chronologique ne vînt suspendre l’intérêt des lecteurs dans plusieurs séries d’écrits sur le même sujet, parce que, dans l’intervalle de la publication d’un de ces opuscules à l’autre sur le même sujet. Voltaire en a publié deux ou trois autres sur une matière tout à fait opposée. »

Ces objections, sous leur apparence raisonnable, ne peuvent séduire que ceux qui ne se sont pas bien rendu compte des difficultés que présente l’ordonnance d’une œuvre aussi vaste et aussi complexe que l’œuvre de Voltaire. Avec tous ces petits arrangements judicieux, on arriverait au désordre. Quelques inconvénients ne sauraient manquer d’être sensibles dans toute espèce de classification ; mais, en voulant remédier à ces inconvénients inévitables, on en verrait surgir de plus graves. Nous n’avions, en réalité, qu’à opter entre le plan de l’édition de Kehl[1] et celui de l’édition de Beuchot, sans vouloir faire soit à l’un soit à l’autre des modifications qui n’auraient pas été toutes des améliorations incontestables, et qui auraient eu le tort de détruire les grandes lignes de l’un ou de l’autre. Ou l’ordre plus ou moins rationnel, ou l’ordre chronologique ; il ne fallait pas se laisser aller à des transactions entre les deux, et aboutir à n’avoir plus aucune méthode.

Nous avons adopté l’ordre chronologique. Nous nous en écartons le moins possible. Nous ne faisons qu’une exception pour les deux morceaux autobiographiques laissés par Voltaire : les Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même, qui sont dans le tome XL de Beuchot, le Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade, qui est dans le tome XLVIII de l’édition du même, avec la petite Notice extraite du Dictionnaire des théâtres des frères Parfait, et due également à Voltaire. — Nous avons réuni tout ce que Voltaire a écrit sur lui-même, pour le placer dans notre premier volume, et en former comme le premier fascicule des biographies.

Il nous a paru inadmissible que la Lettre de Voltaire à Hume, du 24 octobre 1766, fût dans la Correspondance, et que les Notes sur la lettre de M. de Voltaire à M. Hume fussent dans les Mélanges, comme cela se voit dans l’édition de Beuchot, où le texte de cette lettre est au tome LXIII (page 384) et le commentaire au tome XLII (page 519). On trouvera ci-après, à cette date de 1766, la Lettre au docteur Pansophe, qui est bien réellement de Voltaire, malgré ses dénégations répétées ; la Lettre à M. Hume, et les Notes sur cette lettre, c’est-à-dire tout ce qui constitue la part prise par notre auteur à la fameuse querelle qui éclata entre Hume et J.-J. Rousseau.

Nous ajoutons divers morceaux, non encore recueillis dans les éditions, à l’ensemble présenté par Beuchot. En tête de chacun de ces morceaux nous indiquons leur provenance.

Le Commentaire sur Corneille vient à la suite des Mélanges. Les notes signées d’un D dans les ouvrages scientifiques sont celles rédigées par M. le professeur Delavaut, pour l’édition dite du Siècle.

Louis MOLAND.

4 février 1879.







  1. Notez bien que le plan de l’édition de Kehl oblige ceux qui s’y conforment, tout aussi bien que le plan de Beuchot, à séparer les ouvrages sur un même sujet. Il faut, par exemple, chercher les opuscules : Ce qu’on ne fait pas et ce qu’on pourrait faire et Des Embellissements de Paris dans la section de Législation et politique, et celui des Embellissements de la ville de Cachemire dans les Dialogues.