Aller au contenu

Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833/05

La bibliothèque libre.
Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833
RESPIRATION DES INSECTES AQUATIQUES.

Tous les êtres organisés, plantes et animaux, respirent, c’est-à-dire absorbent, soit d’une manière continue, soit à des intervalles plus ou moins réguliers, de l’air atmosphérique ; puis le rendent, dépouillé d’une partie de ses élémens et mélangé à de nouvelles substances gazeuses. Ce qui est remarquable, c’est que, bien que cette opération s’exécute à la fois sur tous les points de la surface du globe, et que par elle chaque être tende à altérer l’air ambiant, la composition chimique de ce fluide est partout sensiblement la même ; c’est ce qu’ont prouvé les analyses chimiques de l’air pris en diverses contrées de la terre, à différentes hauteurs au-dessus du sol, et enfin en différens temps. L’uniformité de composition s’explique fort bien par le mélange qu’opèrent incessamment les courants aériens ; pour la constance aux différentes époques (comprises, il faut le dire, dans des limites assez étroites), elle tient d’une part à ce qu’il s’établit une sorte de compensation entre les diverses altérations, de l’autre à ce que la quantité d’air respirée à chaque instant, et diversement altérée par les êtres vivans, est extrêmement petite quand on la compare à la masse entière de l’atmosphère. Rien ne prouve d’ailleurs que la composition de l’enveloppe gazeuse du globe n’ait pas varié avec le temps, et il y a même d’assez bonnes raisons pour croire qu’à des époques fort reculées cette composition était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, qu’alors elle était impropre à entretenir la vie des animaux, du moins de ceux qui sont le plus élevés dans l’échelle des êtres.

Si dans les êtres organisés on se borne à considérer les animaux, on voit qu’il existe pour eux plusieurs différences dans le mode de respiration. Les uns en effet respirent l’air en nature, d’autres le prennent dissous dans l’eau. Chez les uns, c’est le sang, ou, pour parler plus généralement, le fluide nourricier, qui vient de toutes les parties du corps chercher, dans une région particulière, l’air gazeux, ou dissous dans un liquide. Chez les autres, au contraire, c’est l’air qui va dans chacun des points du corps chercher le fluide ; tel est le cas des articulés.

Chez tous les insectes aériens ou aquatiques, la respiration s’opère toujours par le moyen de trachées, qui, prenant leur origine à la surface du corps, vont, en se divisant jusqu’à l’infini, porter l’air respirable jusqu’aux parties les plus éloignées. C’est un fait qui ne souffre point d’exceptions, et qui a lieu pour les insectes aquatiques comme pour les insectes aériens. Chez ces derniers, l’air entre dans les trachées et en sort par le fait d’une action musculaire comparable à celle qui a lieu dans la déglutition. Quant aux premiers, tantôt ils puisent l’air respirable immédiatement dans l’atmosphère en venant respirer à la surface de l’eau, tantôt ils le puisent dans l’eau qui les environne. Ce mode de respiration, qui jusqu’à présent n’avait pas été suffisamment étudié, est devenu pour M. Dutrochet l’objet d’un travail spécial, et il a exposé les résultats de ses recherches sur ce point, dans un mémoire lu à l’Académie le 28 janvier dernier.

Quoique la respiration de ces insectes soit, jusqu’à un certain point, assimilable à celle des poissons, en ce sens que pour les uns et pour les autres c’est l’air dissous dans l’eau qui sert à la fonction, cependant on a eu tort d’étendre le nom de branchie à la partie extérieure de leur appareil respiratoire. Cette partie, en effet, est une sorte d’organe préparatoire qui reçoit l’eau chargée d’air respirable, et en dégage cet air pour le porter par les trachées dans toutes les parties du corps, tandis que chez les poissons, l’air ne revient point à l’état gazeux, mais passe directement de l’eau, où il est dissous, dans le sang que renferment les vaisseaux des branchies. Cette identité de nom donné à des organes dont le mode d’action est très différent, est probablement ce qui a fait négliger long-temps la question dont il s’agit ici, parce qu’on la regardait comme déjà résolue.

Si nous supposons que chez un de ces insectes qui ne viennent point respirer à la surface, les branchies et les trachées qui sont avec elles en libre communication soient à un certain instant remplies d’air atmosphérique parfaitement pur, il est aisé de voir que cet air ne restera pas tel long-temps, puisque la respiration tend à le priver en totalité ou en partie de son oxigène et à y ajouter du gaz acide carbonique. Par quels moyens l’air ainsi altéré revient-il vers l’état normal de composition ? c’est ce qu’a déterminé M. Dutrochet au moyen d’expériences qui sont une continuation de celles qu’avaient faites précédemment MM. Gay-Lussac et de Humboldt. Le résultat de ces expériences est que toutes les fois qu’un mélange en proportions quelconques d’azote, d’oxigène et d’acide carbonique renfermé dans une cavité à parois perméables, se trouve placé au milieu d’une eau qui tient de l’air en dissolution, il y a à travers les parois de cette enveloppe un passage des gaz de l’intérieur à l’extérieur, et réciproquement. Ce passage ne s’arrête que lorsque la cavité ne contient plus que de l’oxigène et de l’azote dans les proportions constituant l’air atmosphérique. M. Dutrochet a de plus reconnu que l’échange a lieu beaucoup plus rapidement quand la cavité qui contient le mélange de gaz se meut dans l’eau aérée, ou, ce qui revient au même, quand c’est l’eau aérée qui se meut autour du réceptacle, c’est-à-dire quand celui-ci est placé dans un courant.

Ces faits établis, il n’est pas difficile d’en faire l’application à la théorie de la respiration des insectes aquatiques qui respirent au milieu de l’eau. Tous, comme nous l’avons dit, sont pourvus d’un appareil préparatoire, et cet appareil qui communique avec les trachées, étant placé superficiellement, l’échange dont nous avons parlé plus haut, s’établit à travers ses parois et tend incessamment à changer en air atmosphérique pur l’air intérieur que l’acte de la respiration altère aussi constamment. Le renouvellement s’opère d’ailleurs dans les circonstances les plus favorables, même quand l’insecte est placé dans l’eau non courante, car, par un mouvement instinctif, il agite continuellement ses branchies.

Le renouvellement de l’air atmosphérique, dans une cavité immergée et à parois perméables, ne s’observe pas seulement dans les branchies des insectes aquatiques, et Réaumur nous a fait connaître un autre fait également relatif aux articulés, dans lequel l’échange s’opère sous l’influence de circonstances très différentes de celles que nous avons indiquées.

On trouve sur les feuilles submergées du potamogeton lucens une chenille qui, pendant tout le temps de sa vie de larve et de chrysalide reste plongée sous l’eau. Cependant, comme l’organisation de cet insecte le rend, dans tous les états, propre à vivre seulement dans l’air, il se noierait, s’il n’était environné de ce fluide. Il se fabrique, en conséquence, une coque de soie sous laquelle une petite quantité d’air est retenue. Pendant que l’animal reste à l’état de larve, il maintient sa coque ouverte afin de pourvoir à sa nourriture ; il la ferme lorsqu’il veut se transformer en chrysalide. Après cette clôture, la cavité n’en contient pas moins de l’air, et cet air se renouvelle à travers les parois, comme il se renouvelait auparavant à travers l’ouverture libre, aux dépens de celui qui est dissous dans l’eau.