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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833/06

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Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — Avril 1833
FACILITÉ DES MAMMIFFÈRES
À MODIFIER LEUR RÉGIME ALIMENTAIRE.


Dans une des nouvelles que miss Martineau a composées pour populariser les notions les plus importantes d’économie politique, dans Ella de Garveloch, on trouve l’indication d’une singulière habitude que prend le bétail dans certains districts maritimes où le sol est peu fertile.

Garveloch est une île qui fait partie d’un petit groupe situé sur la côte occidentale de l’Argileshire. Elle est de peu d’étendue, très montagneuse, et le sol ne pourrait nourrir qu’un très petit nombre d’individus ; mais les habitans font quelque commerce de la barille, qu’ils obtiennent en brûlant les plantes marines que les flots accumulent sur le rivage ; la plupart en outre se livrent à la pêche, et leurs animaux domestiques vivent aussi en partie de poissons.

Miss Martineau, au commencement de son livre, nous représente le propriétaire de l’île y arrivant avec quelques amis, et l’un d’eux inspectant l’unique ferme qui y existât alors, — « N’avez-vous pas, dit le gentleman, d’autres animaux que ces deux bidets mal peignés et ces trois ou quatre vaches que je vois paître dans le marais ? — Oh ! reprit le fermier, il ferait beau voir que je n’eusse pas plus de bétail ; il y a là-bas sur les grèves une bande de vaches qui pêchent. — Des vaches qui pêchent ! que voulez-vous dire par-là ? — Je veux dire ce que je dis, que les vaches sont sur les grèves à prendre dans les mares du poisson pour leur repas. » Le maître alors expliqua à son ami que tous les animaux domestiques, même les chevaux, mangent volontiers du poisson, quand leurs pâturages sont trop pauvres, et que dans cette île en particulier le bétail est accoutumé à se rendre sur la plage à la marée basse pour prendre et manger le poisson que la mer en se retirant a laissé dans les creux.

Probablement en lisant ce passage, bien des lecteurs auront souri de la crédulité de miss Martineau. Cependant le fait qu’elle rapporte est exact, il se reproduit sur une foule de points du globe, et il en est parlé dans les auteurs les plus anciens.

Dans un lac de Péonie, nous dit Élien, d’après Zénothémis, il naît certains poissons que les bœufs mangent avec autant de plaisir que les autres bœufs mangent du foin, pourvu qu’on les leur présente vivans et palpitans. Morts, ils en ont du dégoût et ne veulent pas y toucher. M. Dureau de Lamalle, qui, dans un mémoire sur la domestication des animaux, cite le passage d’Élien, ajoute que, dans les régions froides de l’Europe, situées dans le voisinage de la mer, on nourrit les bœufs et chevaux avec du poisson. Pour la Norvége en particulier, il invoque le témoignage de Therm-Torfœus.

Si la chose est plus commune dans les régions froides qu’ailleurs, cela tient sans doute à la moindre abondance des pâturages, car, même dans les pays chauds, les herbivores s’accommodent assez bien du poisson, et je tiens d’un ichtyologiste distingué, M. Valenciennes, que, sur certains points de la côte de l’Inde, on donne aux chevaux une espèce de saurus, qui s’y pêche en grande abondance. À défaut de poisson frais, les chevaux mangent du poisson salé, et ceux que M. de Calonne fit en 1788 amener d’Islande n’eurent pas d’autre nourriture pendant la traversée comme pendant leur séjour à Dunkerque. Feu M. du Petit-Thouars, qui était alors en garnison dans cette ville, le vit de ses propres yeux.

J’ai lu, je ne sais où, que dans une partie de l’Asie on fait entrer dans la nourriture des chevaux une sorte de pâtée faite avec de la chair cuite hachée. Si cette coutume existe réellement, et qu’elle soit d’une grande antiquité, il ne serait pas impossible que le récit du fait s’altérant de bouche en bouche jusqu’à ce qu’il arrivât aux Grecs, fût l’origine de la fable des chevaux de Diomède.

Je n’ai jamais vu de chevaux manger de la chair, mais je me rappelle fort bien avoir vu, il y a quinze ans, chez un boucher de la rue Croix-des-Petits-Champs, un énorme mouton qui était habituellement dans la boutique, et qui broutait dans le gras d’un aloyau comme dans une touffe de gazon.

Un voyageur anglais, très bon observateur, W. Moorcroft, a vu dans le Ladak une race de petits moutons, aussi familiers que le sont nos chiens, et qui viennent fréquemment dans les maisons pour y chercher de quoi manger. Trouvant peu de chose à mordre sur les rochers granitiques où il leur est permis d’errer, ces animaux dévorent avidement tous les restes des repas de leurs maîtres, lèchent la marmite, serrent les miettes tombées à terre, et épluchent un os de manière à n’y rien laisser.

Dans l’Amérique du Sud, lorsqu’une bande de sauterelles (criquets-voyageurs des naturalistes) se jette sur un canton, elle le dépouille complètement de sa verdure, de sorte qu’il ne reste pas une feuille, si ce n’est sur certaines plantes garnies de poils rudes comme le sont quelques cucurbitacées. Quand le passage de la troupe destructrice se prolonge, le bétail, qui est véritablement affamé, finit par manger, à défaut d’herbes, les sauterelles elles-mêmes. Cette nourriture communique au lait des vaches une certaine odeur musquée et une saveur très désagréable. Cette même saveur se trouve aussi dans les œufs pondus alors par les poules, que cette manne d’ailleurs engraisse prodigieusement.

Pour revenir à nos poissons, on juge bien que si des animaux herbivores s’accoutument, sans trop de difficulté, à en manger, il ne coûtera pas un grand effort aux carnivores chasseurs pour se faire pêcheurs au besoin. En différens pays du Nord, et notamment au Kamtschatka, les chiens à demi sauvages que les habitans attèlent, pendant l’hiver, à leurs traîneaux, ne pouvant plus servir à cet usage quand arrive l’été, sont chassés alors du logis, et obligés de chercher leur subsistance. La plupart se rendent sur les bords de la mer, et là on peut les voir tout le long du jour, dans l’eau jusqu’au ventre, guettant les mouvemens des poissons, et ne laissant guère échapper ceux qui s’approchent à portée de leurs dents. L’automne arrivant, ces chiens s’en retournent d’eux-mêmes aux lieux d’où ils sont venus, et chacun d’eux retrouve la maison de son ancien maître.

Le renard pêche comme le chien et de la même manière, c’est-à-dire en saisissant le poisson avec les dents, au risque de se faire mordre le museau. Le chat, au contraire, se sert de sa patte pour jeter hors de l’eau, par un mouvement rapide, le goujon ou le dard qui s’approche trop du bord. Il n’est pas rare de trouver chez les meuniers des chats qui sont fort adroits à cet exercice. Ce n’est pas toujours la nécessité qui développe chez eux cette industrie : quelques-uns pêchent, comme le chat du marquis de Carabas chassait quand il fut devenu grand seigneur, uniquement pour se divertir, et on en voit qui apportent à la maison le poisson qu’ils ont pris. En général, les chats n’aiment pas à se mouiller, et ceux mêmes qui vont à la pêche n’enfoncent dans l’eau que le bout de la patte ; cependant on en a vu qui ne craignaient pas de plonger en poursuivant le poisson, et le journal de Plymouth, dans un de ses numéros de janvier 1828, en rapporte un exemple singulier. « Il y a maintenant, dit le journal, à la batterie de Devil’s-Point, une chatte qui pêche avec une ardeur et un succès remarquable. Chaque jour elle plonge dans la mer, et rapporte dans sa gueule des poissons vivans qu’elle dépose dans le corps-de-garde, pour l’usage des soldats. Elle a à présent sept ans, et fait depuis long-temps l’office d’un utile pourvoyeur. On croit que c’est la chasse aux rats d’eau qui lui a fait surmonter l’aversion qu’ont les animaux de son espèce pour se mouiller ; elle en est venue au point de se plaire dans l’eau autant qu’un chien de Terre-Neuve. Chaque jour elle fait sa promenade sur les rochers qui bordent la mer, épiant les poissons et toujours prête à les poursuivre jusqu’au fond. »

Il est probable que toutes les espèces du genre felis, même les plus grandes, se conduisent comme nous venons de dire que le faisaient les chats lorsqu’ils se trouvent dans des circonstances semblables. Le fait au moins a été constaté pour les jaguars de l’Amérique. « À la Guiane et au Brésil, dit M. Th. Lacordaire, dans un article inséré dans cette Revue (1er no, décembre 1832), le jaguar fréquente aussi, pendant la nuit, les bords de la mer, près des petites anses où l’eau est tranquille, pour y manger des crabes et y pêcher le poisson, en le faisant sauter à terre d’un coup de patte, lorsqu’il vient jouer à la surface de l’eau. »

Sur le même sujet, je trouve dans mon journal de voyage le passage suivant : « Le 7 mars 1824, nous arrivâmes au village de San-Carlos, situé au confluent de l’Orénoque et du Méta ; nous trouvâmes sur la plage le métis Ciriaco, fondateur du village de San-Simon, mais nous nous arrêtâmes peu de temps avec lui, parce que nous désirions visiter le village avant la nuit.

... Le soir Ciriaco vint nous rejoindre pour savoir ce que nous pensions de son petit établissement ; nous en causâmes longuement et nous eûmes souvent lieu d’admirer son zèle et son intelligence… Lorsque les feux furent allumés, notre conversation changea d’objet par l’arrivée du pilote de la Lancha (bateau à quille), du subrécargue et de deux matelots. Les tigres, éternels sujets des causeries du soir, furent encore mis sur le tapis — Le pilote avait vu, près d’un rapide (randal) de l’Orénoque, une tigresse, qui était accompagnée de ses petits, pêcher aux truites et les saisir dans le bond qu’elles faisaient pour franchir la chute d’eau. Les petits, à qui elle distribuait le produit de sa pêche, se tenaient à l’écart et immobiles pour ne pas effrayer le poisson ; mais, quand ils furent rassasiés, avant de rentrer dans le bois, ils s’approchèrent de l’eau et essayèrent de faire comme leur mère.

Ciriaco à son tour raconta un combat, dont il avait été témoin, entre un tigre et un crocodile. Je consigne ici le fait pour sa singularité, sans pourtant m’en rendre garant. Je dois dire cependant que le conteur m’a paru en général un homme très véridique.

« J’étais, dit-il, caché sur une plage, attendant que quelque tortue paresseuse[1] sortît pour déposer ses œufs, lorsque j’aperçus un tigre qui s’avançait en rampant le long du rivage pour couper le chemin à un caïman qui était étendu sur le sable, à prendre le soleil. Il le saisit en effet du premier bond, mais le caïman se jeta à l’eau, et le tigre, ne lâchant point prise, tous les deux disparurent à la fois. Un temps assez long s’écoula, et je croyais déjà le tigre noyé, lorsque je le vis reparaître, mais seul. Il se roula sur le sable, puis se rejeta dans l’eau. Il y resta encore long-temps et ressortit de même cette seconde fois sans sa proie. Ce ne fut qu’à la troisième fois qu’il attira sur le rivage le caïman étranglé. »

Si tous les chats, grands ou petits, ont, à très peu près, les mêmes habitudes que notre chat domestique, cela tient à ce que tous aussi ont la même organisation ; la ressemblance dans la structure interne aussi bien que dans la forme générale du corps est telle que, si l’on met à part le lion, suffisamment distingué par la crinière dont son cou est orné, on ne trouve, pour diviser ce genre si nombreux en espèces, que les caractères peu importans de la taille et de la couleur. Pour ce qui est de la robe même, il y a, chez tous les félis sans exception, la circonstance de présenter sur le fond de la robe des taches plus foncées, arrondies ou allongées. Le lion et certaines espèces de lynx ne les présentent d’une manière bien visible que dans les premiers mois après la naissance. Chez le couguar américain (felis concolor), cette livrée du jeune âge reste au moins jusqu’à la troisième année ; chez presque toutes les autres espèces, elle persiste jusqu’à la mort.

Dans l’espèce ou les espèces du jaguar, car je penche à croire qu’il y en a deux distinctes, il naît quelquefois des individus noirs ; quelquefois aussi, mais plus rarement, il en naît de tout blancs, de véritables albinos, et cela constitue, comme l’a très bien vu d’Azzara, deux sortes de monstruosités, mais non pas deux espèces d’animaux différentes du jaguar à robe fauve. Eh bien ! chez ces individus blancs ou noirâtres, les taches, quoique très peu apparentes, se marquent encore par une teinte un peu plus foncée.

J’ai dit que chez toutes les espèces, les taches étaient toujours plus obscures que le fond : cette loi ne souffre point d’exception pour les types normaux ; mais il y a un cas de monstruosité qui s’est propagé par la génération, de manière à constituer une variété, et où c’est justement l’opposé. Dans la Colombie, aux environs de la ville de Pore et dans un espace compris entre cette ville et la Cordillière, on trouve un couguar dont le fond de la robe a la couleur rousse ordinaire, mais dont les taches, au lieu d’être d’un roux plus foncé, sont blanches. Aucun naturaliste n’a, je crois, signalé cette variété, et dans la Colombie même elle est très peu connue. Hors du canton, je n’ai trouvé que trois personnes qui eussent vu de ces tigres de Pinta-Blanca, comme on les appelle : le majordome d’une ferme, le supérieur des missions des Augustins dans les Llanos, et le général J. Paris. Tous les trois, quand je leur demandai où ils avaient vu l’animal, me nommèrent des lieux compris dans l’espace que j’ai indiqué, c’est-à-dire dans les environs des villages de Morcote, Nunchia, Pie-de-Cuesta, etc.

À côté du genre des chats, il y a un petit sous-genre qui s’en distingue en ce qu’il est presque complètement privé de la faculté de retirer ses ongles, de faire patte de velours : c’est le guépard ou tigre chasseur (felis jubata). Nous en avons vu un à Paris, il y a deux ans, dans la ménagerie de M. Martin, mais il était chétif, souffrant, et ne pouvait guère donner une idée de cette belle espèce. François Ier avait un guépard dont il se servait pour la chasse, et qu’un domestique portait sur la croupe de son cheval. Ce fait, rapporté par Gesner, qui était contemporain du prince, avait été regardé comme un conte, et, quoique plus tard Bernier, Tavernier, et d’autres voyageurs en Orient, eussent parlé du guépard, de manière à confirmer pleinement ce qu’en avait dit Gesner, les naturalistes ne s’en occupèrent point jusqu’à l’époque de la prise de Seringapatam, où deux tigres, qui avaient appartenu à Tipoo Saïb, arrivèrent en Angleterre. Ces deux animaux venaient accompagnés de leurs anciens gardiens, auxquels ils obéissaient comme le chien le mieux appris ; ils étaient, d’ailleurs, doux et caressans avec tout le monde. Ils furent envoyés à Windsor, et les deux Indiens demandèrent avec instance qu’on ne les enfermât point dans une cage, mais qu’on les laissât chasser dans le parc, comme ils avaient coutume de faire. Ces hommes offraient de garantir sur leur tête que les guépards ne causeraient aucun désordre. Georges iii n’y voulut pas consentir ; il ordonna que les tigres fussent remis aux gardiens ordinaires de la ménagerie, et que les Indiens retournassent dans leur pays. Ceux-ci, qui étaient tendrement attachés aux animaux dont ils avaient si long-temps pris soin, ne s’en séparèrent qu’avec une peine extrême ; ils affirmèrent que les gardiens de la ménagerie n’avaient pas assez de douceur pour gouverner les guépards, et qu’ils leur aigriraient bientôt le caractère.

Ce qu’ils avaient prévu arriva : les deux animaux, renfermés dans une loge, devinrent en peu de temps si farouches, qu’on ne pouvait plus en approcher. Un beau jour leur porte ayant été mal fermée, ils sortirent et firent une telle mine, quand on parut vouloir les reprendre, que personne n’osa s’y risquer. Le roi commanda qu’on les tuât à coups de fusil ; mais cet ordre ayant été par hasard connu des Indiens, qui étaient alors tout prêts à s’embarquer, ils montrèrent un tel désespoir, et supplièrent si instamment, qu’on leur permît d’essayer encore des moyens de douceur ; on suspendit l’arrêt fatal, et on leur permit de retourner pour un temps à Windsor.

La porte de la cour ayant été entr’ouverte, un Indien entra et appela par son nom le guépard qui se trouvait le plus près de lui. L’animal ne voulut pas le reconnaître et gronda d’un air courroucé. L’Indien se troubla et sortit sur-le-champ ; mais il se remit bientôt, avala un verre d’eau-de-vie, puis rentra dans la cour, accompagné de son camarade. Chacun d’eux portait un de ces capuchons dont on tient couverte la tête du guépard, à peu près comme on tient chaperonnés les faucons jusqu’au moment où on leur montre la proie. Le guépard qui avait la première fois donné des signes de colère gronda encore lorsqu’on s’avança vers lui, et quand l’Indien qui marchait devant fut assez près, il se précipita sur lui, le terrassa, et lui déchira le bras ; mais au moment où il relevait la tête, l’autre Indien la lui couvrit avec son chaperon, et l’animal se souvenant aussitôt de ses anciennes habitudes, s’accroupit et lécha la main du gardien qu’il venait de mordre. Quant à l’autre guépard, il suffit de lui montrer le capuchon pour qu’il se soumît aussitôt : tous les deux furent réinstallés dans leur loge, mais on eut la dureté de séparer d’eux les Indiens qui n’avaient pas craint de s’exposer à un si grand danger pour sauver leur vie.

La Société zoologique de Londres possède maintenant deux guépards donnés par lord Clare, qui les avait reçus depuis peu de temps.


roulin.
  1. Les tortues ne pondent guère que la nuit ; mais quand quelque circonstance les a empêchées de le faire, elles sont tellement pressées du besoin de déposer leurs œufs, qu’elles sortent même par le plus grand soleil, et restent souvent suffoquées par la chaleur.