Mélanges de Sciences et d’histoire naturelle — juillet 1833/02
Les recherches de M. Dutrochet sur le renouvellement de l’air respirable, dans les branchies des insectes aquatiques, fourniront une explication pour divers cas de respiration anormale observés chez des insectes à trachée. Déjà l’auteur lui-même nous l’avait fait voir pour la larve du potamogeton lucens, et M. Audouin vient aujourd’hui en faire connaître un second exemple pour un insecte parfait de la famille des carabiques. L’observation date de plusieurs années, et M. Audouin avait hésité jusqu’ici à la communiquer, parce qu’elle lui semblait inexplicable.
En 1822, se trouvant à l’île de Noirmoutier près de l’embouchure de la Loire, M. Audouin profita d’une marée très basse pour explorer des parties habituellement recouvertes par la mer, dans le but d’y récolter des crustacés et d’autres animaux marins. S’étant avancé à plus de deux cents toises sur ces plages, il fut tout étonné d’y rencontrer, dans un point que le flot venait à peine de quitter, un petit insecte qui courait précipitamment sur les pierres et les fucus. Au premier abord, reconnaissant cet insecte pour appartenir à la famille des carabiques, dont toutes les espèces sont carnassières et constamment terrestres, il pensa qu’il se trouvait là accidentellement ; mais il ne tarda pas à en voir un grand nombre d’autres, qui ne paraissaient nullement dépaysés, et même il en trouva qui se faisaient l’amour. Il était évident, par conséquent, qu’ils étaient là dans les habitudes ordinaires de leur vie.
Ces insectes avaient-ils abandonné le rivage au moment du reflux, et, ainsi que l’observateur, suivi le flot qui se retirait ? C’était l’idée qui devait se présenter la première ; mais, dans ce cas, il aurait fallu que ces petits animaux marchassent aussi vite qu’un homme. En effet, l’instant où ils se montrèrent le plus nombreux était celui où la mer commençait déjà à remonter, et le mouvement ascensionnel du flot était tellement rapide, que M. Audouin eut à peine le temps de gagner le rivage.
Forcé de renoncer à cette explication, l’observateur supposa que les insectes pouvaient arriver, en volant, aux points où il les avait trouvés, et s’en retourner de la même manière ; mais ayant soulevé les élytres de ceux qu’il avait saisis, il reconnut que ces animaux n’avaient pas d’ailes ; d’un autre côté, leurs membres n’étaient point disposés pour la natation, et même, quand ils auraient eu, comme les hydrophiles, les dytiques, les notonectes, l’appareil natatoire le mieux conditionné, on ne conçoit guère comment ils auraient pu en faire usage dans les eaux si violemment agitées. Il devenait très probable qu’ils passaient, cachés sous des pierres, tout le temps qui séparait les deux basses mers, et c’est ce que des observations ultérieures confirmèrent pleinement ; mais il restait à concevoir comment, restant plongés si long-temps sous l’eau et à une profondeur souvent de plus de trente pieds, ils trouvaient le moyen de respirer. Quelques-uns, sans doute, pouvaient trouver, dans les petites cavités des pierres sous lesquelles ils se réfugient, des bulles d’air engagées, et ces cavités auraient été pour eux ce qu’est pour la larve du potamogeton la coque soyeuse qu’elle a soin de se filer. Il était difficile d’ailleurs de supposer que ce fût le cas général ; le retour de la mer, en effet, est si prompt, que les insectes ne peuvent guère avoir le temps de chercher ces réservoirs d’air, toujours peu communs, et il était presque nécessaire qu’ils emportassent cet air avec eux, au moment où ils disparaissaient sous les eaux ; c’est en effet ce que des observations ultérieures firent reconnaître à M. Audouin.
Si l’on examine l’insecte à l’œil nu et mieux encore à l’aide d’une loupe, on voit la surface de ses élytres, sa tête, ses antennes, ses pattes, tout son corps enfin, couverts de poils, dont plusieurs atteignent une grande longueur. Chacun de ces poils, quand on plonge subitement l’insecte dans l’eau, se montre revêtu d’une mince couche d’air. Cet air se réunit d’abord en petites globules, puis en une bulle unique qui entoure le corps de toutes parts, et ne s’en détache point par les mouvemens que se donne l’animal en courant sur le fond ou les parois du vase.
Ce qui a lieu dans cette expérience se produit certainement lorsque la mer vient submerger notre insecte. Toujours il emporte avec lui une petite couche d’air, et quand il se cache sous une pierre, il s’y trouve momentanément dans les conditions des insectes placés librement dans l’air. Toutefois, on conçoit bien que cette quantité d’air si petite serait promptement viciée par la respiration, et deviendrait impropre à entretenir la vie, si ses élémens ne se renouvelaient pas. Mais il en est de cet air extérieur comme de celui qui se trouve à l’intérieur des branchies des insectes aquatiques proprement dits ; il se répare aux dépens de l’air dissous dans l’eau ambiante, et le renouvellement s’opère avec d’autant plus de facilité, que l’eau est plus agitée.
M. Audouin a reconnu que l’insecte dont nous venons de parler appartient à la famille des carabiques, au genre blemus, et il le distingue par l’épithète de fulvescens, qui rappelle sa couleur.
M. Audouin pense que plusieurs espèces de coléoptères, du genre elims, que l’on trouve sous les pierres au fond des ruisseaux, et que jamais on n’a vu respirer l’air à la surface, pourraient bien être dans le même cas que le blemus fulvescens.